Commission de l'éducation, de la Communication
et des Affaires culturelles
(Québec, 20-22 avril 2005)

Rapport présenté par M. Bruno Bourg-Broc, député, président délégué de la section française de l'APF, rapporteur : « La situation du français dans les organisations internationales ».

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A Monaco, en novembre 2002, le bureau de votre commission de l'éducation, de la communication et des affaires culturelles de l'Assemblée parlementaire de la Francophonie m'a confié le soin de rédiger un rapport sur le français dans les institutions internationales, à la fois comme bilan et réactualisation du rapport de 1997 de notre ancien collègue Jean Delaneau.

J'ai ainsi été amené à me rendre à Bruxelles au siège de la commission européenne (mars 2003), aux sièges de l'Organisation des Nations-Unies à Genève (juin 2003) puis à New York (janvier 2004), à Vienne (avril 2004), au siège de l'Union africaine à Addis Abeba (décembre 2004) et enfin au siège de l'UNESCO à Paris en juin dernier. J'ai naturellement été amené à présenter un compte rendu détaillé de ces entretiens, ainsi que les réflexions que ceux-ci m'inspiraient, à votre commission.

A l'issue de ces différentes auditions et déplacements, il m'a semblé important de vous présenter dans ce projet de rapport final, une synthèse de l'ensemble de ces travaux ainsi qu'un projet de résolution.

I - UNE HISTOIRE PORTEUSE

Chacun se rappelle que depuis l'ordonnance royale de Villers-Cotteret qui avait imposé par la volonté politique la langue française comme langue d'unification de la France, le français s'était peu à peu imposé comme la langue mondiale des échanges, et en particulier des discussions et décisions politiques en substitution du latin.

Ainsi au cours des siècles le français s'était imposé comme la langue diplomatique mondiale.

A l'issue de la première guerre mondiale qui avait fragilisé les anciennes puissances européennes et montré l'émergence politique des Etats-Unis d'Amérique, le traité de paix signé à Versailles en 1919, marqua la cessation du privilège du français comme langue diplomatique: il fut rédigé à la fois en anglais et en français. L'après-guerre entraîna de profonds changements sociaux. Les classes sociales s'interpénétrèrent et démocratisèrent la langue.

Certes au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, naissait l'organisation-mère, c'est-à-dire l'organisation-modèle de tout le système international contemporain: l' Organisation des Nations unies en remplacement de la Société des Nations.

L'Assemblée générale de l'ONU, lors de sa première session, le 1 er février 1946, adopta la résolution n o 2 portant approbation du Règlement concernant les langues . Celui-ci précise, dans son article 1 er :  « Dans tous les organismes des Nations-Unies autres que la cour internationale de Justice, le chinois, l'anglais, le français, le russe et l'espagnol sont les langues officielles ». Cette internationalisation de l'expression devait néanmoins être immédiatement nuancée dans le même texte par cette précision capitale : « L'anglais et le français sont les langues de travail ».

Plus tard, s'y greffa l'arabe. La distinction entre langue officielle et langue de travail n'est pas, à vrai dire, clairement établie sur le plan juridique et fait, aujourd'hui encore, l'objet de controverses. On retiendra, en prenant l'ONU pour modèle, que le statut de langue officielle implique que toute réunion officielle soit pourvue de l'interprétation simultanée de et vers la langue qui bénéficie de ce statut, que les documents préparatoires et les projets de résolution soient disponibles dans cette langue en temps voulu, que les comptes rendus et les rapports le soient également.

Le statut de langue de travail implique, quant à lui, que le travail des fonctionnaires internationaux interne à l'organisation puisse être effectué, verbalement et par écrit, dans une des deux langues de travail, d'où la nécessité pour ces fonctionnaires de connaître l'une de ces deux langues pour être recrutés et, si possible, de connaître, au moins passivement, l'autre langue, ou à défaut, d'être mis en mesure, par la traduction ou l'interprétation, de la comprendre. En outre, tout délégué doit pouvoir également s'exprimer, verbalement et par écrit, dans l'une des deux langues de travail, dans ses relations avec le secrétariat de l'Organisation, toute activité linguistique officielle du secrétariat (affiches, brochures, inscriptions de tout ordre, menus des restaurants, explications des guides, etc.) devant s'effectuer dans ces deux langues.

Dans les organisations rattachées à l'ONU, on ne fait pas la différence entre le statut de langue officielle et celui de langue de travail. Dans la plupart des cas, le statut unique de langue officielle ou, pour quelques organisations, selon une terminologie approximative, de "langue de travail" donne à la langue qui en bénéficie les droits cumulés des deux statuts. Cependant, certaines organisations interprètent ce statut comme ne conférant qu'à la seule langue officielle la plus utilisée (et c'est, en général l'anglais, mais parfois le français) le statut juridique de langue de travail.

À ces exceptions près, le français bénéficie juridiquement, dans la quasi-totalité des organisations internationales du système des Nations unies, du statut maximum. Tel est le cas, non seulement, en application de la résolution de 1946, à l'ONU proprement dite (Assemblée générale, Conseil de sécurité économique et social, Conseil de tutelle, Secrétariat et, en application de son règlement particulier, Cour internationale de Justice) et dans les organismes qui en dépendent directement 3 ( * ) , mais aussi, conformément au paragraphe b) de la résolution de 1946 dans les institutions spécialisées et rattachées 4 ( * ) .

Les organisations indépendantes du système des Nations unies se recensent par centaines si l'on tient compte notamment non seulement des institutions et organismes centraux mais également de leurs comités, offices, bureaux décentralisés. Or, la situation du français y est importante et particulière.

Le français se voit reconnaître dans la plupart d'entre elles le statut de langue officielle sans qu'il ne soit fait mention de langue de travail. Tel est le cas à la Commission des Communautés européennes (neuf langues officielles: français, allemand, anglais, danois, espagnol, grec, italien, néerlandais, portugais), à l' Organisation du Traité de l'atlantique Nord (OTAN), à l'Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE), au Conseil de l'Europe, à l'Union de l'Europe occidentale (UEO), à la Commission du Pacifique Sud, à l' Organisation internationale de police criminelle (OIPC-INTERPOL), à la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), à l'Organisation des Etats américains (OEA), à l'Organisation de l'Unité Africaine (OUA) devenue Union africaine. Dans toutes ces organisations, le statut de langue officielle entraîne, juridiquement parlant, le statut de langue de travail au sens indiqué ci-dessus. À l'Organisation intergouvernementale pour les transports internationaux ferroviaires (OCTI), le français est dit langue de travail, ce qui correspond au double statut. À l'inverse, à le programme international de satellites de télécommunication (INTELSAT) et le programme international de satellites maritimes (INMARSAT) le français est langue officielle mais n'est pas admis, comme à l' Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) et à la Banque interaméricaine de développement, au titre de langue de travail.

Tel est, dans ses grandes lignes, le statut juridique du français dans le plus grand nombre, et les plus importantes, des organisations internationales. On ne saurait, encore une fois, être exhaustif dans ce domaine. Presque toutes les organisations débattent et légifèrent périodiquement sur le statut et l'emploi de langues, ce qui relativise le statut des langues en la matière.

Une autre façon de relativiser le débat sur l'emploi du français dans les institutions internationales c'est, à la suite de Hervé Cassan, chargé du Haut conseil de la francophonie, de distinguer l'esperanto international que génère la mondialisation et qui comporte quelques centaines de mots et un nombre très limité de règles grammaticales, de la langue des diplomates et des politiques.

« La langue des fonctionnaires et la langue des politiques »

Hervé CASSAN

Chargé du haut conseil de la francophonie

« Il faut dans ce domaine distinguer deux choses : la langue du secrétariat, la langue des fonctionnaires, et la langue des diplomates, la langue des politiques .

La langue du secrétariat, c'est de moins en moins de l'anglais. Cet anglais des organisations internationales, ce n'est plus de l'anglais, c'est le plus petit dénominateur commun entre toutes les nations. Il vous faut un mois et demi pour l'apprendre.

D'un côté l'anglais, et de l'autre le français : c'est déjà une problématique qui est tout à fait faussée. Si, moi, je sais le français ou si un francophone sait le français, il a accès à la culture francophone et à la littérature francophone. Si un fonctionnaire international sait l'anglais des organisations internationales, il a accès à ses collègues, point final ! J'ai vu énormément de gens à l'ONU travailler toute la journée en anglais et être incapables, quand ils sortaient, d'avoir la moindre conversation dans un dîner new-yorkais parce que c'est une autre langue qu'ils parlaient. Je crois que, quand on veut comparer dans les organisations internationales ces deux données, il faut avoir présent à l'esprit que la mondialisation est en train de fabriquer une langue. J'ai toujours à l'esprit ce que me disait toujours l'un de mes collaborateurs qui était britannique -- il en avait du moins l'humour : « Mais vous, vous avez de la chance parce que les textes anglais, ils sont souvent traduits en français mais ils ne sont jamais traduits en anglais ! » C'est exactement ça qu'il voulait dire, et c'est tout à fait comme ça que les choses fonctionnent. Ça, c'est la langue administrative et la langue banale pour dire n'importe quoi de la vie quotidienne !

Par contre, quand on est dans la négociation politique, quand on est en face des diplomates, alors là oui, il faut être tout à fait intransigeant ! Parce que négocier de grandes résolutions du Conseil de sécurité, négocier de grands textes dans la langue de l'autre, c'est immédiatement lui céder un terrain considérable.

Il faut implicitement faire en sorte que tous les grands textes politiques qui sont discutés dans les organisations internationales participent au plurilinguisme, et alors là, on est vraiment dans notre enjeu, dans notre enjeu du combat, dans notre enjeu du conflit ou dans notre enjeu de la lutte. »

II - LE CONSTAT D'UNE RÉALITÉ EN RECUL

Cela ne surprendra sans doute pas. Le constat que je dresse à la suite de ces rencontres au sein de différentes organisations internationales est au mieux mitigé, au pire pessimiste, voire très pessimiste.

1 - Premier constat : une apparence trompeuse, une réalité inquiétante

Comme il vient de l'être exposé, dans toutes les organisations visitées, qu'elles appartiennent à l'Union européenne ou au système des Nations Unies, le français est, avec l'anglais, l'une des langues de travail. Les autres langues de travail varient suivant les institutions, qu'il s'agisse du russe, du chinois, de l'arabe, de l'espagnol ou du portugais, de l'allemand ou de l'italien. Cette position se renforce du fait que le français est toujours l'une des langues officielles de ces organisations.

Cette position favorable implique non seulement que l'on puisse s'y exprimer officiellement en français, mais surtout que l'on puisse disposer des documents officiels en français et de refuser de délibérer si le texte français n'existe pas ou n'est pas prêt à temps. De nombreux efforts sont donc faits pour que ces documents soient disponibles à temps, ce qui justifie le discours optimiste de certains de nos interlocuteurs.

Mais la réalité quotidienne est toute autre. L'exemple de l'UNESCO peut ici être cité s'agissant d'une institution de l'ONU dont le siège est à Paris.

UNESCO Nombre de pages en anglais et en français en 2000-2004

Année

Nombre de pages originales en anglais

Nombre de pages originales en français

Nombre de pages

traduites en anglais

Nombre de pages

traduites en français

2000

16189

6678

7612

13270

2001

21719

7856

6665

13176

2002

17166

4935

4931

10350

2003

23279

8151

7093

13217

2004

17448

4997

5144

8352

Même s'il n'y a pas de correspondance entre le nombre de pages originales en anglais ou en français et le nombre de pages traduites en anglais ou en français, du fait que les documents sont traduits dans l'une ou l'autre des langues utilisées par l'UNESCO on ne peut que constater une augmentation nette du nombre de pages originales en anglais alors que celui des documents en français diminue.

D'une manière plus générale, il faut constater que les textes officiels ne constituent qu'une part minime de la production d'une institution. Le reste de la production est traduite tardivement, voire n'est jamais traduite. Enfin, le travail au quotidien est rarement exécuté en français. Tout se passe ou presque en anglais, réunion préparatoire, travail de secrétariat, etc.

L'exemple des institutions européennes est, à cet égard, frappant. Entre 1997 et 2003 le pourcentage des documents dont la langue d'origine est l'anglais est passé de 45% à 59% à la Commission européenne et de 41 à 72% au Conseil. Dans le même temps pour le français ces pourcentages passaient de 38 à 28% à la Commission et de 42 à 18% au Conseil.

En dépit de signes encourageants comme l'inscription dans le projet de Constitution européenne de l'attachement au principe de diversité linguistique, considérée comme faisant partie intégrante de l'identité européenne, votre rapporteur ne peut que constater dans les faits une érosion du français comme langue de conception et de travail au sein des institutions européennes.

Les bibliothèques, sauf celle de Genève, sont presque exclusivement en anglais et les ouvrages en français, quand ils existent, ne sont guère consultés. Il en va de même pour la presse .

A titre d'illustration le nombre de documents acquis par la bibliothèque Dag Hammarskjöld en 2002 était de 2151 pour l'anglais et de 348 pour le français.

Si le français demeure la langue la plus enseignée au sein des institutions, le nombre d'admis à l'examen d'aptitudes linguistiques montre une prééminence de l'anglais, qui apparaît ainsi, du point de vue des candidats, comme la seule langue véritablement utile.

Ce bilan pessimiste doit être nuancé par un certain nombre d'actions volontaristes. C'est ainsi que le « plan pluriannuel d'action pour le français en préparation de l'élargissement de l'Union européenne » signé le 11 janvier 2002 par la France, la Communauté française de Belgique , le Luxembourg et l'AIF a permis la formation de plusieurs milliers de fonctionnaires en poste à Bruxelles, de diplomates, d'experts, de journalistes et d'interprètes des pays membres de l'UE ou candidats.

Nombre de personnes formées au français

2001

1590

2002

3250

2003

6500

(Source Rapport 2004 au Parlement sur l'emploi de la langue française)

Le même constat peut être fait au niveau du recrutement. Il faut toutefois reconnaître des efforts importants des autorités pour que le multilinguisme soit réellement effectif comme en témoigne le rapport du Secrétaire général de l'ONU à la 58éme Assemblée générale sur le multilinguisme en septembre 2003.

En dépit de ces efforts il suffit de constater que sur les 100 437 candidatures reçues par l'ONU du 1er mai 2002 au 31 mai 2003, 69,6 % étaient en anglais, 15,9 % en français, 10,8 % en espagnol, 3 % en russe, 0,5 % en arabe et 0,2 % en chinois.

Partout les services de traduction connaissent des difficultés faute de moyens et/ou de personnel compétent, et certains services d'interprétation ont été supprimés ou n'assurent l'interprétation que pour les réunions officielles.

A titre d'exemple, les services de traduction et d'interprétation du Conseil de l'Europe ont vu leurs effectifs diminuer faute de remplacement des départs à la retraite. Il est fait de plus en plus recours à des services extérieurs. A Vienne, l'AEIA ne dispose pas de service propre et l'anglais est la langue de l'ensemble des réunions informelles puisqu'aucune interprétation n'est prévue.

Votre rapporteur a pu constater dans un certain nombre de cas que, alors même que le français est langue officielle et langue de travail, la traduction tardive et en seconde priorité des documents dans notre langue aboutissait logiquement à ce que l'ensemble des travaux préparatoires se déroulent en anglais. C'est le cas à l'Office des Nations Unies à Vienne (où le service de traduction anglais a quasiment disparu puisque 95% des documents sont rédigés en anglais) et également à l'ONUDI.

Ce constat pessimiste s'aggrave si l'on prend en compte deux faits :

• le recours à des traducteurs extérieurs n'assure souvent pas la même qualité de travail,

• surtout, on ne fait pas porter suffisamment d'effort sur la formation des traducteurs et des interprètes aux vocabulaires spécialisés, notamment dans le domaine juridique.

J'ajoute que si mes interlocuteurs des Représentations permanentes avec lesquelles les programmes de rencontres ont été montés, étaient tous francophones, tous ont spontanément dit qu'ils travaillaient au quotidien en anglais, même si certains ont assuré vouloir recruter des collaborateurs bilingues français-anglais. Dans ce cas, il s'agit de disposer de collaborateurs capables de produire des documents (revues, circulaires...) dans les différentes langues obligatoires, mais pas de travailler au quotidien en français.

Mais le plus grave, me semble-t-il, c'est que le sujet du bilinguisme ou du multilinguisme ne fait plus réellement débat. Le risque existe qu'on se satisfasse de la situation actuelle et de sa lente dégradation, jugée le plus souvent inéluctable.

2 - Deuxième constat : l'environnement francophone n'implique pas la francophonie

A Bruxelles ou à Genève, l'environnement francophone n'apporte pas les effets escomptés. Les organisations fonctionnent comme un microcosme imperméable aux influences extérieures. On peut travailler à Bruxelles, à Paris et à Genève sans connaître un mot de français. Si, à l'extérieur, des communautés existent, elles ne se mélangent pas. Et à l'intérieur, on parle le plus souvent l'anglais.

L'environnement francophone n'a pour seul effet que d'augmenter le nombre des personnels d'exécution francophone, ce qui n'a aucune influence sur la langue de travail.

