Colloque économique sur le Brésil




Table ronde n°2
« De fortes opportunités dans un environnement des affaires en réel progrès »

Animateur : M. Michel DURAND-MURA, Président de la CCI France-Brésil

Participants : MM. Flavien NEUVY (L'observateur Cetelem) - David WEATHELEY (DG de la filiale au Brésil du groupe SIVECO - Pierre MARTINET (PDG groupe MARTINET)- M. Celso de AZEVEDO (PDG de Assetsman) - M. François BANCILHON (Société MANDRIVA) - M. Stéphane WITWOVSKI (CCEF, et Président du Conseil de gestion de l'IHEAL)

M. Hervé LE ROY

M. Michel DURAND-MURA, Président de la Chambre de Commerce France-Brésil animera cette deuxième table ronde, plus axée sur le vécu des entreprises françaises et notamment des PME installées au Brésil. L'Observateur Cetelem fera en préambule un focus sur le nouveau consommateur brésilien et M. Stéphane WITWOSKI commentera l'ensemble des témoignages.

M. Michel DURAND-MURA
Président de la Chambre de Commerce France-Brésil

La table ronde précédente a parfaitement défini le nouveau Brésil comme étant une véritable puissance économique du XXI ème siècle. Nous allons maintenant aborder une phase plus concrète, avec l'aspect macro-économique. Le pays dispose de nombreux atouts : une transition économique réussie, une stabilité financière et le retour de la croissance. Il bénéficie en outre d'avantages additionnels face à ses concurrents émergents, comme la sécurité juridique et la proximité culturelle déjà évoquées. Le Brésil n'est pourtant pas un marché facile. C'est pourquoi un certain nombre d'intervenants comme la Chambre de Commerce, Ubifrance et les CCE offrent leurs services aux PME et PMI.

A travers des témoignages d'expériences, des PME-PMI de différents secteurs vont nous expliquer pourquoi elles ont choisi le Brésil, comment elles s'y sont implantées ainsi que les difficultés rencontrées à chaque étape. Ces témoignages vous donneront un éclairage complémentaire à la vision macro-économique de ce matin.

En préambule, M. Flavien NEUVY, de l'Observateur Cetelem, nous dresse rapidement le portrait du nouveau consommateur brésilien.

M. Flavien NEUVY
Observateur Cetelem

Le challenge est intéressant qui me conduit à parler du consommateur brésilien en quelques minutes, je serai donc synthétique. Au préalable, je vous présente rapidement l'Observateur Cetelem. Il s'agit d'une filiale de BNP Paribas, en cours de fusion avec une autre filiale de ce groupe, l'UCB, spécialiste du crédit immobilier. Ces regroupements amèneront à la création d'une entité spécialiste du crédit général aux particuliers. Nous sommes présents dans 30 pays, avec un développement à l'international initié en 1984, et nous gérons actuellement un encours de 100 milliards d'euros.

Cetelem est implanté au Brésil depuis 1999 et connaît une belle réussite. Quelques chiffres peuvent illustrer mes propos : la société compte aujourd'hui environ 2 000 collaborateurs, et une production crédit de plus de trois milliards d'euros. Le Brésil est extrêmement important dans notre stratégie de développement. Porté par la croissance interne comme externe, le pays occupe déjà le 4 ème rang en termes de revenus dans l'univers Cetelem.

La consommation des ménages, facteur essentiel à la croissance, est drainée par deux moteurs : la démographie, avec une population jeune qui a envie de consommer et la baisse de la pauvreté, avec l'émergence d'une classe moyenne très importante. L'Observateur Cetelem estime qu'entre 2005 et 2007, plus de 20 millions de Brésiliens ont rejoint les classes moyennes.

Le consommateur brésilien est exigeant, sélectif et très attentif à la qualité des prestations offertes. Je prendrai l'exemple des travaux d'aménagement : les Brésiliens font appel, pour 53 %, à des professionnels. Le Brésilien est donc un consommateur averti, attentif au rapport qualité/prix.

