colloque Libye 2006



Quelle présence en Libye ? Les grands contrats

Philippe BOHN
Directeur Afrique, EADS (aéronautique)

Je souhaiterais faire part de la reconnaissance du Groupe EADS pour le soutien sans faille que lui ont témoigné l'Ambassadeur de France en Libye, Patrick Lebrun et la mission économique : cette aide nous a été précieuse pour la signature de contrats importants.

L'expérience de notre Groupe en Libye ne se limite pas à notre filiale Airbus et compte de nombreux projets. Notre Groupe avait de nombreux a priori sur la manière dont se conduisent les affaires en Libye. En août 2005, nous avons finalement pris la décision d'ouvrir un bureau à Tripoli. La Libye constitue, au même titre que l'Afrique du Sud, un véritable partenaire stratégique pour EADS en Afrique. Elle se situe au carrefour des pays européens et du continent africain, pour lequel le Guide mène une politique qui suscite une forte adhésion. Ajoutons qu'il s'agit aujourd'hui de construire des partenariats : les Libyens, et Sayf Al-Islam, l'un des fils du Guide, ont apprécié la composante formation aux métiers de l'aéronautique que proposait notre projet. Ce contrat a d'ailleurs été signé par l'African Fund, doté de 5 milliards de dollars et présidé par le Directeur de cabinet du Guide qui nous a beaucoup soutenus.

La Libye présente donc un terrain très favorable, du point de vue d'EADS. Les affinités humaines y sont importantes. L' affectio societatis est majeur à Tripoli ; nous sommes très présents sur le terrain, avec nos partenaires, à tous les niveaux de décision, ce qui nous a permis de conclure rapidement des contrats importants.

Aujourd'hui, EADS a le sentiment que la diversification économique du pays est en bonne voie. La création d'une zone économique franche est significative à cet égard.

En conclusion, je préciserai qu'EADS n'a jamais connu de problèmes de corruption : les interlocuteurs auxquels elle s'adresse affichent leur volonté de conformité avec la convention de l'OCDE. Les autorités libyennes nous ont clairement fait savoir qu'il n'était absolument pas nécessaire de recourir à des intermédiaires. EADS travaille avec les Libyens, pour les Libyens, mais également au bénéfice de l'industrie européenne.

Un intervenant

Avez-vous dû faire face à une concurrence féroce de la part des Américains pour ce qui est de la vente d'avions ? Pouvez-vous nous communiquer des éléments chiffrés pour ce qui est du montant du contrat ? Quelles sont les perspectives futures ?

Philippe BOHN

Nous avons vendu 20 Airbus, essentiellement des avions mono couloir et long-courrier. Bien entendu, nous avons dû affronter la concurrence américaine : il me semble que c'est l'approche partenariale et la force de la relation humaine qui ont joué en notre faveur, tout comme le soutien que nous avons reçu de la part des représentations diplomatiques française, espagnole et allemande. Signalons par ailleurs que la position de la diplomatie française, au regard de la situation du Proche-Orient et de la crise au Liban, a contribué à faciliter la négociation. Sur le plan commercial, EADS a bien entendu dû faire un certain nombre de concessions, tant elle considère la Libye comme un partenaire stratégique.

Pierre ROSEK, Président de la Chambre de commerce franco-arabe

Les commandes d'Airbus en Libye sont-elles associées à des obligations offset ?

Philippe BOHN

Les contrats ne comprennent pas d'obligations offset au sens strict du terme. Il s'agit davantage d'une nécessité impérieuse de mettre en oeuvre des programmes d'accompagnement, de formation ainsi que des partenariats industriels et dans le domaine des services. En effet, la jeune élite est très attachée au fait que le pays puisse s'ouvrir tout en profitant de formations et d'une élévation du niveau de qualification de la main d'oeuvre. La jeune génération est consciente des forces de la Libye, dont elle veut faire un pays moderne, inscrit dans le concert des Nations.