Selon des études internes de l'Office des Nations unies à Genève, le français connaît des difficultés à s'imposer comme langue de travail courante. Il est inacceptable, s'agissant d'une organisation basée en Suisse, que la plupart des porte-paroles des organisations et institutions présentes à Genève s'expriment en anglais et que les anglophones ne daignent répondre que dans cette langue.

De plus, si les francophones maîtrisent dans une forte majorité (80 %) l'anglais, les anglophones ne maîtrisent le français qu'à hauteur de 20 %. Ceci a une conséquence importante puisque lors des réunions informelles, les plus nombreuses, et souvent les plus importantes, les francophones acceptent de parler l'anglais afin que le travail puisse se faire. Il en va de même pour la lecture des documents les pus rapidement disponibles, c'est à dire ceux initialement rédigés en anglais.

Cette même constatation se retrouve sur le continent africain comme votre Rapporteur a pu le constater lors de son déplacement à Addis-Abéba, à l'Union Africaine (UA) et à la Commission économique des Nations Unies pour l'Afrique (CEA).

Alors que la majorité des membres de l'UA, qui en compte 53, dont les structures sont très proches de celles de l'Union Européenne, est francophone (28 pays membres de l'OIF), c'est l'anglais qui prédomine, comme d'ailleurs à la Commission économique pour l'Afrique.

Rappelons que les règles de l'UA prévoient l'égalité des langues internationales et des langues africaines (art. 25 de l'acte constitutif) et qu'elles ne distinguent pas langues officielles et langues de travail. Selon les indications recensées par votre rapporteur, 65 à 70% des documents officiels sont écrits en anglais et 30% en français. Cette situation qui pourrait sembler relativement favorable, comparée à la situation dans d'autres institutions, doit être fortement nuancée par la faiblesse numérique des services de traduction qui aboutit à la mise à disposition tardive des documents et donc, à des réunions préparatoires qui se tiennent en anglais.

De même à la CEA dont les trois langues officielles sont le français, l'arabe et l'anglais, 95% des documents officiels sont rédigés en anglais et seulement 5% en français. On constate que seuls 10% des ouvrages de la bibliothèque sont en français et qu'ils sont quasiment absents dans le domaine économique, comble du paradoxe pour la Commission « économique ».

L'avenir de la francophonie en Afrique ne laisse pas d'inquiéter, le français restant considéré, a tort, comme appartenant à une culture hégémonique aux forts relents de colonialisme.

3 - Les autres causes du recul

a - Quatre causes internes aux organisations internationales

la pratique quotidienne et le poids de la hiérarchie : que l'environnement soit francophone, anglophone ou autre (allemand, italien...), le travail au quotidien se fait en anglais car la langue de la hiérarchie est majoritairement l'anglais. Toutefois, il semble que même les francophones de langue maternelle travaillent en anglais. Il y a une culture de l'organisation internationale, « un micro-climat », qui privilégie l'anglais, car cette langue est comprise à travers le monde entier. A New York, le français ne serait utilisé que par 15 % des personnes dans les relations du travail, et par 50 % à Genève.

Cette constatation montre bien que les gouvernements des pays francophones ne disposent pas de vraie stratégie en matière de personnel dans les organisations internationales. A l'ère de la mondialisation, il est curieux de constater que le choix de réaliser tout ou partie de sa carrière dans une organisation internationale est atypique et considéré comme négatif pour l'avenir de l'individu dans son administration d'origine.

Les anglophones et, en particulier les anglais, ont en revanche une véritable politique de recrutement. Force est de constater que cette mentalité fait perdre aux pays francophones et à la francophonie des positions stratégiques considérables.

le choix de la langue anglaise est renforcé par la langue utilisée dans les secteurs d'activités aujourd'hui privilégiés . A l'agriculture majoritairement francophone, en perte de vitesse, s'opposent les secteurs économiques et bancaires, les télécommunications ou la recherche.

Même le droit international, longtemps influencé par le droit continental, est pénétré de plus en plus par les notions de droit anglo-saxon. On peut toutefois noter l'exception de la Cour de Justice des Communautés européennes (CJCE) où le français est la langue de travail obligatoire.

Or tous ces secteurs privilégient l'anglais et des organisations économiques (l'Organisation Mondiale du Commerce - OMC) ou à vocation technique (l'AIEA) s'expriment quasi-exclusivement en anglais. On peut peut-être espérer que la récente nomination de M. Pascal Lamy comme directeur général de l'OMC, dont le siège est à Genève, aboutisse à contrebalancer une tendance trop exclusive.

Un bon indicateur de cette assertion est le cas de la bibliothèque de l'Union africaine et de la Communauté des Etats africains à Addis-Abéba. Si 10% des 12500 titres de la bibliothèque sont en français, cela concerne principalement des romans, des livres de politique ou d'histoire. Les lacunes les plus flagrantes se trouvent dans les domaines de l'économie et de la gestion administrative. Votre rapporteur a souligné précédemment le cas de la bibliothèque de la Commission économique des Nations Unies pour l'Afrique où on ne trouve pas d'ouvrages économiques en français !

Constatation plus inquiétante, la poussée de l'anglais au sein d'institutions moins spécialisées comme la Commission européenne, se fait de plus en plus sentir, sous couvert de contraintes budgétaires.

Un bon indicateur de cette situation se trouve dans la fréquentation des sites Web des différentes institutions et dans le choix des langues de publication. On y trouve une forte prééminence de l'anglais, même si certaines institutions respectent (pour partie) leurs obligations en termes de langues officielles. Mais les statistiques de fréquentation montrent clairement la réalité, avec une prééminence indiscutable de l'anglais.

Accès aux sites internet des Nations Unies (mai 2002 à mai 2003)

accès

pages

visites

Anglais

Mai 2002

83,22 %

87,24 %

80,17 %

Mai 2003

84,14 %

85,61 %

78,11 %

Français

Mai 2002

5,02 %

3,97 %

6,58 %

Mai 2003

4,75 %

4,70 %

7,27 %

La légère diminution du pourcentage des pages consultées ou des visites en anglais ne doit pas masquer l'énorme prédominance de cette langue dans la consultation des sites Web. Votre rapporteur doit également souligner que les responsables de ces sites insistent sur les problèmes de fiabilité liés à la traduction des pages de l'anglais vers une autre langue. En dépit des efforts très réels faits on ne peut que constater qu'un nombre croissant de documents ne sont plus accessibles qu'en anglais. Cela est malheureusement particulièrement vrai pour le site Europa de l'Union européenne.

ces causes se conjuguent avec l'attitude des fonctionnaires internationaux qui abandonnent progressivement leur identité nationale, pour ne pas être suspectés de défendre une cause nationale, par éloignement, happés par leur environnement professionnel, ou par des mariages mixtes qui finissent par atténuer ou éteindre leur attachement à leur identité originelle.

En France, les agents de l'Etat sont théoriquement tenus, en application de la circulaire du Premier ministre du 14 février 2003 relative à l'emploi de la langue française, de privilégier systématiquement l'emploi de notre langue dans les enceintes et négociations internationales.

D'une manière plus large, cette perte d'identité est la manifestation des carences ou même de l'absence de stratégie de placement des fonctionnaires nationaux francophones dans les institutions internationales, en particulier aux niveaux hiérarchiquement hauts et moyens.

L'une des actions fondamentales de l'APF et singulièrement de notre Commission, devrait être de suivre la politique de nos gouvernements dans ce domaine et de prévoir notamment l'inclusion dans la carrière administrative de nos hauts fonctionnaires cette notion de service dans les organisations internationales. On pourrait par exemple imaginer de fortes incitations à la mobilité à l'internationale et des garanties, voire de « prime » de réinsertion dans l'administration nationale à la suite de ces missions.

Votre Rapporteur souhaite enfin insister sur une dernière cause interne aux organisations : le coût du multilinguisme.

Selon une intéressante thèse rédigée par Mme Emily van Someren (Utrecht University) sur le régime des langues dans l'Union européenne 5 ( * ) le coût des traductions sont évalués à 2,55 € par citoyen européen, ce qui fait un total d'environ 1 milliard d'Euro. En comparaison, il est dépensé :

• 0,72 € pour l'éducation,

• 0,33 € pour la Justice et les Affaires Internes,

• 0,36 € pour la presse et la communication,

• et 0,95 € pour la santé et la protection des consommateurs.

Ces coûts ont été calculés en 2003, donc pour les 15 pays, avant le passage de 11 langues à 20 qui a provoquerait une hausse des coûts de 20 à 50%. Ces coûts seraient même supérieurs puisque, selon une estimation officielle mais déjà très ancienne du Parlement européen en 1989 (avec 9 langues), le coût du multilinguisme était de l'ordre de 2% du budget total de l'Union, ce qui représenterait aujourd'hui près de 1,7 milliards d'euros.

Le montant de ces sommes colossales souligne l'ampleur du problème. Certes, le cas européen est extrême mais il pose avec force la question du rapport entre le principe de la diversité linguistique, élément fondamental de la diversité culturelle, et les contraintes budgétaires que connaissent toutes les organisations.

On peut comprendre que les organisations se limitent à leurs obligations réglementaires et laissent perdurer des pratiques de monolinguisme anglais infiniment moins coûteuses.

J'ajouterai qu'une bonne part de ces efforts budgétaires en faveur des traductions est souvent faite pour respecter les textes, mais sans utilité réelle car arrivant trop tard, les versions originales anglaises ayant seules été utilisées pour ne pas retarder les débats.

b - Deux causes externes aux organisations internationales : l'attitude des Etats et l'attitude des individus.

L'une des causes de l'expansion de l'anglais dans les organisations internationales est une certaine absence de résistance des Etats francophones . Il est loin le temps où un Georges Pompidou subordonnait l'acceptation par la France de l'entrée de la Grande Bretagne dans l'Europe à la pratique du français par tout Britannique embauché dans les institutions européennes.

Certes, les Représentations permanentes rappellent à l'ordre, organisent des formations, animent des groupes d'ambassadeurs francophones mais le réalisme des Etats francophones, la conviction que le militantisme desservait les causes défendues, la crainte de demandes reconventionnelles d'autres pays (les Espagnols, les Italiens ou les Allemands notamment) les conduisent à privilégier l'efficacité de la négociation sur la défense de la langue. La volonté politique de faire réellement appliquer les textes devrait être encore plus présente. On ne peut que déplorer cette atonie des francophones.

Votre rapporteur a pu récemment constater, à l'Assemblée générale de l'ONU, à New York, que les pays francophones, sous la présidence d'un francophone s'exprimant en français, intervenaient en anglais. On se souvient de l'attitude du président français de la Banque centrale européenne ou du Gouverneur de la banque de France, s'exprimant en anglais au Parlement européen ou à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, ce qui avait entraîné le départ de l'hémicycle des parlementaires français.

A Bucarest, en avril 2004, la commission avait demandé que chaque section interroge son gouvernement pour savoir ce qu'il faisait pour défendre la francophonie. Votre Rapporteur n'a reçu que quelques réponses -qui n'étaient d'ailleurs pas les réponses du gouvernement supposé être interrogé, mais celles de la section-, qui expliquaient clairement que ces pays s'exprimaient dans les langues de l'organisation, c'est-à-dire, le plus souvent, dans une autre langue que le français.

Ce problème se retrouve d'ailleurs au sein de l'OIF, puisque nombre de pays membres demandent à l'ONU leurs documents en anglais et s'expriment dans cette langue. Je ne suis pas sûr en outre que cette contradiction -être membre de l'OIF et s'exprimer en anglais- gène beaucoup les plus hautes sphères de la francophonie qui privilégient la défense du multiculturalisme au détriment de la défense de la langue.

Pour illustrer ce propos votre rapporteur souhaite à nouveau citer M. Hervé Cassan qui faisait la remarque très pertinente suivante sur laquelle nous devrions réfléchir :

« les francophones et les Français ne font pas assez aujourd'hui la différence entre la langue comme véhicule et son contenu. Ce qui est très important pour nous dans notre culture, dans nos valeurs, dans ce qu'on veut donner à la mondialisation, c'est le contenu ; et parfois, s'il faut le faire passer dans ce mauvais anglais dont je vous parlais, ce n'est pas un problème, mais que les Français acceptent sans discuter des notions comme « gouvernance » plutôt que la notion d'État de droit, ça change la totalité des choses. Que la notion de diversité n'ait pas fait l'objet d'une véritable analyse française alors que « diversity », c'est vraiment très analysé en Amérique, c'est une erreur et c'est une lacune. Qu'on fasse primer l'idée d'efficience sur l'idée d'égalité, c'est une honte pour la conception qu'on se fait de la démocratie, des élections, des droits de l'homme. Je crois qu'il y a une vraie réflexion à faire en France sur le contenu des mots, parce que le contenu, ce sont des valeurs, et les valeurs, c'est tout le reste. »

Une autre raison de la perte d'influence du français réside dans le faible montant des contributions volontaires aux programmes des organisations internationales.

Les contributions volontaires émanant de diverses sources, principalement les gouvernements mais aussi les particuliers, permettent à l'ONU de poursuivre bon nombre de ses activités. Une partie considérable du travail d'organismes tels que le Programme des Nations Unies pour le développement, le Programme alimentaire mondial, l'UNICEF et le Fonds des Nations Unies pour la population est financée grâce à de telles contributions

Ces contributions, différentes des versements obligatoires, sont affectées à des programmes précis et permettent aux pays donateurs d'exercer une certaine influence, notamment sur le choix des personnes chargés de mettre en oeuvre ce programme, et donc sur la langue de travail. Ainsi, le volume des contributions financières volontaires de la France aux organismes des Nations Unies place celle-ci au 17 e ou 18 e rang, alors qu'elle occupe le 4 e rang pour les contributions obligatoires. Pour en faire un élément de pression et retrouver un certain poids au sein d'organisations comme le HCR, l'OMS, le CICR ou le BIT, il conviendrait, d'après certains des interlocuteurs de votre Rapporteur, très au fait de ces questions, de porter ces contributions à 50 millions d'euros, ce qui ne me semble pas hors de portée.

D'une façon générale, la nomination de francophones à des postes de responsabilités, la désignation d'experts ou la prise de présidence de groupes de travail permettraient de mieux défendre la présence de la langue française pour peu que ces individus reçoivent des directives fermes et claires sur l'emploi du français. Or, comme il l'a été souligné précédemment, les pays francophones se montrent peu empressés à revendiquer ces postes.

S'agissant des choix personnels, on constate un manque d'intérêt des francophones pour exercer des fonctions dans les organisations internationales. Il semble que ces fonctions soient -du moins pour le système des Nations Unies- peu attractives et que l'expatriation se révèle coûteuse, notamment pour la scolarité des enfants, et nuisible à une carrière nationale. C'est par exemple le cas pour les énarques. S'y ajoutent des difficultés d'ordre matériel, comme la possibilité de trouver un travail pour le conjoint, notamment à Vienne.

Parallèlement, alors que dans quelques années une génération entière va partir en retraite, les jeunes générations se montrent beaucoup moins investies d'une mission linguistique. Votre Rapporteur a pu le constater directement en rencontrant à New York un groupe de jeunes volontaires, les JPO. Il s'agit d'un programme financé par la coopération technique française qui permet à des jeunes de travailler à l'ONU pendant deux ans avec l'objectif d'y faire carrière. Ceux-ci, très heureux de bénéficier de ce programme et de s'immerger dans un contexte anglophone, ne sont nullement convaincus que la cause du français en retire quelque bénéfice.

En Europe, l'arrivée de nouveaux fonctionnaires, en provenance des pays entrants, va encore diminuer la part des francophones, car dans leur majorité ces pays privilégient l'allemand ou l'anglais.

Plus généralement, l'attractivité et le prestige des diplômes anglo-saxons sont grands et les Etats Unis mènent une politique agressive de repérage et de formation des élites.

Certes, la France, notamment dans un cadre européen ou national, participe ou mène des politiques visant à former les élites étrangères, à leur donner le goût de la francophonie, à les accueillir, mais cette politique est insuffisante et se heurte à certaines réticences qui s'expriment en particulier en Afrique par des accusations de néo-colonialisme.

Tous ces facteurs expliquent le dépérissement de l'usage du français dans les organisations internationales et laissent mal augurer de l'avenir.

Votre Rapporteur a, à plusieurs reprises, rencontré des diplomates et des hauts fonctionnaires, y compris des Français, qui considèrent qu'il s'agit d'une cause perdue, qui ne croient plus à la francophonie, qui se résignent à l'hégémonie de l'anglais. Pour eux, le français, comme langue de travail, est appelé à disparaître dans le système des Nations Unies. Certains ne s'y intéressent même plus et considèrent qu'on ne peut retourner en arrière. D'ailleurs, selon ces interlocuteurs, l'anglais n'est pas à cette place par hasard : on ne peut que constater sa suprématie dans les domaines économiques, politiques, culturels ou scientifiques et il serait vain de s'y opposer.

Entre un optimisme excessif et un pessimisme tout aussi excessif, une voie moyenne me semble possible, non pour stopper définitivement cette évolution, mais au moins enrayer une dégradation qui n'a, selon votre Rapporteur, rien d'inéluctable.

III - DES PISTES À EXPLORER

La mondialisation, les moyens de communication modernes, l'importance des organisations et des réglementations internationales dans la vie quotidienne dessinent un avenir qui tend vers l'uniformité. Le combat pour la diversité culturelle, contre l'uniformité dont nous menace la mondialisation, n'est pas le combat d'un seul pays, ni même d'un ensemble de pays rassemblé dans ce magnifique ensemble qu'est la francophonie. C'est le combat de l'identité des Nations qui fait la richesse du monde.