J'aimerais ajouter un élément, qui est l'optimisme du consommateur brésilien. Chaque année, l'Observateur Cetelem réalise une étude. Les personnes interrogées sont chargées d'évaluer la situation globale du pays avec une note de 1 à 10. Au Brésil, la note atteint 5,3/10 : sur ce type d'étude, ce résultat est satisfaisant. L'optimisme se retrouve dans les intentions d'achat. En effet, cette année, les consommateurs brésiliens désirent consommer au détriment de l'épargne. Je citerai quelques chiffres à cet égard : en 2007, 46 % des personnes interrogées déclarent vouloir consommer, contre 39 % en 2005.

Un autre élément invite à la réflexion : les meilleures ventes de produits ont trait aux nouvelles technologies. Le téléphone mobile reste un produit phare mais s'y ajoutent aussi l'automobile et l'équipement informatique. Le taux d'équipement des ménages reste encore en retrait, ce qui laisse entrevoir des perspectives de développement important.

Enfin, le recours au crédit est un élément notable. Le phénomène constitue presque un style de vie. La croissance du recours au crédit est très forte : 1 % du PIB en 1995 contre 9 % aujourd'hui. Nous projetons 12 % d'ici 5 ans. Par ailleurs, le crédit consigné est une spécificité du marché brésilien. Il s'agit d'un un crédit à la consommation classique, mais dont le remboursement se fait par prélèvement sur salaire. Très développé au Brésil, ce mode de crédit offre des garanties financières supplémentaires aux organismes financiers.

J'aimerais dire un mot sur le e-commerce , très révélateur de l'état de développement du commerce d'un pays. Le Brésil est très en avance sur certains pays tels que la Russie ou d'autres pays d'Europe centrale. Il compte aujourd'hui 40 millions d'internautes, soit 4 fois plus qu'en Russie, avec 6 millions de e-consommateurs. Cela permet à des entreprises locales d'opérer sur le marché de la vente à distance. Je souhaite citer l'exemple de Submarino, entreprise leader du e-commerce au Brésil, avec 27 % de parts de marché. Nous venons de signer des accords avec cette entreprise.

Je conclurai en rappelant que le consommateur brésilien est en effet un consommateur optimiste, bénéficiant d'un pouvoir d'achat en hausse, lié à une baisse de la pauvreté. Il a envie de consommer et le marché brésilien est très porteur pour tous ceux qui souhaitent s'y développer. Le Cetelem a l'intention de continuer à s'y épanouir. Merci de votre attention.

M. Michel DURAND-MURA

Merci d'avoir mis en lumière le niveau de consommation, moteur de la croissance actuelle au Brésil. Si les exportations expliquaient le développement du pays il y a deux ou trois ans, le pays connaît maintenant une croissance interne liée à l'augmentation du crédit et du pouvoir d'achat. Nous allons passer immédiatement à la phase des témoignages d'entreprises.

M. Stéphane WEATHLEY
CCEF et Président du Conseil de gestion de l'IHEAL

Depuis plus de 20 ans, notre société est spécialiste de la gestion assistée par ordinateur (GMAO). SIVECO est un éditeur de logiciels, qui compte plus de quatre-vingt millions d'utilisateurs dans le monde, répartis dans plus de 65 pays. Aujourd'hui, notre logiciel COSWIM est disponible dans plus de 16 langues. Notre structure en France est basée à Montigny, qui gère les questions commerciales, de marketing et de gestion. Le pôle technique est situé à Montpellier, avec la partie développement et supports. SIVECO est une PME, employant environ 90 personnes en France et 110 dans le monde.

A l'international, notre représentation se fonde sur des distributeurs et des filiales. Nous avons des filiales en Angleterre, en Grèce, en Roumanie, en Chine depuis 2 ans et au Brésil depuis mars 2007. L'histoire de SIVECO au Brésil a commencé par une opportunité personnelle. J'ai eu la possibilité d'y faire un CSNE, après mon école d'ingénieur, pour aller assister techniquement et commercialement l'un de nos distributeurs. Suite à cette expérience, je suis rentré en France gérer des activités commerciales pour SIVECO. Pendant 5 ans, nous avons préparé notre retour au Brésil, à partir de mai 2005, via la création et la recherche de partenariats. La mission économique de Rio nous a soutenus en prospectant auprès de distributeurs pour cibler différentes entreprises à Sao Paulo, Rio et dans différents États.

