5. La restauration d'Angkor

La délégation du groupe d'amitié s'est rendue à Siem Reap, où elle a visité le site d'Angkor et plus particulièrement les temples de Banteay Srei, Angkor Vat, le Ta Prohm, le Bayon et le chantier de restauration du Baphuon.

Si le site d'Angkor fait partie du patrimoine khmer depuis l'origine, il a connu de longues périodes d'oubli, avant d'être redécouvert . Après le dernier siège Siamois, la monarchie Khmère abandonne en effet Angkor vers 1431. Si le site continue d'être habité dans les siècles qui suivent, devenant un lieu de pèlerinage bouddhiste, Angkor perd de son prestige. Le site est de nouveau abandonné comme capitale royale à la fin du XVIème siècle, et l'on considère que ce n'est qu'au début du XIXème siècle, alors que le pays est encore sous la domination de ses voisins rivaux, le Siam et le Vietnam, que le site d'Angkor redevient le symbole de la Nation khmère, vers la fin du règne du Roi Ang Duong dans les années 1850.

Henri Mouhot, naturaliste Français, est le premier Occidental à faire connaître, en 1863, les merveilles d'Angkor à un large public international. En 1908, un an après la rétrocession des provinces du Nord, dont Siem Reap, par le Siam, l'Ecole Française d'Extrême Orient (E.F.E.O) crée la Conservation d'Angkor, organe qui devait jouer un rôle majeur dans les activités de recherche, de conservation et de restauration menées jusqu'au début des années 1970.

Les activités de la Conservation furent considérablement réduites dès le début des années 70. La présence militaire dans la région rendit impossible l'accès aux sites archéologiques, et le vaste et cohérent programme de recherches, de conservation et de restauration fut abandonné. Avec l'arrivée des khmers rouges en avril 1975, les éléments vivants de la religion bouddhique - monastères, statues du Bouddha, manuscrits et autres objets de culte - furent sciemment détruits, mais les khmers rouges n'eurent pas de politique particulière quant au riche patrimoine archéologique de cette province.

Une conjonction de plusieurs facteurs mit, dès le début des années 80, le patrimoine angkorien dans une situation de danger sans précédent. La grande pauvreté de la population, l'abondance des armes, une autorité militaire grandissante ainsi qu'une insécurité généralisée en particulier dans les régions limitrophes de la Thaïlande, faisaient que les objets d'art Khmer devenaient rapidement la cible d'un important réseau international de trafic d'art ayant pour base régionale la Thaïlande 30 ( * ) . Il était urgent de prendre les mesures indispensables pour préserver le patrimoine angkorien.

En décembre 1992, Angkor fut inscrit sur la liste du Patrimoine Mondial par l'UNESCO. Suite à cette inscription, une première conférence intergouvernementale sur la sauvegarde et le développement du site Historique d'Angkor se tint à Tokyo en 1993 et un Comité de Coordination pour la Sauvegarde et le Développement du Site d'Angkor (CIC) fut créé. Ce comité est coprésidé par la France et le Japon, l'UNESCO assurant son secrétariat.

Au plan national, l'autorité APSARA a été créée par décret royal en 1995. APSARA est placée sous la double tutelle de la Présidence du Conseil des Ministres et du Ministère de l'Économie et des Finances. APSARA en collaboration avec d'autres agences gouvernementales est responsable de :

- la protection, l'entretien, la conservation et la mise en valeur du parc archéologique , de la culture, de l'environnement et de l'histoire de la région d'Angkor comme définie sur la liste du Patrimoine Mondial ;

- la mise en place du plan général sur le développement touristique selon les cinq zones définies en 1994 dans le décret royal sur la protection et la gestion de la région d'Angkor / Siem Reap ;

- mesures contre la déforestation, l'occupation illégale de terrains ainsi que toutes activités anarchiques dans la région de Siem Reap / Angkor ;

- la participation à la politique de réduction de la pauvreté dans la région de Siem Reap / Angkor ;

- la recherche de sources de financement et d'investissements.

Depuis sa création, le Comité tient deux sessions plénières par an à Phnom Penh ou Siem Reap. Tous les projets nationaux ou internationaux concernant Angkor doivent être soumis au CIC pour discussion, par l'intermédiaire de son Comité Technique. La France, co-présidente du Comité, joue un rôle stratégique dans la conservation d'Angkor . En effet, le Comité s'assure notamment que les projets de restauration respectent bien la cohérence architecturale et historique du site, et respectent un certain cahier des charges.

