Colloque sur Chypre


Actes du colloque

« Les relations franco-chypriotes

Enjeux et perspectives »

Jeudi 2 décembre 2004

En présence de :

M . Christian PONCELET, Président du Sénat

Sous l'égide de :

M. André ROUVIÈRE, Président du groupe interparlementaire du Sénat France-Chypre ;

S. Exc. M. Minas HADJIMICHAEL, Ambassadeur de Chypre en France.

Avec la participation de :

M. François LOOS , Ministre délégué au Commerce extérieur ;

M. Yorgos LILLIKAS , Ministre du Commerce, de l'Industrie et du Tourisme de la République de Chypre

S. Exc. M. Hadelin DE LA TOUR DU PIN, Ambassadeur de France à Chypre.

Ouverture

Christian PONCELET

Président du Sénat

Monsieur le Ministre,

Messieurs les Présidents,

Messieurs les Ambassadeurs,

Chers collègues,

Mesdames et Messieurs,

Le Sénat est très heureux de vous accueillir aujourd'hui dans le cadre d'un colloque économique sur Chypre qui, événement plutôt exceptionnel, sera aussi marqué, en fin de matinée, par la réactivation de la Chambre de commerce franco-chypriote. Je tiens à saluer la présence parmi nous du Ministre du Commerce, de l'industrie et du Tourisme de la République de Chypre, Monsieur Yiorgos Lillikas, venu exprès de son pays pour participer à cet événement. Nous comptions aussi sur la participation, à ses côtés, de son homologue français, Monsieur François Loos, mais je viens d'apprendre qu'il a été retenu au dernier moment pour participer à un séminaire gouvernemental auquel sa présence était indispensable. Je remercie cependant ses collaborateurs, dont plusieurs sont ici présents, pour l'appui actif qu'ils nous ont apporté dans la préparation de ce colloque.

Avant d'aborder le thème de notre matinée, je voudrais décerner une mention particulière à notre ami André Rouvière, Sénateur du Gard et Président actif du groupe d'amitié France-Chypre du Sénat. Je sais combien il s'est impliqué depuis deux ans dans la préparation de cette rencontre. André Rouvière a d'ailleurs profité de sa présence à Chypre à la tête d'une délégation de son groupe en juin 2004 pour convaincre ses interlocuteurs et les associer à son projet. Voici, une fois de plus, la démonstration du potentiel d'action des groupes interparlementaires du Sénat, y compris sur des terrains comme l'économie, où ils peuvent être des intermédiaires précieux. En fait, ces groupes ne se limitent pas à faire de la « diplomatie parlementaire » au sens désormais classique du terme : plus généralement, ils sont des acteurs efficaces de la présence et de l'influence françaises dans le monde, auxquelles le Sénat en général - et son Président en particulier - attachent la plus grande importance. Il faut que les hommes se rencontrent, échangent, dialoguent, et tissent entre eux des liens de sympathie et d'amitié.

Mes remerciements vont enfin à tous ceux qui ont apporté leur concours à cette manifestation, en particulier la Chambre de Commerce et d'Industrie de Chypre, l'Assemblée des Chambres françaises de Commerce et d'industrie, sans oublier nos amis d'UBIFRANCE : cette fois, ils n'intervenaient pas comme « maître d'oeuvre », mais ils nous ont accompagné avec leur efficacité habituelle. Il s'agit d'une raison supplémentaire pour que je leur adresse mes remerciements.

A lui seul, l'intitulé de la rencontre « Chypre, enjeux et perspectives », souligne bien les potentialités des échanges économiques avec un pays auquel, visiblement, les entreprises françaises n'ont pas encore accordé l'attention qu'il mérite. Je considère que notre présence est encore trop frileuse dans votre région. En effet, alors que nos relations politiques et diplomatiques bilatérales sont excellentes, nos relations commerciales et financières restent très, voire trop modestes et cantonnées à quelques secteurs qui gagneraient à être diversifiés, tant à l'importation qu'à l'export ou dans le domaine des investissements.

Selon les statistiques publiées par le Quai d'Orsay, Chypre se situerait aujourd'hui comme notre 69 ème client dans le monde, avec un volume d'importations très limité : cela est, pour nous, nettement insuffisant. La part de la France dans les importations chypriotes n'est pas tellement meilleure, même si, en pourcentage, nous occupons à Chypre une position économique un peu plus favorable. Si ce colloque permet de renforcer davantage nos relations, cela sera, pour nous, un grand succès.

Quoi qu'il en soit, la situation actuelle n'est pas satisfaisante, surtout depuis que nos amis chypriotes ont rejoint l'Union européenne et sont devenus, de ce fait, non plus de simples clients, mais des partenaires à part entière. En conséquence, un champ d'intervention nouveau s'ouvre à nous. L'enjeu est de taille : dois-je rappeler qu'avec un PIB annuel supérieur à 15 000 euros par habitant et un taux de croissance nettement supérieur à la moyenne européenne, la République de Chypre est aussi le nouvel Etat membre le plus prospère parmi les dix pays qui ont adhéré à l'Union en mai 2004.