Notre activité a prospéré pendant 2 ans, avec la création de nouveaux comptes, notamment les sites de Renault au Brésil, des hôpitaux, des ports et des sociétés de construction d'autoroutes. Notre plus gros client est la compagnie pétrolière BRASILEIRA DE PETROL, numéro 2 au Brésil de la distribution de pétrole.

Nous avons ensuite rencontré quelques difficultés, liées aux modalités des transferts techniques, des contrats de distribution et à la répartition des royalties. Sur ces aspects, je conseille de ne pas hésiter à demander l'aide des services juridiques de la mission économique et des Chambres de Commerce. Suite à ces difficultés, nous avons ouvert, en mars 2007, une filiale à Rio. Il s'agit d'une petite structure de six personnes, avec un service technique et consulting. En outre, depuis le mois d'avril 2008, un nouveau commercial a été recruté pour développer le marché sur Sao Paulo.

SIVECO ambitionne de développer son chiffre d'affaires, en passant de 1 à 2 millions de reals d'ici 2008. C'est une belle réussite pour une structure de 8 personnes.

M. Michel DURAND-MURA

Merci pour ce témoignage, montrant que, parfois, l'implantation directe sous forme de filiale peut être la solution aux difficultés rencontrées avec les distributeurs ou licenciés. Nous passons à un deuxième domaine totalement différent : Monsieur Pierre MARTINET est président et fondateur du groupe Pierre MARTINET. Il s'agit d'un bel exemple de réussite de groupe agroalimentaire, implanté au Brésil depuis 2002.

M. Pierre MARTINET
Président directeur général de la Société Martinet

Issu d'une famille d'agriculteurs, j'ai suivi un apprentissage de charcutier, qui m'a conduit à mon métier actuel. Avec 40 000 tonnes vendues, le groupe MARTINET est aujourd'hui le leader français sur le marché des salades, et le troisième européen. En 1983, par manque de marchandises, j'ai dû importer certains produits du Brésil. Cela m'a permis de nouer des contacts intéressants. En 2002, l'un de mes associés brésiliens a souhaité développer la production des coeurs de palmiers. Le produit et le projet m'ont intéressé : la visite d'un petit atelier a achevé de me convaincre.

Nous avons mené des réunions marketing qualitatives à Sao Paulo. Nous voulions mieux connaître les habitudes alimentaires des Brésiliens et apprécier leur intérêt pour les plats cuisinés. Au Brésil, notons qu'un plat cuisiné frais n'existe pas. Nous devions donc partir de zéro. A la suite de ces études qualitatives, nous avons passé un accord avec un conserveur. Nous avons entreposé chez lui deux containers, un surgelé et un frais, et commencé à importer de France des taboulés et autres salades vendues à Brasilia. Au préalable, une étude quantitative avait permis de déterminer un grammage idéal et un prix acceptable pour le consommateur.

Aujourd'hui le groupe MARTINET est présent dans une centaine de magasins entre Sao Paulo et Brasilia. Carrefour nous a immédiatement accueillis à Brasilia suivi de magasins prestigieux comme Santa Luzia à Sao Paulo et Pau Da Sugar.

Nos métiers sont particuliers, puisque situés hors du domaine tertiaire. Cette situation réclame des produits, des emballages, ainsi qu'une logistique de livraison. Au Brésil, où les routes ne sont guère idéales, notamment en période de pluie, la logistique devient essentielle. Nous avons exploité des produits, que nous avons transformés en conserves pasteurisées, comme les cornichons ou poivrons que nous réexportons en France. Nous voulons proposer des produits à la fois bons et appétissants à l'oeil. Nous avons également pu importer en France certains produits : récemment, une salade de carottes et de palmiers s'est ajoutée à la gamme.

