Actes colloque Moyen-Orient



Table des matières


Colloque Moyen-Orient

Ouverture

Philippe MARINI
Sénateur de l'Oise,

Président du Groupe d'amitié France - Arabie Saoudite - Pays du Golfe

M. Gérard Larcher, Président du Sénat, m'a chargé de dire quelques mots en son nom.

Les neuf pays qui composent le Moyen-Orient ont chacun leurs spécificités propres et parfois leurs antagonismes. Ils constituent aussi un des marchés les plus dynamiques de la planète, convoité par nombre d'entreprises françaises. Faciliter le développement à l'exportation de ces dernières est la mission d'Ubifrance et le Sénat est à vos côtés dans cette démarche.

La présence française est déjà importante dans cette région essentielle sur le plan géostratégique. Ses exportations de pétrole lui permettent de financer un plan de développement ambitieux. Elle est également incontournable pour ce qui concerne la sécurité énergétique. Au plan politique, la stabilité des pays du Moyen-Orient conditionne en grande partie les équilibres du monde et de nos sociétés.

C'est pourquoi il est primordial de maintenir et d'approfondir avec chacun des pays de cette région un dialogue politique, diplomatique et économique au plus haut niveau, comme le Président Nicolas Sarkozy l'a fait savoir lors de sa dernière visite en Arabie Saoudite et comme nous l'avons indiqué au président irakien lors de sa récente visite en France.

En mon nom propre, je tiens à dire que lorsque j'ai pris mes fonctions en tant que Président du Groupe d'amitié France - Arabie Saoudite - Pays du Golfe en 2007, cette région complexe, contrastée et conflictuelle était très mal connue de nos concitoyens qui en avaient une vision caricaturale.

La zone du Moyen-Orient regroupe l'Arabie Saoudite, Bahreïn, les Emirats Arabes Unis, l'Irak, l'Iran, le Koweït, Oman, Qatar et le Yémen.

Mon analyse s'est construite au fil de nombreux déplacements et d'entretiens avec les plus hauts dirigeants de la zone et de nombreux représentants des milieux économiques. Le Président de la République m'a confié une mission d'appui à la mission diplomatique française au Moyen-Orient. Je lui ai remis mes conclusions fin octobre.

Dès son élection, le Président de la République a rencontré de nombreux chefs d'Etat de la zone. Ce faisant, il a confirmé les liens de la France avec la région et donné un nouveau tour à la politique étrangère française, particulièrement à l'égard du Levant dont l'influence est importante dans la région. Depuis 2007, les échanges au niveau politique n'ont jamais été aussi fructueux. L'inauguration de la base militaire française à Abu-Dhabi illustre la volonté de la France d'être garante de la sécurité et de la stabilité dans la région, conditions sine qua non du développement économique, du progrès social et de la cohésion de chacun des Etats du Golfe.

Sur le plan économique, nous avons pour la première fois assisté à la concomitance, d'une part, de l'existence de ressources financières largement excédentaires et de fonds souverains qui ont résisté à la crise financière et, d'autre part, à la définition et à l'essor de projets de développement à long terme. Même si ces pays ne disposent pas des mêmes richesses énergétiques, le prix du baril de pétrole leur a permis de dégager des excédents courants qui ont compensé les pertes induites par la crise. La valeur de ces pertes est en tout état de cause faible eu égard à leur capacité de reconstruction de leurs liquidités.

Les dirigeants du Golfe semblent avoir intégré la nécessité de viser à long terme, au-delà de la prospérité financière. Leur stratégie de développement, fondée sur la diversification économique, a pour objectif de réduire à terme leur degré de dépendance aux filières énergétiques, ce qui explique le développement de projets nucléaires. Cela passe par la promotion de divers secteurs d'activités et par des réformes qui rendraient le contexte financier et juridique plus compétitif. Les pays du Golfe figurent aujourd'hui comme les plus avancés au monde en matière de régulation financière. Le rythme des réformes des législations varie d'un pays à l'autre et l'ordre des priorités peut être différent, mais beaucoup d'avancées ont d'ores et déjà été réalisées.

Les entreprises françaises implantées dans la région doivent faire face à une concurrence agressive, notamment de la part des deux grandes puissances asiatiques. Le rôle des missions économiques qui sont très opérationnelles sur le terrain, en contact direct avec les intervenants, est très important. Ces équipes pluridisciplinaires sont des facilitateurs.

De son côté, la finance islamique doit pouvoir se développer en France, dans le respect de la laïcité. Les partenariats s'intensifient actuellement. Il faut développer des coopérations avec les fonds souverains du Golfe et des accords de stratégie industrielle. Ce sont des aspects structurant entre la France et chacun des Etats du Golfe qui visent à susciter un flux qu'il appartient aux entreprises de faire vivre. Nul ne saurait se substituer à elles.

Gisèle HIVERT-MESSECA,
Chef du service Événements spéciaux, Ubifrance

Les marchés du Moyen-Orient représentent une zone hétérogène qui compte parmi les plus dynamiques et les plus solvables du monde. C'est un marché de 170 millions d'habitants, disposant de plus de 60 % des réserves mondiales de pétrole, un PIB de 1 600 milliards de dollars en 2008, une croissance globale qui devrait se situer autour de 3 % cette année et un volume d'importation représentant 300 milliards de dollars. Les principaux enjeux pour les pays du Moyen-Orient demeurent essentiellement la diversification de leur économie et la réduction du lien entre la croissance et l'évolution des cours des hydrocarbures. La réduction de cette dépendance est engagée pour certains d'entre eux, grâce notamment à l'appui de capitaux étrangers qui s'ouvrent sur de nouveaux secteurs, comme les technologies et les services. Un autre enjeu réside dans la capacité de ces pays à se réformer rapidement en termes de gouvernance, de législation sur les investissements directs et la supervision financière. Ces pays ont montré depuis un an une capacité certaine à éviter la récession, alors même que les prix du pétrole étaient au plus bas. Grâce au redressement du prix du baril et à des politiques budgétaires expansionnistes, le Golfe devrait être une des premières régions du monde à sortir de la crise. Le FMI estime que la croissance des monarchies pétrolières devrait s'établir en moyenne à 5,2 % en 2010.

Ubifrance prévoit un important programme d'action dans ces pays dans les mois à venir.

Approche géopolitique

Gilles KEPEL
Professeur des Universités, Directeur de la Chaire Moyen-Orient Méditerranée,
Institut d'Etudes Politiques de Paris

La vision de nos concitoyens sur le Moyen-Orient relève le plus souvent de la caricature et de l'ignorance. Les universitaires français, longtemps mauvais sur cette région, ont maintenant largement rattrapé leur retard.

Il ne s'agit pas de considérer le Moyen-Orient simplement comme un marché. C'est une région qui nourrit un projet complexe et dont les dirigeants ont le sentiment que leurs interlocuteurs ne les comprennent pas. Il faut arriver à accompagner ce projet, en gardant présent à l'esprit que la concurrence asiatique est féroce.

Le Moyen-Orient dispose de très grands atouts. Les pays du Golfe sont en pleine capacité de production pétrolière. L'Irak sera demain un grand producteur de pétrole et un grand marché. Il en est de même pour l'Iran. Or même chez les pays qui n'ont pas de problèmes politiques et qui se sont remis des pertes massives engendrées par la spéculation, l'anxiété est extrême vis-à-vis de l'avenir. Les systèmes économiques sont très fragiles car basés sur des Etats où la population nationale est très faible. A l'inverse, leur voisin égyptien compte 80 millions d'habitants dont la moitié vit dans un état de pauvreté extrême. Le voisin iranien, avec ses 80 millions d'habitants également et sa capacité de devenir un acteur nucléaire, pourrait faire des Etats arabes du Golfe ses vassaux.

La question est de savoir quel rôle cette région va jouer dans un monde multipolaire qui suppose que les Etats ne peuvent se passer des autres pour agir. La France peut aider les pays du Golfe à se développer, à jouer un rôle majeur et à relever des défis, dont elle partage un certain nombre.

L'approche purement tournée sur le profit est vouée à l'échec. Les Etats du Golfe ne veulent plus être des distributeurs de liquidités ni la station-service de l'Occident. Ils veulent maximiser leurs profits mais aussi jouer le rôle qu'ils estiment leur revenir dans le monde de demain et se prémunir contre les calamités prévisibles qui tiennent à la perspective de l'épuisement des réserves pétrolières et à la transformation des modèles énergétiques. L'anticipation de cette transformation passe par des projets d'investissements dans le nucléaire.

Il faut sortir des relations strictement bilatérales. Nous devons penser notre relation avec le Golfe dans le cadre d'une triangulation dont le premier pôle serait l'Union européenne avec son espace de droit et de paix et qui est aussi un grand marché, avec une monnaie unique et un tissu industriel et universitaire qui font de l'Europe un acteur non négligeable à l'échelle du monde. Pour accroître sa lisibilité, l'Europe s'est récemment dotée d'un président et d'un haut représentant pour la politique étrangère. Le deuxième pôle serait le Moyen-Orient, essentiellement le CCG aujourd'hui, l'Irak demain et éventuellement l'Iran après-demain. La région dispose d'atouts importants avec ses ressources pétrolières et gazières, un changement de modèle énergétique à terme, beaucoup de liquidités et une volonté très forte de jouer un rôle politique. Mais elle est aussi confrontée à un problème considérable de démographie. Elle éprouve également un sentiment de faiblesse et poursuit une quête incessante de la sécurité. L'Europe et le Moyen-Orient présentent des complémentarités. Elles doivent pouvoir ensemble aider au développement du troisième pôle que constituent l'Afrique du Nord et le Proche-Orient. Ces deux régions ne disposent pas de tissu industriel significatif, ni de ressources en hydrocarbures, hormis la Libye et l'Algérie, mais leur ressource humaine est abondante et très mal employée. Elle sert en outre de sas aux populations subsahariennes en attente d'immigration clandestine en Europe. Cette ressource humaine représente aujourd'hui un risque économique et politique majeur de déstabilisation des Etats de la région. S'il n'est pas géré dans une logique régionale globale, il deviendra un problème économique, politique et social majeur à la fois pour nos sociétés et pour celles du Golfe. Par ailleurs, on peut considérer qu'il existe en Afrique du Nord et au Proche-Orient de très gros potentiels de développement à condition que les investissements soient assurés et que le know-how industriel et technologique soit également en place. Mais aujourd'hui il y a une véritable inquiétude et la perspective du déferlement de populations arabes pauvres est un cauchemar quotidien pour les dirigeants du Golfe. Ils affichent même une volonté de substitution des ressortissants de pays arabes pauvres par des ressortissants d'Asie.

Les entreprises peuvent et doivent se situer dans une logique globale. C'est une vision de bonne gestion à moyen terme qui peut apporter aux entreprises françaises un avantage comparatif considérable. L'université est à vos côtés dans cette perspective.

Le colloque est animé par Michel PICOT, journaliste, BFM.

Les grandes tendances économiques et commerciales

Pierre MOURLEVAT,
Ministre conseiller, Chef du Service Economique pour le Moyen-Orient,
Directeur du bureau régional de l'AFII (Agence Française pour les
Investissements Internationaux)

Je vais évoquer les perspectives de retour à la croissance au Moyen-Orient en prenant l'exemple des Émirats Arabes Unis et établir d'éventuelles leçons à tirer pour le Golfe.