Thomas DOGNON
Global Contract Manager, Alcatel (télécommunications)

Alcatel est présent en Libye depuis plus de trente ans ; nous sommes spécialisés dans le domaine des centraux téléphoniques privés, de la transmission par fibre optique terrestre ou marine, des faisceaux hertziens ou encore de la téléphonie mobile, entre autres. L'entreprise intervient en Libye dans les trois domaines d'activité suivants :

· la télécommunication fixe et mobile auprès de GPTC et de sa branche mobile Al-Madar : Alcatel doit par exemple mettre en place une liaison par câble sous-marin, le long de la côte libyenne, permettant de relier les principales villes ;

· les télécommunications satellites : Alcatel est impliqué dans le projet de satellite panafricain RASCOM qui doit permettre, via un accès à bande large, des applications comme la télémédecine ou l'enseignement à distance ;

· l'énergie : Alcatel créé un système complet de communication pour Agip Gas, entre autres, permettant de relier les champs de production à la raffinerie et aux implantations offshore.

Alcatel est présent sous forme de succursale et enregistré depuis 1996. La structure est issue du regroupement de plusieurs entités et héberge les activités commerciales ainsi que les services exécutés localement. Alcatel compte 50 salariés en Libye, dont 70 % de Libyens.

La succursale offre certains avantages. Cette forme juridique correspond pleinement à l'activité d'Alcatel dans le pays et lui donne le droit d'exercer une activité commerciale et opérationnelle et de payer et facturer localement. L'obtention de visas pour les missions et le suivi du processus administratif sont aussi plus aisés. L'implantation d'une succursale limite également les problèmes liés à la logistique locale, permet l'importation et la réexportation temporaire d'équipement pour effectuer des tests, par exemple, ou encore l'obtention de « desert pass » pour circuler dans le pays. Cette structure est donc en quelque sorte gage d'efficacité.

La forme juridique de succursale présente cependant certaines complexités. Ainsi, il convient de procéder à un enregistrement annuel auprès des services de l'immigration et au renouvellement du « Form B ». L'entreprise doit également se réenregistrer tous les cinq ans auprès du Ministère de l'Economie. Il convient aussi de veiller à ce que le paiement des taxes à la signature du contrat ne devienne pas pénalisant, notamment en cas d'entrée en vigueur tardive. Le paiement de l'impôt sur les sociétés et l'audit des comptes de la succursale peuvent être effectués sans limite de date, ce qui oblige à une tenue scrupuleuse des comptes. Enfin, il convient de se conformer à l'obligation de traduire tous les documents localement.

Jean-Marie JAY
Directeur Département Haute Tension, Nexans France (câbles électriques)

La société Nexans est présente en Libye depuis un certain nombre d'années. La concrétisation de notre présence a pris du temps mais s'est révélée fructueuse. Nexans a signé un contrat de réalisation d'une infrastructure pour un montant de 120 millions d'euros pour le compte de GECOL. Il s'agit de fournir et d'installer 230 kilomètres de câbles haute tension à Tripoli et à Benghazi. Dans le cadre de ce projet, Nexans gère des équipes multinationales locales et d'expatriés de différentes nationalités.

La période de pénétration du marché a été longue. De1994 et 1997, Nexans a connu une période dite exotique, en raison de l'absence de transport aérien, notamment. De 2000 à 2004, l'environnement s'est simplifié, ce qui a permis à Nexans de conclure un premier contrat et d'oeuvrer à l'établissement d'une succursale, qui constitue une bonne formule pour réaliser des contrats clé en main et facturer. Nexans se prépare actuellement à conclure des contrats plus importants.