Nous sommes basés sur Sao Paulo, province de la taille de l'Espagne, mais sans doute bien plus riche. Dans l'optique de l'année de la France au Brésil, des opérations autour du patrimoine culinaire français sont menées au Brésil par l'Unesco. Nous devrions en bénéficier et collaborons à cette occasion avec Guy SAVOY pour développer de nouveaux produits.

Nous rencontrons des difficultés, notamment administratives, liées à la fiscalité complexe du Brésil. Nous sommes une PME de 700 personnes et la principale difficulté rencontrée reste la gestion du temps. Il ne faut pas pénaliser l'activité française, en continuant de gérer les collaborateurs à distance. Ainsi, à Annapolis, où nous sommes implantés, les liaisons téléphoniques sont particulièrement difficiles. Aujourd'hui, nous souhaitons nous rapprocher de Sao Paulo, pour être plus près des consommateurs et des bassins de production. La dernière grande difficulté a été de monter cette société avec 4 actionnaires, à 25 %. Aujourd'hui nous sommes à 88 % du capital

M. Michel DURAND-MURA

Merci beaucoup pour la présentation de votre expérience réussie au Brésil. Vous avez bien mis en avant les difficultés communes à toutes les entreprises, notamment celles liées à la bureaucratie, à la fiscalité lourde et complexe ou même aux infrastructures. Ce dernier domaine représente d'ailleurs un potentiel de développement important pour les entreprises proposant des biens d'équipement.

Je passe la parole à M. de AZEVEDO, Président Directeur Général de la société ASSETMAN, spécialisée en optimisation d'actifs industriels.

M. Celso de AZEVEDO
Président directeur général de la société Assetsman

Bonjour à tous. Avant tout, je voudrais remercier Ubifrance et mes collègues de la mission économique de l'Ambassade de France au Brésil en la personne de M. Hervé LE ROY. Je suis franco-brésilien, né au Brésil, et j'ai souhaité privilégier cet aspect dans mon témoignage plutôt que la présentation de notre société.

Notre entreprise réalise des études visant à l'amélioration de la rentabilité de toute ligne de production industrielle. Notre cible principale est le secteur des très grandes sociétés mondiales. Nous veillons à ce que leurs investissements, l'exploitation des usines, leur maintenance et leur gestion finale soient les plus intéressantes, du point de vue technico-économique.

Notre spécialité consiste à aider les sociétés industrielles à réduire leurs coûts, à maîtriser leurs risques et à mieux évaluer l'impact de la disponibilité de leur ligne de production. Nous transformons les aléas de production en scénarios de décisions, pour maîtriser les risques inconsidérés ou des coûts prohibitifs de production dans différents pays.

Le siège de la société est situé à Versailles. Nous avons un bureau à Rio, et bientôt un deuxième à Sao Paulo, en liaison avec le marché énergétique précédemment évoqué. Nous intervenons dans différents projets d'optimisation de choix de production : maintenance, exploitation, stockage de pièces détachées ou de matières premières ou encore gestion de renouvellement des machines en fin de vie.

Nous avons obtenu un label en France dont nous sommes fiers, celui de « jeune entreprise innovante ». Notre activité est entièrement basée sur la technologie et l'informatique : nous nous appuyons notamment sur des simulateurs d'aide à la prise de décision risque/coût. L'entreprise emploie environ vingt-cinq personnes, dont deux tiers en France et un tiers au Brésil. Bien qu'étant une petite structure, nous intervenons dans des dizaines de pays sur un marché de niches à forte valeur ajoutée.

Nous sommes une PME binationale. La société a été créée en France et nous nous sommes implantés au Brésil. Pourtant, le modèle économique de la société française ne pouvant s'adapter au marché brésilien, nous avons conçu une société de droit français à Versailles et de droit brésilien au Brésil. Le marché brésilien est avide de produits industriels, d'études, de services, d'innovation. Les bons produits dans les domaines des services et de l'efficacité opérationnelle se vendent bien. Néanmoins, il faut être performant sur la durée car les Brésiliens ont besoin d'être informés, formés, d'adhérer aux solutions et de se faire une opinion. Ils apprécient les entreprises qui s'installent avec l'objectif de former.

