INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Un examen de la situation du Tibet chinois - c'est-à-dire du Tibet « libéré » ou du Tibet « occupé », selon deux points de vue diamétralement opposés - se doit de prendre en considération le discours officiel des autorités chinoises. C'est pourquoi une délégation du groupe d'information sur le Tibet du Sénat a accepté l'invitation qui lui était faite par l'Assemblée nationale populaire de Chine de se rendre au cours de l'été 2006 à Lhassa. Cette mission a été, pour les sénateurs qui y ont participé, l'occasion d'engager un dialogue courtois mais franc avec leurs interlocuteurs chinois et tibétains.

Dans sa dimension historique, le discours officiel chinois repose sur une affirmation et sur une négation. L'affirmation, c'est celle de l'ancienneté de l'appartenance du Tibet à la Chine, qui se fonde sur le lien personnel établi de longue date entre le Dalaï-Lama et l'Empereur, mais qui fut dénoncé par le premier au début du XX ème siècle. La négation, c'est celle des violences commises à l'occasion de la « libération pacifique » du Tibet après 1950, puis de sa « réforme démocratique » à partir de 1959, ainsi que de la légitimité du mouvement populaire de résistance qui s'en est suivi.

Il existe ainsi des trous béants dans la mémoire historique de la Chine contemporaine. La continuité du régime communiste explique qu'il n'y ait pas eu de travail de mémoire aussi complet sur Mao Zedong et les crimes qui lui sont imputés que celui effectué par les Russes à l'égard de Staline. Selon la formule en vogue en Chine : « Mao, c'est 70 % de bon et 30 % de mauvais ». Il est à craindre que les Tibétains aient eu plus que leur part de mauvais... Mais, comme le dit le Dalaï-Lama, peu importe le passé : il faut se tourner vers l'avenir.

Dans sa dimension économique, le discours officiel chinois repose sur une glorification de l'oeuvre accomplie au Tibet par la « mère patrie ». Les Français, en tant que ressortissants d'une vieille nation coloniale, connaissent bien ce type de discours, selon lequel le développement matériel résultant de l'afflux de fonds publics et de main-d'oeuvre justifierait la « mission civilisatrice » de Pékin depuis cinquante ans. Évidemment, c'est ignorer le sentiment national tibétain bafoué et faire peu de cas des atteintes portées à l'identité tibétaine par cette politique d'assimilation forcée à l'ensemble chinois.

Au-delà de ce discours convenu, les autorités chinoises admettent la persistance du problème tibétain, puisqu'elles ont accepté d'ouvrir depuis la fin des années 1970 - avec des interruptions - des négociations avec les représentants du Dalaï-Lama, qui continue d'être considéré par la grande majorité du peuple tibétain comme son dirigeant légitime. Mais ces négociations diplomatiques n'en sont, pour l'instant, qu'au stade préliminaire où l'on mesure l'étendue du désaccord.

Or, le temps presse pour les autorités chinoises, si elles ne veulent pas que l'image de la Chine demeure obscurcie par la question du Tibet, lorsque le pays tout entier sera placé sous les feux de l'actualité mondiale à l'occasion des Jeux Olympiques de Pékin en 2008, puis de l'Exposition universelle de Shanghaï en 2010. Cette prise de conscience, bien perceptible chez certains des interlocuteurs de la délégation du groupe d'information, pourrait favoriser une accélération du processus de négociation sino-tibétain.

On imagine l'impact mondial de la conclusion d'un accord durable et mutuellement satisfaisant pour les deux parties, suivie par le retour du Dalaï-Lama au Tibet. Ce serait, de la part du gouvernement chinois, un signe de force et un acte de foi dans la démocratie. C'est en tout cas le voeu que forment les membres du groupe d'information sur le Tibet du Sénat, inspirés par un double sentiment d'amitié pour le peuple tibétain et pour le peuple chinois.

I. L'ESPACE TIBÉTAIN : EXTENSION GÉOGRAPHIQUE ET ÉTROITESSE DÉMOGRAPHIQUE

Pour bien comprendre l'enjeu que représente le contrôle politique du Tibet pour la Chine, il faut saisir l'espace tibétain à la fois dans son particularisme culturel et dans son étendue géographique.

A. UNE « MINORITÉ ETHNIQUE » PARMI D'AUTRES ?

Afin de mieux banaliser la question tibétaine, le discours officiel des autorités chinoises la présente comme un aspect parmi d'autres de la politique des « minorités ethniques ».

En effet, le Livre blanc de mai 2004 sur l'autonomie régionale ethnique au Tibet commence par l'affirmation suivante : « la Chine est un pays multiethnique unifié où les Han représentent plus de 90 % de la population. Les 55 autres communautés ethniques, y compris les Tibétains, sont communément appelées ethnies minoritaires à cause de leur population peu nombreuse ». Les auteurs de ce document ne se privent pas, d'ailleurs, de rappeler que des ethnies diverses peuplent depuis des générations le haut plateau tibétain : outre les Tibétains et les Han, les Hui, les Monba, les Naxi, les Nu et les Derung.

Les chiffres sont éloquents. Le tableau ci-après retrace les populations des nationalités de Chine telles qu'elles résultent du recensement de 2000.

On ne saurait comprendre la question tibétaine en ignorant ce rapport démographique. Les Tibétains font figure de goutte d'eau noyée dans un océan de Chinois Han et d'autres nationalités : 5,4 millions contre 1,260 milliard, soit une proportion de 0,43 %. Mais on ne saurait non plus comprendre la question tibétaine en ignorant que, sur cette base démographique particulièrement étroite, les Tibétains ont bâti au cours des siècles une civilisation à part entière.

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