Aux Émirats, il existe deux grands pôles de développement économique. En premier lieu, il s'agit d'Abu-Dhabi avec ses hydrocarbures et ses projets de développement dans l'industrie lourde et dans les pôles de technologie. L'autre pôle est Dubaï dont le modèle économique tire son succès du transport de marchandises et de personnes entre l'Orient et l'Occident via un hub maritime et aérien dont l'activité contribue à la croissance de l'Émirat. Les deux émirats sont complémentaires.

Leur stratégie de sortie de crise repose avant tout sur l'intervention de l'État au travers d'une politique budgétaire contra cyclique consistant à injecter dans l'économie des montants financiers très importants. Cette politique budgétaire vise à tirer la croissance par la demande publique en orientant ses projets vers l'investissement. Certes, la crise a induit une révision des budgets et certains projets ont été allongés, voire différés. Mais les projets liés à la stratégie de diversification de l'économie sont restés inchangés dans leur ensemble. La stratégie de diversification de l'économie est au coeur du projet politique des Émirats Arabes Unis. Il existe une anxiété sur l'avenir. Les pics de production pétrolière vont être atteints sur un certain nombre de grands champs pétroliers vers 2010/2020. L'objectif à terme est de déconnecter la croissance du PIB des hydrocarbures. Ces derniers ne devraient plus représenter que 20 % du PIB au lieu des 32 % actuels. La croissance ne devra plus dépendre de l'aléa du cours du baril.

Pour ce faire, Abu-Dhabi a formé le projet de devenir une nation industrielle, avec des industries lourdes, mais surtout des industries de hautes technologies, l'aéronautique, les composants informatiques, etc. L'État impulse le financement du lancement de ces industries. Pour ce faire, il faut développer les infrastructures permettant d'acheminer les productions nouvelles et de les exporter. Pour ce faire, il faut augmenter considérablement la production d'électricité et disposer de moyens de transports permettant d'acheminer les produits des lieux de production vers les ports et aéroports pour l'exportation. Ainsi il existe un projet de réseau ferroviaire de fret et un projet de nucléaire civil.

Dans cette politique de relance par la demande publique, les financements sont assurés. Les modalités de gestion des projets vont être extrêmement diverses. L'État fait quasi systématiquement le choix de faire appel à des fonds propres de l'État et à des financements bancaires et sur les marchés. Ce faisant, l'État d'Abu-Dhabi adopte une gestion prudente de ses ressources budgétaires. En avril 2009, cet État a lancé une émission obligataire en devises de 3 milliards de dollars. Cela a permis de créer un marché financier.

La croissance du PIB devrait être positive dès cette année. Le rebond de la croissance est déjà réalisé. Les bonnes nouvelles affluent : les capitaux reviennent, les réserves de change sont reconstituées, l'excédent de la balance des paiements courants et l'excédent commercial sont très confortables, l'inflation est désormais sous contrôle. Les banques ont été stabilisées grâce à l'injection de capitaux et la garantie des dépôts.

Néanmoins, si les flux de capitaux entrent dans le pays, il est difficile de savoir dans quelle mesure il s'agit de capitaux durables. Par ailleurs, les banques sont nombreuses et leurs bases en capital ne sont pas toujours très importantes. Les banques nationales ne peuvent donc à elles seules assurer les financements de l'économie et le recours aux banques étrangères est indispensable.

Par ailleurs, le modèle de développement de Dubaï est de bonne qualité. L'Émirat dispose même de quelques fleurons. Mais il présente certaines fragilités. En premier lieu, le poids de l'immobilier et de la construction est important dans la création de richesse (entre 30 à 40 % du PIB). En second lieu, le développement de l'Émirat s'est fait sur des projets de long terme avec des financements de très court terme, ce qui pose problème en période de crise. Le stock de dettes est important et les échéances de remboursement des entités publiques jusqu'à 2014 s'élèvent à 10 à 20 milliards de dollars par an à rembourser ou renouveler. Il faut trouver des partenaires qui acceptent de renouveler ces dettes à des conditions financières acceptables.

Entre octobre et novembre, des flux financiers très importants sont arrivés sur l'Émirats de Dubaï pour lui permettre de faire face aux échéances de la dette des entités publiques. Cet optimisme est dû au sentiment des marchés qu'il existe une garantie implicite de l'Émirat d'Abu-Dhabi et de l'échelon fédéral sur la dette de Dubaï. Ces marchés ont aussi confiance en la capacité de rebond de l'économie de Dubaï. Enfin, il est encore possible d'y placer de l'argent rémunéré entre 6 et 7 %. Hier, nous avons appris que Dubaï World, une des principales entités semi-publique de Dubaï, avait demandé un moratoire sur sa dette pour six mois. Ce type d'événements doit être décrypté.

Quelques leçons ont été tirées de la crise financière. La politique de développement a changé. Les projets exubérants ont disparu. On assiste également au retour de l'assurance-crédit. La crise a, en effet, renforcé la conscience que la régulation financière par la banque centrale est fondamentale. Beaucoup de réformes se mettent donc en place aujourd'hui. Les normes de régulation ont atteint le niveau des standards internationaux et se situent même au-dessus. Les banques font l'objet d'un contrôle accru et mènent des politiques de prêt beaucoup plus rigoureuses.

L'enjeu est dorénavant d'attirer des capitaux stables et durables contribuant au projet économique du pays et à son projet d'industrialisation. L'Émirat a grand besoin de groupes étrangers qui viendraient co-investir avec les entreprises locales. Cette région attire beaucoup moins d'investissements directs étrangers que les grands pays émergents. Pour accroître leur attractivité auprès des investisseurs étrangers, il faut permettre à ces derniers de détenir plus de 49 % du capital dans une joint-venture , c'est-à-dire réduire le système de sponsoring. Les mesures de ce type seront mises en oeuvre progressivement et pas dans tous les secteurs. La réforme de la fiscalité n'est pas facile. Il faut créer un système fiscal plus diversifié et non axé sur les hydrocarbures. Il est probable que sera d'abord mise en place une TVA mais plutôt au niveau régional pour éviter de créer des distorsions de concurrence.

L'intégration régionale reste une grande priorité. Elle vise la mise en place d'un marché commun et d'infrastructures communes, telles que l'interconnexion des réseaux et des projets ferroviaires. Une nation qui souhaite devenir un pays producteur, mais qui ne dispose pas d'un marché national suffisamment profond, a besoin d'un marché régional.

Les Émirats Arabes Unis ont bien résisté à la crise. Ils en sont sortis plus rapidement que prévu, à l'exception de Dubaï.

Au niveau régional, les mécanismes sont très proches. La plupart des pays de la région devraient connaître dans leur ensemble une croissance positive de 2,5 % en moyenne en 2009. Le rebond devrait être très marqué en 2010. Tous les pays du Golfe ont adopté la même politique contra cyclique d'investissements que les Émirats Arabes Unis. Dans ce pays, la demande publique peut à elle seule porter la sortie de crise compte tenu des moyens gigantesques de l'État et de ses besoins considérables en termes d'infrastructures. Les budgets publics d'investissements s'élèvent à 100 milliards de dollars au Qatar ou encore à 500 milliards de dollars à moyen terme en Arabie Saoudite.

Les fonds souverains ont reconstitué leurs avoirs et repris leur stratégie d'investissements financiers et stratégiques à l'étranger. Ils prennent des participations en capital dans des grands groupes ayant des technologies importantes afin de les attirer dans leur pays pour bâtir avec eux leur projet de diversification industrielle.

Les pays du Golfe sont également très attachés à l'intégration régionale. La question des accords de libre-échange avec les pays tiers reste en suspens : ils semblent difficiles à mettre en place avec l'Union européenne mais aussi avec les grands pays émergents. Ces pays considèrent peut-être qu'il n'est pas judicieux d'ouvrir leurs frontières à un moment où ils se lancent dans le développement d'industries nationales qui peuvent avoir besoin de protection.

En conclusion, les pays du Golfe se trouvent dans une période de post-crise grâce à l'action de l'État. Aujourd'hui le principal défi n'est plus la gestion de la crise, même si une certaine fragilité affecte encore Dubaï. Toutefois, il est, à moyen terme, possible de construire une économie diversifiée, industrielle et exportatrice. Dans ce contexte, les opportunités sont très importantes pour les entreprises françaises, grâce aux marchés publics. Mais la concurrence de l'Asie est extrêmement forte, notamment celle de la Chine. La Chine développe des partenariats qui permettent de s'assurer sa sécurité d'approvisionnement énergétique et se positionne avec des prix très compétitifs sur les grands appels d'offres.

Cyril FORGET
Chef du bureau Moyen-Orient, Ministère de l'Économie, de l'Industrie
et de l'Emploi, DGTPE

La France porte une grande attention à la région du Golfe, et cette attention a eu tendance à se renforcer depuis deux ans. La région constitue une des priorités de la France.

Cette politique de développement des relations avec le Moyen-Orient a des manifestations dans le domaine de la sécurité, de la culture, de l'éducation et de l'économie. Le dialogue économique se construit autour de quelques sujets structurants d'intérêt économique commun, tels que la réduction des déséquilibres économiques mondiaux et la gouvernance économique mondiale ; la stabilisation des prix du pétrole ; les fonds souverains et l'attractivité du territoire français ; le développement de la finance islamique en France ; la propriété intellectuelle. Ce dialogue a des effets positifs pour les entreprises françaises.

Le deuxième axe de structuration de la relation économique française avec le Moyen-Orient porte sur l'appui aux projets des entreprises françaises dans la région et leur contribution au projet économique qu'elle développe. Le Moyen-Orient était depuis 2002 la première région émergente de grands contrats pour les entreprises françaises. Un recul très important a été enregistré en 2009. Mais ses programmes de développement continueront à en faire une des principales zones d'opportunité de grands contrats. Nous continuerons à appuyer l'offre des entreprises françaises notamment grâce à une politique volontariste de garantie publique à l'export.

Trois autres perspectives doivent être travaillées pour renforcer notre relation économique avec le Moyen-Orient : l'accompagnement des économies moyen-orientales dans leur politique de diversification économique ; l'économie du futur, le développement durable et les nouvelles générations de technologies ; le développement de la présence des PME françaises. Il existe une attente forte des autorités locales à notre égard dans ces différents domaines.

Echanges avec la salle

De la salle

Il est difficile pour les entreprises basées aux Emirats Arabes Unis de s'implanter sur le marché saoudien.

Gilles KEPEL

Dans la culture du Golfe, on distingue le chef de la plus grande tribu et les chefs des tribus plus petites. Chaque tribu a droit à sa part du marché mais l'Arabie Saoudite reste l'ensemble dominant. Le problème se pose avec des nuances diverses selon les pays. L'Arabie Saoudite s'attend à une sorte de déférence par rapport à ses voisins.

Pierre MOURLEVAT

L'Arabie Saoudite constitue un pôle de débouchés importants pour les biens importés du port de Djebel Ali à Dubaï et expédiés ensuite en camion jusqu'à Arabie Saoudite. Les groupes émiriens sont partie prenante des grands consortiums sur les appels d'offres en Arabie saoudite. Il n'existe donc pas de problème majeur pour les entreprises émiriennes à être présentes sur le marché saoudien. Les relations peuvent être complexes notamment en raison de la question de l'équilibre de puissance entre les deux pays.

Anthony O'SULLIVAN, Directeur du programme Mena de l'OCDE

Est-il possible d'inclure l'Afrique du Nord dans la sortie de crise éventuelle des pays du Golfe ?

Gilles KEPEL

C'est un impératif. Pour la France, l'Afrique du Nord et le Moyen-Orient constituent un enjeu de politique de voisinage et de politique intérieure.