J'aimerais évoquer un autre point positif : le dynamisme du marché, où les réseaux officiels et les lobbies jouent un rôle majeur, contrairement à la France où prime le diplôme. Au Brésil, ce sont les réseaux de professionnels qui comptent le plus. Je signalerais un facteur de succès important, celui de faire travailler des Brésiliens. Bien que la différence culturelle ne soit pas immense, la gestion des hommes -surtout à distance- est différente au Brésil et en France. Le niveau de formation des Brésiliens est très bon, ce qui constitue un avantage.

Je souhaite attirer l'attention sur une difficulté importante, que constitue la lourdeur administrative. A titre d'exemple, au Brésil, il est impossible de payer une facture avec un simple chèque sous enveloppe. Cela est interdit par la loi, ce qui augmente les frais fixes. La fiscalité est également très complexe, le Brésil étant une fédération, avec des États et des municipalités. En outre, la TVA n'existe pas au Brésil. Une partie des impôts va à la Fédération, une autre aux 20 États et enfin aux municipalités. Ainsi, en fonction des lieux de destination et d'émission des produits, l'impôt sur un même service, pour un même client sera entièrement différent.

Enfin, je souhaite aborder l'exceptionnelle culture de la débrouillardise régnant au Brésil. Le phénomène peut choquer les Européens, plus enclins à la rigueur. Je peux dire sans caricaturer que les Brésiliens ont une faible pratique de l'anticipation, des scenarii alternatifs ou des plans B.

Ma conclusion portera sur quelques facteurs de succès, comme la capacité à savoir se positionner et innover. Le marché brésilien est très recherché et les Brésiliens, plus sélectifs et plus riches, sauront choisir. Pourtant, il ne faut pas laisser le marché banaliser ou anéantir les facteurs innovants : en effet, la clientèle et les chefs d'entreprise brésiliens sont très habiles à réduire la valeur d'un produit sur un marché de prix.

Avec l'aide de l'appareil français du commerce extérieur, nous souhaitions sortir de modèles qui tentaient de banaliser notre société au Brésil : nous l'avons donc filialisée. Depuis plus d'un an, le bureau au Brésil est une filiale du siège français. Nous avons ainsi refondé le modèle économique au Brésil, le calquant sur le modèle français, ce qui nous permet de bien mieux réussir aujourd'hui. Merci beaucoup.

M. Michel DURAND-MURA

Merci pour cet exposé très complet, avec des solutions originales, notamment juridiques . Vous avez été modeste en ne citant pas vos références parmi les plus grandes entreprises, PETROBRAS, TOTAL, RENAULT ...

M. Celso de AZEVEDO

En effet, parmi nos clients français, nous comptons les 15 principaux groupes du CAC 40. Au Brésil, nous avons une dizaine de très gros clients dont Petrobras.

M. Michel DURAND-MURA

Nous allons rester dans le domaine des logiciels, avec M. François BANCILHON, qui va également nous expliquer comment réussir au Brésil dans les industries de pointe.

M. François BANCILHON
Président directeur général de la Société Mandriva

Notre société vend des logiciels gratuits, ce qui constitue un concept assez subtil. Nous sommes implantés sur le marché du logiciel libre, qui se développe grâce à des communautés d'utilisateurs et de développeurs. Notre produit s'appelle LINUX. Seuls 5 fournisseurs dans le monde proposent Linux et nous sommes seuls au niveau européen. Nous sommes une PME de 80 personnes, avec des bureaux en France et au Brésil. En 2008, la société devrait atteindre l'équilibre. Notre produit est disponible en quatre-vingt langues, grâce à une communauté de deux cents traducteurs bénévoles. Nous comptons trois millions d'utilisateurs, grâce à des versions gratuites d'utilisation du produit, téléchargées dans 150 pays.

