D. LES ENTRETIENS DE LA DÉLÉGATION

Entretien avec Charles Murigande, ministre des affaires étrangères et de la coopération

Charles Murigande a déclaré être porteur, au nom du gouvernement rwandais, d'un message d'amitié pour la France, sans pour autant ignorer les zones d'ombre qui ternissent les relations entre les deux pays. Il a souhaité que les regards se tournent désormais vers l'avenir et que la visite de la délégation sénatoriale permette de nouer des liens forts de solidarité et de coopération.

Il a rappelé que l'histoire du Rwanda est, à jamais, marquée par la tragédie de 1994, qui a fait près d'un million de morts en cent jours. Les survivants se sont réfugiés dans des camps de déplacés - jusqu'à quarante dans le pays - et, pour la moitié d'entre eux, à l'étranger, essentiellement en, en Tanzanie et au Burundi.

Il a indiqué que les génocidaires s'étaient pour beaucoup enfuis en RDC, d'où ils ont lancé des attaques quotidiennes contre le Rwanda, sans que la communauté internationale n'intervienne, ce qui a obligé le Rwanda à procéder à des interventions sur le territoire congolais.

Le Rwanda est désormais engagé dans un processus de démocratisation - des élections pluralistes ont eu lieu en 2003 - et de décentralisation. Il participe également à la gestion du conflit au Darfour, avec l'envoi d'un contingent de 300 hommes dans le cadre de l'UA.

Charles Murigande a estimé, à cet égard, que l'Afrique n'est pas encore apte à résoudre seule ses propres conflits ; elle a encore besoin des Occidentaux pour financer ce type d'opérations et former les régiments.

Rencontre avec la commission nationale pour l'unité et la réconciliation

Les responsables de la Cnur ont d'abord procédé à un rappel historique des relations interethniques au Rwanda.

Avant la colonisation, la cohabitation entre les peuples hutu, tutsi et, à la marge, twa, était satisfaisante : ils partageaient en effet la même culture et la même religion et obéissaient au même souverain. Signe de cette entente, les mariages mixtes étaient nombreux. Les différences étaient essentiellement d'ordre social, ce qui explique qu'il était possible de passer d'une ethnie à l'autre à l'occasion d'un changement de situation.

La dichotomie entre Hutus et Tutsis a été initiée par le colonisateur allemand, puis belge, et repris par les missionnaires. La littérature sur la cause des différences ethniques, basées sur l'origine géographique et les caractéristiques physiques, date de cette époque.

Les Occidentaux ont alors largement favorisé la minorité tutsie avant d'apporter son soutien aux « opprimés » hutus à partir des années 1950. De fait, ils ont contribué à attiser les haines et des massacres de Tutsis sont intervenus en 1959 et 1963, conduisant à leur exode continu à compter de cette date. Au début des années 1990, leur retour massif est l'une des causes du génocide de 1994.

Au lendemain du drame, la priorité était donc, avant même de juger les coupables, de mettre en oeuvre une politique de réconciliation pour éviter un nouveau drame et de gérer le retour des réfugiés, notamment s'agissant de l'épineuse question du partage des terres. Il convenait, en effet, de sécuriser le pays dans un contexte où le désir de revanche des victimes était grand.

Les premières mesures du gouvernement de transition ont donc été symboliques : suppression de la mention ethnique sur les papiers d'identité, admission sans discrimination dans les écoles et dans la fonction publique, mixité dans l'armée, jusqu'à présent largement dominée par les Tutsis.

C'est dans ce cadre qu'a été créée la Cnur, dont le programme, établi après consultation de la population, comprend trois thèmes : promouvoir l'éducation civique, aider à la gestion des conflits en formant les responsables des Gaçaça, de la société civile et de l'administration, enfin, participer à la réduction de la pauvreté. A cet effet, elle propose et/ou coordonne tout projet destiné à promouvoir l'unité et la réconciliation dans la population rwandaise.

La Cnur est composée d'un secrétariat permanent et de douze commissaires représentant la société civile.

Les difficultés auxquelles se heurte la commission dans l'exercice de ses missions sont toutefois multiples : la limite entre la réconciliation et la justice n'est pas toujours évidente, une large frange de la population est encore hostile à cette démarche et le budget dont elle dispose est largement insuffisant.