Pierre MOURLEVAT

Il existe de très nombreux projets d'investissement au Proche-Orient et en Afrique du Nord, soit par le financement de projets par des fonds d'investissements, soit par de grands programmes de développement immobilier. La crise qui affecte les grands groupes immobiliers de Dubaï semble entraîner un certain retrait de ces groupes sur les grands projets immobiliers prévus au Maghreb.

Par ailleurs, il y a un enjeu à arrimer les pays du Moyen-Orient et leurs fonds souverains et d'investissement sur le projet d'Union pour la Méditerranée. Il est possible de trouver des projets concrets et emblématiques qui permettront un apport en capital de fonds d'investissements du Golfe.

Cyril FORGET

Lors de son récent déplacement dans la région, Madame Lagarde a rencontré de nombreux homologues qui ont tous évoqué l'appui au développement de relations commerciales avec l'Afrique.

Financements : rôle de l'assurance crédit et des fonds souverains

Xavier LAURENT,
Directeur adjoint, Direction des garanties publiques, Coface

Nous assistons actuellement au retour de l'assurance-crédit au Moyen-Orient. Il s'agit là d'un phénomène de fond qui va s'inscrire dans la durée. Cette conviction repose sur trois points. En premier lieu, il existe une volonté clairement affichée de l'Etat français depuis quelques années de réformer toutes les procédures d'assurance-crédit et de soutien aux exportations. Nous avons créé un nouveau produit destiné aux banques pour leur permettre de se couvrir face au risque de défaillance de l'exportateur au titre des cautions et préfinancements. Ce produit a connu un succès considérable en deux ans avec plus d'un milliard d'euros de stocks de garantie. En second lieu, le phénomène du retour de l'assurance-crédit est antérieur à la crise. Enfin, aujourd'hui, les banques ont besoin des assurances-crédits publiques, et par conséquent de la Coface, pour mettre en place des financements. Elles ont également besoin d'une stabilité que seule l'assurance-crédit peut leur garantir.

S'agissant du risque pays et des politiques de crédit, la situation des pays du Moyen-Orient est contrastée avec l'existence de deux blocs. Le premier bloc est constitué des pays bien classés par l'OCDE avec une politique de crédit ouverte, tels que Dubaï malgré ses difficultés. Le second bloc comprend les pays difficiles avec une politique de crédit restrictive. Il s'agit de l'Irak, même si sa politique de crédit permet de prendre des opérations au comptant, de l'Iran, avec des opérations au cas par cas, et du Yémen avec des opérations au cas par cas de préférence sur des publics non souverains et avec des schémas offshore.

Cette zone regroupe aujourd'hui des acheteurs souverains, avec lesquels nous n'avons jamais eu de difficultés, des acheteurs publics, avec lesquels il nous est arrivé d'avoir des difficultés mais avec qui les relations se déroulent bien dans l'ensemble et, enfin, des acheteurs privés. Les opérations ont souvent lieu au comptant. Depuis quelques années, nous procédons à des financements avec des acheteurs publics ou quasi souverains et à des financements de projets, qui deviennent une part très importante de notre activité.

Notre expérience au Moyen-Orient est globalement bonne. Il existe très peu d'arriérés, sauf dans le cas très particulier du Yémen. Quelques sinistres politiques anciens ou des sinistres privés, souvent liés au politique, sont à signaler. Les décisions de justice peuvent être difficiles à obtenir et à faire exécuter, qu'il s'agisse de jugements internationaux comme locaux.

Notre encours est stable dans la région. 20 milliards d'euros de contrats conclus ont été garantis cette année, contre 7,5 milliards ces cinq dernières années. La zone représente 12 % de notre encours général. Oman et l'Arabie Saoudite figurent parmi les vingt premiers encours garantis. Le Qatar se situe à la 21 ème place. Le secteur aéronautique est en pleine expansion avec la multiplication des compagnies aériennes locales. Les demandes dans le domaine de l'énergie et des infrastructures sont également très importantes. Depuis deux ans, nous sommes approchés pour des financements et même des refinancements. La Coface accepte de faire du refinancement à la condition qu'il soit assorti de commandes nouvelles à un exportateur français. Dans les années à venir, des projets importants, voire considérables, sont prévus dans les domaines aéronautique, militaire, du nucléaire et des infrastructures.

Jean-Marc PUEL,
Associé fondateur, BTR Capital Partners (Fonds d'investissement)

Il existe plusieurs types de fonds souverains en fonction des pays qui les constituent et des personnes qui les dirigent. Ce sont des investisseurs constitués par les États avec un objectif d'investissement à long terme. Ils sont proches d'États dont certains ont des revendications géopolitiques affichées et d'autres qui commencent à en avoir. Depuis la crise, il existe des besoins de financement en Occident et des liquidités au Moyen-Orient, ce qui a entraîné une ruée de tous les financiers européens vers ces fonds souverains qui y voient une source de financement que les banques ou investisseurs occidentaux ne sont plus en mesure de fournir.

Ces fonds ne sont pourtant pas des investisseurs pour tout le monde. Pour eux, la mobilisation unitaire de leur investissement se pense en centaines de millions ou en milliards d'euros. Par nature, ils s'intéressent donc à des grands dossiers. Historiquement, ces pays ont d'abord placé leurs réserves dans des Bons du trésor américain, puis dans les meilleures entreprises occidentales. Avec la crise, certains fonds ont perdu 30 % de leurs actifs. Ils ont donc opéré un mouvement de retour sur leur marché domestique. Aujourd'hui, ils s'intéressent à trois grands types d'actifs : l'immobilier au Moyen-Orient et dans les pays occidentaux, dans un souci de lutter contre les risques inflationnistes ; les matières premières, afin d'assurer la sécurisation des approvisionnements ; les marchés émergents.

Les entreprises françaises peuvent intéresser ces fonds qui peuvent vouloir rapatrier des technologies ou qui adoptent une approche plus financière en fonction de la qualité de l'entreprise.

Les fonds souverains ont des modes de fonctionnement plus ou moins légers et mobiles. Les équipes qui les gèrent sont assez réduites et submergées de projets.

Quelles priorités pour un développement durable ?

Jean-Pierre FAVENNEC
Économiste, Institut Français du Pétrole (IFP)

La consommation d'énergie repose à 80 % sur l'énergie fossile (charbon, pétrole et gaz). Le pétrole représente 30 à 35 % de la demande d'énergie et le gaz 20 à 25 %.

Les pays du Moyen-Orient, qui constituent un centre majeur d'exportation pétrolière, s'inquiètent de savoir si la demande de pétrole va se maintenir. Le Moyen-Orient abrite 60 % des réserves de pétrole mondiales et fournit 30 % de la production. Les principaux pays producteurs sont l'Arabie Saoudite, l'Iran, les Émirats Arabes Unis, le Koweït et l'Irak. S'agissant du gaz, il existe d'importantes réserves en Iran et au Qatar. Le Qatar constitue l'une des principales sources de GNL dans le monde. L'Arabie Saoudite, le Koweït et les Émirats Arabes Unis produisent du gaz mais à destination de leur consommation nationale.

Toutes les prévisions s'accordent pour dire que la consommation d'énergie fossile va rester importante, voire va même augmenter. D'après les experts, il faudrait réduire de 50 % les émissions de CO 2 . Or les énergies fossiles constituent la principale source de CO 2 mesurable.

Pour le Moyen-Orient, le problème du changement climatique sera plus important que celui des réserves. Lorsque le Président des Etats-Unis déclare qu'il faut réduire la consommation de pétrole, les dirigeants du Golfe hésitent à construire massivement de nouvelles capacités de production.

La diversification des économies des pays de la région est en cours. Nombre d'entre eux envisagent de recourir à l'énergie nucléaire, qui constitue une source d'énergie relativement sûre. Les énergies renouvelables au Moyen-Orient concernent l'éolien et le solaire. Le projet Masdar de cité sans carbone est pour le moment encore assez confidentiel.

Il existe des opportunités pour les entreprises françaises dans le domaine des services, du pétrole et du gaz, même si l'Arabie Saoudite et le Koweït restent encore très fermés.

Éric GHEBALI,
Directeur du Développement International, Suez Environnement

La situation de l'eau au Moyen-Orient est critique. La population, nombreuse et très urbanisée, vit dans une situation de pénurie d'eau. Les ressources en eau douce sont nettement insuffisantes et ces pays doivent recourir au dessalement d'eau de mer. Ces cinq dernières années, 61 % des projets de dessalement ont pris place dans cette région du monde. Par ailleurs, la gestion des réseaux est mauvaise. Les réseaux ne sont pas entretenus et occasionnent 50 % de pertes physiques ou commerciales.

La demande ne cesse d'augmenter. L'eau dessalée a augmenté de 6 %, contre 3 % en moyenne dans le monde. De nombreux projets vont donc voir le jour. La région semble avoir pris conscience qu'il ne servait à rien de produire toujours davantage d'eau si celle-ci était gaspillée. L'eau est quasiment gratuite dans la région, sauf à Oman. Facturer l'eau à la population relève d'un processus lent.

Dans ce domaine, la France dispose d'une expérience unique très demandée. Les deux plus grandes entreprises de l'eau sont françaises et elles ont peu de concurrents sérieux. Beaucoup de fonds souverains s'adossent aux entreprises françaises.

Les PME françaises peuvent trouver des opportunités. Il existe beaucoup de sous-contractants et les perspectives de modernisation des réseaux sont considérables.

Echanges avec la salle

Dominique de VISSER

Avez-vous accompagné des projets dans le domaine de l'énergie solaire ?

Jean-Marc PUEL

Non. Nous avons choisi de n'investir qu'en Europe.

Samir AITA

Il est question de faire venir le gaz de la Mer Caspienne vers l'Europe à travers la Turquie. Les Turcs parlent actuellement de projets structurants depuis le Moyen-Orient. Cela a-t-il un sens ? Par ailleurs, qu'en est-il du projet de faire venir de l'eau depuis la Turquie vers les pays du Golfe ?

Jean-Pierre FAVENNEC

Il existe un projet de construction de gazoduc en provenance du Qatar. Suite à son conflit avec l'Ukraine et aux ruptures d'approvisionnement de gaz vers l'Europe, la Russie cherche à développer des alternatives pour faire venir du gaz depuis la Mer baltique mais aussi de l'Est. Mais il est dangereux de faire traverser de nombreux pays à des gazoducs. Le Moyen-Orient est ainsi rempli de tuyaux fermés.

Éric GHEBALI

Il existe une géopolitique des ressources en eau. Le coût dessalement a été divisé par deux ces dernières années. En outre, le transfert d'eau est très cher à mettre en oeuvre. De nombreux projets visent à optimiser et stabiliser les ressources en eau. Les grands mouvements de transfert d'eau seront donc limités.

Moncef KDHIR, avocat d'affaires

Qu'en est-il de la situation actuelle de Dubaï ?

Par ailleurs, à partir de quel niveau d'importance un projet intéresse-t-il un fonds souverain ?

Quels pays sont en pointe sur le secteur du développement durable ?

Enfin, l'Iran s'engage dans une politique de privatisation. Quelle est la manière de pénétrer ce marché ? L'attitude extrémiste du gouvernement français sur la question du nucléaire iranien risque de pénaliser les entreprises françaises.