Nous avons connu des succès importants, comme en Angola : la technologie que nous y avons vendue est développée au Brésil. De plus, nous y envoyons des ingénieurs brésiliens. En Angola, nous avons développé un LINUX spécifique, adopté par le gouvernement en tant que LINUX de l'Angola. Au Nigeria, la société vend des PC pré installés intégrant notre logiciel et, au Brésil, elle travaille avec l'entreprise POSITIVO, leader des PC individuels avec 35 % du marché. En France, nous gérons 90 000 postes de travail.

A présent, je vais vous exposer les raisons de notre installation au Brésil. Parmi les pays du marché BRIC, comme la Chine ou la Russie, le Brésil offre des atouts extraordinaires qui en font l'un des marchés les plus accessibles. En 2005, nous avons eu l'opportunité de racheter CONECTINA, entreprise en difficulté qui avait la même activité que nous sur l'Amérique latine. Nous avons négocié avec eux le rachat, qui s'est déroulé à l'américaine, avec l'intervention d'une multitude de juristes et la rédaction d'un document final de trois cents pages. Ce mode opératoire atteste d'une infrastructure juridique et économique coûteuse, comparable à celle des pays européens ou des Etats-Unis.

La société est implantée à Sao Paulo et à Curichiba, petite ville au sud-ouest de Sao Paulo, où le coût de la vie n'est pas trop élevé. Nous y avons des ingénieurs, ainsi qu'une équipe de développeurs. La société vend à des grands comptes, comme Casa, qui propose du crédit intelligent. Par ailleurs, nous avons conservé notre activité commerciale avec Positivo.

Le Brésil nous permet d'être présents sur le marché brésilien et nous sert de plateforme pour attaquer le monde. La majorité de nos ingénieurs développement y sont installés. Parmi les atouts du Brésil, j'aimerais parler d'un pays accueillant, offrant un personnel discipliné et qualifié. Les universités brésiliennes forment de très bons ingénieurs. Les salaires sont compétitifs, mais ils tendent à l'être moins en raison du change et de la hausse des salaires. Le coût de la vie est faible, en regard de Moscou par exemple, qui est 10 fois plus cher.

Cependant, les infrastructures ne sont pas fabuleuses : au Brésil, le système informatique est peu performant et les transports sont très difficiles. Nous avons traversé de terribles épisodes fiscaux, suite au rachat d'une entreprise au passif important. Celle-ci avait en effet utilisé le produit FLEX CARD, développé par ACCOR : ce produit permettait à l'employé de régler des factures de la main à la main en allant retirer de l'argent au distributeur. Il pouvait ainsi payer sans laisser de traces. Accor a vendu cette carte à 2 300 entreprises au Brésil et, quand nous avons racheté CONECTIVA, le passif lié à l'utilisation de la carte s'élevait à 2,5 millions de reals. Il nous a été indiqué qu'ACCOR ne transmettrait jamais la liste des clients ou qu'une telle entreprise prendrait 3 ans. Or, 2 mois plus tard, ACCOR a fourni cette liste et l'office s'est emparé de l'affaire. Au Brésil, il n'existe pas d'équivalent de nos chapitres 7 et 11, pour se protéger, notamment via le dépôt de bilan. Dans ce cadre, nous pourrions dire que les situations peuvent très vite empirer et les Directeurs statutaires, responsables sur leurs biens propres, se retrouver en prison.

En termes de conflits sociaux, nous avons été assignés aux prud'hommes pour chaque licenciement. Par ailleurs, l'échelle des salaires est disparate, difficile à gérer et le coût de manipulation de matériel, d'un pays à un autre, est élevé. Nous aurions souhaité pouvoir importer du matériel de Chine au Brésil mais ce transfert semble compliqué.

M. Michel DURAND-MURA

Merci pour votre explication, qui traite bien des difficultés, notamment administratives et bureaucratiques, d'implantation au Brésil. Ce problème concerne l'ensemble des entreprises, qu'il s'agisse d'activités de services ou industrielles. Si l'on compare les services comptables, juridiques ou fiscaux d'une société mexicaine et brésilienne, il faut compter environ le double de personnes pour le même travail. Je voudrais poser une question concernant les risques d'impayés qui n'ont pas encore été abordés. Je pense qu'il y a des personnes de la Coface dans la salle.