Avec Gramsci nous devons nous fixer comme ligne directrice de « compenser le pessimisme de l'intelligence par l'optimisme de la volonté ».

Dès lors, trois pistes peuvent être explorées :

1 - Réaffirmer une volonté politique claire et ferme

Cette volonté politique est aujourd'hui loin d'être affirmée.

Pour lutter contre ce refus, de la part de nombreux fonctionnaires internationaux, de tout militantisme francophone, considéré comme un combat d'arrière garde ou entaché de néo-colonialisme, seules des consignes strictes, en provenance des plus hautes instances de l'Etat (la Présidence de la République en France), ont des chances d'aboutir. Des consignes strictes doivent être données aux fonctionnaires de s'exprimer dans leur langue maternelle dès lors que celle-ci figure au nombre des langues de travail (ce qui est presque toujours le cas).

Il convient également de veiller à la présence régulière et en nombre suffisant de délégations notamment dans les instances techniques de Vienne et de Genève, et à la prise de responsabilité, notamment la présidence de groupes de travail ou de groupe de rédaction (AIEA).

Cette présence a non seulement une importance déterminante pour la défense et l'illustration de la langue française mais aussi pour la défense du système et des concepts juridiques issus du droit romano-germanique ou continental. Il se trouve en effet que la plupart des pays qui ont le français en partage ont également choisi ce système juridique plutôt que celui de la Common law d'origine anglo-saxonne. Ce choix est également celui des pays hispanophones de l'Amérique latine et de certains pays de l'Asie et de l'Eurasie. Or on assiste depuis 1989 à une offensive importante du droit anglo-saxon qui, dans un certain nombre de cas s'est imposé de manière politique, en faisant table rase de l'existant et en déstabilisant ainsi un ordre juridique tout entier.

Il ne s'agit pas ici d'affirmer d'une manière générale, la plus grande efficience d'un système juridique sur l'autre mais simplement de défendre, au cas par cas, domaine par domaine, la pertinence de choix et de solutions juridiques.

Or nous savons bien que l'emploi de concepts juridiques dans sa propre langue confère un avantage fondamental. La défense de la langue rejoint ainsi naturellement la défense d'un système juridique avec les conséquences économiques considérables qui peuvent découler de ces choix. Nous rejoignons ainsi la distinction faite en introduction par M. Hervé Cassan entre la langue des fonctionnaires et la langue des politiques.

Des instructions particulièrement fermes doivent donc être données par les exécutifs à leurs représentants.

A cet égard, le rôle des représentations permanentes des pays francophones est essentiel. Elles interviennent déjà beaucoup, mais elles le feront avec d'autant plus d'efficacité que les gouvernements seront clairement derrière elles.

Ils doivent également veiller aux conditions de recrutement de telle sorte que tout candidat maîtrise au moins deux langues de travail et s'arc-bouter sur la préservation des langues de travail actuelles, en Europe ou au sein des institutions de l'ONU.

Au-delà du recrutement, c'est l'accession aux postes de responsabilités qui doit être privilégiée : éviter la multiplication des postes de direction -au sein de l'Union Européenne-, qui augmentera le poids des anglophones, promouvoir des francophones.

En rapport avec le recrutement et les langues de travail se pose la question du multilinguisme : parmi mes interlocuteurs certains se sont déclarés partisans du multilinguisme -des rapports sont régulièrement rédigés par les institutions-, tandis que d'autres y sont particulièrement hostiles.

Pour l'APF, il paraît naturel de défendre le multilinguisme, par parallélisme avec le concept de diversité culturelle qu'elle défend. Votre Rapporteur souhaite néanmoins mettre en garde contre un effet pervers du multilinguisme intégral, pour ne pas dire intégriste. On a déjà souligné le coût du multilinguisme qui fait l'objet d'un véritable choix politique. Une position trop extrême conduit au renforcement du camp des adversaires du plurilinguisme qui mettent en avant des arguments budgétaires pour préparer l'avènement d'un monolinguisme anglophone. Il paraît donc sage et réaliste de limiter nos revendications au seul respect des langues de travail.

L'engagement politique, les instructions données, doivent être supportées par des engagements budgétaires.

A cet égard, le plan de relance pour l'utilisation du français dans les organisations internationales, adopté à Hanoi en 1997 par le Sommet de la francophonie, était doté en 2004 d'un budget de 3,43 millions d'euros. Il paraît évident à votre Rapporteur que ce montant n'est pas à la hauteur des enjeux et qu'il devrait être très fortement multiplié.

Il en va de même des contributions volontaires. Les pays francophones doivent augmenter leurs contributions volontaires et d'une façon générale privilégier les contributions non-mutualisées beaucoup plus visibles et efficaces en terme de défense de la francophonie que les contributions entrant dans le cadre des politiques communes, généralement conduites en anglais.

Enfin, même si, comme je l'ai déjà dit, l'environnement ne constitue pas une garantie, il convient de favoriser cet environnement culturel francophone qui aura nécessairement une influence favorable sur l'usage du français sur le lieu de travail. Cela nécessite naturellement le développement du réseau des alliances françaises et des centres culturels et de l'exportation de nos outils culturels.

Par ailleurs, le renforcement de la francophonie passe par une politique commerciale plus agressive. Ainsi, alors que se déroule le cycle de négociations dans le cadre de l'OMC, qui concerne très directement l'Afrique, il est essentiel que les pays francophones apportent, avec l'OIF, une aide technique à la négociation aux pays africains. Il y a là un moyen efficace de faire pénétrer le français au sein de l'OMC (où les francophones sont faiblement représentés).

2 - Une politique de formation ambitieuse

- développer l'enseignement français à l'étranger et en abaisser les coûts afin de participer à l'environnement francophone quand il existe ;

- favoriser les formations au français de diplomates étrangers ; des efforts sont déjà faits en ce sens, par exemple à l'Académie diplomatique de Vienne, mais cette politique doit être développée 6 ( * ) ;

- accueillir plus largement les étudiants étrangers en France, notamment avec une politique des visas adaptée ;

- mener une politique de dépistage des futures élites assortie d'aides diverses pour les attirer en France ou dans les pays francophones du Nord ;

- poursuivre et renforcer la politique d'accueil des fonctionnaires des représentations permanentes des nouveaux entrés dans l'Union Européenne, ainsi que des fonctionnaires affectés dans les différentes institutions ;

- enfin, renforcer l'enseignement des langues en France, notamment comme le préconisait la résolution adoptée à Niamey, en créant de véritables classes d'immersion dès le plus jeune âge. Il est essentiel, en effet, pour demander à nos partenaires de favoriser l'enseignement et la pratique du français, de leur garantir une véritable réciprocité.

3 - Renforcer l'action de l'OIF

La dernière piste proposée concerne l'OIF en général et son opérateur principal, en particulier -l'Agence Intergouvernementale de la Francophonie- dont il convient de renforcer l'efficacité et les moyens d'intervention.

Ma première proposition portera sur la fermeté dont l'OIF doit faire preuve à l'égard de ses membres pour qu'ils utilisent le français dans leurs relations internationales. L' OIF n'est pas un club de rencontres. On peut parfaitement admettre que l'OIF soit un instrument politique pour influer sur les grandes décisions du moment, mais alors il convient de le dire et de le reconnaître. Dans cette hypothèse, l'objet de cette organisation ayant changé, nous serions nous-mêmes- en tant qu'Assemblée parlementaire de la Francophonie- en porte à faux puisque nous persistons à défendre l'usage de la langue.

Fermeté à l'égard de ses membres, mais aussi fermeté à l'égard de l'extérieur, c'est-à-dire à l'égard des organisations internationales auprès desquelles l'OIF dispose d'une représentation permanente.

L'OIF devrait également intervenir très concrètement, non seulement en terme de financement -on l'a vu avec l'Académie diplomatique de Vienne-, mais également de façon concrète, par exemple en apportant un appui logistique aux délégations francophones (comme le fait le Commonwealth pour ses membres). Une structure pourrait ainsi être mise en place -il en est question- pour apporter cette aide. Cette aide pourrait être apportée aux délégations africaines dans le cadre du cycle de négociation de l'OMC : elle pourrait notamment prendre la forme de séminaires de formation, pour être en mesure de comprendre les enjeux des négociations.

ANNEXES

Annexe 1 : Le français dans les institutions internationales : le cas des institutions européennes

Annexe 2 : Le français dans les institutions internationales : le cas de Genève

Annexe 3 : Le français dans les institutions internationales : le cas de l'ONU à New York

Annexe 4 : Le français dans les institutions internationales : le cas de Vienne

Annexe 5 : Le français dans les institutions internationales : le cas d'Addis Abeba

Annexe 6 : Le français dans les institutions internationales : le cas de l'UNESCO

Annexe 7 : Déclaration de Strasbourg (Bureau de l'APF, Strasbourg 2003)

Annexe 8 : Résolution n° 69 sur le plurilinguisme au sein des Etats de l'Union européenne et l'usage du français dans les institutions européennes (Session, Niamey 2003)

Annexe 1

Le français dans les Institutions européennes

(25 mars 2003)

I -- Résumé des rencontres

M. Pierre Mirel, directeur à la direction générale de l'élargissement de la Commission européenne.

M. Mirel dresse un constat pessimiste :

-- défendre la francophonie est un combat difficile car tout militantisme accusé en dessert la cause et provoque un raidissement de nos partenaires ;

-- jusqu'au dernier élargissement, le français résistait bien car les Anglais jouaient le jeu. Mais depuis l'arrivée de l'Autriche, de la Suède et de la Finlande la question de la langue se pose pour toutes les réunions informelles sans traduction, où s'impose la loi de la minorité, c'est à dire le tout anglais. Si le français résiste bien dans certains secteurs comme l'agriculture, il perd beaucoup de place dans les relations extérieures ou dans les négociations relatives à l'élargissement (je pense en particulier à la Pologne). Globalement, l'anglais et le français se répartissent respectivement à 60 et 40 %.

-- la cause de la francophonie n'est plus du tout le problème des jeunes. Ceux-ci parlent anglais et sont contents de le faire : « j'ai fait un investissement pour apprendre à parler anglais, je le parle ».

M. Mirel n'est cependant pas totalement pessimiste. Il préconise de tout faire pour faire appliquer les trois langues de travail : anglais, français, allemand.

Il a évoqué un projet récent de la commission qui consiste à organiser les concours de sélection des fonctionnaires des pays entrant prochainement dans l'Union européenne dans deux des trois langues de travail. Ce projet, qui aurait préfiguré le droit commun des concours, a été « torpillé » par l'Espagne et l'Italie, ce qui a fait reculer le commissaire Kinnock en charge de ce dossier. Tout n'est peut-être pas perdu cependant, car les QCM pourraient se dérouler dans deux des trois langues.

Il a également suggéré d'aborder la question des trois langues de travail au sein de la commission mixte franco-allemande. Il a aussi proposé de prendre en compte la connaissance des langues de travail tout au long de la carrière, et que la Représentation Permanente française organise des cours de français pour les nouveaux candidats.

M. Pierre Sellal, représentant permanent de la France auprès de l'Union européenne.

L'ambassadeur a tout d'abord souligné un point positif : le retour à la francophonie de Bruxelles. Il convient, selon lui, d'entretenir cette évolution en favorisant la vie culturelle, par exemple dans le cadre des établissements d'enseignement ou du théâtre. Il faut plus largement que la France ait une vraie politique du français dans les institutions européennes. Pour la Représentation Permanente, cela constitue une priorité absolue.

Mais M. Sellal constate aussi beaucoup d'évolutions négatives. Il a cité les exemples suivants : les jeunes des différents pays ne parlent plus le français, l'arrivée, lors du dernier élargissement, des Suédois, la présence majoritaire d'Anglais dans les directions du Conseil, le militantisme anglophone de M. Prodi, le fait qu'au COREPER la plupart des ambassadeurs parlent anglais, bien qu'il y ait trois langues de travail, enfin la volonté de ne pas donner l'impression de s'exprimer pour son pays lorsqu'on parle français. C'est la position du commissaire Lamy. Pour l'ambassadeur, la francophonie a beaucoup reculé dans les secteurs de l'économie et de la finance, de la recherche et des télécommunications.

Mais M. Sellal a aussi proposé quelques solutions, qu'il souhaite le plus pragmatiques possible.

-- rédiger des lettres de rappel dès qu'un manquement est identifié ;

-- aider les nouveaux arrivants, créer des liens dans un cadre francophone ;

-- éviter les filières anglophones, briser les hiérarchies, ce qui suppose une vigilance permanente des pays membres ;

-- ne pas lâcher sur les trois langues de travail. En exemple, il a cité le souhait de M. Prodi d'accepter les documents servant aux discussions de la Commission dans leur langue d'origine, projet auquel il lui a fallu s'opposer ;

-- abandonner l'idée du multilinguisme, qu'il juge trop coûteux, et s'en tenir aux langues de travail. Pour cela, il propose de mener une stratégie coordonnée avec les Allemands. Il a cependant remarqué que ceux-ci ne seraient pas gênés en cas d'unilinguisme anglais. Il faut donc louvoyer entre le risque de demandes reconventionnelles et le refus des Allemands d'un bilinguisme anglais-français. La seule solution passe donc par la défense du trilinguisme ;

-- rappeler systématiquement les engagements pris lors des adhésions des pays au sein de la francophonie. Il a notamment cité le cas des Roumains et des Vietnamiens qui n'hésitent pas à s'exprimer systématiquement en anglais ;

-- savoir cependant être souple au cours des négociations, citant à cette occasion la négociation relative aux brevets ;

-- enfin, répondre en français aux appels d'offres.

Il a aussi mentionné l'existence du "plan pluriannuel d'actions pour le français en préparation de l'élargissement de l'Union européenne" qui, je vous le rappelle, concerne essentiellement la formation. En conclusion, il a rappelé que les difficultés venaient aussi des divergences des différents pays sur leur conception de l'Europe.

M. Michel Vanden Abeele, directeur général du service de traduction de la Commission européenne.

M. Vanden Abeele a tout d'abord présenté son service, récemment devenue une direction générale, qui comprend 1800 personnes et travaillent en 11 langues officielles, et bientôt 21. Je ne vais pas vous donner de détails chiffrés sur les traductions d'une langue à l'autre, l'énumération de ces chiffres serait fastidieuse, mais je tiens des tableaux à votre disposition. Je précise cependant que tous les documents qui se situent en amont des décisions doivent être traduits dans les trois langues de travail et que tous les textes finaux doivent être traduits dans les 11 langues officielles, et donc bientôt en 21 langues. Cela correspond à 1,3 millions de pages à traduire par an. 460 nouveaux traducteurs vont être recrutés d'ici à 2005. L'élargissement constitue naturellement un défi considérable. Son coût le sera tout autant. On se trouve donc au centre du dilemme : faut-il que tout soit traduit ? Pourquoi ne pas passer au tout anglais ?

Pour M. Vanden Abeele, la véritable question est de savoir si des trois langues de travail on ne risque pas de passer à une seule langue. Son pronostic est mitigé : oui on va vers l'anglais, oui il y a de la résistance. Mais l'arrivée des nouveaux pays n'incite pas à l'optimisme. Une enquête sur Internet en vue de recruter des auxiliaires traducteurs a montré que le français venait en quatrième position des langues connues, après la langue maternelle, l'anglais et l'allemand.

M. Vanden Abeele a cependant préconisé quelques pistes : l'éducation sur le long terme et le financement de la recherche en matière d'automatismes et de bases documentaires. Il a regretté qu'il n'y ait pas eu d'efforts suffisants pour préparer les pays entrants à l'usage du français. Et il a cité le faible nombre des Alliances Françaises.

M. François Lamoureux, directeur général de l'énergie et des transports à la Commission européenne.

M. Lamoureux nous a tout d'abord assuré que l'énergie et les transports constituaient un îlot de résistance de la francophonie. Mais, comme les autres, il a constaté que le dernier élargissement avait causé de nombreux torts au français et a déploré que les Allemands parlent anglais.

Il a aussi regretté, et je reviendrai sur cette idée, que la France ait été obnubilée par Strasbourg en tant que siège du Parlement européen alors que le véritable problème était la langue. Dès que quelqu'un ne parle pas français, tout le monde se met à parler anglais. Pour lui la situation est dramatique et il constate que personne ne fait rien.

Que faudrait-il faire ? Peut-être d'abord raisonner institutions par institution. Mais pour M. Lamoureux la seule solution se situe sur le plan politique : c'est au Président de la République d'intervenir pour que les fonctionnaires de la commission parlent anglais et français. Des interventions à un niveau plus modeste ne servent à rien. Lui seul peut donner aux fonctionnaires un message de résistance et d'encouragement. Il a d'ailleurs rappelé à cette occasion la condition de Georges Pompidou pour que la France accepte l'arrivée de la Grande Bretagne : que tout fonctionnaire anglais nommé dans les institutions européennes sache parler français. Il déplore le défaitisme des autorités françaises ainsi que celui des entreprises qui écrivent en anglais et ne portent jamais plainte contre la prééminence de l'anglais.

