Colloque Sénat-Ubifrance sur l'Australie et la Nouvelle-Zélande



De nombreux projets d'infrastructures, des marchés publics en évolution

Sont intervenus :

Jean-Louis LATOUR, Chef des Services économiques pour l'Océanie
Patrick BOREL, Directeur chargé de l'Asie, Safran
Michel GEORGIN, Président, Thales Opérations internationales
Michel ULRICH, Directeur Exploitation internationale, Degrémont


Les débats étaient animés par Carole GAESSLER, journaliste.

Jean-Louis LATOUR

Les besoins en matière d'infrastructures sont énormes. Ainsi le chiffre de 50 milliards d'euros avancé par Monsieur Draffin est basé sur l'addition des différents projets dans les territoires australiens. Toutefois les besoins sont particulièrement concentrés sur Western Australia et le Queensland. Les groupes français sont impliqués dans la gestion des équipements publics mais sont absents des opérations de construction. La forte concentration des opérateurs du secteur, qui s'apparente à de la cartellisation, en est la cause. Toutefois les besoins en termes d'infrastructures sont tellement forts que les entreprises présentes sur le marché ne peuvent répondre à la demande. Les gouvernements des Etats fédérés sont donc inquiets de cette situation et souhaiteraient que les entreprises françaises participent à ces travaux. Le moment est donc venu pour nos sociétés de venir en Australie pour y conquérir des parts de marché.

Carole GAESSLER

Il est, dès lors, intéressant de se tourner vers les acteurs qui connaissent déjà les marchés publics australiens. C'est notamment le cas de Safran, représenté par Patrick Borel, qui travaille sur l'équivalent australien de la carte vitale.

Patrick BOREL

Dans les marchés publics, les Australiens sont très pragmatiques. Ils recherchent le meilleur produit avec le meilleur service après vente.

Carole GAESSLER

Pouvez-nous nous décrire les procédures de passation des marchés publics ?

Patrick BOREL

Les marchés publics australiens sont caractérisés par leur transparence ainsi que par l'abondance et le sérieux des spécifications requises. Ainsi, les règles du jeu sont connues de tous et la sélection se fait sur des critères objectifs de performance.

Carole GAESSLER

Faut-il s'allier à des sociétés australiennes pour remporter les marchés ?

Patrick BOREL

Il n'est pas nécessaire de s'allier avec des entreprises australiennes pour décrocher des marchés. En revanche, une implantation locale est nécessaire pour assurer la maintenance. Il est logique que les Australiens soient soucieux de ce point dans la mesure où ils ne peuvent attendre que les pièces viennent de France. Ils achètent en effet du matériel pour pouvoir l'utiliser.

Carole GAESSLER

L'Australie passe pour être la tête de pont des Etats-Unis dans la région, comme l'illustre leur engagement en Irak. Comment a fait Thales pour devenir le premier industriel dans le secteur de la défense en Australie ?

Michel GEORGIN

Nous nous sommes donné le temps d'avoir l'image d'une entreprise australienne. Nous nous sommes ainsi attachés à montrer à nos partenaires australiens que nous comprenons leurs problématiques. Thomson Sintra Pacific a commencé à s'implanter dans la région, en 1983, en équipant en sonars les sous-marins de la classe Collins. En 1993, Thomson a fondé une filiale spécialisée dans les radars et a remporté le marché de l' air traffic control . Ainsi, nous avons démontré en deux étapes que nous étions capables de servir le marché australien. De fait, nous avons pu bénéficier du soutien du gouvernement australien pour pénétrer le marché chinois du contrôle aérien. L'Australie est ainsi une base arrière pour la conquête des marchés asiatiques.

Le deuxième temps de notre implantation s'est articulé autour du rachat d'ADI, entreprise nationale de défense. Le gouvernement australien voulait redonner une impulsion à cette entreprise en évitant qu'elle ne soit trop dépendante du budget de l'armée. Thales a ainsi été autorisé, en 2000, à prendre 50 % de cette compagnie, en association avec un investisseur australien. ADI a conservé son autonomie, notamment sur les sujets sensibles pour lesquels l'Australie ne veut pas être dépendante des Etats-Unis. Le fait d'avoir donné des gages au gouvernement australien nous a permis d'obtenir 100 % d'ADI en octobre 2006. Pendant ces six années, nous avons fait la preuve de notre capacité à respecter les exigences des Etats-Unis. Ces derniers avaient, en effet, un droit de veto sur cette prise de contrôle d'ADI. Ce résultat démontre la pertinence de notre stratégie d'immersion. Ainsi nous n'avons que 15 ou 20 expatriés sur 3 700 employés. De même, il n'y a qu'un Français sur les douze membres du conseil de direction.

En ce qui nous concerne, la distance est un atout. Elle permet, en effet, de nous prémunir de tout interventionnisme alors même que l'Australie représente notre quatrième pôle d'implantation dans le monde. Il est important que les Australiens disposent de leur propre autonomie même si nous supervisons les sujets importants.

Carole GAESSLER

L'implantation de Thales en Australie a donc été le fruit d'un long travail. Est-ce que ce travail a été également nécessaire à la société Degrémont ?

Michel ULRICH

Nos activités sont un peu particulières. Elles s'inscrivent dans le cadre des partenariats public/privé qui échappent aux contraintes des marchés publics. Nous avons pénétré le marché australien en remportant un appel d'offres international pour le traitement des eaux. Cet appel d'offres, remporté il y a quinze ans, concernait la production d'eau potable pour l'agglomération de Sydney soit 420 millions de mètres cubes annuels. Nous sommes ainsi positionnés sur ce marché au moment où les problèmes liés à l'eau sont très importants.