De la salle

La Coface enregistre très peu d'impayés sur le Brésil, noté A4 en court terme -cotation interne Coface, ce qui est une très bonne notation. A plus long terme, nous enregistrons également une très bonne cote de paiement avec 3/7 au niveau de l'OCDE.

De la salle

Je suis M. PARISE, de la société PCM, qui fournit des solutions de pompage. J'aimerais saluer la qualité des présentations depuis ce matin. Peu d'expériences ont montré une implantation au Brésil motivée par une présence régionale, notamment au niveau du MERCOSUR. L'implantation à Rio et Sao Paulo a-t-elle aussi parfois vocation à couvrir des marchés comme le Mexique, le Chili ou le Venezuela ? Je n'ignore pas que la barrière géographique naturelle de l'Amazonie est une difficulté, un problème. De plus, il est vrai qu'une implantation au Brésil mobilise beaucoup de temps et peut freiner la prospection des marchés alentours.

M. Michel DURAND-MURA

C'est une très bonne question. Nous allons essayer de faire une médiane des réponses des entreprises de toutes tailles installées au Brésil. Je ne crois pas que la priorité actuelle d'un investisseur en Amérique du sud soit de jouer la carte MERCOSUR. Tout d'abord, je dirais que le marché brésilien, conséquent, justifie à lui seul des efforts prioritaires. Ensuite, notons que le MERCOSUR se cherche encore politiquement et présente des défaillances dans son système. Cependant, de nombreux chefs d'entreprise ont l'intention d'en profiter. Certains d'entre eux ont d'ailleurs leur siège social à Sao Paulo ou à Rio, qui couvre l'Amérique du Sud, ou au moins le cône sud. Des synergies existent déjà, dans différents domaines industriels, et des entreprises profitent de la plateforme brésilienne pour exporter. Néanmoins, elle se révèle moins intéressante que prévu, car le real est fort et les coûts brésiliens ont augmenté. Cependant, sans être la raison première de l'investissement au Brésil, il est vrai que ce détail est satisfaisant. Avez- vous une dernière question ?

M. Charles-Henry CHENUT
Secrétaire général de la commission Amérique Latine

Je souhaite apporter un témoignage de mes clients français qui s'installent au Brésil. J'aimerais également me montrer rassurant quant au cadre juridique. Ce cadre existe bel et bien et est parfaitement dessiné au Brésil. Des réformes concernant le code civil et commercial ont été opérées et les règles du jeu sont claires. Il est vrai que des lourdeurs administratives existent, ainsi qu'un problème culturel de compréhension et une fiscalité pesante. Cependant, nous ne sommes pas au cours d'un no man's land juridique. Il convient seulement de prendre toutes les précautions juridiques nécessaires et de contacter les opérateurs des missions économiques sur place, pour être conseillé. La question juridique n'a pas du tout été évoquée ce matin, mais il faut dire que le Brésil n'est pas un pays en friche juridique. Le droit est un élément important lorsqu'on décide d'investir dans un pays comme le Brésil.

M. Michel DURAND-MURA

Merci beaucoup pour ce commentaire. J'appuie vos propos : l'environnement juridique au Brésil est un facteur différenciant, notamment par rapport à la Chine ou à l'Inde. Nous avons également de très bons cabinets d'avocat qui, comme le vôtre, s'installent au Brésil. Pour conclure, j'ajouterais simplement un mot : avant de vous implanter au Brésil ou d'y chercher des distributeurs, venez nous voir à la Chambre de Commerce franco-brésilienne. Je passe la parole à Monsieur Stéphane WITOWSKI, pour l'exposé de clôture de cette table ronde.

M. Stéphane WITOWSKI

Merci, monsieur le Président. Il m'a été demandé de dire quelques mots en réaction aux propos précédents. La qualité de ce séminaire m'a particulièrement interpellé et je voudrais remercier Ubifrance, le Sénat et les missions économiques pour cette belle rencontre.