Pierre MOURVELAT

Le modèle de développement de Dubaï est de bonne qualité. Mais son financement pose des difficultés. La structure de l'économie est déséquilibrée. En période de crise financière, les limites de ce modèle apparaissent clairement : il devient beaucoup plus difficile de trouver des financements à des prix acceptables pour assurer la pérennité du modèle. Un certain nombre de mécanismes financiers se mettent en place pour assurer une bonne gestion de la dette. On assiste également à un retour des capitaux. Néanmoins, il peut exister des difficultés sur le financement de certaines échéances, comme le montre le moratoire sur la dette d'une partie des entités publiques. Le drame de Dubaï est de disposer de très peu de financements propres et de dépendre considérablement à la fois d'Abu-Dhabi et des marchés.

Jean-Marc PUEL

Pour les équipes des fonds souverains, l'investissement en termes de travail est le même pour un projet de 2 millions ou de 250 millions d'euros. Dès lors, la priorité est donnée aux plus gros projets.

Dans les relations avec les fonds souverains, les grandes entreprises sont plus adaptées que les entreprises moyennes en raison de leur fonctionnement. Par ailleurs, les fonds souverains sont à la recherche de technologies et de savoir-faire qui les poussent vers des partenariats avec les grandes entreprises.

Éric GHEBALI

Tous ces pays ont réellement et sincèrement intégré la préoccupation environnementale. Ils veulent ce qu'il se fait de mieux et voient parfois trop grand. Il faut parfois les restreindre.

S'agissant de l'Iran, les entreprises françaises ne rencontrent pas de problème particulier. Mais les difficultés politiques du pays ne donnent pas envie d'y aller.

Xavier LAURENT

La Coface a signé un accord de coopération avec l'Irak pour faciliter le financement des exportations vers l'Irak. Par ailleurs, l'assurance prospection est destinée aux entreprises allant jusqu'à 500 millions d'euros de chiffre d'affaires.

L'approche des marchés du Moyen-Orient

Frédéric CHOBLET,
Chef du Service économique de Bagdad et d'Erbil en Irak

Par rapport au chaos de 2003, la situation politique est en voie de stabilisation. Une constitution a été votée en 2005 et des élections législatives sont intervenues. Les prochaines devraient avoir lieu début 2010. La situation s'améliore également en termes de sécurité. Depuis 2007, le nombre de violences a été divisé par dix. Il est aujourd'hui possible de venir en visite dans l'Irak arabe en recourant aux services d'une entreprise de sécurité. Le Kurdistan est, en revanche, totalement sécurisé et il est possible de s'y déplacer sans escorte.

Le pays reste pourtant compliqué pour des raisons politiques et sécuritaires mais aussi parce qu'il existe peu d'infrastructures et que les structures juridiques sont encore fragiles. Le pays est encore peu investi par les entreprises étrangères et la concurrence y est par conséquent faible. Les entreprises qui viennent disposent ainsi d'un avantage comparatif pour obtenir des marchés, d'autant plus que les Irakiens raisonnent aussi en fonction de leurs sentiments et apprécient ceux qui prennent le risque de venir.

Le pays est à reconstruire intégralement. Le coût de la reconstruction est évalué entre 400 et 600 milliards de dollars. Les ressources pétrolières sont très importantes. L'Irak produit 2,5 millions de barils par jour et compte porter ce chiffre à 6 ou 7 millions vers 2012.

Les besoins de l'Irak sont très importants et tous les secteurs sont concernés : les hydrocarbures, la pétrochimie, le parapétrolier, le secteur énergétique, les télécommunications, les transports, le domaine militaire.

Un certain nombre d'entreprises françaises travaillent déjà en Irak : General Electric France, Suez Degremont ou encore Lafarge.

Marc DEBALLON ,
Chef du Service économique de Mascate à Oman

Le sultanat d'Oman est un pays vaste de 1 100 km s'étendant de Mascate à Salalah. Il compte 3 millions d'habitants dont 1,8 million de nationaux, le reste étant composé d'Indiens et de Pakistanais. Le PIB par habitant s'élève à près de 20 000 dollars. Le peuple omanais est sincèrement attaché au Sultan Qabous. Au pouvoir depuis 1970, ce dernier a axé le pays sur un développement raisonné et équilibré. L'Ambassade de France a décidé d'adopter la question de l'environnement et du développement durable comme axe structurant pour les années à venir. Le Sultan veut que toutes les régions profitent du développement. Il existe ainsi un important port à Salalah et des projets sont prévus pour le développement de la région de Doukum où seront installés un port, un aéroport et une raffinerie. La présence française est importante mais il existe une relation historique très forte avec les États-Unis et la Grande-Bretagne.

Michel DHE,
Chef du Service économique de Doha au Qatar

Le Qatar compte 1,6 million d'habitants dont 10 % de nationaux Le secteur du gaz y est très important et l'économie qatarie restera dominée par les hydrocarbures. Le Qatar est un bon élève mais en plein devenir. Son essor a véritablement démarré lorsque l'actuel émir est arrivé au pouvoir en 1995. Ses voisins ont par conséquent une demi-génération, voire une génération d'avance.

Son économie est basée sur ses ressources pétro gazières. Nous assistons actuellement à une bascule de cycle. Après une période de mise en valeur des ressources naturelles, le pays est passé à un mouvement de rattrapage dans le domaine des infrastructures. Il existe ainsi d'importants projets en matière de transports. L'économie est, avant tout, tirée par les dépenses publiques. En effet, le secteur privé n'est pas très développé. Il existe une vingtaine de grands groupes qataris publics ou semi-publics. Presque toutes les entreprises du CAC 40 sont présentes au Qatar. Le pays est particulièrement adapté aux grands groupes. Les PME peuvent s'intégrer dans cette mouvance.

Pierre MOURLEVAT,
Chef du Service économique régional pour le Moyen-Orient

Le contexte du Moyen-Orient est très favorable : au retour de la croissance s'ajoute la stabilité politique. Les Emirats Arabes Unis sont la seule fédération de la région. La structure fédérale gère un certain nombre de grands projets dont le projet ferroviaire. C'est une terre d'influence anglo-saxonne mais où la France bénéficie d'un capital de sympathie important. L'installation de la Sorbonne et du Louvre résulte d'ailleurs d'une demande d'Abu-Dhabi. La zone est néanmoins extrêmement concurrentielle.

Les grandes opportunités sont liées aux projets d'infrastructures soutenues par l'État : services liés à l'industrie pétrolière, transport, gestion des services publics et l'aménagement urbain, biens de consommation.

Pierre FABRE,
Chef du Service économique de Manama à Bahreïn

Bahreïn est le premier pays de la région à avoir découvert du pétrole en 1932. C'est aussi le premier à avoir voulu sortir de l'économie pétrolière avec la création d'une industrie d'aluminium et d'un secteur financier. Le pays occupe une place spécifique en matière de finance islamique. La banque centrale de Bahreïn est la seule à avoir émis des régulations en matière de finance islamique.

La diversification de l'économie s'est faite en utilisant les ressources pétrolières importées d'Arabie Saoudite ou gazières locales. Elle a aussi permis le développement d'une industrie en aval. La production d'aluminium s'élève à 880 000 tonnes par an dont la moitié est transformée sur place et exportée.

Bahreïn est consciente de sa pauvreté en matière énergétique, c'est pourquoi elle fait appel aux capitaux étrangers.

En droit du travail, Bahreïn est le premier pays à avoir supprimé le sponsorship . L'investisseur peut ainsi être propriétaire à 100 % de son investissement.

Il existe de nombreuses opportunités grâce à la politique d'ouverture et de privatisation des services publics. Les secteurs concernés sont notamment la production d'électricité, l'environnement, les transports et les biens de consommation. A cet égard, Bahreïn est reliée à l'Arabie Saoudite par un pont qu'empruntent chaque week-end 70 000 personnes.

La question énergétique pose néanmoins un problème majeur. Bahreïn est en mesure d'alimenter son industrie et sa consommation d'électricité pour les dix à quinze prochaines années seulement. Par ailleurs, Bahreïn a introduit des réformes démocratiques assez importantes et se posent maintenant des problèmes de gouvernance. Le Parlement dispose de plus en plus de pouvoirs et il n'est pas toujours aisé de savoir qui est compétent pour quoi.

Philippe FOUET
Chef des Services économiques de Riyad et de Djedda en Arabie Saoudite

L'Arabie Saoudite constitue le poids lourd économique de la région. Le pays a les moyens de ses ambitions. Il dispose d'un excédent budgétaire représentant un tiers de son PIB l'an passé, soit 155 milliards de dollars, qui lui permettent de financer sa politique de diversification et sa politique d'infrastructures et de projets, notamment en matière sociale.

Pendant quinze ans, l'Arabie Saoudite a accumulé du retard en matière d'infrastructures. D'importantes opportunités pour les entreprises françaises se présentent dans les domaines de l'eau, la production électrique, les transports, les télécommunications, la défense, la santé et l'éducation, la formation, la construction, les biens de consommation ou encore la culture du shopping.

Par ailleurs, les femmes peuvent tout à fait travailler en Arabie Saoudite. Le marché est ouvert. Il est classé par la Banque Mondiale au 13 ème rang des pays où il est le plus facile de travailler et, à cet égard, le mieux classé de la région.

Abboud ZAOUI,
Chef du Service économique de Sanaa au Yémen

Le Yémen est un pays pauvre. A la Conférence de Londres, les pays donateurs s'étaient engagés sur le versement de 6 milliards de dollars. Les pays occidentaux qui s'étaient engagés à hauteur de 50 %, se sont acquittés de leur promesse. Mais seuls 15 % du reste de la somme promise ont été décaissés par les pays du Golfe.

La France est présente au Yémen. Total a d'ailleurs mené le Yémen au rang de pays exportateur de gaz liquéfié. Un deuxième train de son complexe de gaz liquéfié sera achevé en mars. Ce sera une bouffée d'oxygène pour le budget yéménite avec un milliard de dollars supplémentaires par an de recettes d'exportation. Dans le domaine pétrolier, les réserves sont en train de s'épuiser, mais Total a récemment découvert du pétrole dans le socle.

Mais la diversification économique s'avère indispensable. Le Yémen a beaucoup d'autres atouts pour réaliser cette diversification. Le secteur du tourisme est notamment prometteur, de même que le secteur de la pêche et de l'exploitation minière.

Toutefois, la résurgence de l'activité de certains groupes radicaux pose problème dans le Nord du pays. Mais tout le reste du pays est ouvert. Il existe de nombreux projets et des mesures ont été adoptées pour faciliter les investissements étrangers au Yémen.

Des possibilités d'affaires non négligeables existent dans le Sud, qui a été négligé dans le passé pour des raisons politiques. Le gouvernement souhaite dorénavant le développer, notamment le port d'Aden et une zone franche. D'importants projets sont localisés dans cette région, tels que des cimenteries, des centrales électriques, etc. Le développement gazier à partir de la plateforme du complexe de liquéfaction de Total est très important. Il doit servir de base à nos entreprises pour développer l'aval gazier au Yémen.

Jean-Paul PAOLI,
Chef du Service économique au Koweït

Le Koweït équivaut, en termes de population, à la Basse-Normandie. Le pays compte 3,3 millions d'habitants dont 1,1 million de nationaux. En outre, cet Émirat est dirigé par une dynastie. Il existe une sorte de partage entre cette dynastie, à qui reviennent la conduite des affaires politiques, et les grandes familles marchandes en charge du commerce.

Le Koweït est emblématique pour la liberté d'expression et le droit des femmes. Quatre d'entre elles ont récemment été élues députés.

Par ailleurs, le Parlement est très mouvementé, ce qui précarise un peu les affaires. Il faut être patient et s'installer sur place.