S'adressant plus particulièrement au représentant des assemblées parlementaires que j'étais, il suggère de choisir ses interlocuteurs au sein des institutions sans se préoccuper de leur langue, ce qui permettra de se fait une idée exacte de la prééminence de l'anglais.

M. Pierre de Boissieu, secrétaire général adjoint du Conseil de l'Union européenne.

M. de Boissieu a commencé par m'affirmer que la situation était désespérante et qu'il ne savait que faire. Alors qu'il y a vingt ans 95 % des fonctionnaires parlaient français, aujourd'hui 80 % parlent anglais. Les causes en sont multiples : la mondialisation, le poids de l'économie, le fait que certains se sentent déshonorés s'ils ne parlent pas anglais, les différences de génération, l'anglophonie des Belges et les élargissements. Pour le prochain élargissement, et ce sera le plus important pour une génération, on s'attend à ce que 70 % choisissent l'anglais, 35 % l'allemand et seulement 20 % le français. Et il n'y a rien à faire : le recrutement a lieu dans quelques semaines.

Y a-t-il néanmoins des solutions ?

Pierre de Boissieu s'occupe de mettre sur pied une école européenne d'administration qui serait un mélange de Sciences-Po et d'ENA au niveau européen. Tous les futurs candidats aux concours des institutions passeraient par cette école ou cette université. Et il propose de la créer à Strasbourg, avec l'accord des Allemands qui devraient voir d'un bon oeil cette université à leur porte. Les cours auraient lieu, dans un environnement francophone, en français, en allemand et en anglais. L'université accueillerait de 3500 à 4500 étudiants.

Comment en arriver là ? En profitant, selon Pierre de Boissieu, d'une volonté de rationaliser les institutions. La France abandonnerait Strasbourg comme siège du Parlement européen, ce qu'il juge inéluctable, et on créerait à la place un grand pôle juridique avec l'université européenne et peut-être la Cour de justice et la Cour des comptes. Dans ces conditions on peut espérer redonner vie au français. Cette solution a le mérite de préparer l'avenir, car une fois les fonctionnaires entrés dans les institutions, il est trop tard car ils parlent déjà trois langues, ce qui rend difficile de leur en imposer une quatrième.

En plus de cette suggestion, ou peut-être faut-il parler de ballon d'essai, M. Pierre de Boissieu a prodigué d'autres conseils : que les pays fassent attention aux nominations, notamment des commissaires ou des juges, éviter la multiplication des directions (ce que fait à tort la Commission actuellement) car on y mettra plus d'anglophones que de francophones, avoir en France un véritable bilinguisme, enfin, arriver à un régime de trois langues, français, anglais, allemand en interne, français, anglais, espagnol en externe pour les relations extérieures.

Pour conclure, il suggère aux assemblées parlementaires de contacter les attachés parlementaires des nouvelles représentations permanentes pour les inviter quatre mois en France, et de guider les parlementaires eux-mêmes.

M. François Brunagel, chargé de la communication du Parlement européen.

M. Brunagel constate une bonne résistance du français malgré une évolution certaine vers l'anglais depuis l'arrivée des Suédois, des Finlandais et des Autrichiens ainsi que des nouvelles générations de fonctionnaires.

Pour lui, mais il est le seul parmi les personnes que j'ai rencontrées, il faut défendre absolument le multilinguisme malgré son coût. Ainsi, le service de la communication du parlement rédige ses brochures en 11 langues, et bientôt en 19. M. Brunagel préconise également une politique des petits pas car il ne faut pas braquer les autres pays par une démarche politique. À titre d'exemple des petits pas, il cite l'installation de logiciels en français ou les cours d'entretien de langue française. Il souhaite également que la France élargisse son réseau d'instituts français et favorise le développement des associations francophones.

Il évoque également le problème de la présence structurellement faible des parlementaires français au Parlement européen, car ils se sont dispersés dans de nombreux groupes.

Enfin, pour M. Brunagel, la présence du parlement à Strasbourg est une donnée historique (1952) qui ne peut être remise en question car il faudrait tout rouvrir et il pense que personne ne le souhaite. C'est là, effectivement, un vrai problème.

Mme Irène Souka, directeur à la direction générale de l'administration et du personnel de la Commission européenne, chargée notamment des recrutements et des carrières.

Mme Souka, de nationalité grecque, s'est montrée la plus optimiste de tous. Certes, elle constate une certaine dégradation depuis 1980, mais observe désormais un bon équilibre entre le français et l'anglais. Il n'y a pas de danger pour le français, et même un certain rééquilibrage s'observe en faveur de l'allemand.

Les chiffres qu'elle nous a cités ne vont cependant pas tout à fait dans ce sens : actuellement les concours sont organisés dans la langue maternelle du candidat et dans une autre langue. Or, on constate que le pourcentage de candidats, en économie et statistiques, qui choisissent comme seconde langue le français est de 15 %, contre 72 % l'anglais et 3 % l'allemand. En droit les pourcentages sont de 25 % pour le français, 62 % l'anglais et 3,6 % l'allemand.

Mme Souka a principalement exposé les conditions dans lesquelles s'opère le recrutement des candidats. Elle a distingué la sélection qui se fait par l'intermédiaire d'un concours et débouche sur l'inscription sur une liste d'aptitude, et le recrutement lui-même qui consiste à être pris par une institution. Elle a observé que les candidats francophones n'attendaient pas longtemps sur les listes avant d'être recrutés. Elle a indiqué que les concours étaient jusqu'ici principalement organisés par la Commission pour toutes les institutions. Mais dorénavant, la sélection par concours sera réalisée par une instance inter-institutionnelle, l'ESCO, dont j'envisage de rencontrer le responsable, M. Hascof.

Les concours se passent en deux langues : la langue d'origine pour le QCM et l'une des trois langues de travail pour les autres épreuves. Le choix des candidats n'est pas très favorable au français, comme le montrent les chiffres que je viens de citer.

Mme Souka a rappelé que pour les nouveaux venus il y avait un projet de faire passer le concours dans deux des trois langues de travail. Cela devait préfigurer la règle générale de recrutement. Mais il semblerait, ainsi que je l'ai déjà dit, que cette réforme soit partiellement ou totalement abandonnée à la suite des interventions espagnoles et italiennes. On s'orienterait vers un QCM dans l'une des trois langues de travail, avec des épreuves dans la langue du candidat. Tout cela reste très flou.

Enfin, Mme Souka a indiqué que dans le projet de réforme du statut, il serait demandé deux langues en plus de la langue maternelle, ce qui, d'après elle, risque de ne pas être favorable aux Français.

II - Propositions

Si je résume les propos de mes interlocuteurs, voici ce qui s'en dégage.

D'abord un constat unanime sur la dégradation, un constat plus mitigé sur les perspectives. La plus optimiste est Mme Souka, le plus pessimiste M. Lamoureux.

Quant aux préconisations, il y a d'un côté la demande d'une décision politique au plus haut niveau, « taper du poing sur la table », celle d'un seul interlocuteur, M. Lamoureux, de l'autre, tous les autres, la recommandation d'une démarche pragmatique, que je résumerai ainsi :

-- attention de ne pas braquer les autres pays ;

-- jouer « finement » avec les Allemands, nos alliés certes (car il s'agit d'une des langues de travail), mais qui s'accommoderaient du tout anglais, comme d'ailleurs d'autres pays ;

-- entretenir et développer la francophonie à Bruxelles, et là la France a un rôle particulier à jouer ;

-- prendre contact avec les nouvelles représentations permanentes, pour les accueillir et cette fois, les parlements francophones ont un rôle à jouer ;

-- faire preuve de vigilance en matière de nominations, afin d'éviter la constitution de filières anglophones ;

-- ne pas multiplier les structures, car cela ne peut que favoriser l'anglais ;

-- abandonner l'idée du multilinguisme, beaucoup trop coûteux, avec pour conséquence un risque de passage au tout anglais ; je rappellerai à ce propos que le coût de la traduction est considérable : entre 45 et 80 € par page, lorsque la traduction est effectuée par des entreprises extérieures sélectionnées sur appel d'offres, plus cher encore lorsque les pages sont traduites en interne ;

-- favoriser la formation avant le recrutement et tout au long de la carrière ;

-- bien choisir ses cibles : je pense à l'affaire du brevet européen, où il est nécessaire de faire preuve de souplesse (par exemple en n'imposant pas la traduction de tout le descriptif technique) ;

-- développer la recherche pour la traduction automatique ;

-- faire passer le message auprès des citoyens et des entreprises qu'elles n'ont pas à écrire en anglais ;

-- enfin, s'arc-bouter sur le maintien des trois langues de travail, position qui semble dégager un certain consensus.

Pour préserver ces trois langues de travail, deux pistes me semblent devoir être explorées simultanément :

D'abord, en amont, filtrer les candidats : il s'agirait, comme cela a été envisagé, d'articuler le concours sur la base des trois langues de travail. J'ai déjà eu l'occasion d'évoquer avec le commissaire Barnier la question du concours de recrutement des nouveaux fonctionnaires, mais à l'époque ni lui ni moi ne disposions des informations nécessaires et notre discussion a tourné court.

Ensuite, préparer l'avenir :

-- en confortant le trilinguisme modulaire en y introduisant l'espagnol ;

-- en étudiant attentivement la suggestion ambitieuse de M. Pierre de Boissieu, que je trouve particulièrement séduisante. Il faut cependant reconnaître qu'elle sera difficile à mettre en oeuvre, même dans un contexte de rationalisation des institutions. Qui osera se lancer dans cette aventure ?

-- et pourquoi ne pas aller au-delà en favorisant le multilinguisme dès le début de la scolarisation ? Pourquoi ne pas s'inspirer à l'échelon européen des classes d'immersion chères à nos amis québécois ?

Personnellement, je le redis, je suis très intéressé par l'idée de Pierre de Boissieu d'abandonner le siège du Parlement de Strasbourg pour le remplacer par une université, point de passage obligé de tous les futurs candidats fonctionnaires européens.

Pour aller plus loin dans ma réflexion, j'envisage de visiter d'autres institutions et je me demande s'il ne serait pas opportun, au moins pour certaines d'entre elles, d'y aller avec une délégation du bureau de notre commission. Vous l'avez compris, mes chers collègues, le présent rapport n'est pour l'instant qu'un rapport d'étape.

Annexe 2

Le français dans les institutions internationales : le cas de Genève

Rapport d'étape de M. Bruno Bourg-Broc, député (France)

(Niamey, juillet 2003)

À Châlons-en-Champagne, au mois d'avril dernier, je vous ai présenté un pré-rapport sur le français dans les institutions européennes. Au cours du débat, il m'a été demandé de présenter à Niamey un nouveau volet de ce rapport portant cette fois sur les institutions internationales.

Je me suis donc rendu, le 17 juin dernier, à Genève, afin de rencontrer des diplomates et des hauts fonctionnaires de l'Office des Nations unies et de ses institutions spécialisées. Je vous en présente aujourd'hui le compte-rendu.

Entretien avec M. Hervé Cassan, Représentant Permanent de l'OIF auprès des Nations unies à Genève

M. Hervé Cassan a tout d'abord rappelé que l'OIF disposait de quatre représentations permanentes : auprès de l'Office des Nations unies et de ses institutions spécialisées à Genève, auprès de l'ONU à New York, à Bruxelles et à Addis-Abeba. À Genève, seule l'OMC est exclue du champ d'action de la Représentation permanente, car cette institution passe elle-même ses accords de coopération avec les autres organisations. Mais, en raison du conflit israélo-arabe, elle n'accorde plus aucun statut d'observateur, ce qui fait que l'OIF n'a pu l'obtenir.

Pour M. Hervé Cassan, la situation du français à Genève est bonne. Dans la plupart des organisations, il existe une véritable tradition francophone : au BIT, au Haut Commissariat des droits de l'homme, à la CNUCED... En revanche, l'OMS, longtemps francophone, est passé à l'anglais. Quoi qu'il en soit, il est indubitable que l'on constate une évolution lente mais régulière vers l'anglais dans toutes les institutions.

Dans beaucoup d'entre elles, le français est la langue de la convivialité. On le parle dans les cafétérias. Dans les bureaux, la langue parlée est celle du chef. Or, les fonctionnaires francophones de haut niveau ne sont pas suffisamment nombreux. Pour la France par exemple, les énarques refusent de faire une partie de leur carrière dans les institutions internationales.

Par ailleurs, on constate que si les postes occupées par des francophones augmentent, ceux qui les occupent oublient très vite la cause de la francophonie. Il n'en demeure pas moins que les « alliés objectifs » de la cause francophone restent les fonctionnaires internationaux. Il convient donc de les valoriser et de favoriser leurs associations, de placer dans les organisations des jeunes diplomates, et de défendre l'idée que la francophonie est un élément de la diversité culturelle.

M. Hervé Cassan a aussi rappelé que, dans la plupart des organisations, l'anglais utilisé était un anglais spécifique, avec des soubassements romains. Seule, l'OMC a une véritable tradition anglo-saxonne, en raison de la longue absence de la France et des pays africains. Je reviendrai sur ce point.

Quelles sont, dans ces conditions, les recommandations de M. Hervé Cassan ?

Pour lui, il n'y a pas de problème particulier à Genève, qui est une ville complètement francophone, sans querelles linguistiques. Les actions possibles, pour renforcer la place du français dans les institutions internationales, consisteraient donc à :

- renforcer le rôle de l'OIF ;

- se pencher sur la place du français à l'OMS. Il conviendrait notamment de mettre en place une structure francophone, par exemple un secrétariat, pour favoriser les négociations internationales, en commençant par celles de Cancun. Une telle logistique en appui des pays francophones participants, notamment africains, permettrait de défendre la diversité des langues ;

- favoriser le recrutement de fonctionnaires, sinon par le biais de l'ENA, du moins dans le cadre de filières secondaires ;

- enfin, encourager les associations de fonctionnaires internationaux.

Entretien avec M. Bernard Kessedjian, Représentant Permanent de la France auprès de l'Office des Nations unies à Genève

M. Bernard Kessedjian a tout d'abord formulé deux constats :

- Genève est une ville complètement francophone, avec une tradition culturelle française, dans laquelle les fonctionnaires internationaux sont parfaitement insérés,

- l'érosion du français dans les institutions internationales est une réalité. L'usage des deux langues de travail, français et anglais, disparaît pour des raisons de commodité et d'économie, et parce que l'usage du français est difficile à imposer car il expose immédiatement à des demandes reconventionnelles.

M. Kessedjian identifie trois causes principales :

- l'élargissement de l'Europe qui, en passant à quinze membres, a réduit la part du français de 80 à 20 %.

- la faiblesse des contributions financières volontaires de la France aux organismes des Nations unies. Au quatrième rang pour les contributions obligatoires, la France passe au 17e ou 18e rang pour les contributions volontaires. Or, ces contributions volontaires constituent un élément de pression dont usent de nombreux pays, y compris ceux qui ne payent pas leurs contributions obligatoires.

- l'absence de tout militantisme francophone comparable au militantisme anglophone ; les francophones considèrent qu'il s'agit d'un combat d'arrière-garde et il n'y a pas de véritable volonté politique de la part de la France et des pays francophones de défendre leur langue.

Pourtant, le Représentant Permanent de la France ne considère pas qu'il s'agisse d'une cause perdue. Il propose plusieurs types d'intervention :

- que la France reprenne un certain poids au sein d'organisations comme le HCR, l'OMS, le CICR, ou le BIT en augmentant ses contributions volontaires : celles-ci pourraient utilement s'établir à 50 millions €.

- que les diplomates et les fonctionnaires payent de leur personne, par exemple en prenant la présidence de groupes de travail.

- que les pays francophones se montrent plus exigeants face à leurs fonctionnaires nationaux, voire internationaux. Cette exigence pourrait aller jusqu'à la prise de sanctions.

- enfin, que les représentants permanents exigent le respect des textes et des traditions.

Pour M. Kessedjian, il conviendrait également d'ouvrir plus largement les universités françaises, de relancer le programme des bourses et de mettre en place des programmes « d'élitisme francophone ». Citant l'exemple de l'absence de lycée français à Genève et du manque de capacité de celui de Fernet Voltaire, il a suggéré de développer l'implantation d'établissements français. Il a également indiqué qu'il serait souhaitable d'utiliser plus largement et mieux le programme de financement des jeunes experts associés (JPO). Ce programme, relayé par l'OIF, est utilisé de façon trop parcimonieuse et avec des délais de réponse trop importants. Or, ces jeunes experts ont vocation à intégrer l'organisation à la fin du programme.

En conclusion, M. Bernard Kessedjian s'est félicité du dynamisme nouveau de l'OIF ainsi que du rôle du groupe des ambassadeurs francophones.

Entretien avec MM. Dizier et Stroot, du Département Information et Relations extérieures de l'OMS

Pour les représentants de l'OMS, la situation est très variable suivant les organisations. À l'OMS, on observe une utilisation grandissante de l'anglais. Les causes en sont multiples :

- on constate d'abord une coupure réelle entre la ville de Genève et le monde des organisations internationales, ce dernier étant très coupé des réalités.

- une volonté délibérée, au cours des dernières années, de délaisser le français au profit de l'anglais.