Quant aux perspectives, elles sont favorables, car l'entrée de Chypre dans l'Union européenne permet de tirer parti de tous les avantages de la libre circulation des personnes, des biens, des services et des capitaux. J'ajoute que le Gouvernement chypriote a institué en priorité la diversification de son économie, avec la libéralisation de son marché, l'émergence d'un pôle de services à haute valeur ajoutée et un développement régional équilibré passant, notamment, par un programme d'équipements d'infrastructures. Dans tous ces domaines, les entreprises françaises ont une carte à jouer.

Pour les y inciter, vous avez voulu jeter un éclairage plus précis sur certaines activités où notre coopération trouverait un terrain propice : l'eau et l'assainissement, la santé, la gestion des risques majeurs ou encore la communication et la culture. Ces choix sont judicieux, car dans ces secteurs, la demande chypriote de savoir-faire est forte, et beaucoup d'entreprises françaises sont en mesure d'y répondre, y compris les PMI-PME. Encore faudrait-il qu'elles prennent mieux conscience des potentialités réelles que Chypre leur offre...

Or il faut bien admettre que des progrès restent à accomplir dans cette voie, si j'en juge par le faible nombre des patrons et des cadres français au courant des opportunités d'affaires sur le marché chypriote. Le problème ne tient pas à l'insuffisance de l'information économique, car dans ce domaine, beaucoup a déjà fait. On constate, par exemple, que l'ambassade de France à Chypre et l'ambassade de Chypre en France ont déjà déployé des efforts significatifs, avec d'ailleurs quelques belles réussites à la clé. En réalité, la méconnaissance du marché chypriote tient moins à des résistances de principe qu'à la relative rareté des occasions concrètes de dialogue et de rencontre entre les chefs d'entreprise et les décideurs économiques des deux pays. C'est pourquoi la réactivation de la Chambre de commerce franco-chypriote va dans le bon sens, car cette instance contribuera à renforcer les contacts déjà pris et à favoriser le lancement de nouveaux projets, dont nos deux économies sauront tirer profit. Je souhaite pleine réussite aux futurs responsables de cette Chambre qui, d'ores et déjà, est assurée du soutien du Sénat, notamment par le canal de son groupe d'amitié France-Chypre.

Avant de céder la parole au Ministre chypriote puis aux spécialistes qui vont se succéder à cette tribune toute la matinée, je voudrais enfin rassurer tous ceux que la partition de Chypre continue d'inquiéter. La France, vous le savez, a officiellement regretté que les référendums d'avril 2004 sur la réunification de l'Ile n'aient permis l'entrée dans l'Union européenne d'une Chypre unifiée, à laquelle nous avons toujours été favorables. Cela étant, le maintien pour le moment des deux communautés ne doit pas servir d'alibi économique pour rester à l'écart d'un pays où la présence des entreprises françaises peut se révéler non seulement rentable financièrement, mais aussi constructive politiquement.

En effet, le développement harmonieux de Chypre - au Nord comme au Sud - sera aussi, à terme, un élément de nature à favoriser le rapprochement de tous ses habitants et à faciliter la réunification que nous appelons de nos voeux. Sur cette note d'optimisme, permettez-moi de souhaiter à tous de bons et fructueux travaux, en espérant que vous garderez un excellent souvenir de votre passage au Sénat et que vous y reviendrez.

Yiorgos LILLIKAS

Ministre du Commerce, de l'Industrie et du Tourisme de la République de Chypre

Monsieur le Président,

Monsieur le Président du groupe sénatorial France - Chypre

Mesdames, Messieurs les Parlementaires,

Mesdames, Messieurs,

Avant de souligner l'importance et la valeur politique, économique et culturelle que nous attachons à ce colloque, permettez-moi d'exprimer ma joie pour une raison purement personnelle.

Je me réjouis en effet que la République de Chypre ait entrepris d'élargir et d'approfondir ses relations avec la France, un pays auquel je dois un enrichissement de mon univers culturel et intellectuel. Dix-sept ans sont passés depuis que j'ai quitté l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon : je vois en ce retour l'occasion non pas, cette fois-ci, de développer seulement des liens personnels, mais également de renforcer la relation qui lie ces deux pays, France et Chypre, auxquels je porte un attachement tout aussi fort, bien que différent. Après cette brève introduction, que j'ai volontairement choisi de faire en français, en souvenir de mes années universitaires et en hommage à un pays et une langue que j'apprécie énormément, permettez-moi de poursuivre ce discours dans ma langue maternelle qui le grec.

Les liens entre France et Chypre sont très anciens ; rappelons en effet que les Lusignan, qui ont conquis Chypre, étaient originaires de la ville de Poitiers. Nos deux peuples ont en outre été interdépendants pendant la période des Francs ; la relation entre nos deux cultures pendant cette période est encore visible actuellement, plusieurs mots du dialecte chypriote étant directement issus du français. Au XIIIe siècle en outre, les Francs ont introduit l'architecture gothique dans notre île. Les Francs ont également amené en France certaines variétés de raisin cultivées à Chypre, ils ont d'ailleurs laissé leur nom à notre vin traditionnel. Rappelons que les vins chypriotes, à l'époque, étaient très réputés, et servis à la cour des Rois de France.