Beaucoup d'entreprises françaises s'implantent au Koweït qui est l'un des premiers pays pétroliers de la zone et qui affiche un des plus forts PIB par habitant de la zone (45 000 dollars). Il est également un des premiers pays pour la proportion d'importations par habitant. Il recèle donc beaucoup de potentialités. 60 % de son PIB provient de ses activités pétrolières.

Les relations avec la France ont connu un nouvel élan avec la récente visite du Président de la République. Les exportations françaises vers le Koweït sont en hausse de 40 % ces cinq dernières années. La France a exporté l'année dernière pour environ 520 millions d'euros de produits divers vers le Koweït. Les franchises sont particulièrement recherchées.

Echanges avec la salle

De la salle

Je suis sous-traitant automobile. Quels pays disposent de fonderies d'aluminium ?

Pierre MOURLEVAT

Le développement des fonderies d'aluminium est considéré comme un axe stratégique dans plusieurs pays pour le développement industriel. C'est le cas de Dubaï, d'Abu-Dhabi, de Bahreïn et du Qatar.

La plupart des pays de la région ont l'ambition d'intégrer le secteur de la construction automobile dans le monde. L'Arabie Saoudite a la stratégie la plus élaborée.

Philippe FOUET

L'Arabie Saoudite n'a pas de fonderies d'aluminium mais construit un train qui transportera la bauxite du Nord vers le Sud et prévoit la construction de fonderies. Dans le projet stratégique de développement de l'industrie, il existe un programme de développement de pôles de compétitivité notamment dans le domaine automobile, avec le projet de développement de la construction de blocs moteurs et de pneumatiques. L'Arabie Saoudite doit maintenant trouver des investisseurs.

Pierre FABRE

A Bahreïn, il existe un projet de création d'une 6 ème ligne de la fonderie existante mais des problèmes d'approvisionnement en gaz naturel persistent. Une alternative est envisagée avec la fermeture de certaines lignes pour réallouer le gaz à la 6 ème ligne. Le nouveau Directeur général de la fonderie est français.

Guy COLLIGNON, Professeur à l'Université Paris II

Comment sont recrutées les équipes des fonds souverains ? Comment s'organisent les pouvoirs dans ces fonds ?

Pierre MOURLEVAT

Les fonds souverains se partagent entre ceux qui gèrent en interne leurs placements et ceux qui font appel à des banques d'affaires extérieures.

Les fonds ont d'abord une logique financière qui est de maximiser le rendement au profit des générations futures. Ils développent également une vocation stratégique qui est d'entrer dans le capital d'une entité étrangère pouvant jouer un rôle stratégique pour le développement du pays si cette entité vient ensuite travailler dans le pays pour y apporter ses technologies.

Les analystes financiers et gestionnaires du monde entier qu'ils recrutent sont chargés d'une action de conseil ou de placement des fonds dans le pays ou à l'étranger dans des zones prioritaires ou de prédilection. Certains gestionnaires sont également spécialisés par type d'activité. Mais la décision finale d'investissement est prise par un board où sont représentées les familles princières.

Christophe JACOMIN, avocat

Quel intérêt portent ces fonds souverains à la France ?

Pierre MOURLEVAT

La France fait partie des pays que les fonds souverains de la région regardent, même si ce n'est pas le pays où ils ont le plus investi. La France est souvent perçue comme très réglementée.

Dans leurs investissements, ces fonds évitent en général les entreprises en difficulté qu'il faut restructurer pour maintenir l'emploi. Ils recherchent par ailleurs un fort taux de rentabilité, bien au-delà de 5 %. Ils s'attachent également aux projets présentant un intérêt stratégique pour le développement du pays. Enfin, ils ont l'habitude de travailler sur des projets concrets.

Le facteur politique peut jouer néanmoins lorsqu'un pays souhaite développer des relations politiques avec la France.

Michel DHE

Il n'existe qu'un seul fonds souverain au Qatar. S'agissant de la France, un amendement à la convention fiscale vient d'être ajouté qui exonère les investissements qataris sur les plus-values immobilières.

Marie LUC, Le public système, agence de communication

Notre agence souhaite s'implanter au Moyen-Orient. Existe-t-il une zone franche au Qatar ?

Michel DHE

Le nouvel aéroport international de Doha, qui sera mis en service d'ici deux ans, va libérer de la place pour la création d'une zone franche. Vous pouvez également intégrer le Qatar Financial Center.

La concurrence est très dure en matière d'événementiel. Les Français ne sont pas absents dans ce secteur.

Il existe rarement une solution unique pour s'implanter sur place. Avant de faire son choix, il faut établir des priorités.

Isabelle RIGAIL, responsable export, D. Porthault

Quel est le degré de développement de l'énergie solaire ?

Pierre MOURLEVAT

L'intérêt pour les énergies renouvelables est extrêmement récent. Pour autant, les Emirats Arabes Unis ont la conviction que le solaire n'a pas beaucoup d'avenir. Par ailleurs, si ces pays sont très ensoleillés, un écran de brume et de poussières limite la capacité d'éventuelles centrales solaires.

Michel DHE

Le Qatar porte un intérêt marqué aux énergies renouvelables. Il souhaite devenir un centre de recherche régional voire mondial dans ce domaine et, pour ce faire, attirer des technologies.

De la salle

En cas de contentieux, les entreprises françaises ont-elles des chances de s'en sortir ? Le gouvernement français accepte-t-il facilement d'élever la protection diplomatique lorsqu'une entreprise ne peut honorer sa créance ?

Philippe FOUET

Le système juridique saoudien fonctionne assez bien concernant les aspects commerciaux. Mais il existe des problèmes d'application des décisions de justice. L'Arabie Saoudite ne reconnaît pas l'arbitrage international, sauf celui de pays arabes.

Gabriel KHOURY

Étant donné le faible nombre de nationaux, quel est l'intérêt de l'installation d'universités telles que la Sorbonne ou Harvard ?

Pierre MOURLEVAT

Ces États veulent d'offrir à leurs citoyens le meilleur de ce qui peut exister dans les universités mondiales. Par ailleurs, c'est un moyen d'attirer durablement des expatriés qui auraient ainsi la possibilité de faire éduquer leurs enfants dans des universités aux standards internationaux.

Pierre FABRE

Les expatriés représentent 77 % de la main-d'oeuvre à Bahreïn. La politique de Bahreïn n'est pas d'attirer les expatriés mais de former les Bahreïnis. Une taxe sur les salaires des étrangers est affectée à la formation des Bahreïnis.

Tables rondes géographiques consécutives

Les Emirats Arabes Unis

Franck WITEK,
CEO, Carrefour, CCEF

La crise économique est arrivée à Dubaï au cours du premier trimestre 2009. La consommation a connu une dégradation graduelle jusqu'à atteindre un plancher aujourd'hui. Le redémarrage est attendu courant 2010. Dubaï est l'Émirat du CCG qui a le plus souffert en termes de consommation, notamment alimentaire. L'Émirat est le plus ouvert de la région et dépend du monde entier.

Il existe une dichotomie entre ce qui se passe à Dubaï et à Abu-Dhabi où la crise s'est plutôt apparentée à un ralentissement. Les dépenses ont été réduites dans un certain nombre de secteurs non essentiels. La part du non alimentaire a baissé et celle de l'alimentaire a augmenté. Nous avons également assisté à un déplacement des achats en volume mais aussi en géographie. La grande distribution gagne généralement des parts de marché en période de crise. Nous avons, quant à nous, renforcé nos équipes à cette occasion.

Philippe AROYO,
Directeur général pour les Émirats Arabes Unis, BNP Paribas, CCEF

Malgré l'annonce du moratoire de Dubaï World, les Émirats continuent d'offrir un potentiel important. Dans les semaines à venir, des appels d'offres vont certainement continuer à être lancés sur des projets d'infrastructure. Les projets pharaoniques ont quant à eux cessé il y a plusieurs mois.

Les entreprises françaises peuvent saisir des opportunités intéressantes. Le savoir-faire français a toute sa place sur le marché des Émirats. Ces derniers ont la volonté de diversifier leurs principaux partenaires, qu'ils soient politiques, culturels et commerciaux. Pour ce faire, il faut savoir répondre précisément à une demande, sans sophistication inutile qui alourdit le coût du projet. Par ailleurs, il faut s'assurer du financement du contrat, y compris du côté des paymasters .

Abu-Dhabi est aujourd'hui l'Émirat qui a les projets les plus spectaculaires, ambitieux et visibles du point de vue des entreprises. Le Ministère de l'Économie et des Finances annonçait un trillion de dollars de nouveaux projets, sans préciser d'échéancier. Le gouvernement a élaboré un plan cadre à l'échéance de 2030. Mais il faut là aussi s'assurer du financement en s'assurant de sa propre capacité d'exécution et de la capacité de paiement de l'ordonnateur du projet.

Pierre-Denis LABLANQUIE,
Chargé d'affaires au Bureau régional de l'AFII

L'AFII est l'organisme de promotion de la France comme terre d'accueil des investissements directs à l'étranger. Elle intervient dans trois domaines : la prospection et l'accompagnement des investissements internationaux ; la promotion et la valorisation de l'image de la France ; le conseil aux entreprises et au gouvernement pour l'appui aux mesures. Elle aide également les entreprises françaises dans leur développement international.

L'ouverture d'un bureau dans les pays du Golfe date de l'automne dernier, au moment de l'éclatement de la bulle immobilière à Dubaï. Notre positionnement s'est fait progressivement pour identifier des partenariats engagés avec les grands investisseurs souverains et travailler avec les entreprises et le tissu industriel local. Le tissu industriel des pays du Golfe est en développement avec des potentiels à l'exportation encore réduits. Pour autant, il existe un potentiel financier très important. La logique des entreprises françaises est de pouvoir bénéficier du potentiel financier pour porter des projets comportant des enjeux stratégiques pour les pays du Golfe.

Echanges avec la salle

Pierre MOURLEVAT

Étant donné les difficultés actuelles de Dubaï, faut-il dorénavant se positionner plutôt sur des projets d'Abu-Dhabi ?

Franck WITEK

Cela dépend du domaine d'activité. Pour une entreprise ayant un développement à l'international, le pays est à considérer dans sa globalité. Cela concerne essentiellement les activités de service. Les moments de crise peuvent être bénéfiques pour les entreprises qui y trouvent l'occasion de gagner des parts de marché.

Philippe AROYO

A ma connaissance, aucune entreprise n'a fermé son bureau à Dubaï pendant la crise. De nombreuses multinationales ont fait le choix des Émirats pour couvrir le Golfe en sa qualité de hub . Dubaï est un bon endroit pour rayonner sur la région. Mais cela dépend du domaine d'activité et des projets de l'entreprise concernée.

De manière générale, prendre une décision de repli ou de fermeture coûte plus cher que de maintenir un minimum de présence sur place en attendant des jours meilleurs. Certains secteurs d'activité comme le luxe continuent de très bien fonctionner.

Pierre-Denis LABLANQUIE

Traditionnellement, l'investissement en France est orienté vers l'immobilier et l'hôtellerie de luxe. Dubaï pourra encore peut-être faire quelques opérations dans ce domaine. En tout état de cause, Abu-Dhabi a pris l'initiative de s'engager dans des investissements stratégiques à l'étranger, comme récemment dans l'automobile avec une prise de participation importante dans le capital de Daimler. Cela va lui permettre de développer son potentiel et son économie dans le domaine de l'industrie de l'automobile et, notamment, en investissant en Algérie dans la fabrication de véhicules militaires. Ce genre d'opérations peut être réalisé avec des groupes français ayant une stratégie méditerranéenne ou dans les pays du Golfe.