- des raisons financières ; nos interlocuteurs ont, eux aussi, souligné les conséquences de la faible contribution française au budget extraordinaire de l'OMS, et cela bien que les services de traduction relèvent du budget ordinaire auquel la France contribue.

- le désintérêt des scientifiques pour l'usage du français, alors que les aspects culturels de la santé constituent une donnée importante.

- l'absence, dans les postes importants, des africains francophones, soit parce qu'ils n'ont pas connaissance des postes, soit parce qu'ils ne répondent pas aux conditions de recrutement.

Cela conduit à certaines aberrations. Par exemple des informations sur le virus Ebola, rédigées au départ en français, ont été diffusées en anglais, alors même que les pays africains concernés ne pratiquent pas cette langue.

Mes deux interlocuteurs ont cependant noté quelques améliorations, par exemple avec la traduction en français d'une partie du site Internet rédigé d'origine en anglais, ou avec les encouragements de la hiérarchie à suivre des cours de langue.

Ils regrettent cependant que la France ne se montre pas assez vigilante, alors que le français est la seule langue à pouvoir rivaliser avec l'anglais. Leurs solutions sont les suivantes :

- imposer le respect du règlement ;

- faire des démarches conjointes aux pays francophones pour rappeler la place du français ;

- prendre mieux en considération les revendications africaines ;

- enfin, mettre en avant les avantages de la diversité culturelle apportée par l'usage de deux langues de travail.

Entretien avec M. Charles Dan, membre du cabinet du directeur général du BIT

M. Charles Dan considère que le bilan de l'usage du français au BIT est satisfaisant. Le directeur général, lui-même trilingue, est favorable au plurilinguisme. Les trois langues de travail sont l'anglais, le français et l'espagnol. Il existe par ailleurs une association, de création récente, des fonctionnaires francophones. Les annonces de recrutement sont faites dans les trois langues et les entretiens dans l'une d'entre elles, au choix du candidat. L'usage du français ne suscite pas de débat particulier au sein de l'OIT. Certains se plaignent cependant de délais de traduction trop longs. Le coût du plurilinguisme n'est généralement pas évoqué, d'autant que les conférences sont prises en charge financièrement par les gouvernements.

Cependant, la prééminence de l'anglais est réelle, notamment dans les réunions informelles, pour les publications ou dans les comités de rédaction d'où sont peu à peu expulsés les experts qui ne parlent pas anglais.

Pour M. Charles Dan, il est néanmoins nécessaire de faire preuve de vigilance.

Au cours d'un déjeuner organisé à la résidence par l'ambassadeur 7 ( * ) , M. Bernard Kessedjian, les points suivants ont été abordés :

- le blocage du statut d'observateur à l'OMC, en raison des positions de la Ligue arabe, qui empêche l'OIF de suivre les travaux ;

- la production de documents rédigés essentiellement en anglais par l'Europe ;

- la proportion insuffisante de francophones aux postes-clés des organisations internationales et le fait que certains d'entre eux n'embrassent pas la cause de la francophonie ;

- et surtout le rôle de l'OIF.

Ce dernier point a été particulièrement discuté. Il a notamment été suggéré que l'OIF, comme le fait déjà le Commonwealth, apporte aux délégations francophones un appui logistique. Des séminaires pourraient également être organisés pour aider à comprendre les sujets abordés, notamment dans la perspective des négociations de Cancun. Le financement de cette structure pourrait être discuté à l'occasion de la prochaine Conférence Ministérielle de la Francophonie. Il faudrait également faire en sorte que l'OIF participe en tant que telle aux travaux de l'OMC, par exemple en l'intégrant dans une délégation. L'idée a également été lancée de faire avancer la francophonie politique en recherchant des points de convergence francophone, par exemple l'exception culturelle, afin de constituer, pour les négociations, un groupe de pression francophone.

Entretien avec M. Ulrich Von Blumenthal, Conseiller juridique chargé d'un rapport sur le multilinguisme à l'ONUG, et M. William Bunch, chargé du service des Conférences

Mes interlocuteurs ont tout d'abord souligné que Genève était le seul siège des Nations unies dans un environnement francophone. Cela détermine la langue des employés locaux. Pour cette raison, le service juridique où exerce M. Von Blumenthal travaille essentiellement en français. Pour les conférences, les langues utilisées sont celles déterminées par le règlement de la conférence soit 6,3 ou 5 langues dont, toujours, le français.

À l'ONU Genève, le français est indispensable car tous les travaux se font en deux langues. Mes interlocuteurs ont cependant évoqué plusieurs problèmes : la présence de non francophones dans des postes de haut niveau, l'emploi de l'anglais par les Suisses alémaniques, la place grandissante des documents en anglais, ou encore la volonté délibérée de certains Français de parler anglais. Il conviendrait en conséquence que les pays francophones, et d'abord la France, soient vigilants sur ces points.

Ils ont également souligné que les fonctionnaires internationaux ne pensaient plus dans des catégories nationales. Leurs motivations de privilégier une langue sont autres.

Citant leurs exemples personnels, MM. Von Blumenthal et Bunch, l'un Allemand, l'autre américain, ont souligné l'intérêt culturel de défendre le français. Pour eux, ce combat est le symbole de l'usage de langues différentes. Il constate qu'aux Nations unies beaucoup de fonctionnaires aiment les langues. Pour eux, la solution passe donc par l'apprentissage des langues, rendu facile à l'ONU Genève grâce à des aménagements d'horaires. Ils ont aussi suggéré que l'OIF interviennent pour pousser les fonctionnaires les plus hauts placés à suivre des cours de langue.

En conclusion, ils ont remarqué que la situation à Genève était très différente de celle de New York.

Entretien avec M. Alain Frank, directeur de la division des Relations extérieures à l'OMC

M. Alain Frank a tout d'abord dressé l'historique de la situation dégradée de la francophonie à l'OMC. Il a rappelé que la situation actuelle trouve son origine dans l'échec du projet d'organisation mondiale du commerce de 1947, remplacé par le traité du Gatt, d'initiative anglo-saxonne, dont la France, poussé par un patronat protectionniste, s'était longtemps tenue éloignée. Les pays africains, privilégiant les accords préférentiels, n'y participaient pas non plus. Les choses changent depuis 1995 avec la création de l'OMC. Les pays en voie de développement ont également demandé, à partir de 1991, à participer aux négociations multilatérales. Ainsi, l'Afrique est présente dans le cycle de Doha et demande qu'on l'aide à négocier. C'est ce que commence à faire l'OIF.

Pour M. Frank, la francophonie n'est pas une cause perdue. Le français reste une langue officielle et importante. Elle le sera d'autant plus que la France et les pays francophones seront actifs.

Mais les francophones, pour les raisons historiques déjà évoquées, sont peu nombreux dans l'administration de l'OMC. Même aujourd'hui, où la France est plus active, les francophones rentrent en petit nombre car ils ne sont pas formés au commerce international.

M. Alain Frank a indiqué qu'il vivait dans un univers francophone, et que les Anglo-Saxons vivaient eux-mêmes dans un univers Anglo-Saxons. Il a observé que les associations de fonctionnaires francophones n'étaient pas beaucoup aidées.

Il a également abordé le débat en cours sur l'ouverture de l'OMC à d'autres langues. Les langues de l'OMC sont actuellement l'anglais, le français et l'espagnol. Il serait question de les ouvrir au chinois, au russe et à l'arabe, ce qui aurait pour conséquence inéluctable le passage au tout anglais. Cela ne s'est pas encore fait pour des raisons budgétaires.

En conclusion M. Alain Frank a suggéré :

- de développer les magisters de commerce international dans les universités francophones ;

- de mener une politique agressive dans le domaine du commerce international ;

- et de développer des synergies entre les pays francophones.

Entretien avec M. Carlos Fortin, secrétaire général adjoint de la CNUCED et M. Christopher Macfarquhar, éditeur en chef

La CNUCED utilise six langues officielles et deux langues de travail, l'anglais et le français. Mais l'anglais est la langue la plus usitée, notamment pour les réunions de secrétariat, même si au quotidien l'anglais et le français sont utilisés à égalité. Pour être embauché, il est demandé d'être bilingue. Toutefois, le rôle de la CNUCED étant d'aider les pays en voie de développement, celle-ci est particulièrement sensible aux besoins des pays francophones, ce qui l'incite à utiliser le français.

La plupart des documents sont cependant rédigés en anglais, et ceux qui ne le sont pas sont traduits très rapidement. En revanche, la traduction vers le français est plus problématique. Dans la mesure où la CNUCED recours aux services communs de traduction des Nations unies, elle ne maîtrise pas véritablement ses priorités. Seuls les documents préparatoires aux réunions sont traduits rapidement, les autres pouvant attendre au point de ne plus être utile. De même, le site Web connaît un retard de traduction important.

La CNUCED a passé plusieurs accords de coopération avec l'OIF, pour la formation, l'assistance technique, et la diplomatie commerciale afin d'aider les pays les moins avancés à mieux participer aux négociations.

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* *

Divers documents et rapports m'ont été remis à cette occasion, mais je n'ai pas encore eu le temps de les dépouiller. Ce sera fait pour le rapport définitif.

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L'impression que j'ai de ces entretiens, quant à l'usage du français dans les institutions de Genève, est plutôt mitigée. Toutefois, je n'en ai pas fait la synthèse, car cela me semble prématuré. Le présent compte rendu des rencontres que j'ai eues à Genève ne concerne en effet qu'une partie des entretiens qui me semblent nécessaires avant de rédiger mon rapport. Pour avoir une vision plus exacte de la situation du français dans les organisations internationales, je crois indispensable de rencontrer d'autres interlocuteurs dans d'autres types d'environnements, non francophones comme à Bruxelles ou Genève, mais anglo-saxons, comme à New York, ou plus mêlés, comme à Addis Abeba.

Annexe 3

Le français dans les institutions internationales : le cas de l'ONU à New York

Rapport d'étape (3) de M. Bruno Bourg-Broc, député (France)

(Bucarest, avril 2004)

Depuis un peu plus d'un an, je vous présente des rapports d'étape sur le français dans les institutions internationales. Après Bruxelles et Genève, je me suis rendu à l'ONU, à New York, du 26 au 28 janvier 2004, afin de rencontrer une dizaine de diplomates et de hauts fonctionnaires. Je vous en présente aujourd'hui le compte-rendu.

Entretien avec M. Shashi Tharoor, secrétaire général adjoint à la communication et à l'information, coordonnateur du multilinguisme

M. Shashi Tharoor a tout d'abord précisé qu'outre ses fonctions de secrétaire général de l'information, il était coordonnateur pour le multilinguisme, poste créé pour répondre à une volonté politique affirmée du secrétaire général, lui-même bilingue.

M. Shashi Tharoor a dressé un tableau plutôt optimiste de la situation du français à l'ONU. Parmi les points positifs, il a cité le fait que les fonctionnaires aimaient le français et le parlaient. En outre, les francophones avaient une bonne maîtrise de l'anglais. D'une façon générale, le multilinguisme était respecté. Un signe de ce respect est la présence de téléviseurs branchés sur TV5 en divers lieux du bâtiment de l'ONU.

Mais on retrouve aussi les points négatifs traditionnels : nécessité d'utiliser l'anglais pour faire avancer son message, passage à l'anglais en cas d'absence d'interprétation, recrutement allophone, mais où l'anglais prédomine, manque évident de personnes sachant écrire le français, et restrictions budgétaires qui touchent notamment l'achat de livres.

M. Shashi Tharoor a également évoqué les dispositions restrictives prises par le maire de New York à l'encontre de RFI, considérée comme une radio ethnique.

Il a cependant insisté sur le fait que personne à l'ONU ne considérait le multilinguisme comme trop coûteux.

M. Shashi Tharoor a conclu son propos en soulignant que le message francophone était bien compris et qu'il n'y avait pas de vrai danger pour la francophonie. Il a cependant reconnu que des efforts restaient à faire, par exemple en développant la diffusion de la revue « Chronique des Nations unies ».

Entretien avec M. Bernard Cochemé sous-secrétaire général, administrateur de la caisse commune des pensions du personnel des Nations unies

Venant de la Caisse des Dépôts et Consignations, M. Bernard Cochemé a été nommé récemment à l'ONU. Très actif, il avait lancé le club des institutions européennes dans le domaine des retraites et vient de créer celui des organisations internationales. C'est le premier patron français nommé à ce poste.

Il a reconnu que tout le travail de la caisse se faisait en anglais. Il souhaite cependant ne recruter désormais que des gens bilingues, mettre en place une politique de communication en anglais et en français, et rédiger le règlement de la caisse ainsi que le site Web dans les deux langues.

Il a précisé que les fonds de pension qu'il gérait concernaient l'ensemble de la famille de l'ONU : l'OMC, l'Unesco, l'ONU à Genève, en tout une vingtaine d'organisations. Pour cela, il lui faut nécessairement communiquer en français, mais aussi en espagnol.

Il a constaté qu'il y avait environ 250 français à l'ONU, et que peu occupaient des postes de responsabilité. Il préconise donc de chercher à augmenter le nombre de patrons francophones.

Comme M. Shashi Tharoor, il considère que le premier problème des francophones est celui de l'auditoire. Pourtant, l'usage de l'anglais empêche le francophone d'exposer ses nuances et risque de heurter les autres pays francophones. Il observe enfin que la défense du français est aussi un combat pour la diversité culturelle.

En conclusion, M. Bernard Cochemé a dit avoir constaté une évolution positive à l'ONU, par exemple avec la création depuis trois ans d'un site Web en français, même si avec M. Kofi Anam, on parle anglais. Il a aussi conseillé d'accueillir en France davantage d'étudiants étrangers comme le font les Américains.

Il suggère également que les missions permanentes visitent davantage les ressortissants français ou francophones, et que les étudiants, par exemple ceux de Sciences-Po, soient mieux informés des carrières internationales.

Entretien avec de jeunes experts associés (programme JPO)

Le programme des jeunes experts associés est financé par la France au titre de la coopération technique. Il permet aux jeunes de travailler deux ans à l'ONU avec l'objectif d'y faire carrière.

Les jeunes experts, de spécialités très diverses, ne sont pas convaincus que la cause du français bénéficie de ce programme, car d'après eux, si l'on excepte les missions dans les pays africains francophones, l'anglais est absolument nécessaire.

Tous se sont cependant déclarés convaincus de l'importance de la francophonie pour la défense du multilinguisme et pour lutter contre l'uniformisation culturelle. Ils considèrent que la francophonie à la cote à l'ONU, avançant pour preuve la demande de cours en langue française.

Comme M. Bernard Cochemé, ils ont souligné l'importance de l'accueil en France des étudiants étrangers.

Pour eux, la vie quotidienne se passe en anglais, d'autant qu'il n'y a plus de véritable communauté française à New York. À l'ONU, la culture c'est le français, le travail c'est l'anglais. Les téléviseurs branchés sur TV5 dans les couloirs sont rares, le coût des abonnements privés est élevé et RFI peu diffusé.

Les jeunes experts disent faire un travail intéressant, mais ne se sentent pas investis d'une mission militante, d'autant que cela peut avoir l'effet inverse de celui recherché. Ce qui compte pour eux, c'est que les textes officiels soient respectés.

Entretien avec Mme Thérèse Gastaut, directrice de la division des relations publiques du département de l'information

Mme Gastaut a tout d'abord présenté la politique de communication de l'ONU en français, à travers notamment la « Chronique des Nations unies » et le site Web. Si les publications en français n'ont pas été supprimées, contrairement à d'autres langues, leur diffusion est beaucoup moins importante qu'en anglais. De même le site Web est moins consulté, d'autant que les informations y sont disponibles plus tardivement.

Mme Gastaut a ensuite évoqué la réforme de septembre 2002 visant à régionaliser les centres d'information de l'ONU. Cette régionalisation, qui devra être achevée en 2005, concernera d'abord l'Europe occidentale, puis les capitales des pays à hauts revenus, enfin les pays en voie de développement. En Europe, 9 centres (de cinq personnes) seront fermés et un centre régional de 23 personnes sera ouvert à Bruxelles. L'objectif est de regrouper les moyens et de travailler avec des intermédiaires, notamment les médias.

Mme Gastaut a attiré mon attention sur la nécessité de veiller à ce que le poste de directeur régional, actuellement occupé par un omanais, reste francophone.

D'après Mme Gastaut, la francophonie résiste bien, mais une vigilance s'impose.

Le multilinguisme, auquel M. Kofi Anam est favorable, est considéré comme un avantage, car il est un gage de pluralisme culturel.

Il n'en reste pas moins que la division de l'information tient ses réunions en anglais. Malgré les discours rassurants quant au respect des textes, dans la pratique l'anglais s'impose partout.

Mme Gastaut a donné les conseils suivants : veiller au multilinguisme des nominations, envoyer régulièrement des missions à l'ONU, être présent au comité de l'information et enfin veiller à ne pas heurter les sensibilités car les évolutions ne peuvent se faire que par consensus.

Entretien avec Mme Georgette Miller, adjointe au sous-secrétaire général du bureau de la gestion des ressources humaines

Ce bureau gère la politique générale du personnel de tous les organes de l'ONU à New York et ailleurs. Il s'occupe du recrutement, de la gestion des carrières, des départs en retraite, des conditions de services, du règlement, du service médical, des cours de langue et de la formation. Les textes liés au statut du personnel sont publiés en six langues (espagnol, chinois, arabe, russe, anglais et français), et les textes subsidiaires dans les deux langues de travail, français et anglais.

