Colloque Sénat-Ubifrance sur l'Afrique du Sud (12 octobre 2006)



Investir et exporter en Afrique du Sud

Yves de RICAUD,
Chef de la Mission économique de Johannesburg,
Chef des Services économiques pour l'Afrique australe

Nos échanges permettront de brosser un tableau de l'environnement des affaires en Afrique du Sud, marché sophistiqué et divers. Un éclairage particulier sera porté sur le « Black Economic Empowerment ». Les entrepreneurs ici présents pourront ainsi glaner des conseils précieux pour leur implantation future.

Quelques clés pour investir sur un marché sophistiqué et singulier : environnement des affaires, Black Economic Empowerment, responsabilité sociale des entreprises

Morakile SHUENYANE,
Directeur général délégué de Total Afrique du Sud,
Président de la Chambre de commerce franco-sud-africaine

En tout premier lieu, je soulignerai que la France et sa communauté d'affaires doivent se positionner en Afrique du Sud en tant que partenaires et non faire preuve d'une attitude néocoloniale. A cette condition, les entreprises françaises, si elles gardent en tête la psychologie des Sud-africains, pourront se révéler attrayantes aux yeux du marché. Il convient pour elles d'adopter une mentalité tout autre.

J'évoquerai le« Black Economic Empowerment » (BEE), que l'on pourrait définir comme la responsabilisation économique des Noirs. Le pays, libéré du poids du passé, loin d'enclencher un processus de nationalisation, a lancé le BEE, processus qui consiste à regarder vers l'avenir, tout en restaurant son honneur et sa légitime part de richesse à la population noire. Il s'agit de balayer le critère exclusif de la race. Le BEE s'est révélé très bénéfique pour tous : il a contribué à stimuler fortement l'économie, les individus autrefois marginalisés étant devenus partie prenante du processus.

J'ajouterai que le BEE contribue à réduire la criminalité en Afrique du Sud. En effet, la responsabilisation économique à grande échelle a permis de réinsérer au sein de la société toute une frange de la population autrefois qualifiée de génération perdue, fortement engagée dans la criminalité. Le gouvernement a aussi souhaité faire comprendre que la criminalité ne relève pas que de lui seul : il s'agit d'un problème de la société tout entière, raison pour laquelle nous incitons au dépôt de plainte systématique, ce qui promeut la normalisation de la société.

L'Afrique, auparavant, était associée à la fatalité : aucun espoir n'était plus permis. Aujourd'hui, pourtant, fleurissent nombre de projets et initiatives comme le NEPAD. C'est une nouvelle Afrique qui émerge ! Les autres sociétés doivent donc cesser de considérer l'Afrique sous un angle négatif et de manière stigmatisante : là réside l'une des clés du problème. Nous ne sommes pas enlisés dans nos problèmes, nous tentons d'en sortir et nous y réussissons !

En Afrique du Sud, des sociétés françaises, telles qu'Alcatel ou Total, ont mis en place une politique de responsabilisation économique des Noirs. Grâce à son positionnement, Renault, par exemple, a tiré bénéfice du « Black Economic Empowerment » : l'entreprise remporte actuellement 6 % des parts de marché sud-africain, alors que sa présence était nulle six ans auparavant. Ces exemples de succès démontrent que vous, entreprises françaises, pouvez contribuer à la croissance de l'Afrique du Sud, et le gouvernement vous incite vivement à poursuivre vos efforts sur ce marché. A ce titre, j'estime que les Français pourraient explorer le secteur culturel, pour pénétrer le marché sud-africain, via la préservation des cultures, domaine dans lequel la France a fait preuve de son expertise. Notre partenariat en sortirait grandi et magnifié.

Gérald FARRENC,
Vice-président, Sales Operations for Europe and South, Alcatel

Le parcours d'Alcatel en Afrique du Sud est, à plusieurs titres, exemplaire. Le pays a connu une évolution majeure ces dernières années. Son élite et l'ensemble de la Nation font preuve d'enthousiasme. Les ressources du pays semblent devoir garantir son succès.

Dans le cadre de mes fonctions au sein d'Alcatel, j'ai rencontré le président Thabo Mbeki et participé aux réflexions relatives au « Black Economic Empowerment » et à la volonté d'homogénéiser la société sud-africaine. Notez qu'en tant qu'opérateur, Alcatel a tout intérêt à ce qu'une part importante de la population sud-africaine soit en capacité de communiquer et d'utiliser ses équipements. L'Afrique du Sud compte plus de 20 millions de lignes de téléphones mobiles ; la pénétration du marché atteint donc 50 %. Ce n'est donc pas seulement l'élite qui bénéficie de ce mode de communication, qui - soulignons-le - constitue l'une des amorces du commerce. A cet égard, je tiens à le rappeler, c'est le continent africain qui a permis de développer le concept « pre-paid », qui rencontre aujourd'hui un certain succès en Europe.