Les autres Émirats peuvent réaliser des opérations d'investissements. Chacun a engagé son propre programme de développement économique et industriel et de promotion de leurs intérêts à l'étranger. Des potentiels peuvent être identifiés dans toute la fédération des Emirats. Néanmoins, Abu-Dhabi est leader dans ces domaines.

Isabelle RIGAIL, responsable export, D. Porthault

Est-il facile de travailler dans les centres Émirats de la Fédération, comme Ajman, Al-Ain et Ras Al-Khaymah ?

Franck WITEK

Oui. Le contour global est identique dans les autres Émirats même s'il existe quelques différences.

Luc CHAPOTON, RATP développement

Existe-t-il une différence de cotation entre Abu-Dhabi et Dubaï ?

Pierre MOURLEVAT

La Coface, dans le cadre de sa gestion pour le compte de l'État, réalise des analyses au cas par cas, en fonction de la qualité de l'acheteur. Si l'acheteur est totalement public, qu'il n'est pas endetté et qu'il est en bonne santé financière, cela ne pose aucune difficulté. Si l'acheteur appartient à une entreprise semi-publique, c'est-à-dire que son capital appartient à l'État ou à une famille princière mais qu'elle n'est pas totalement intégrée au secteur public, nous demandons une garantie de l'État.

Jusqu'à présent, nous n'avions pas de demande d'assurance-crédit aux Émirats Arabes Unis. Mais dorénavant, il faut demander pratiquement systématiquement une assurance-crédit.

Philippe AROYO

Nous avons depuis des années des cotations différenciées selon les contreparties. Elles sont depuis longtemps sensiblement meilleures à Abu-Dhabi qu'à Dubaï. Mais il existe d'excellentes contreparties à Dubaï. Nous travaillons avec des contreparties dans les sept émirats sans difficulté, même si la profondeur pas la même.

De la salle

L'intérêt d'une implantation industrielle dans la région peut être de réexporter vers l'Iran. Est-il possible d'obtenir des lettres de crédit sur l'Iran auprès de banques françaises ou émiriennes ?

Philippe AROYO

La BNP ne le fait pas, dans le respect des interdictions édictées par l'ONU et l'Union européenne. Certaines banques le font. Il faut voir du côté des pays qui ont peu ou pas de relations avec les États-Unis et l'Europe.

De la salle

Où en est la fusion entre Dubaï Land et Nakheel ?

Philippe AROYO

Cette fusion est évoquée depuis au moins neuf mois. J'ignore où elle en est aujourd'hui. Le fait est que les quatre sociétés concernées sont en difficulté.

Pierre MOURLEVAT

Dans les fusions en préparation, qui sont gérées de façon très peu transparente, des entités extrêmement endettées sont associées à des entités plus saines. Par ailleurs, il ne semble pas y avoir de motif valable pour demander ce moratoire. Si le stock de dettes de Dubaï World est très élevé, ses échéances de renouvellement pour les six prochains mois étaient de l'ordre de 5 à 10 milliards de dollars. Deux hypothèses peuvent dès lors être posées : soit l'Etat fédéré de Dubaï a décidé du moratoire dans le cadre d'un bras de fer avec Abu-Dhabi, soit les chiffres officiels sur la dette étaient faux et la dette réelle est beaucoup plus élevée que ce qui était annoncé. Ce serait alors extrêmement grave.

Philippe AROYO

Une troisième hypothèse peut être que la capacité de l'Émirat de Dubaï à lever des fonds est de plus en plus difficile.

Dominique de VISSER

Quelle pourrait être la place pour des PME françaises modestes qui proposeraient des produits français de consommation typique en dehors des grands canaux de distribution ?

Franck WITEK

La PME concernée doit être prête à se lancer sur le marché de l'international. Il y a de la place pour les marchés de niche. Il n'existe aucun obstacle culturel envers les produits français. Au contraire, l' a priori est très positif. Dubaï constitue un marché aux goûts mondiaux puisque 90 % de population est expatriée.

Dominique de VISSER

Le processus de vente est-il compliqué ?

Franck WITEK

Il est globalement assez facile. Mais l'accès au marché n'est pas le même en fonction des produits vendus. Pour exporter des produits vers les Émirats, il est possible de conclure un accord avec un grossiste ou un agent local, ce qui est très courant dans la région.

Pierre MOURLEVAT

La réglementation est relativement simple pour une entreprise qui veut s'installer via un agent ou en direct.

Franck WITEK

L'environnement fiscal est très favorable.

De la salle

Quelle est l'influence de la consommation dans le PIB à Dubaï alors que des rumeurs circulent sur la baisse de la population ?

Pierre MOURLEVAT

La question de la population constitue un sujet difficile. De nombreux analystes avaient annoncé avant l'été une baisse de la population en raison de la crise. Dubaï compte environ 4 % de nationaux mais il est possible que ce chiffre soit surévalué. Il semble pourtant que le mouvement de départs annoncé ne se soit pas produit, bien que nous ne disposions que de peu d'instrument pour le mesurer. Au contraire, dans les écoles étrangères, alors que l'on s'attendait à ce que les familles ne reviennent pas, les classes étaient pleines à la rentrée, et des files d'attentes se sont même formées. Il y a eu beaucoup de départs d'ouvriers dans la construction mais, de leur côté, les entreprises et les banques ont recommencé à embaucher. D'après le Ministère du Travail, les départs auraient été compensés par les arrivées et la population n'aurait donc pas baissé. Ceci est à prendre avec beaucoup de précautions car il n'existe pas de données très fiables.

Franck WITEK

Des baisses importantes sont intervenues dans les secteurs non alimentaires comme le textile, le luxe et les biens d'équipement. Les consommateurs sont aussi plus sensibles à la notion de prix. Les prix de l'immobilier ont quant à eux baissé de l'ordre de 30 à 40 %. Les entreprises de service ont adapté leur organisation et leurs moyens à la crise. Mais les investissements n'ont pas été stoppés.

Philippe AROYO

Dans le secteur financier, la BNP a continué à renforcer sa présence avec des recrutements nets. Mais nos concurrents anglo-saxons procèdent à des licenciements sauvages.

De la salle

L'immobilier de bureau est en baisse. Des renégociations de loyers sont-elles possibles ?

Franck WITEK

La situation est difficile car Dubaï connaît une pénurie d'immobilier de bureau. Il est néanmoins possible de renégocier les loyers selon les endroits.

De la salle

Quels sont les profils les plus souvent recherchés par les recruteurs ? Quels sont les secteurs qui recrutent ? Quels sont les besoins de main-d'oeuvre française ?

Franck WITEK

Il y a un an, tous les secteurs recrutaient. C'est moins le cas actuellement. Dubaï est une société très internationalisée et très compétitive. La première population d'expatriés est constituée par les Indiens. Ils ont été suivis par les Arabes, les Philippins et, plus marginalement, par les Occidentaux. Chacun trouve sa place face à la diversité de la demande.

L'Arabie Saoudite

Philippe FOUET,
Chef des Services économiques de Riyad et de Djedda en Arabie Saoudite

Les Saoudiens connaissent très bien le marché international et se déplacent beaucoup. La population de l'Arabie saoudite est jeune et très urbanisée. En revanche, le pouvoir d'achat est moins élevé dans ce pays que dans les autres États de la région. Par ailleurs, la population a un fort goût pour la nouveauté. Elle est notamment friande de produits français mais se pose, pour elle, le problème de prix. De plus, le marché des produits féminins doit parfois être abordé de manière séparée. Il existe trois centres urbains : Riyad, Djedda et Al-Khobar/Dammam. Mais plus de la moitié de la population vit dans d'autres villes.

Dans ce pays, la moralité dans les affaires n'est pas toujours excellente. Il faut donc bien choisir son représentant et également se couvrir en termes d'assurance-crédit de manière systématique. Les grands distributeurs ne représentent que 15 % du marché. Les femmes ne pouvant pas conduire elles-mêmes, elles sont contraintes de se déplacer à côté de chez elles pour faire leurs achats si elles n'ont pas de chauffeur. 85 % de la distribution se fait ainsi au travers de petits magasins.

Isabelle RIGAIL,
Responsable export, D. Porthault

La société Porthault produit du linge de maison, dans le secteur du luxe.

Pour une femme, la première difficulté pour travailler en Arabie Saoudite est d'obtenir un visa, ce qui est plus difficile pour une femme que pour un homme. L'Ambassade de France, les Postes d'Expansion Économique ainsi que des clients locaux m'ont souvent beaucoup aidée et m'ont fait bénéficier de leur carnet d'adresses. Mais avec de la patience, tout finit par s'arranger.

Il faut également porter l'abaya qui est malcommode et tient chaud. De plus, les hommes scrutent beaucoup les femmes de manière générale, ce qui peut être assez gênant.

Les Saoudiens apprécient les Français et sont très sensibles à la relation humaine. Les plus belles affaires que j'ai réalisées l'ont été à force de rencontrer des personnes qui, devenues des amies, m'ont tenue systématiquement informée des opportunités qui pouvaient se présenter.

En définitive, les choses ne sont pas beaucoup plus difficiles pour une femme. J'ai toujours été très bien accueillie, y compris dans les familles.

Philippe FOUET

Dans le secteur des biens d'équipements, des projets publics de 500 milliards de dollars sont prévus pour les cinq prochaines années. Ils sont consacrés aux infrastructures et à l'éducation.

Thierry GEOFFROY,
Directeur de Clestra Hauserman

Clestra Hauserman est une entreprise leader dans les cloisons de bureau. Avec 200 millions d'euros de chiffre d'affaires, nous sommes une Entreprise de Taille Intermédiaire.

Notre aventure au Moyen-Orient a commencé dans les années 80 avec la réalisation d'universités. Puis l'activité s'est progressivement réduite dans les années 90, au point de ne plus représenter que 1 % de notre chiffre d'affaires. Aujourd'hui, elle en représente 15 %. Nous n'avions conservé qu'un seul agent sur place, qui est aussi notre sponsor, avant qu'une opportunité ne se présente avec la King Saoud University. Le Directeur de l'université souhaitait que nous lui fournissions les mêmes modèles que ceux de 1982. C'est la preuve que la présence sur place constitue un avantage certain et que les Saoudiens envisagent leurs collaborations sur le long terme. Nous avons peu de concurrents historiques sur place. Nous sommes même devenus un standard dans les universités saoudiennes. L'image européenne joue également.

En Arabie Saoudite, il n'est pas possible de conclure des contrats importants en direct avec l'Etat. Nous travaillons généralement sous forme de crédits documentaires. Nous sommes donc contraints de faire appel à des entreprises générales qui sont aujourd'hui systématiquement des entreprises saoudiennes. Nous travaillons ainsi avec Saudi Oger et Saudi Ben Laden. Ces entreprises n'ont pas forcément les compétences pour réaliser ce type de projets dans les délais impartis. Nous devons, dès lors, nous couvrir en termes de change et de risques inhérents aux chantiers. Par ailleurs, ces entreprises se reposent beaucoup sur les sous-traitants pour les aspects d'ingénierie.

Il existe une saoudisation des emplois, notamment dans le domaine du bâtiment. Nous employons un agent, deux expatriés et deux VIE, qui constituent une très bonne formule pour des jeunes parlant l'arabe et qui n'auraient pas les mêmes opportunités professionnelles en France.

Echanges avec la salle

Philippe FOUET

Une vingtaine de VIE sont présents en Arabie Saoudite, dont deux femmes.