Selon Mme Miller (qui est franco-américaine), le français n'est utilisé, en raison d'un recrutement essentiellement local, que par 15 % des personnes dans les relations de travail contre 50 % à Genève. Il ne peut résister à la pratique de l'anglais, même si le français est la langue principale enseignée aux fonctionnaires. Toutefois, la pratique du français en plus de l'anglais apporte des avantages financiers et d'avancement d'échelon.

Mme Georgette Miller pense qu'on ne passera pas au tout anglais, car l'idée prédomine que la diversité est enrichissante.

Entretien avec Mme Françoise Cestac, présidente de l'Association culturelle francophone des Nations unies (ACF)

Mme Cestac a rappelé que l'association existait depuis 27 ans. Son objet est la diffusion des cultures francophones. Elle s'adresse aux fonctionnaires, aux missions diplomatiques de l'ONU, mais aussi à l'extérieur, au département français des universités et aux services culturels de l'ambassade de France. Elle relève du comité de loisirs de l'ONU et reçoit des subventions de l'OIF. Elle organise des expositions, des concerts, des conférences, des représentations théâtrales et cinématographiques. Elle compte 200 membres.

D'une façon générale, Mme Cestac considère qu'il y a une amélioration de la francophonie au secrétariat général, notamment grâce aux recrutements, ou pour les points de presse, les communiqués sortant en anglais et en français en même temps.

Entretien avec M. Alassane Diatta, chef du service de traduction française

Le service de traduction française comprend quarante-neuf traducteurs à partir de l'anglais, de l'espagnol et du russe.

M. Diatta, sénégalais francophone, s'est déclaré un partisan convaincu de la francophonie, car on s'exprime moins bien dans une langue d'emprunt. Selon lui, il n'y a pas de réelle tentation du tout anglais. Il n'est donc pas inquiet pour l'avenir d'autant que les textes traduits pour les délégués ou le Conseil de Sécurité sortent toujours à temps en français.

M. Diatta s'est cependant déclaré très inquiet de la qualité de la langue en constatant que l'enseignement de la langue française se déteriorait. Il a regretté que les délégations s'intéressent avant tout au délai de parution des documents de travail, mais pas à la qualité des documents.

Il a attiré mon attention sur le fait qu'en quatre ou cinq ans, il faudrait remplacer toute une génération de fonctionnaires. Une action est donc à mener en direction des écoles de traduction. À cet égard, il a indiqué que l'OIF apportait une aide pour organiser la publicité des concours de recrutement de traducteurs.

Rencontre avec M. Jean Gazarian, représentant de l'APF auprès des Nations unies

Jean Gazarian m'a présenté la bibliothèque de langue française, créée en 1950 et qui dispose aujourd'hui de 5000 volumes.

Il a indiqué que, selon lui, la situation du français à l'ONU ne s'était pas améliorée, mais ne s'était pas dégradée non plus. Il considère qu'Internet a facilité l'accès aux informations francophones.

Entretien avec le groupe de travail sur la place du français aux Nations unies de l'Association des Français fonctionnaires internationaux de New York

Des interventions des différentes personnes rencontrées, appartenant à des services différents, il ressort une certaine stabilisation de la place du français depuis 1994-1995, grâce à l'acharnement de principe des délégués et des missions permanentes afin de pouvoir disposer de la documentation dans leur langue. En outre, une circulaire de 2002 vise à encourager les délégations à s'exprimer dans leur langue.

À la suite des pressions du groupe hispanophone, on est passé du bilinguisme au multilinguisme. Personnellement, je ne sais s'il faut s'en réjouir car le multilinguisme entraîne une certaine dilution.

Le français reste la langue la plus enseignée à l'ONU puisque de 700 à 800 personnes par trimestre suivent des cours.

La situation reste toutefois préoccupante. Ainsi, il est régulièrement nécessaire que la Mission Permanente française exerce des pressions pour que les textes soient appliqués. Le site Internet en anglais est très vite mis à jour, ce qui n'est pas le cas des autres langues. Les Espagnols ont réagi à cette situation en faisant traduire eux-mêmes les pages du site par des universités espagnoles. D'une façon générale, la plupart des documents sont en anglais car il n'y a personnes pour les traduire et l'efficacité oblige à rédiger dans cette langue. Dans les bureaux, on ne parle qu'anglais, même si les publications de vacances d'emploi précisent : connaissance du français ou de l'anglais avec connaissance de travail dans l'autre langue. Et plus on monte dans la hiérarchie, plus le monolinguisme anglais s'impose, ce qui pose un problème lors des évaluations. Enfin, de nombreux francophones ne sont pas remplacés, et la francophonie subit l'effet des coupes budgétaires. Elle ne résistera réellement qu'à la condition d'atteindre une masse critique.

Entretien avec M. Gérard Témin, directeur de la division des séances et des services de publications, et avec Mme Brigitte Andréassier-Pearl, chef du service d'interprétation de la section française

Mme Andréassier-Pearl à tout d'abord déploré une tendance à la diminution du français parlé dans le monde.

M. Témin a constaté une diminution de l'usage du français, au quotidien, au sein du secrétariat général. Les documents internes véhiculés sur le réseau informatique n'ont pas de version française. Les notes internes (les mémos) sont toujours en anglais. Lorsqu'on demande une traduction, il faut attendre de 10 à 12 jours.

Si les textes officiels sont respectés, la culture de travail interne est américaine. Les Américains, nombreux à l'ONU, ne sentent pas le besoin de maîtriser d'autres langues.

Dans la Division 5, qui traite des affaires administratives et budgétaires, il y a douze délégations francophones. Pourtant les Belges et les Suisses parlent le plus souvent en anglais, le Canada en anglais, et le Cameroun également en anglais. L'expérience quotidienne n'incite donc pas à l'optimisme. L'environnement non plus : il est difficile pour un francophone de mettre ses enfants dans un établissement qui enseigne en français car ceux-ci sont trop chers.

Pour les recrutements, malgré un logiciel qui publie les vacances de postes dans les deux langues, on constate que l'anglais est toujours privilégié.

La réalité est très différente des règles officielles : l'anglais au quotidien, les langues étrangères pour les déclarations officielles.

Entretien avec Mme Phyllis Dickstein, bibliothécaire en chef de la bibliothèque Dag Hammarskjold

Mme Dickstein m'a présenté la bibliothèque qui regroupe l'ensemble des documents officiels et de travail de l'ONU, ainsi que 400 000 volumes. La bibliothèque reçoit 25 000 $ par an pour enrichir son fonds. Elle dispose d'un site Web en six langues.

Ma visite m'a convaincu que les ouvrages en français n'étaient pas nombreux dans les rayons.

Conclusion

Que conclure au terme de ces entretiens ? Comme à Genève, mon impression est mitigée.

J'ai le sentiment qu'on me tient un discours de façade : il faut être optimiste, car les textes sont appliqués, même s'il faut que les missions permanentes tapent un peu du poing sur la table, les traductions sortent à temps, et elles sont de qualité. Le multilinguisme est encouragé, car il constitue une chance pour le pluralisme culturel. De plus, les avantages de pouvoir s'exprimer dans sa langue sont tels qu'on n'y renoncera jamais.

Mais cela concerne la partie émergée de l'iceberg.

Pour la partie immergée, c'est-à-dire le quotidien, les relations de travail, les relations informelles ou sans traduction, c'est-à-dire la plus grande partie - et la plus importante - des échanges, la réalité est toute autre. C'est partout l'anglais et on voit mal qu'une masse critique de francophones puisse être atteinte pour faire augmenter les 15 % d'usage du français dans les relations du travail.

Pour moi, c'est le discours pessimiste qui l'emporte, d'autant que c'est celui des jeunes, c'est-à-dire de l'avenir, qui ne se sentent pas investis d'une mission militante.

Alors, une nouvelle fois, que faire ? On m'a suggéré plusieurs pistes :

- veiller aux nominations aux postes de responsabilité, en essayant d'atteindre une masse critique ;

- se déplacer régulièrement à l'ONU, et rappeler les textes, comme le font les missions permanentes ;

- rechercher une meilleure prise de conscience des actions à mener sur le long terme en accueillant les étudiants étrangers et en veillant à réduire le coût des établissements français à l'étranger.

C'est à la fois peu et très ambitieux.

Annexe 4

Le français dans les institutions internationales : le cas de Vienne

Rapport d'étape (4) de M. Bruno Bourg-Broc, député (France)

(Charlottetown, juillet 2004)

Depuis près de deux ans, je procède à des rencontres de délégués, de représentants permanents, ou de hauts fonctionnaires dans diverses institutions internationales. Après Bruxelles, Genève et New York, je me suis rendu, les 20 et 21 avril, à Vienne. Je vous en présente aujourd'hui le compte-rendu. Il ne s'agit bien évidemment que d'un rapport d'étape, le quatrième, le rapport final devant intervenir au printemps prochain, après notre réunion d'Addis-Abeba, si celle-ci est maintenue à l'automne, et après que nous aurons visité quelques institutions internationales parisiennes, et notamment l'Unesco.

Entretien avec M. Patrick Villemur, Représentant Permanent de la France auprès de l'ONU et des organisations internationales à Vienne

M. Patrick Villemur à tout d'abord décrit son périmètre d'intervention : l'Office des Nations Unies à Vienne avec les organes subsidiaires de l'Assemblée générale et du Conseil économique et social ainsi que les organes conventionnels, notamment l'Organe international de contrôle des stupéfiants, l'Agence internationale de l'énergie atomique, l'Organisation des Nations unies pour le développement industriel, l'Organisation du traité d'interdiction complète des essais nucléaires et enfin l'Arrangement de Wassenaar, qui concerne l'armement conventionnel. À cela, s'ajoutent divers comités et commissions.

En tout, 3870 personnes pour les Nations unies de Vienne et 2000 personnes pour l'AIEA.

Il convient tout d'abord de faire une distinction entre le nucléaire et le non-nucléaire, le français étant en meilleure position dans le non-nucléaire.

Cependant, on constate partout que tout le monde s'exprime en anglais, sous le prétexte que les secrétaires ne parlent pas le français et que les traductions prennent du temps ou sont mauvaises. Même quand des missions sont envoyées dans des pays francophones, leurs travaux s'effectuent en anglais. S'agissant en outre d'organisation au caractère technique marqué, les Africains y sont très peu nombreux, ce qui constitue un facteur défavorable à la francophonie.

Par ailleurs, sur les treize représentations des pays membres officiels de la francophonie, une seule est francophone : celle du Burkina Faso. De plus, les ambassadeurs ont souvent plusieurs casquettes et ne sont pas nécessairement présents à Vienne.

Vienne pose également le problème du travail du conjoint, qui se révèle très difficile. De plus, la vie à Vienne suppose la connaissance de l'allemand. Comme l'anglais est nécessaire dans les organisations internationales, la connaissance d'une troisième langue se révèle difficile, ce qui constitue un obstacle supplémentaire à la francophonie.

La dégradation de la place du français est certaine. Ainsi, les délégations de l'Union européenne s'expriment désormais uniquement en anglais, le français étant complètement abandonné.

Par ailleurs l'ONU recrute de moins en moins, on ne peut désormais y rester que sept ans au plus, et la carrière n'est ni attractive, ni valorisée.

Dans ces conditions, que faire ? Les pistes décrites par M. Patrick Villemur sont peu nombreuses et difficiles :

- essayer de motiver les 3 ou 4 % de francophones ;

- passer des conventions avec l'ONU Vienne pour promouvoir le français comme langue de conférences de presse et d'expression officielle ;

- essayer de financer des capacités de traductions et d'interprétation pour certaines grandes négociations ;

- traduire les sites Internet en anglais...

Cette dégradation de la place du français dans les organisations internationales est régulièrement exposée aux autorités nationales dans le cadre des questionnaires budgétaires et des visites extérieures. Mais cela ne semble une priorité pour personne.

En conclusion, je dirais que M. Patrick Villemur ne croit plus guère à la francophonie à Vienne, sans cependant cesser de chercher à redresser la barre. Le combat pour le multilinguisme n'intéresse pas grand monde à Vienne.

Entretien avec Mme Nicole Galeazzi, chef de la section de traduction française de l'ONU Vienne, M. George Aldegué, chef de la section de traduction française de l'Agence Internationale de l'Energie Atomique (AIEA), M. Pierre Nocture, spécialiste du cycle du combustible nucléaire et président de l'Association des fonctionnaires internationaux français en Autriche (AFIFA).

La description, par mes interlocuteurs, de la situation du français au sein de l'AIEA est particulièrement négative.

Le recrutement qui, en théorie, suppose la connaissance de deux langues officielles, se fait exclusivement en anglais. La cause en est simple : la plupart des experts nucléaires ne parlent pas français.

Les coûts de traductions sont prohibitifs, 240 dollars pour 330 mots, et celles-ci sont réalisées plus pour la forme que pour le fond, puisque tous s'expriment en anglais. Seuls les documents officiels sont traduits. Quant aux services d'interprétation, ils ont disparu, car trop chers. Même la production de l'Agence, comme les textes de normalisation, ne sont que rarement traduits.

Le résultat est que les Africains ne peuvent suivre les travaux de l'AIEA et que les jeunes s'orientent vers des études dans les pays anglo-saxons.

Pour mes interlocuteurs, les pays francophones, et notamment la France, ont une large part de responsabilité : alors que les délégations américaines et celles des autres pays anglophones (Canada, Afrique du Sud, Australie...) sont très importantes, voire pléthoriques, les délégations francophones sont très peu nombreuses. Et dès qu'il y a des négociations techniques, mais aussi commerciales, les Anglo-Saxons, toujours majoritaires, prennent la direction des groupes de rédaction. Tout se fait alors en anglais.

La situation la plus favorable est celle de l'Office européen des brevets, dont les trois langues officielles sont l'anglais, l'allemand et le français et qui sort tous les documents dans ces trois langues. Seules les conférences de presse se font en anglais et en allemand en raison du siège situé à Munich.

Toutefois, la documentation technique est le plus souvent en anglais. Mais il ne serait pas opportun de pousser à la traduire, car cela serait inutile et coûteux.

20 % des fonctionnaires de l'Office sont francophones, mais, là aussi, va se poser le problème du renouvellement des générations, les nouveaux arrivants étant plus anglophones.

À l'OTICE (Organisation du traité d'interdiction complète des essais nucléaires), l'anglais est la seule langue de travail.

Dans toutes ces organisations, les revendications pour une meilleure prise en compte de l'allemand ou de l'espagnol se heurtent, comme pour le français, au coût du multilinguisme. Par ailleurs, certaines organisations, telles que l'ONUDI (l'Organisation des Nations Unies pour le Développement Industriel), sont en perte de vitesse et de nombreux postes ne sont pas remplacés.

D'une façon générale, même si le français est enseigné dans ces organisations, cela concerne les postes intermédiaires. L'encadrement est résolument anglophone. Dans un monde technique et industriel, la francophonie n'est pas un sujet de préoccupation.

En revanche, l'environnement francophone à Vienne existe, qu'il s'agisse du lycée français, de la presse, des spectacles, de la télévision (TV5 et Arte en français), ou des radios (sur Internet).

Pour seule solution, mes interlocuteurs conseillent d'être pragmatique : veiller au recrutement, à la diffusion de TV5...

Entretien avec M. Baumann, directeur de l'administration de l'ONU Vienne, adjoint de M. Costa, Secrétaire général adjoint des Nations unies

M. Baumann a tout d'abord rappelé que le français était l'une des deux langues de travail de l'ONU Vienne. Mais, la plupart du temps, seul l'anglais est utilisé. Des efforts importants sont néanmoins faits pour que les sites Internet soient bilingues, voire trilingues. Pour l'instant, ils ne sont qu'anglophones. La raison est uniquement financière. Des arbitrages doivent être rendus, par exemple en réduisant le nombre des publications.

En revanche, tous les documents officiels sont traduits en six langues. Mais les autres le sont en fonction des besoins. Cela concerne notamment les publications d'information. L'allemand y est notamment privilégié en raison du nombre des visiteurs parlant cette langue.

Pour M. Baumann, on peut déplorer le poids de l'anglophonie, même si c'est un mauvais anglais, mais il s'agit d'un fait. On ne peut non plus parler de multiculturalisme, car on assiste à une perte des différences, une sorte de "colonisation de soi-même" par la culture anglo-saxonne.

À la question de savoir si une politique de défense du français était mise en oeuvre, M. Baumann a indiqué que les évaluations se faisaient dans la langue des personnes et que le français était la langue la plus enseignée (2750 personnes contre 1500 en anglais).

Il a également longuement parlé de la mise en place d'une bibliothèque virtuelle, tout en soulignant que la demande de livres français était très faible.

Entretiens sur le thème du droit français dans les organisations internationales : l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), la Commission des Nations unies pour le droit commercial international (CNUDCI)

Ces entretiens figurent parmi les moins négatifs, sans doute parce qu'ils portent plus sur les incidences de la culture francophone que sur la francophonie au sens strict.

Le premier point abordé porte sur la place de la francophonie dans les négociations concernant l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime dont la mission est de lutter contre les trafics de stupéfiants et pour la prévention du crime et du terrorisme.