Par ailleurs, la Cnur estime que le sentiment anti-tutsi qui perdure en RDC et en Tanzanie ne permet pas d'étendre la politique de réconciliation à l'ensemble de la région des Grands Lacs, ce qui garantirait pourtant plus sûrement la paix dans l'ensemble de cette zone. De la même manière, la diaspora rwandaise, qui demeure divisionniste, ne contribue pas à l'unité du pays.

Entretien avec Mmes Edda Mukabagwiza, ministre de la justice, et Domitilla Mukantaganzwa, secrétaire exécutive des juridictions Gaçaça

Les juridictions Gaçaça ne sont pas animées par des magistrats professionnels, mais fonctionnent selon un système de participation communautaire. Chaque secteur dispose de sa propre juridiction, composée de neuf jurés élus par la population parmi les personnes qui n'ont pas participé au génocide, qui répondent aux critères de moralité et qui savent lire et écrire.

Le processus de jugement par les Gaçaça comprend trois étapes : la collecte d'informations auprès de la population de chaque cellule (une assemblée générale de 100 à 200 personnes se réunit à cet effet une fois par semaine), l'établissement de la liste de suspects et la catégorisation des crimes.

L'assemblée générale remplit une fiche par suspect, qui rassemble l'ensemble des informations collectées et indique la catégorie de crime pour laquelle il est accusé : planification et viol (catégorie 1 : 10 % des cas), meurtre (catégorie 2 : 70 % des cas) ou pillage (catégorie 3 : 20 % des cas).

Les suspects appartenant à la première catégorie voient leur dossier transmis au parquet, tandis que les Gaçaça sont chargées du procès des deux autres catégories d'accusés. Pour les suspects de catégorie 2, il est possible de faire appel, tandis qu'un arrangement à l'amiable est le plus souvent recherché pour la catégorie 3 (restitution des biens volés, par exemple).

Les sanctions sont également réduites si l'accusé demande pardon. En règle générale, la peine est partagée entre la prison et les travaux d'intérêt général.

Au total, jusqu'à 760.000 personnes pourraient être jugées dans le cadre de ce dispositif mais beaucoup, notamment les responsables, demeurent encore à l'étranger. Des listes de suspects ont été remises aux ambassades étrangères - celle de France comporte douze noms - en vue de mettre en place une coopération judiciaire renforcée et d'éviter les jugements par contumace qui ne sont satisfaisants pour aucune des parties.

La phase de collecte d'informations, débutée en 2005, est aujourd'hui terminée. 7.500 procès ont eu lieu depuis le mois de mars dans 118 secteurs. On a malheureusement déjà pu constater que des pressions sont souvent exercées sur les juges et les témoins.

S'agissant des génocidaires présumés réfugiés sur le territoire français, la ministre a indiqué qu'aucune condamnation n'avait été prononcée à leur encontre à ce jour par la justice rwandaise. La délégation sénatoriale a fait valoir, à cet égard, que la présomption d'innocence constitue, en France, une valeur fondamentale, ce qui n'empêchait pas la justice française de s'investir dans les actions de coopération judicaire avec le Rwanda.

Rencontre avec le Bureau du Sénat de la République du Rwanda

Le Sénat est actuellement logé dans les locaux provisoires mais devrait s'installer, d'ici deux ans, dans un immeuble commun aux deux chambres du Parlement, en cours de restauration.

Le rôle du Sénat est de veiller au respect des principes généraux de la Constitution, notamment ceux relatifs à l'interdiction de toute discrimination ethnique.

Le Bureau du Sénat du Rwanda a rappelé que les liens entre les Parlements français et rwandais étaient étroits avant 1994 et a souhaité que la visite de la délégation française augure de la restauration d'une relation de confiance et d'amitié entre les sénateurs des deux pays.

La délégation sénatoriale française a confirmé son désir de voir s'établir des relations régulières entre les deux chambres et a invité, à cet effet, une délégation du Sénat rwandais à se rendre en France, notamment dans le cadre d'un groupe d'amitié Rwanda-France dont elle a souhaité la création.

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