Carole GAESSLER

Vous venez également de décrocher le marché pour une usine de désalinisation d'eau de mer à Perth. Avez-vous eu besoin de vous associer à une entreprise australienne ?

Michel ULRICH

Dans le cas de cette usine, le périmètre est différent. Nous assurons la conception et la construction de l'usine ainsi que son exploitation et sa maintenance pour une durée de vingt ans. Cela fait deux ans que nous avons été sélectionnés dans le cadre d'un appel d'offres international. Nous avons dû nous associer dans la mesure où nous ne conduisons pas d'opérations de génie civil.

Carole GAESSLER

Le représentant de Safran nous indiquait que les règles de passation des marchés publics sont transparentes en Australie. Est-ce que vous partagez cette opinion ?

Michel ULRICH

Les conditions de sélection, dans notre métier, sont remarquables pour l'attribution des marchés publics. Toutefois les Australiens n'ont pas l'approche clé en main des marchés publics qui est dominante en Europe. En effet, l'offre soumise est appréciée, en Europe, par rapport au prix et aux spécifications requises ; sans que les détails soient analysés. En revanche, les Australiens vont analyser l'ensemble des détails. De fait, la procédure d'attribution des marchés publics se déroule en deux étapes. Une présélection s'opère à l'issue de laquelle deux compétiteurs restent en lice. Au cours des deux ou trois mois suivant cette première étape, les entreprises encore en lice, doivent détailler l'intégralité du contenu de leur offre. Le prix sera ainsi déterminant à moins que les différences technologiques soient vraiment importantes.

Carole GAESSLER

Les procédures sont-elles similaires en Nouvelle-Zélande ?

Patrick BOREL

Nous ne sommes malheureusement pas implantés en Nouvelle-Zélande. Nous avons toutefois remporté des marchés publics pour du matériel de défense comme des missiles anti-aériens ou des hélicoptères. Les procédures décrites pour les marchés publics australiens s'appliquent également en Nouvelle-Zélande.

Michel GEORGIN

Nous avons décidé cette année de créer une filiale en Nouvelle-Zélande, sous la responsabilité de notre entité australienne. Nous espérons nous développer sur ce marché qui est similaire à celui de l'Australie. En outre, la Nouvelle-Zélande a également une zone d'influence dans la région ; dont il est intéressant de bénéficier. A titre d'exemple, nous avons emporté le marché du système de sécurité des réunions de l'APEC. Nous espérons utiliser ce marché pour assurer la promotion de notre société auprès des pays membres.

Michel ULRICH

Nous sommes présents en Nouvelle-Zélande depuis une dizaine d'années. Nous avons remporté en effet deux appels d'offres pour la construction et l'exploitation d'usines, notamment pour le traitement des eaux résiduaires d'Auckland. Nous opérons au travers New Zealand Water Services, une filiale d'Australian Water Services. Les deux marchés sont très complémentaires dans la mesure où le traitement de l'eau dépend dans ces pays des ingénieurs conseils

Carole GAESSLER

Quels sont spécifiquement les domaines dans lesquels il existe des parts de marché à conquérir dans le cadre de l'attribution des marchés publics ?

François RAFFRAY

En termes d'infrastructures, un budget de 10 millions d'euros est prévu pour améliorer les infrastructures en vue d'accueillir la coupe du monde de rugby. En outre, l'environnement est considéré comme une priorité gouvernementale. Ainsi le recyclage des déchets ménagers et le traitement des eaux sont deux secteurs porteurs. Il en va de même pour le secteur de l'énergie puisqu'une loi récente impose 3,4 % de biocarburants en 2012.

Jean-Louis LATOUR

Le problème des entreprises françaises a été abordé par Monsieur Ulrich. Nos compagnies sont en effet absentes du secteur du génie civil, où se trouvent les plus importantes opportunités. Toutefois ce secteur est caractérisé par la concentration des acteurs. Il est donc nécessaire qu'une entreprise française prenne le contrôle d'une société australienne pour pouvoir concourir aux appels d'offres.

Patrick BOREL

Le marché des infrastructures de transport urbain, notamment la rénovation de la signalisation, est également très porteur. Nous concourons avec Alcatel pour les appels d'offre de Sydney et de Melbourne. La présence d'entreprises françaises de BTP nous serait d'une grande aide pour remporter ces marchés.

Michel ULRICH

Nous sommes à la recherche de partenaires pour remporter des marchés concernant de gros travaux. Or nous sommes gênés par le fait que le marché est occupé par trois ou quatre acteurs, qui seront ramenés à deux par le biais des procédures de sélection. Nous aimerions pouvoir nous associer avec une entreprise française. Toutefois, celle-ci ne pourra s'établir qu'en rachetant des entreprises australiennes.

François DESCOUEYTE

Il faut préciser que beaucoup de secteurs en Australie reposent sur une structure de duopole. Un entrant ne peut donc espérer s'implanter sur le marché que s'il s'associe avec l'un des deux acteurs déjà présents. Nous essayons ainsi de convaincre Bouygues et Vinci de venir s'implanter en Australie en prenant le contrôle d'une entreprise australienne.

Jean-Louis LATOUR

Je voudrais ajouter que l'Australie est un pays de clubs. Il faut donc acquérir les codes de comportement pour y faire des affaires. Un entrant peut ainsi accéder au marché s'il est perçu comme un membre du club.