Le « Black Economic Empowerment » consiste en la participation d'entités noir-africaines à l'actionnariat de l'activité d'industriels étrangers en Afrique du Sud, mais également en l'intégration de dirigeants ou de cadres noirs dans la structure et en la formation du personnel, via le transfert de compétences. Il s'agit également pour les sociétés étrangères implantées en Afrique du Sud de favoriser les entreprises à participation noire pour ce qui est de l'achat des fournitures et matériels. Ces considérations, relatives au BEE, détermineront en partie l'attribution de marchés publics et parapublics. Alcatel, pour sa part, avait pris le parti, il y a quelques années déjà, de devenir une société leader en matière de conformité aux critères du BEE.

Il convient de noter également que les activités d'une société dans le domaine du développement durable auront un impact positif, en termes d'image de l'entreprise. Ainsi, Alcatel a développé, en partenariat avec le premier opérateur de mobiles en Afrique du Sud, un dispositif de communication permettant aux agriculteurs implantés en zone défavorisée de connaître la situation du marché, en vue de la commercialisation de leurs produits. Grâce à la meilleure stratégie de distribution ainsi développée, le niveau de vie des agriculteurs s'est considérablement amélioré. Alcatel a obtenu un retour sur investissement tout naturel du fait de l'accroissement de la capacité économique de ces agriculteurs qui ont, de fait, généré un trafic supplémentaire en utilisant les services voix.

L'Afrique du Sud s'avère incontournable en Afrique Sub-saharienne. L'implantation d'une filiale sur ce territoire favorise ensuite la dissémination de l'activité sur l'ensemble de l'Afrique sub-saharienne. Pour ce qui est de l'attribution des marchés privés, il est certain que l'appropriation du BEE par une société étrangère joue un rôle important.

Henry CASTELNAU
Conseiller du commerce extérieur de la France(CCEF) honoraire,
Délégué du CIAN pour l'Afrique australe

Le Ministère du Commerce et de l'Industrie sud-africain a rédigé un code de bonne conduite relatif à chaque secteur de l'économie. Les critères figurant sur la « Scorecard » comprennent celui de « ownership », qui, bien souvent, fait reculer les sociétés occidentales. S'il apparaît important d'obtenir les meilleurs résultats pour chacun des critères, il est cependant tout à fait possible de présenter un bon profil, sans toutefois se conformer au critère d'« ownership ». Les entreprises françaises ont toutes les chances d'obtenir de bons scores et, donc, de réussir sur le marché sud-africain, notamment en veillant à la proportion équilibrée de Blancs et Noirs, en matière de formation et d'emploi, par exemple. Je plaide pour la formation par les entreprises de nombreux ouvriers spécialisés. Le BEE est un processus qui s'inscrit sur le long terme : il est donc dans l'intérêt de nos entreprises françaises de s'y investir. A ce titre, je signale que le National Empowerment Fund met en relation des sociétés soucieuses de souscrire au BEE et des groupes noir-africains souhaitant investir.

Bernard AUBERT,
Directeur des programmes, Sodern (études et réalisations nucléaires)

Sodern est une PME qui emploie 350 personnes, dotée de moyens modestes. Elle déploie son activité dans le secteur des hautes technologies, sur des marchés de niche. Nous avons développé un analyseur neutronique de matériaux, outil utilisé dans les mines et les cimenteries, et notamment en Afrique du Sud.

Pour vendre nos équipements dans ce pays, nous avons pris contact avec la Chambre de commerce et d'industrie de Paris qui nous a mis en relation avec la Mission économique de Johannesburg. Cette dernière nous a fourni une étude sur notre secteur d'activité et nous a proposé d'entreprendre un voyage de prospection en Afrique du Sud. A cette occasion, au début de l'année 2004, nous avons rencontré un grand nombre de sociétés présentes dans le secteur minier et des distributeurs potentiels. Nous avons conclu une première vente d'équipements en novembre 2005. Aujourd'hui, une première machine est installée dans une cimenterie sud-africaine et constitue une vitrine de notre activité en Afrique du Sud et en Afrique australe. Nous sommes actuellement en négociation pour l'équipement, avec nos matériels, d'une centrale thermique d'Eskom.

Le BEE ne constitue pas une préoccupation directe de notre société. Nous travaillons en Afrique du Sud avant tout car le marché nous y est très favorable.

Il est à noter que l'Afrique du Sud compte des interlocuteurs techniques beaucoup plus ouverts que dans certains autres pays anglo-saxons ; il est donc plus aisé de pénétrer ce marché. Le mode de relations commerciales et techniques reste cependant relativement classique. Enfin, Sodern participe à des salons professionnels une à deux fois par an en Afrique du Sud.

Son Excellence Nomasonto Maria SIBANDA-THUSI

Quid des répercussions du projet de fusion entre Alcatel et Lucent sur les investissements en Afrique ?

Gérald FARRENC

Je préciserai que la fusion entre Alcatel et Lucent n'est pas encore effective. Quoi qu'il en soit, Alcatel continuera d'utiliser sa base en Afrique du Sud pour développer ses activités en Afrique sub-saharienne. Dans cette région du monde, il semble qu'après le développement du mobile, ce soit le réseau internet qui soit appelé à s'étendre. L'accès au broadband requerra des investissements importants. Il conviendra à ce titre d'encourager la concurrence dans ce domaine : en effet, la compétition contribuera à l'abaissement des prix, ce qui devrait garantir à une large part de la population l'accès à Internet.