Parmi les aspects positifs, on constate que les concepts de droit continental résistent bien aux concepts anglo-saxons de Common Law. Dans le domaine des procédures pénales notamment on observe un rapprochement entre la conception jurisprudentielle anglo-saxonne et la conception continentale qui repose sur des incriminations.

En revanche, même si plusieurs personnes parlent français, l'anglais reste, à l'ONUDC, la langue quotidienne.

De plus, les Etats francophones y sont peu actifs, ne viennent que pour traiter de rares problèmes juridiques, et il n'y a pas de solidarité francophone entre collègues.

On peut formuler un constat similaire pour la Commission des Nations unies pour le droit commercial international, petite structure dépendant de l'Assemblée générale qui regroupe 60 Etats membres, dans le domaine du droit commercial international, et dont la mission est d'unifier ou de rendre compatibles les concepts de Common Law et du droit commercial continental.

Cependant, la pression anglo-saxonne y est très forte. Elle résulte du poids économique de ces pays, mais aussi de la pression et de l'implication des cabinets d'avocats anglo-saxons qui s'installent un peu partout. Par ailleurs, le droit bancaire n'a pas de tradition civiliste et les avancées, dans le domaine international, viennent essentiellement du droit anglo-saxon.

Il n'y a cependant pas, pour mes interlocuteurs, de fatalité de domination anglo-saxonne. Ainsi, la Roumanie avait voulu réformer son droit. Les cabinets américains implantés dans le pays lui ont proposé un projet clé en main. Mais comme ce projet ne tenait absolument pas compte des traditions juridiques locales, cela n'a pas marché. Toutefois, il conviendrait de défendre les concepts continentaux avec davantage de pugnacité.

Pour cela, il conviendrait que les juristes non anglo-saxons soient plus nombreux et francophones. À cette fin, mes interlocuteurs suggèrent d'ouvrir l'ENA et Sciences-Po aux anglophones en y créant des filières spécialisées. Comme nous l'avons déjà dit à plusieurs reprises, il est souhaitable d'attirer les élites internationales vers la francophonie au lieu de laisser les élites d'origine francophone évoluer vers l'anglophonie.

Il faut aussi que les pays francophones, dont la France, s'impliquent davantage dans les négociations des conventions commerciales ou pour la prévention du crime dans le cadre de l'ONU. Mes interlocuteurs m'ont d'ailleurs fait observer que ces conventions inspiraient directement le droit européen. Quatre grands instruments juridiques en quatre ans ont été négociés dans ce domaine et les pays francophones n'y venaient que rarement et uniquement pour traiter quelques points particuliers.

Entretien avec M. Fernando Riquelme, directeur de cabinet du directeur général de l'ONUDI (organisation des Nations unies pour le développement industriel)

Le message de M. Fernando Riquelme, Espagnol parfaitement francophone, est simple et clair : l'anglais l'emporte partout, c'est un fait difficile à contrer, il faut s'y résigner. Et d'expliquer le déclin de l'enseignement du français, la prise de pouvoir des anglo-saxons dans les domaines économiques, politiques et culturels, les performances de l'anglais dans le domaine scientifique. Pour lui, on ne peut retourner en arrière, même si la diversité culturelle est une cause qui mérite d'être défendue. Il a rappelé que l'anglais et le français sont les deux langues de travail, mais que dans les faits on ne parlait qu'anglais. Les habitudes de travail en anglais sont telles, que même lorsque de nombreuses personnes de l'encadrement parlent français, on continue à travailler en anglais. D'ailleurs même les projets à destination des pays francophones sont rédigés en anglais, car ils doivent au préalable être approuvés par des organes internes anglophones.

Que faire ? Pour M. Riquelme, il faut que les francophones acceptent de parler anglais. Il est souhaitable que la francophonie cherche à se maintenir, notamment au travers des cours de langue. Mais il est inéluctable que le français disparaisse comme langue de travail au sein des Nations unies. L'anglicisation n'est pas une politique appliquée volontairement, c'est de la sociologie : elle résulte des forces du marché. Cette situation résulte aussi de l'univers clos de la communauté diplomatique où l'on parle de nombreuses langues. Les francophones eux-mêmes parlent diverses langues, même dans les dîners en ville. En outre, il n'y a pas de communauté francophone, et les couples sont souvent mixtes.

C'est sans doute l'entretien le plus négatif que j'ai jamais eu.

Le second jour a été consacré à l'OSCE.

Entretien avec M. Yves Doutriaux, Représentant Permanent de la France auprès l'OSCE, et avec divers membres de son service

L'OSCE, aboutissement des accords d'Helsinki, est compétente dans les domaines politico-militaires, la coopération économique, environnementale, scientifique et technique, ainsi que dans celui des droits de l'homme.

Là comme ailleurs l'anglais l'emporte, même s'il y a six langues officielles (anglais, russe, allemand, italien, espagnol et français) et si la documentation officielle est toujours traduite en français à temps pour les négociations.

Au cours de la réunion à laquelle j'ai assisté, une rapide description des activités de la Représentation Permanente m'a été faite, notamment en ce qui concerne la participation aux réunions de coordination des vingt-cinq pays de l'Union européenne. Là, deux fois par semaine, l'anglais et le français sont en usage sans interprète. Mais les nouveaux membres sont peu francophones et cette situation risque d'évoluer défavorablement.

Les instructions de la Représentation Permanente sont de continuer à parler français, mais lentement, et de favoriser les cours en français proposés notamment aux diplomates des dix pays entrant.

Une des caractéristiques de l'OSCE est d'envoyer des missions sur le terrain, notamment dans le cadre de la coopération policière pour lutter contre les nouvelles menaces. Actuellement, 70 français sont sur le terrain à ce titre.

On retrouve aussi les conceptions juridiques différentes du droit anglo-saxon et du droit continental : la question s'est posée dernièrement avec les négociations sur la lutte contre le racisme sur Internet.

Ces entretiens se sont révélés très concrets puisque l'ambassadeur a passé en revue les différentes conférences, récentes ou en préparation, par exemple sur la traite des êtres humains ou la lutte contre l'antisémitisme et le racisme ainsi que diverses actions de coopération. Il en ressort que les moyens de préserver la francophonie à l'OSCE passent par la nomination de francophones dans des postes de responsabilité, une défense active du français dans toutes les réunions auxquelles participent des pays francophones et la désignation d'experts, si possible à des postes significatifs, pour les missions sur le terrain. Ces experts ont des contrats de six mois en général. Il y a donc là un moyen rapide d'agir en faveur de la francophonie.

La représentation permanente française, quant à elle, fait également porté son action dans deux domaines privilégiés :

- les cours de français pour les diplomates et le personnel de l'OSCE. Ces cours sont dispensés par l'Institut culturel français et ont un grand succès.

- la traduction en français de la partie centrale, permanente, du site Internet de l'OSCE, jusqu'à présent uniquement en anglais, projet auquel participe l'AIF, et que nous pourrions appuyer en intervenant auprès de l'agence.

Entretien avec M. Laquièze, conseiller culturel (Institut culturel français)

M. Laquièze a décrit les activités de l'Institut culturel. Celui-ci a des activités proprement culturelles, telles que les expositions ou le festival de cinéma francophone - qui n'apportent cependant pas que des satisfactions malgré leur succès, puisque, par exemple, Yann Artus Bertrand est venu faire une conférence... en anglais. Mais l'institut se consacre en grande partie à l'enseignement du français en coopération avec le système éducatif autrichien et en dispensant des cours de français, centrés sur certains publics (diplomates) ou sur certains secteurs (militaire). 3000 élèves par an environ suivent ces cours qui ont un effet d'entraînement et permettent d'abord aux francophones de s'exprimer en français en étant compris.

L'Institut culturel a d'autres projets comme le développement de l'enseignement en français à l'Académie diplomatique (l'équivalent de Sciences-Po) - et là encore l'aide de l'AIF serait la bienvenue -, les deux cours actuels étant financés à 80 % par l'institut.

L'institut organise également des cycles de conférences en français dans toute l'Autriche. Ces conférences pourraient être multipliées. Tout cela se heurte cependant à la question du financement. Il faut en outre savoir que l'espagnol et surtout l'italien sont très présents en Autriche, ce qui, avec la baisse de la fréquentation touristique, gène nos ambitions en terme de développement de la francophonie.

Entretien avec M. Richard Murphy, porte-parole de l'OSCE et avec Mme Luciana Bal-Doebel, administrateur du site Web public de l'OSCE

M. Murphy a indiqué que les relations avec la presse se faisaient surtout en anglais, rarement en français. Toutefois, les informations sont données dans chacune des langues officielles. Les communiqués de presse sont uniquement en anglais, faute de ressources suffisantes.

Mme Bal-Doebel a présenté le site Web et montré les parties qui devaient être traduites en français. Le site reçoit 7000 visiteurs par jour, avec 9 millions de pages consultées par mois.

Mes interlocuteurs ont ensuite présenté les moyens dont ils disposaient pour faire connaître l'OSCE, organisation mal connue et considérée comme un troisième niveau de priorité, après l'OTAN. Ils ont confirmé la faible présence des ministres francophones aux conférences.

*

* *

Voilà, résumées, les grandes lignes des informations que j'ai obtenues au cours de mes deux jours de rencontre. Elles n'incitent pas à l'optimisme. Parmi ces rencontres, celle de M. Riquelme, qui passe le français par pertes et profits, sans états d'âme, pour se contenter du seul anglais, m'a le plus marqué.

Tous mes interlocuteurs se sont déclarés favorables au pluralisme culturel. Mais tous se résignent au monolinguisme anglais. Or je ne vois pas comment défendre le pluralisme culturel si on abandonne le multilinguisme, qui en est le fondement.

L'ordre du jour de nos travaux semble mentionner la présentation d'un projet de résolution. Cela me semble prématuré, pour deux raisons : d'une part, comme je l'ai dit en introduction, il avait été envisagé de poursuivre les rencontres sur ce thème à Addis-Abeba, pour avoir une vision africaine de la question, ainsi qu'à Paris. Cela devrait se faire à notre réunion d'automne. D'autre part, lors de notre réunion de Bucarest, nous avions décidé de demander à chaque section d'interroger le gouvernement de son pays, par les voies parlementaires, ce qui généralement prend du temps, afin de connaître sa politique et ses pratiques pour la défense de l'usage du français dans les organisations internationales. Il est apparu que le délai était trop court, que certains parlements ne siégeaient pas, et donc qu'il était irréaliste d'attendre les réponses pour aujourd'hui. Je pense que cela sera possible pour notre prochaine réunion et j'en ferais alors la synthèse. J'insiste cependant sur le fait que la commission de Bucarest ne demandait pas une enquête, mais souhaitait, par cette démarche, sensibiliser à nouveau les gouvernements sur leur responsabilité en la matière.

Pour toutes ces raisons je n'ai pas cru possible de proposer un projet de résolution avant notre réunion du printemps prochain. D'autant qu'un débat préalable me semble indispensable pour fixer notre démarche ainsi que les grandes lignes du projet de résolution.

Je m'interroge en effet sur les moyens de donner un peu d'efficacité à notre résolution une fois celle-ci adoptée. Je vous avoue que je suis vraiment très pessimiste et qu'à cet égard je me demande sur quoi pourrait déboucher notre résolution. Ne faudrait-il pas l'accompagner d'autres actions, conférences de presse ou autre ?

Toutefois, sans attendre, je crois qu'il conviendrait d'adresser une lettre à la signature de notre président de commission afin d'attirer l'attention de l'AIF d'une part sur la nécessité d'une aide financière au développement d'une version francophone du site de l'OSCE, d'autre part sur l'utilité de financer le développement des cours en français à l'Académie diplomatique de Vienne, ou d'aider à leur financement, afin que les diplomates autrichiens aient une parfaite connaissance du français. J'ai, à cette fin, préparé un projet de lettre.

Annexe 5

Le français dans les institutions internationales :

le cas d'Addis Abeba

Rapport d'étape (5) de M. Bourg Broc, député (France)

15-16 décembre 2004

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COMMISSION ECONOMIQUE POUR L'AFRIQUE (CEA)

Cabinet du Secrétaire exécutif

Entretien avec M. Josué Dioné, Secrétaire exécutif par intérim, et M. Hakim Ben Hammouda, directeur de la division du commerce et de l'intégration régionale

A la CEA, rares sont les fonctionnaires qui parlent deux langues. Cependant, on constate que le français est la langue la plus apprise, car des avantages sont attachés au bilinguisme.

Le nombre de hauts responsables francophones est plus important, avec 6 directeurs, que les anglophones. Cette situation s'explique par la qualité des formations et des diplômes et par le fait qu'un francophone parle également, à 80 %, anglais.

Cependant, les recrutements sont soumis à la règle des quotas par pays et l'on privilégie les pays les moins représentés. La gestion des postes à pourvoir se fait par informatique. Le travail quotidien se fait néanmoins surtout en anglais, dans la mesure où les anglophones ne parlent français qu'à 20 %.

Toutefois, la documentation existe en deux langues, mais de façon insuffisante en raison du manque de ressources budgétaires, notamment de la faiblesse des contributions non obligatoires des pays francophones. De même, les moyens mis à la disposition de la CEA par l'Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) sont insuffisants.

Pourtant, la présence francophone, en raison de l'originalité de la vision francophone du développement, sa conception du pluralisme culturel, tend à s'élargir.

Ressources humaines

Mme Annie Tanmizi, chef des Ressources Humaines a expliqué que les formations étaient réalisées en anglais, français, arabe, espagnol et russe, sur la base du volontariat et qu'elles bénéficiaient d'incitations monétaires. Elle a donné quelques indications sur le nombre de professeurs, dont un très petit nombre de francophones.

Les contrats de recrutement sont uniquement en anglais.

L'entretien s'est déroulé en anglais et a duré très peu de temps.

Bibliothèque

M. Matthew Baker a expliqué le faible nombre d'ouvrages ou de journaux en français par leur faible consultation, par un manque de moyens et par des délais de livraison très importants.

La langue de travail de la bibliothèque, qui n'a de contacts ni avec l'OIF ni avec l'ambassade de France, est l'anglais.

La bibliothèque dispose d'un fonds de 200 000 ouvrages. 40 000 ouvrages sont numérisés, quinze personnes y travaillent.

Service des conférences, de traduction et d'interprétariat

Mme Brue-Azubuike, chef par intérim du service d'interprétation et de traduction, a précisé que le service s'occupait essentiellement des traducteurs et que les interprètes étaient recrutés de manière ponctuelle par le service des conférences si quelqu'un les prenaient en charge.

Addis Abeba manque d'interprètes et de traducteurs francophones. Pour cette raison, l'ambassade de France envisage de faciliter la création d'un pôle d'interprètes et de traducteurs au lycée Guébré Mariam.

De plus, les services d'appui sont défaillants, par manque de formation du personnel local et en raison de la difficulté de recruter des étrangers (autorisations de travail).

Comme les personnels n'écrivent en français que s'ils sont sûrs d'être traduits, ce qui n'est pas souvent le cas, l'anglais domine.

Communication

Mme Akwe Amosu, chef de l'équipe de communication

La majorité de la communication se fait en anglais, même quand les francophones sont majoritaires, car les textes français sont mal repris dans la presse anglophone.

Le site Web dispose d'une version francophone grâce à l'ambassade de France. Mais rares sont les gens qui sont capables de travailler en français. En outre, la distribution de la documentation en français connaît des retards importants.

Tous les communiqués de presse sont rédigés aussi en version française, mais l'on n'attend pas la traduction française (2 ou 3 mois) pour diffuser la version anglaise.

Seules les réunions statutaires bénéficient d'une distribution dans les deux langues.

Déjeuner de travail à la Résidence

Au cours du déjeuner organisé par l' Ambassadeur de France, M. Stephan Gompertz , avec les ambassadeurs francophones présents à Addis Abeba, il est apparu que tous avaient constaté une dégradation de la situation du français à Addis Abeba, la masse critique étant désormais en faveur de l'anglais. Ils ont appelé de leurs voeux une politique de hauts cadres francophones et un programme spécial de jeunes experts associés francophones. Toutefois, ils ont admis que la volonté de faire carrière incitait à parler anglais, ce qui rendait aléatoires les résultats de l'action des pays en faveur de la francophonie. De même, l'attractivité des diplômes anglo-saxons et la politique française des visas jouent en défaveur du français.

Parmi les suggestions formulées, il a été dit que les instructions de fermeté ne devaient pas pâtir d'un complexe néo-colonial. Il fallait utiliser l'arme budgétaire et jouer l'équilibre linguistique. Cependant, le français était aussi victime des actions de l'Union européenne, majoritairement conduites en anglais.

Tout cela risque de conduire à une fracture avec les élites africaines qui pourraient se tourner vers le monde anglo-saxon, d'autant que les Etats francophones sont peu présents dans les institutions africaines.

Il a également été question de la présence francophone dans le paysage audiovisuel, très insuffisante, des tarifs des écoles françaises et de leur trop faible nombre.

UNION AFRICAINE

M. Iamine Diallo, directeur de cabinet

Les structures de l'Union africaine sont proches de celles de l'Union européenne.