Estimez-vous possible de travailler en Arabie Saoudite depuis Dubaï ? Comment avez-vous choisi vos partenaires et auprès de qui avez-vous demandé conseil ?

Isabelle RIGAIL

Il faut être présent dans chaque pays où vous souhaitez travailler. Les habitants du Golfe sont sensibles au fait que vous veniez les voir.

J'ai travaillé ponctuellement avec la société Chaloub mais notre collaboration n'a pas donné de bons résultats s'agissant du développement boutique. J'aime bien prendre des partenaires locaux, par pays ou par ville, selon les opportunités. Outre les Postes d'Expansion Économique, j'ai souvent trouvé de l'aide auprès de collèges. Enfin, j'ai des clients fidèles.

Thierry GEOFFROY

Nos partenaires se limitent à nous aider à obtenir des visas. Nous rencontrons des difficultés importantes à trouver de bons partenaires dans ces pays. Nous les avons connus via notre métier.

Je suis pour ma part très content que mes concurrents n'aient que des représentations à Dubaï. C'est ainsi que j'arrive à remporter des contrats en Arabie Saoudite.

Philippe FOUET

Les Saoudiens voient d'un mauvais oeil que l'on n'ait pas de représentant chez eux.

David DANGELSER, société Tilly Sabco

Quelle est la tendance d'évolution de la distribution dans les années à venir ?

Philippe FOUET

Le plus grand groupe de distribution alimentaire locale est le groupe saoudien Savola. Il représente 8 % du marché. Il vient de racheter les implantations de Géant qui n'était commercialement pas bien positionné. 75 % de la population est saoudienne et c'est elle qui dispose du pouvoir d'achat le plus élevé dans le pays. Le deuxième groupe est Al-Othaim suivi de Carrefour et Bin Dawood. La tendance est à la croissance plus forte des grands supermarchés que des petits magasins. Pour autant, les hypermarchés ne représentent que 15 % du marché. Carrefour s'attend à une croissance de 20 % cette année. Enfin, la moitié de la consommation a lieu hors des trois grandes villes.

De la salle

Avez-vous des représentants dans chaque pays ?

Isabelle RIGAIL

Non. Il est possible de faire des affaires en voyageant soi-même et sans avoir de représentation locale, mais il est préférable de disposer de relais sur place afin d'assurer un suivi.

Philippe FOUET

Les relations avec les Saoudiens sont très personnalisées. Ils connaissent l'image de leur pays à l'étranger, qui n'est pas toujours juste, et ont besoin de considération.

De la salle

Il est paradoxal de vouloir inscrire sa relation commerciale dans la durée alors que les expatriés ne restent que quelques années sur place. Par ailleurs, quel est le rôle du sponsor ?

Philippe FOUET

Un grand nombre d'expatriés reviennent ou restent très longtemps.

Frédéric WAPLER, avocat

Pendant longtemps, les investisseurs étrangers étaient dispensés d'impôt, pendant 5 ans en matière de contracting et de 10 ans en matière industrielle, à condition qu'il existe un partenaire saoudien à hauteur de 25 %. Mais il était tout à fait possible pour un étranger de détenir une société à 100 % en payant l'impôt afférent. Il y a quelques années, cette incitation fiscale a été supprimée. Cette suppression a été doublée d'une réduction du taux de l'impôt désormais fixé à 20 % flat quel que soit le montant des bénéfices de la société.

La question du sponsor est une question pratique. En effet, il est très difficile de conclure des affaires sans parler l'arabe et sans agent.

En matière de commercialisation, il est possible de vendre en Arabie Saoudite depuis la France mais pas de vendre directement en Arabie Saoudite. Le monopole du négoce est réservé aux Saoudiens.

Depuis 2009, les sociétés étrangères peuvent investir dans le domaine de la distribution à hauteur de 75 % dans une société locale à condition que le montant investi soit de 20 millions de riyals, soit 4 millions d'euros. Cette disposition vise à protéger le petit commerce.

S'agissant des circuits de distribution, depuis l'adhésion de l'Arabie Saoudite à l'OMC, seule la vente à la commission est réservée aux Saoudiens.

Thierry GEOFFROY

L'exportation depuis la France présente de nombreux avantages : l'agent se charge des formalités administratives, le crédit documentaire nous permet de nous affranchir de tout problème de délai de paiement et le risque de change est écarté.

L'agent que nous avions conservé sur place prendra bientôt sa retraite. Sa succession nous pose problème dans la mesure où il est connu sur le marché et où les VIE ne travaillent qu'en support.

Dominique de VISSER

Sous quelle forme une entreprise à 100 % française peut-elle s'installer en Arabie Saoudite ?

Frédéric WAPLER

Différentes formules sont possibles, parmi elles la filiale ou la succursale.

Par ailleurs, il existe une liste des domaines interdits aux investissements étrangers : armement, mines, pétrole, éducation, immobilier, etc.

Philippe FOUET

La liste est courte et a été raccourcie plusieurs fois. L'Arabie Saoudite est plus ouverte dans ce domaine que les autres pays du Golfe.

Lucile PONS VAN DER SLIKKE, Sagia

La Sagia fournit sur son site Internet la liste en question. Certains domaines ne sont pas totalement dans la liste négative. Ainsi, il n'est pas possible d'ouvrir un cabinet de consulting ou de recrutement à 100 % étranger. Toutefois, cette situation va évoluer. Certaines sociétés étrangères se sont néanmoins installées en Arabie Saoudite où elles font de la prestation de service qui s'apparente à du consulting .

Ray SPANO, Coteba

Qu'en est-il du secteur du bâtiment en Arabie Saoudite pour les entreprises françaises ?

Philippe FOUET

Les entreprises françaises ne sont presque plus présentes sur ce marché. Il existe des entreprises saoudiennes très importantes qui maîtrisent des technologies assez avancées et ne craignent pas de voir arriver les paiements avec du retard. Il est dorénavant très difficile de les concurrencer ainsi que les Chinois qui se sont lancés dans la construction de routes à des prix très bas.

De la salle

Comment expliquez-vous la présence chinoise en Arabie Saoudite ?

Philippe FOUET

Dans les affaires, les Saoudiens ne font plus de différences entre les régimes. La Chine est un partenaire stratégique. Elle fournit des technologies à des prix assez bas. L'Arabie Saoudite est quant à elle le premier fournisseur de pétrole de la Chine. Les investissements chinois dans le secteur pétrolier et gazier en Arabie Saoudite sont importants. La Chine est le deuxième fournisseur de l'Arabie Saoudite. La main-d'oeuvre chinoise est également très présente.

De la salle

Quelle est la part des exportations françaises vers l'Arabie Saoudite ?

Philippe FOUET

L'année dernière, la France a exporté pour 2,5 milliards d'euros vers l'Arabie Saoudite. Elle figure en neuvième position, très loin derrière l'Allemagne et assez loin derrière l'Italie alors que leurs niveaux étaient équivalents il y a cinq ans. Une partie des exportations françaises est envoyée aux Émirats et réexpédiée vers l'Arabie Saoudite. L'effritement de notre performance est dû à la montée de la Chine et de l'Inde.

Thierry GEOFFROY

Les Saoudiens sont tout de même conscients de la différence en termes de qualité et de prix entre les produits français et chinois. L'image positive de la France justifie à leurs yeux une différence de prix importante.

James GORE, Sotexpro

Quel est le parcours des VIE ? Doivent-ils parler arabe ?

Thierry GEOFFROY

Il est indispensable qu'ils parlent l'arabe classique. C'est plus important que de parler anglais. Les Maghrébins parlent l'arabe dialectal.

Par ailleurs, la présentation du site Internet des VIE fait que nos offres sont au même niveau que celles des entreprises de taille plus importante. Nous recevons donc beaucoup de candidatures. Les profils sont très variés.

De la salle

Est-il raisonnable de penser qu'il est possible en Arabie Saoudite de mettre en place la chaîne de savoir-faire nécessaire à la mise en place d'une industrie automobile ?

Philippe FOUET

Dans le secteur privé, le savoir-faire et la main-d'oeuvre sont essentiellement étrangers. La plupart des Saoudiens qui travaillent sont dans le secteur public.

Il sera difficile pour les Saoudiens de mettre en place la chaîne de savoir-faire nécessaire à la mise en place d'une industrie automobile. Mais ils ont une volonté stratégique très claire en la matière et, surtout, ils n'ont pas le choix. L'Arabie Saoudite est, en effet, obligée de créer des emplois pour les 400 000 Saoudiens qui entrent chaque année sur le marché du travail. L'Automobile, la métallurgie, les plastiques et l'emballage, les équipements électriques pour les maisons et le solaire sont les cinq axes définis comme pôles de compétitivité. Aucun n'a encore été développé. Pour ces cinq secteurs, l'Arabie Saoudite a commencé à approcher les entreprises étrangères et a décidé de financer la moitié des investissements.

La main-d'oeuvre étrangère sera nécessaire mais les autorités saoudiennes obligeront les entreprises à employer un grand nombre de Saoudiens. L'organisme de formation saoudien dispose de moyens très importants pour créer des instituts de formation. Les Saoudiens sont prêts à se mettre au travail, même en occupant des emplois intermédiaires.

Les terrains seront mis à disposition des premiers investisseurs à des prix très bas.

Cédric MOREL, architecte

Où en est le développement des Economic cities ?

Philippe FOUET

Il existe quatre cités économiques. La Sagia est chargée de gérer leur lancement. Le financement a été confié en totalité au secteur privé. Lancées au moment de la crise financière, elles aboutiront probablement en partie et plus lentement que prévu. La plus avancée est la King Abdallah Economic City qui se trouve au Nord de Djedda. Comme elle porte le nom du roi, il est certain qu'elle aboutira au moins en partie. Celle de Médine, financée en partie par la Fondation du roi, devrait rencontrer moins de problèmes de financement que les autres.

Lucile PONS VAN DER SLIKKE

La King Abdallah Economic city est la plus avancée et elle se fera, même si ce sera moins vite que prévu. Un changement de développeur est intervenu pour Hail qui est dédié à logistique. Quant à Medina knowledge Economic city, elle ne connaît pas de problèmes financiers. Enfin, Jazan Economic city sera plus industrielle et doit se développer sur vingt ans.

On assiste à un regain d'intérêt des entreprises françaises pour l'Arabie Saoudite. De très beaux succès commerciaux français ont été réalisés en Arabie Saoudite mais ces entreprises ne communiquent pas dessus.

De la salle

Ces cités économiques seront-elles des zones franches ?

Lucile PONS VAN DER SLIKKE

Les autorités saoudiennes s'engagent à ce qu'un certain nombre de règlementations soient différentes. Mais ce ne seront pas des zones franches.

Le Qatar

Michel DHE,
Chef du Service économique de Doha au Qatar

La dynamique de croissance du Qatar est exceptionnelle depuis que l'émir a décidé de mettre en valeur les ressources gazières phénoménales du pays, il y a quinze ans.

Le Qatar a montré une résistance exceptionnelle face à la crise internationale. Il y a eu cette année un effet volume avec la mise en service des facilités de traitement et de production de gaz. Entre le 1 er janvier et le 31 décembre 2009, le Qatar aura doublé sa capacité de production et d'exportation de gaz, ce qui lui aura rapporté des ressources financières supplémentaires considérables. Le pays a su jouer sur des contrats d'achat à long terme. Une grande partie de sa production est ainsi sécurisée.