La France mène également ses propres travaux de restauration, dans la lignée des prestigieux travaux de l'Ecole française d'Extrême Orient, dont une illustration remarquable est le chantier de restauration du Baphuon, que la délégation du groupe d'amitié a pu visiter dans des conditions très privilégiées puisque sous la conduite de l'architecte Pascal Royère, consul honoraire à Siem Reap, ainsi que de nombreux autres monuments du site d'Angkor.

Le chantier de restauration du Baphuon

Implanté au coeur de l'ancienne cité royale d'Angkor Thom, au sud du Palais Royal, le Baphuon est l'un des plus grands édifices religieux du Cambodge ancien.

Structure pyramidale à trois étages surmontée de galeries pourtournantes, ce temple-montagne dédié au culte du Linga fut construit au milieu du XIème siècle sous le règne d'Udayadityavarman II et fut probablement l'un des édifices majeurs autour duquel se structura la ville angkorienne. Dans Angkor Thom, le vestige le plus remarquable de l'expression bouddhique est par ailleurs sans conteste le Baphuon : les artisans de l'époque moyenne transformèrent en effet toute la façade occidentale du deuxième étage en un Bouddha entrant au nirvana, long de soixante mètres.

L'anastylose du monument, entreprise par Bernard-Philippe Groslier, a du être interrompue en 1971 par la guerre. Les archives du chantier ont disparu en 1975. Depuis 1995, le Baphuon fait l'objet d'un important programme de restauration, dont la maîtrise d'oeuvre est confiée à l'Ecole française d'Extrême Orient en partenariat avec l'Autorité cambodgienne APSARA. Ce projet est conduit dans le cadre de l'action coordonnée par le Comité international de coordination pour la sauvegarde d'Angkor.

La restauration du Baphuon, travail de grande ampleur, soumis aux aléas climatiques d'un climat tropical, et à des contraintes techniques nombreuses, doit être achevée pour 2009.

Au-delà du site même d'Angkor, se pose la question de la conservation et de la mise en valeur des sculptures et objets de l'époque angkorienne . La délégation a ainsi visité le musée national de Phnom Penh installé dans un magnifique bâtiment de couleur ocre inauguré en 1918 où se trouvent nombre de sculptures et témoignages de la période angkorienne et pré-angkorienne, en compagnie de M. Bertrand Porte, membre de l'école française d'extrême orient, par ailleurs responsable de l'atelier de restauration de sculpture du musée et de la formation du personnel cambodgien. Si ce musée permet à tous, visiteurs étrangers et cambodgiens (pour lesquels l'accès est gratuit), d'apprécier le patrimoine national, des projets de « musée privé » à Siem Reap commencent à voir le jour.

Ainsi, deux musées « privés » pourraient prochainement ouvrir leurs portes à Siem Reap : le « Angkor National Museum », construit par une société thaïlandaise, dès 2007, et sur le terrain de la Conservation d'Angkor, un musée construit par des investisseurs coréens. Un troisième musée, construit par des Japonais pourrait également voir le jour prochainement. La question est de savoir quelles pièces ces musées privés pourront exposer. Il est question de pièces entreposées à la Conservation d'Angkor mais aussi de pièces du musée national de Phnom Penh. Si la création d'un musée à Siem Reap peut être une bonne initiative pour mieux faire connaître l'art angkorien, une vigilance s'impose face à ce qui pourrait être perçu comme une privatisation non maîtrisée du patrimoine national cambodgien . Il convient en tout état de cause que des transferts importants d'oeuvres au secteur privé ne remettent pas en cause un siècle de travaux réalisés par l'Ecole Française d'Extrême Orient.

* 30 Confrontée à un mouvement croissant de pillage dans le Parc archéologique, la Conservation d'Angkor dut se résoudre à ramener du site certains objets dans son enceinte. Par trois fois, entre 1992 et 1993, elle fut attaquée par des éléments armés. De nombreuses pièces de grande valeur furent dérobées. En réponse à cette violence, le gouvernement opéra le transfert de plus d'une centaine de pièces à Phnom Penh. Avec le concours de l'UNESCO, les mesures de sécurité furent renforcées à l'intérieur et autour de l'enceinte de la Conservation.

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