De manière générale, si les périodes de préparation se révèlent particulièrement longues, un investissement intensif peut faire espérer des retours importants. Si la mise en place d'instruments financiers tels que les cautions et les lettres de crédits est parfois difficile, les mécanismes en demeurent cependant assez fiables. Les paiements s'effectuent dans des délais rapides ; les décisions collégiales sont certes peu rapides mais interviennent in fine . Les relations contractuelles sont pragmatiques et jamais conflictuelles. Les règles relatives aux taxes, certes fluctuantes, sont faciles à mettre en oeuvre. La mise en place de succursales peut s'avérer longue. A noter les contraintes importantes en matière d'emploi et de formation du personnel libyen. Enfin, on observe une amélioration pour ce qui est de l'obtention des visas d'affaires et pour résidents.

S'agissant des évolutions à venir, il est possible qu'il faille désormais obtenir des garants pour la mise en place de succursales, ce qui ne semble toutefois pas devoir poser de problèmes majeurs. Les exigences en matière d'emploi et de formation des nationaux sont amenées à s'accroître, reste que le personnel adéquat n'est pas toujours disponible. Enfin, les délais de sortie de douane tendent à augmenter pour ce qui est des importations, ce qui traduit certainement l'accroissement de l'activité économique.

En conclusion, Nexans France mettrait au rang des atouts garantissant le succès commercial en Libye la patience, l'emploi de personnel hautement qualifié, la prise en compte de la particularité des prix du pays, des exigences de formation et d'emploi des nationaux. « Chasser en meute » - pour reprendre une expression utilisée par le Président de la République française en visite à Tripoli - s'avère capital : il s'agit de collaborer et d'échanger sur les particularités du pays, entre habitués. Enfin, notons que les Libyens font généralement preuve de reconnaissance : les entreprises françaises, si elles savent se montrer coopératives et rendre service, peuvent attendre des retours d'ascenseurs.

Arnaud de LASERRA, EADS branche Défense et Sécurité

Nexans France rencontre-t-il en Libye des problèmes d'entrée en vigueur des contrats, relatifs au transfert de l'acompte ?

Jean-Marie JAY

Hormis des délais relativement longs, qui peuvent atteindre plus de deux ans entre la signature du contrat et l'ouverture de la lettre de crédit, nous ne rencontrons pas de problèmes particuliers : il est possible de se faire payer à l'acompte, avec la lettre de crédit. La longueur des délais tend à se réduire, cependant.

Jérôme BARTHE, Director Sales AREVA

Je confirme les propos de Jean-Marie Jay. AREVA est présent depuis 1974 en Libye, dans le domaine de la fourniture des postes électriques et de contrôle des réseaux. Il convient effectivement de se montrer patient : il se peut qu'il s'écoule jusqu'à deux ans entre la signature du contrat et son entrée en vigueur, matérialisée par le paiement de l'acompte. Il convient de tenir compte de ce paramètre dans la négociation des prix.

J'ajouterai que c'est sur des relations de confiance que se bâtissent les contrats. Il apparaît en outre absolument capital que les industriels français échangent leurs informations.

Michel CASALS

Michel Burel, pouvez-vous nous faire part des succès que vous avez remportés récemment dans le domaine du dessalement de l'eau ?

Michel BUREL, Directeur commercial SIDEM

Je vous livrerai un message optimiste. SIDEM a en effet signé cet été trois contrats importants, déjà en vigueur. Nous avons, entre autres, signé un contrat relatif à la ville de Zaouia (80 000 mètres cubes/jour) et un autre concernant la ville de Soussa (40 000 mètres cubes/jour). Ces trois contrats représentent environ 300 millions d'euros ; les lettres de crédit sont en place, signe que les délais tendent à se réduire.

Par ailleurs, au premier semestre 2006, SIDEM a réceptionné son usine de Zuara. D'autres projets sont en cours : de nombreux contrats visant à raccorder les villes aux usines de dessalement ont été signés.

Michel CASALS

Parmi les entreprises françaises ayant également signé des contrats importants en Libye, je citerai Vinci, Thalès et Areva, entre autres.