Des témoignages entendus depuis ce matin, je retiendrai trois éléments. D'une part, ce pays-continent à la place grandissante, possède une économie complexe. Cette situation est due à différents éléments : la dimension du marché, l'architecture fédérale du système brésilien, la relative autonomie de la communauté des affaires par rapport au pouvoir politique de Brasilia et enfin la spécificité du marché de la consommation brésilien. Pourtant, nos entreprises ont su tirer le meilleur parti de ce marché, saisir les opportunités d'affaires et les créneaux porteurs pour coïncider avec les exigences du pays. Telle situation se rencontre aussi pour les PME comme il a été indiqué précédemment. Chacun a su s'imposer dans des secteurs variés.

Le deuxième point important à retenir demeure l'expérience de ces groupes qui ont parié sur le Brésil en adoptant des stratégies à long terme. Ils misent désormais sur la stabilité macroéconomique qui semble pérenne et sur la réelle stabilité juridique. De réels progrès sont avérés en ce domaine. Les autorités ont en effet compris que la confiance des opérateurs passait par la clarté des règles du jeu et le respect des contrats, même si demeurent des problèmes en matière de fiscalité.

Enfin, ces entreprises ont su accompagner l'émergence d'un nouveau modèle économique. Celui-ci s'est manifesté par la mutation du pays en très grande puissance économique exportatrice mondiale durant ces 15 dernières années. Les entreprises françaises ont tout intérêt à nouer des alliances avec de grands groupes brésiliens sur la scène mondiale : 13 des 100 futurs champions mondiaux sont brésiliens

Le marché brésilien est un marché atypique, avide d'innovation. La devise positiviste d'Auguste COMTE « Ordre et progrès », ornant le drapeau brésilien, a été mise en pratique par les chefs d'entreprises. En effet, ils ont su associer pragmatisme et créativité à une bonne gestion du temps dans les affaires. Cette dernière a pu parfois être assimilée à une forme de décontraction dans les préliminaires de la négociation commerciale : elle cache en fait un professionnalisme et une habilité redoutables. Elle peut néanmoins déconcerter de prime abord des chefs d'entreprise cartésiens.

Une autre caractéristique de la société brésilienne nous a semblé intéressante. Il s'agit du goût du consensus et de la recherche permanente du compromis. Le Brésil n'a pas souffert de conflits civils graves et la population n'aime pas le conflit, ni ne sait le gérer. A ce titre, le comportement de la classe politique, en quête perpétuelle d'arrangements, est révélateur. J'évoquerais aussi le sens du lobbying, l'utilisation des réseaux, la capacité de rebond, la réactivité du pays et sa capacité d'adaptation.

J'ignore si le Brésil déçoit souvent mais, en revanche, il est doté d'une nature optimiste immuable, à l'instar du nouveau consommateur brésilien. Le Brésil ne s'est jamais laissé décourager, comme le révèle l'histoire de ses cycles économiques. Il a traversé des phases de remises en causes permanentes. Quelle que soit sa date d'implantation au Brésil, aucune entreprise n'a eu à regretter son choix. Certaines sociétés qui avaient quitté le pays au début des années 80 ont fini par revenir, considérant qu'elles ne pouvaient se passer de ce marché. Désormais, ce pays joue pleinement dans la cour des grands. Je vous remercie.

M. Michel DURAND-MURA

Je souhaite remercier M. WITOWSKI, Conseiller du commerce extérieur, mais aussi Président du conseil de gestion de l'Institut des Hautes Etudes d'Amérique latine. C'est une excellente conclusion pour cette manifestation. Je remercie à nouveau tous les intervenants de cette table ronde pour leur importante contribution. J'espère qu'ils vous auront intéressé et donné envie d'aller étudier les opportunités du Brésil, clairement définies au cours de cette journée.

Nous allons clôturer la matinée avec 3 interventions. Eric FAGEOLLE, Chef de la mission économique de Rio, va vous présenter les manifestations qui marqueront l'année de la France au Brésil. J'appellerai ensuite Marc Antoine LOPEZ, Président du projet Ubifrance, qui évoquera, avec Charles-Henry CHENUT, le coup d'envoi donné à l'automne des rencontres d'affaires France-Brésil