Notre histoire commune se poursuit encore. Il y a quelques jours, un livre intitulé Regards croisés sur Chypre est paru en France. Au même moment, les spécialistes de l'oeuvre d'Arthur Rimbaud ont présenté un documentaire sur le passage du poète dans notre île. Aujourd'hui, nous sommes conduits à développer les relations entre Chypre et la France, nous sommes appelés à donner une nouvelle dimension, plus actuelle, à cela. Chypre est maintenant entrée dans l'UE : cette intégration jette les bases de ces nouvelles relations. Le Gouvernement chypriote souhaite nouer des relations stratégiques avec la France, ceci dans une optique européenne mais aussi « moyen-orientale ». Chypre, pendant toute l'histoire de nos relations, a été un point de rencontre entre trois continents. Cette grande richesse est maintenant mise à disposition de l'Europe, mais aussi de la France. Notamment, notre présence dans le monde arabe, d'un point de vue économique, peut être utilisée par le monde des affaires français. En outre, la mondialisation de l'économie ne peut être affrontée qu'au travers d'un effort collectif ; nous pouvons apporter notre contribution dans ce cadre.

Chypre est un pays actuel, moderne, un pays stable aux plans économique, politique et social. Nous disposons d'excellentes infrastructures routières et de télécommunications. Ce constat vaut pour les services bancaires et les communications, grâce auxquels nous offrons un très bon cadre de fonctionnement aux entreprises. Chypre est donc devenu un centre d'affaires important.

Notre structure sociale et économique est très contemporaine : notre économie se développe à un niveau très satisfaisant, et notre PIB a atteint en 2003 les 112 milliards d'euros. Nous attendons une croissance de notre économie de l'ordre de 3,2 %. Le revenu par habitant est l'un des plus hauts de la région (16 000 euros en 2003) ; le chômage affiche un niveau très faible, à 3,5 %. Le même constat peut être fait pour l'inflation en 2003 (1,5 %). Comme vous pouvez donc le constater, les conditions pour le développement du commerce y sont très favorables.

Notre île étant petite, le marché intérieur y est donc réduit. Cela pousse les milieux d'affaires à rechercher d'autres marchés à l'extérieur : de ce fait, notre balance commerciale est excédentaire. L'UE représente le premier partenaire commercial de notre île. Nous constituons en outre un centre commercial très important dans le domaine du commerce de transit. Signalons que ce domaine contribue à hauteur de 75 % au PIB. Ce niveau très élevé, et la qualité des services rendus, a consacré Chypre comme un centre d'affaires majeur. Par ailleurs, la jeunesse de Chypre est très alerte, dans la mesure où 70 % des jeunes possèdent le baccalauréat, et vont largement étudier à l'étranger : ils parlent donc des langues étrangères, et connaissent les cultures des autres pays. Cela représente un avantage important pour les entreprises souhaitant s'installer à Chypre.

Les rapports commerciaux entre la France et Chypre demeurent inégaux, la balance commerciale est à votre avantage. D'un point de vue touristique, 44 502 Français sont venus visiter notre île en 2003. Plus généralement, je dois vous dire que nous voulons collaborer avec vous en vue du développement d'un nouveau modèle économique, basé sur la coopération. Nous voulons développer un modèle fondé sur les hautes technologies et la connaissance. Dans cette optique, nous avons obtenu la collaboration de la Chambre de Commerce et d'Industrie de la Côte d'Azur, et celle de la technopole de Sophia-Antipolis. Signalons également que l'Université de Harvard a décidé de nous apporter son concours, pour le développement de la branche environnementale dans notre île. Nous avons en outre décidé de financer un groupe de scientifiques, composé pour une large part de Français. Nous escomptons nous développer dans les domaines des biotechnologies et des nanotechnologies : des progrès ont d'ores et déjà été réalisés à ce titre.

Je pense que ce colloque représente pour nous un moment important, dans la mesure où les défis qui se posent à nous sont nombreux ; nous espérons nouer de nouvelles relations avec des interlocuteurs français, et la réactivation de la Chambre de Commerce franco-chypriote est essentielle dans ce cadre. Rappelons que la France dispose d'excellentes compétences dans de nombreux domaines de pointe, votre concours sera très profitable. En outre, de telles coopérations présentent de nombreux avantages pour la France, Chypre pouvant jouer un véritable rôle de passerelle vers le Moyen-Orient et l'Asie.

Je dois signaler que nos compatriotes chypriotes turcs n'ont pu être présents ce jour, ce que je regrette. Je puis vous assurer, ici, que nous allons encore multiplier nos efforts pour que le rapprochement entre nos deux communautés soit rapidement de mise. Je vous remercie.

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