Le Qatar a opéré des choix budgétaires ambitieux en 2009. Il a confirmé sa politique d'investissement dans le domaine des infrastructures. Des projets emblématiques sont en cours qui attirent les entreprises du monde entier. Ainsi, un consortium mené par Vinci gère la construction du pont digue entre le Qatar et Bahreïn.

En termes de développement, l'essentiel de la population est concentré dans la capitale qui compte 1,6 million d'habitants. Il existe deux autres villes industrielles au Sud, où se concentre l'aval du développement pétrolier et gazier, et au Nord, où se trouvent les infrastructures pour l'accueil, le traitement et le développement des ressources pétrolières et gazières.

Doha concentre les prochains grands investissements, dont un énorme projet de mise à niveau des transports publics avec un réseau intégré de métro et de tramway mais aussi une ligne ferroviaire reliant les trois villes du pays et une autre reliant Bahreïn par le pont digue et le reste de la péninsule arabique. L'autre projet phare est celui de la création d'une ville résidentielle au Nord de Doha qui abritera 50 000 habitants. Encore plus ambitieuse, une ville industrielle au Nord de Doha accueillera 200 000 habitants, avec des districts thématiques. Au sein même de Doha, la reconstruction du coeur de la ville est en cours.

Mais la taille du marché de la consommation reste petite. Les nationaux représentent environ 15 % de la population totale, soit environ 200 000 Qataris. Malgré un pouvoir d'achat très fort, il existe des limites à leur consommation en termes de volume. Le Qatar attire les grandes marques de luxe. D'autres opportunités d'affaires existent dans le domaine énergétique et le dessalement. En tout état de cause, la seule façon de faire des affaires est d'être installé sur place.

La part de marché de la France s'établit à quatre points, hors aéronautique. Il s'agit à 90 % de biens et services industriels et à 10 % de produits de consommation. La quasi-totalité de la flotte en service de Qatar Airways est constituée par des Airbus.

Arnaud DEPIERREFEU,
Avocat au Barreau de Paris, Associé résident à Doha du cabinet UGGC,
Conseiller du commerce extérieur de la France, section Qatar

UGGC est le seul cabinet d'avocats français présent au Qatar. Nous assistons les sociétés françaises qui s'installent, celles qui sont déjà installées et, plus marginalement, les Qataris pour leurs affaires en Europe.

Il existe trois grandes options pour conclure des affaires au Qatar. La première option consiste à opérer au Qatar sans y créer de structure permanente, en matière de distribution et de service. La création d'un bureau de représentation est possible pour réaliser du développement commercial mais il ne peut être le support d'une activité économique. La formule de la succursale ne concerne que le domaine de la construction et n'est possible que dans le cadre d'un projet précis lié à l'Etat du Qatar.

La deuxième option, la plus classique, consiste à s'implanter sous forme de joint-venture avec des Qataris. Sauf cas particulier, un Qatari doit posséder la majorité des parts du capital de l'entreprise. Il peut s'agir d'un partenaire actif techniquement et commercialement et investi dans le management, ou d'un partenaire dormant qui se contente de prêter son nom. Il est alors légalement possible d'organiser la mainmise du partenaire étranger sur le fonctionnement de la joint-venture . Mais, le partenaire qatari peut bloquer le fonctionnement de la société s'il le souhaite.

La troisième option, encore relativement théorique, consiste à s'implanter sans partenaire qatari. En implantation offshore, il existe deux zones franches, réservées à certaines activités, où il est possible de s'implanter sans partenaire qatari. Il est également possible de posséder la majorité du capital d'une entreprise, mais il faut pour cela obtenir une exemption auprès du Ministère du Commerce. Il est très rare de l'obtenir.

La levée de l'obligation de recours à un partenaire qatari est envisagée. Cela est dû à la fois aux obligations liées à l'entrée du Qatar dans l'OMC et à la concurrence des pays alentours. Trois secteurs seraient concernés : technical services and consulting services , information and technology et distribution services . Les contours de ces dispositions sont encore imprécis. Mais un arbitrage est en cours au sein du gouvernement qatari sur ce point.

S'agissant de la fiscalité, une loi entrera en vigueur le 1 er janvier 2010 qui introduit un flat rate de 10 %, ce qui améliore l'attractivité du Qatar. Il n'existe pas d'impôts sur le revenu, de fiscalité indirecte ni de charges sociales employés et employeurs. Il existe enfin une convention fiscale entre la France et le Qatar qui a été récemment modifiée.

Dominique GUEUDET,
Education & Sustainable Development Manager, Total Exploration & Production Qatar

Le Qatar passe d'une économie basée sur les matières premières énergétiques à une économie qui prépare le pays au moment où ses ressources commenceront à diminuer. Le Qatar se veut l'anti-Dubaï et veut évoluer vers une knowledge-based economy .

Par ailleurs, le Qatar fournit 30 % du gaz mondial. Le pays connaît une grande stabilité politique et le gaz n'est pas utilisé à des fins politiques. La première étape de transformation de l'économie est d'utiliser ces ressources pour produire des matériaux ayant une valeur ajoutée plus importante et dont le prix de vente n'est pas déterminé uniquement par un marché mondial. La seconde étape vise à développer l'enseignement, la culture, la recherche scientifique et l'innovation. Les moyens alloués à ce développement sont très importants.

Chez Total, je m'occupe d'éducation et de développement durable. Au Qatar, nous aidons des PME françaises et européennes à s'implanter industriellement au Qatar, où il n'existe pas de tissu économique de PME. Nous développons aussi des activités de mécénat et de collaboration culturelle. Enfin, dans le domaine de l'éducation, nous aidons la Fondation Qatar à accueillir des universités et organismes d'enseignement français. Cette Fondation a créé un espace de 25 km² dédiés à éducation et à la santé qui regroupe six universités américaines. Total a tenté d'y installer l'INSEAD mais cela a été un échec. La taille réduite de la population nationale ne justifie pas la mise en place de programmes de MBA ou de Masters. Nous cherchons donc d'autres solutions.

Un certain nombre de précautions doivent être prises dans l'approche des Qataris. Avec beaucoup d'humilité, il faut faire la démonstration de son enthousiasme pour leur vision et les projets qu'ils ont pour leur pays et de son envie de les aider dans la modeste mesure de ses moyens. Il faut également montrer son intérêt non pour la région, mais pour le Qatar en particulier. Pour le Qatar, les pays voisins n'existent pas, le Golfe est arabique et non persique, le Qatar est au centre du Golfe et le Golfe est au centre du monde. Mais si les Qataris n'aiment pas que l'on fasse jouer la concurrence contre eux, ils n'hésitent pas à le faire de leur côté.

Par ailleurs, il ne faut jamais dire non aux Qataris. Eux-mêmes ne le font jamais. Ils ne s'énervent jamais. Pour autant, quand ils disent oui, cela ne veut rien dire non plus. Enfin, l'étranger arrive toujours en étant invité par quelqu'un.

Pour obtenir une réponse, il est donc indispensable de disposer de réseaux qui seront capables de relayer l'information véritable. Pour autant, il faut rester prudent vis-à-vis de ces réseaux qui peuvent avoir leurs intérêts propres. La question du temps peut être problématique. Il faut rester au moins deux ans avant de faire des affaires.

Les Qataris ont une vision du très long terme et du très court terme, mais pas de vision intermédiaire, ce qui peut poser des difficultés. Enfin, il faut faire la différence entre les mirages et la réalité. Des projets tels qu'Energy City ou sur les énergies nouvelles ne sont pas très réalistes.

Mais une fois qu'un contrat est conclu, il s'inscrit dans la durée. Les Qataris sont sincères et fiables. Ils sont également fidèles : il n'arrivera jamais que les commandes cessent tout d'un coup parce qu'un autre fournisseur aura pris votre place.

Echanges avec la salle

De la salle

Quels sont les intérêts respectifs de travailler seul ou en joint-venture dans les projets ?

Dominique GUEUDET

Travailler avec un Qatari permet d'accéder à un réseau et à un marché. Cela dépend de ce dont vous avez besoin et s'il existe déjà des professionnels locaux dans votre domaine d'activité.

Michel DHE

Un partenaire est nécessaire. Il ne faut pas forcément qu'il soit puissant mais il peut être utile, notamment dans les formalités d'installation. Il permet aussi d'être introduit et d'accéder à un réseau qui permettra d'avoir un retour d'information.

Arnaud DEPIERREFEU

Tout dépend du secteur d'activité. Pour tout ce qui concerne les commandes publiques dans la construction et les réseaux de transport, il est nécessaire d'avoir un partenaire qatari puissant. Mais dans certains secteurs, il est possible de s'en passer.

Michel DHE

La France bénéficie d'une excellente image de marque. Mais ce n'est pas suffisant. Il faut savoir écouter et décoder. Les Arabes du Golfe sont toujours très polis, le non frontal n'existe pas et il est toujours difficile de savoir de quoi il retourne.

Dominique GUEUDET

Nous ne devons pas essayer d'imiter les Américains et leur monolithisme. Dans le domaine de l'éducation, nous essayons de faire venir HEC au Qatar. Les Qataris attendent des Français autre chose que ce que font les Américains. Il faut montrer du respect et une amitié pour la culture du Qatar et utiliser le fait qu'ils aiment France et certains aspects de la politique française.

Michel DHE

Retenez la formule mnémotechnique « IBM » pour Inch'Allah (si Dieu le veut), Boukra (demain), Maalesh (tant pis, ce n'est pas grave). Elle est très utile pour décoder ses interlocuteurs.

Clôture

Pierre MOURLEVAT,
Ministre-Conseiller, Chef des services économiques pour le Moyen-Orient

Le Moyen-Orient est une région à forte croissance tirée par l'État pour les projets d'infrastructures avec une orientation forte sur la diversification de l'économie. L'Iran est dans l'expectative du dialogue conduit avec la communauté internationale. Enfin, une forte reprise intervient en Irak dans un contexte de sécurité un peu difficile.

La Coface est très ouverte sur les pays du CCEAG. Son retour est annoncé fin 2009 en Irak. Elle n'est pas fermée sur l'Iran mais la tendance est à ne pas prendre de nouvelles affaires.

La diversification des économies du Golfe se fait dans trois directions : l'industrie lourde et les hautes technologies, le pôle logistique et financier et l'économie de la connaissance.

Les fonds souverains ont repris leurs investissements à l'étranger. Il faut les attirer davantage vers la France, notamment avec l'aide de l'AFII.

Il existe des secteurs de développement fondamentaux très porteurs pour nos entreprises : les infrastructures, l'eau et la gestion des services publics, le ferroviaire et les transports en général, le développement des industries nouvelles et l'aménagement urbain.

Pour les modalités de travail, un consensus s'est établi aujourd'hui sur le fait qu'il faut être présent dans le pays, ce qui n'empêche pas d'établir un siège régional dans un des pays.

Un point d'interrogation lié à l'actualité demeure à propos de Dubaï. L'Émirat avait été très critiqué jusqu'à cet été dans les grands journaux financiers internationaux. L'Émirat a lancé une grande campagne de publicité pour redonner confiance. Mais le moratoire sur la dette inquiète et pourrait avoir des effets systémiques sur la région et entraîner une baisse de confiance. Les investissements directs à l'étranger mondiaux vont en priorité vers la Chine, le Brésil et la Russie et ignorent cette région. Sur le fond, il faut néanmoins relativiser les difficultés de Dubaï, dans la mesure où il est difficilement imaginable que les Émirats Arabes Unis n'aient pas la capacité de gérer leur dette.

Synthèse rédigée en temps réel par la société Ubiqus Reporting France
www.ubiqus-reporting.fr / 01 44 14 15 00