La majorité des Etats parlent français mais on constate une forte pression de l'anglais. Les langues officielles sont : l'anglais, le français, l'espagnol (peu utilisé), l'arabe et le portugais. Les langues du travail sont l'anglais et le français. Cependant 70 % des mémos sont en anglais, 30 % en français. Sur 10 commissaires, 4 ou 5 seulement parlent français. Les groupes de travail s'expriment en anglais et le personnel est à majorité non francophone.

M. Mazimaka, vice-président de l'Union africaine et Mme Djerra, commissaire chargée des affaires politiques

M. Mazimaka a présenté les structures de l'Union africaine ainsi que les fonctions des commissaires. Il a précisé que le recrutement à l'Union africaine ne se faisait pas sur une base linguistique. Il a souhaité des aides pour la formation des commissaires (aides aux séjours linguistiques) et pour le service des conférences.

Il a exprimé sa préférence pour l'utilisation d'une seule langue, qui pourrait être le swahili, ou peut-être deux langues, et pour des communautés de pays qui ne seraient pas à base linguistique. Il a regretté que l'Afrique francophone n'ait pas encore coupé ses relations avec la France, car encore trop dépendante économiquement.

Remarque : plusieurs interlocuteurs ont, par la suite, déclaré irréaliste l'idée d'imposer le swahili comme langue unique de l'UA.

ORGANISATION INTERNATIONALE DE LA FRANCOPHONIE

M. Moussa Makan Camara, représentant permanent

Pour le représentant permanent de l'OIF, l'avenir de la Francophonie dépend de la France, appuyée sur l'Europe, à condition qu'elle intervienne sans culpabilité.

M. Camara a exposé le rôle du bureau d'Addis Abeba de l'OIF : suivre l'Union africaine et la CEA, relayer les missions de secrétariat général, relayer la coopération multilatérale francophone. Il a aussi suggéré que l'APF travaille avec le Parlement panafricain (qui siège en Afrique du Sud et risque de passer à l'anglophonie), organe de l'Union africaine, et de profiter de l'intérêt pour la francophonie du Président de l'Union africaine, M. Konaré, pour élaborer une charte des langues. Il a rappelé que les ambassadeurs francophones n'avaient pas de mandat spécifique pour défendre la francophonie et qu'il serait souhaitable que l'OIF les incite à se regrouper en groupe consultatif. La gestion des cadres constitue également un enjeu. L'OIF devrait créer un centre de formation au sein de l'Union africaine.

Mme Delphine Lecoutre

Mme Lecoutre, universitaire, a réalisé une enquête sur l'usage des langues au sein de l'Union africaine à la demande de l'OIF.

Selon elle, l'anglais à l'Union africaine domine complètement, même si souvent il est mal traduit et si le nouveau président, M. Konaré, privilégie le français. Pour des raisons politiques, on constate une fronde anti-française à l'Union africaine (cf. M. Mazimaka), menée notamment par le Rwanda.

Pour Mme Lecoutre, il n'y a pas non plus de communauté d'intérêts entre les ambassadeurs francophones.

Elle a préconisé de nombreuses mesures, de détail (claviers d'ordinateurs, presse en français...), et plus importantes, comme une politique des visas plus active ainsi que des manifestations d'amitié envers les peuples africains et pas seulement envers les dirigeants. Pour elle, l'investissement majeur est l'enseignement.

Lycée Guébré Mariam

Le lycée Guébré Mariam est le meilleur lycée français d'Afrique. 70 % des élèves sont Ethiopiens. Il offre des débouchés rapides, mais pas de formation d'interprètes. Les bacheliers pour 2/3 partent poursuivre des études en France, pour 1/3 reste en Ethiopie.

L'encadrement du lycée a présenté le fonctionnement du lycée, évoqué les relations avec les Africains tiers et les Français, la xénophobie ambiante, la démocratisation progressive du régime et les difficultés financières de l'institution.

Enfin, une visite a été organisée à l' Alliance française qui, outre son activité culturelle, organise avec succès des cours de français ouverts à tous, et à l' Université d'Addis Abeba où le français n'est plus enseigné au-delà de la licence, par manque de moyens et d'enseignants. Le projet d'élargissement du département de français a été retardé faute de ressources adaptées. Son développement permettrait de former des enseignants et de répondre aux besoins des organisations internationales d'Addis Abeba. Il serait également envisagé d'introduire le français comme discipline obligatoire.

Annexe 6

Le français dans les organisations internationales :

le cas de l'UNESCO

Paris 15 juin 2005

Entretien avec :

Mme Françoise RIVIERE, sous-directrice générale de l'UNESO

et

Mme Marie-Ange THEOBALD

Chef de Section des Clubs UNESCO et des nouveaux partenariats - Secteur des relations extérieures et de la coopération

En introduction Mme Théobald a rappelé que l'acte constitutif de l'UNESCO ne prévoyait aucune disposition spécifique sur l'emploi des langues officielles et de travail. Ce sont donc les dispositions de l'Organisation des Nations Unies qui s'appliquent et notamment en matière de langues de travail, l'anglais et le français.

Elle a souligné le paradoxe d'une organisation des Nations Unies dont le siège est à Paris, qui est chargée de la défense de la diversité culturelle, et au sein de laquelle la pratique de la langue française est en diminution.

Pour autant, les ressortissants francophones paraissent sur-représentés, tous niveaux hiérarchiques confondus. L'UNESCO applique les règles de l'ONU en matière de recrutement et de maîtrise des langues de travail.

Mme Théobald reconnaît qu'au quotidien, la langue anglaise progresse dans les relations de travail. Elle fait néanmoins remarquer la situation privilégiée du français, due au fait que le siège de l'UNESCO est à Paris, mais aussi par la francophonie des plus hauts dirigeants.

Répondant à une question de M. Bourg-Broc sur la volonté de l'UNESCO de respecter les équilibres existants, Mme Théobald a nettement repoussé l'idée du monolinguisme et a relevé que le combat pour la langue française était celui du multilinguisme et du multiculturalisme.

Mme Françoise Rivière a indiqué que l'ensemble des réunions de direction faisaient l'objet d'une traduction en six langues, que les deux langues utilisées par la direction étaient le français et l'anglais, mais que les réunions internes, pour lesquelles un interprétariat n'était pas prévu se déroulaient en anglais, dès lors que l'un des participants ne maîtrisait pas le français.

Mme Rivière a reconnu que la majorité des documents sur lesquels les organes directeurs se penchaient étaient en langue anglaise puisque la majorité des secrétariats étaient anglophones. On constate du reste un engorgement des services de traduction français et donc une dégradation du service dans ce domaine.

S'agissant des organes principaux (Conférence générale, conseil exécutif), Mme Rivière a constaté un renouveau de l'utilisation du français depuis le début des années 90, du en large partie au fait que cette langue était une langue de refuge pour les élites et l'opposition du temps de l'ex-URSS. Cette situation est évidemment temporaire et ne concerne pas les nouvelles générations des représentants à l'UNESCO.

Mme Rivière a ensuite décrit le rôle et l'action de l'UNESCO pour la promotion du multilinguisme dans le cyberespace. Depuis la récente réunion de Bamako (Mai 2005) elle a pu constater la progression des langues de grande diffusion (français, espagnol et russe) au détriment des autres langues (hors anglais).

Répondant à la question de M. Bourg-Broc sur les dangers de l'uniformisation, Mme Rivière a indiqué que la politique de l'UNESCO avait toujours été de défendre la diversité » linguistique comme l'un des éléments de la diversité culturelle. M. Bourg-Broc a souligné que là où existait un espace linguistique, existait aussi un espace politique.

Tout en partageant cette analyse globale, Mme Rivière a fait remarquer que la situation qui prévalait en 1945 ne reflète plus al situation du monde moderne. En particulier, on assiste à une véritable révolte des pays asiatiques contre les règles de recrutement qui veulent que les candidats maîtrisent les langues de travail, dont le français. Cette révolte a conduit à amodier les règles du programme « jeunes professionnels » de manière à permettre de lever le verrou de la maîtrise des deux langues, sous réserve de s'engager à prendre des cours durant deux ans dans l'autre langue. M. Bourg-Broc a fait observé que cette obligation devrait être assortie d'un examen d'aptitude à l'issue de ces deux années d'enseignement.

Mme Rivière a fait remarquer que si les jeunes appréciaient le français comme outil de singularisation, l'anglais demeurait plus que jamais la langue de la mondialisation.

Relevant une remarque de M. Bourg-Broc selon lequel on ne retrouve pas une réelle volonté politique des exécutifs à défendre l'utilisation de la langue française dans les instances internationales, Mme Rivière a souligné que les plus ardents défenseurs de la francophonie n'étaient pas toujours de nationalité française.

Annexe 7

Déclaration de Strasbourg

APPEL DE L'ASSEMBLEE PARLEMENTAIRE DE LA FRANCOPHONIE

EN FAVEUR D'UNE EUROPE PLURILINGUE

Niamey, 9 juillet 2003

* * *

Nous sommes des parlementaires francophones venus des cinq continents, représentant 62 Parlements.

Nous avons décidé de nous réunir à Strasbourg, ville siège du Parlement Européen et du Conseil de l'Europe, pour proclamer notre détermination à promouvoir le français au sein des institutions européennes.

Pour certains d'entre nous, le français est notre langue maternelle.

Pour d'autres, le français est une langue qu'ils ont choisi d'apprendre et de parler tout en restant fidèles à leur langue maternelle.

Nos origines témoignent de notre attachement à la diversité linguistique sans laquelle il ne peut pas y avoir de diversité culturelle.

Nous nous inquiétons de la disparition annoncée de nombreuses langues car la mort d'une langue est toujours une perte pour l'humanité.

Nous demandons aux Etats, aux institutions internationales, à commencer par l'UNESCO, d'agir pour garantir la pérennité des langues du monde.

Nous avons choisi d'utiliser le français comme langue internationale.

Nous constatons que son utilisation est remise en cause par ceux qui considèrent que, dans un monde globalisé, le recours à une langue unique est source d'efficacité et d'économie.

Nous n'admettrons jamais que de tels prétextes soient utilisés à l'encontre du français ou d'autres langues.

Il ne faut pas s'y tromper, le monolinguisme est un danger. De la langue unique à la pensée unique, il n'y a qu'un pas que certains semblent pressés de franchir.

Parler sa langue, être informé dans la langue de son pays, est un droit qui ne doit être contesté à personne, sous aucun prétexte, même au nom de la libre circulation des biens.

L'Europe, le monde ne seront acceptables que s'ils respectent la diversité linguistique et culturelle nécessaire à l'homme car elle est au coeur de la personnalité de chacun.

Nous saluons le choix fait par le Conseil de l'Europe de recommander pour chaque jeune Européen l'apprentissage, en plus de sa langue nationale, de deux autres langues.

Nous invitons les Etats d'Europe et l'Union européenne à faire appliquer cette recommandation.

Nous affirmons que l'Union européenne en construction doit inscrire parmi ses valeurs fondamentales la diversité linguistique et culturelle. Nous demandons instamment à la Convention sur l'avenir de l'Europe de faire des propositions sur le régime linguistique de l'Union européenne.

Nous exigeons que le français garde toute sa place dans l'Union européenne, tant comme langue de travail interne que comme langue de relations internationales.

Comme ont su le faire les 43 pays du Conseil de l'Europe, il est possible pour l'Union européenne, en reconnaissant le droit à chaque citoyen d'un pays d'Europe de s'exprimer et d'être informé dans sa langue, et en recourant à un système de langues pivots et de langues de travail, de concilier diversité et efficacité.

Nous invitons les pays membres de l'Union européenne à s'engager à promouvoir à l'UNESCO la signature d'un traité garantissant dans le monde le droit inaliénable à la préservation de la diversité culturelle, tel que souhaité lors du Sommet de la Francophonie à Beyrouth.

Nous appelons les Européens à résister à toute entreprise qui tendrait à les priver du droit inaliénable d'exprimer leur personnalité dans la langue de leur choix, et pour nous francophones, en français.

Nous faisons nôtre la pensée de Saint-Exupéry qui écrivait : « Unifier c'est nouer mieux les diversités particulières, non les effacer par un ordre vain ».

Annexe 8

Document n° 69

RÉSOLUTION
SUR LE PLURILINGUISME AU SEIN DES ETATS DE L'UNION EUROPEENNE ET L'USAGE DU FRANÇAIS
DANS LES INSTITUTIONS EUROPEENNES

L'Assemblée parlementaire de la Francophonie, réunie à Niamey du 6 au 9 juillet 2003, sur proposition de la commission de l'éducation, de la communication et des affaires culturelles,

SOUCIEUSE de voir préservé l'usage du français dans les organisations internationales qui lui confèrent un statut de langue officielle et/ou de travail,

CONSTATANT son recul régulier dans les Institutions de l'Union européenne,

CONSTATANT la faiblesse de l'enseignement du français dans les Etats membres de l'Union européenne,

CONSTATANT la faible proportion de francophones ainsi que l'insuffisance de l'enseignement du français dans les Etats candidats à l'entrée dans l'Union européenne,

CONSIDERANT que l'évolution vers une langue de travail unique serait contraire aux principes de préservation de la diversité culturelle en tant que patrimoine de l'Europe et contradictoire avec le multilinguisme des langues officielles consacré par les textes fondateurs de l'Europe,

CONSIDERANT que le monolinguisme aurait des conséquences culturelles et politiques préjudiciables à l'Europe,

SE FELICITE du souci de la Commission européenne de promouvoir la diversité linguistique en Europe,

RAPPELLE et réitère les termes de la  Résolution sur l'élargissement de l'Union européenne dans sa relation avec la Francophonie » adoptée par l'Assemblée Régionale Europe de l'APF réunie à Bruxelles les 18 et 19 novembre 2002 ainsi que de la « Déclaration de Strasbourg » adoptée par le Bureau de l'Assemblée Parlementaire de la Francophonie le 15 janvier 2003,

DEMANDE aux Etats membres à la fois de l'Organisation Internationale de la Francophonie et de l'Union européenne de faire respecter avec la plus grande fermeté l'usage minimal de trois langues de travail partout où il s'est instauré,

LEUR RECOMMANDE toutes mesures visant à favoriser le développement, dans tous les Etats membres ou candidats, de filières d'apprentissage du français,

SE FELICITE de la mise en oeuvre du « Plan pluriannuel d'action pour le français en préparation de l'élargissement de l'Union européenne », adopté à Paris le 11 janvier 2002 par la France, la Communauté française de Wallonie-Bruxelles, le Luxembourg et l'Agence intergouvernementale de la Francophonie,

SUGGERE la création de classes d'immersion dans les différentes langues de l'Union européenne dès le niveau primaire en instituant une mobilité des enseignants en cours de formation ou en début de carrière,

LEUR RECOMMANDE de faire évoluer la réglementation des concours d'entrée dans les Institutions de l'Union européenne de telle sorte que ceux-ci soient organisés sur la base de trois langues de travail, et que chaque candidat reçu et inscrit sur les listes d'aptitude ait une parfaite maîtrise d'au moins deux de ces trois langues en plus de sa langue maternelle,

SUGGERE que les Parlements des Etats membres de l'Union européenne participent à l'accueil des Représentations permanentes des nouveaux membres,

SOUTIENT la création d'une Ecole Européenne d'Administration préparant aux concours d'entrée des Institutions européennes dans les trois langues de travail, implantée à Strasbourg.

* 3 Offices des Nations unies de Genève et de Vienne, Commissions économiques régionales - Commission économique des Nations Unies pour l'Europe (CEE/NU), Commission économique et sociale des Nations Unies pour l'Asie et le Pacifique (CESAP), Commission économique des Nations Unies pour l'Afrique (CEA), Commission économique des Nations Unies pour l'Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC) et Commission économique des Nations Unies pour l'Afrique de l'Ouest (CESAO) -, Conférence des Nations Unies pour le commerce et le développement (CNUCED), Programme des Nations Unies pour le développement (PNUE), Centre des Nations Unies pour les établissements humains (CNUEH), Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF), Programme des nations-Unies pour le développement (PNUD), (Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés) HCR, Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNWRA), organisations internationales par produit, etc.

* 4 Organisation des Nations Unies pour le développement industriel (ONUDI), Organisation internationale du travail (OIT), Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO/OAA), Programme alimentaire mondial (PAM) et Fonds international de développement agricole (FIDA), Organisation des Nations-Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO), Organisation mondiale de la santé (OMS), Organisation météorologique mondiale (OMM), Organisation de l'aviation civile internationale (OACI), Organisation mondiale de la propriété industrielle (OMPI), Union internationale des télécommunications (UIT), Office des migrations internationales (OMI), et d'autres

* 5 (consultable sur internet à l'adresse suivante : http://asterix.library.uu.nl/files/scrol/r59/Scriptie_05.doc )

* 6 Je pense en particulier au projet confié à M. Pierre de Boissieu d'une école européenne d'administration, qui pourrait être créée à Strasbourg, destinée à former les futurs cadres de l'Europe. Il serait opportun que cette école soit installée dans un environnement francophone.

* 7 Participaient au déjeuner, autour de l'ambassadeur, MM. Philippe Seguin et Hervé Cassan, Mme Yolande Bike, ambassadeur du Gabon, M. Mohamed Saleck Ould Mohamed Lemine, ambassadeur de Mauritanie et président du groupe des ambassadeurs francophones ainsi que des hauts fonctionnaires de la RP et d'organisations internationales.

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