Table des matières


Processus électoral : défis et interrogations !

Allocution d'ouverture

Jean-Jacques HYEST , Président de la commission des Lois du Sénat


Monsieur le Président,

Chers collègues,

Mesdames et Messieurs les professeurs,

Mesdames et Messieurs,

C'est toujours avec plaisir que j'ouvre ces rencontres sur le processus électoral. D'année en année, elles sont devenues un rendez-vous apprécié des spécialistes, que le Sénat s'honore d'accueillir pour la sixième fois consécutive.

Comme à l'ordinaire, mes remerciements iront en premier lieu aux universitaires et aux enseignants des Universités partenaires - et plus spécialement Paris 1 cette année - car le droit électoral est une discipline relativement peu courue, pour ne pas dire méconnue. Sans leur vigilance et leur constance, beaucoup d'étudiants et de doctorants achèveraient leurs études de droit ou de science politique sans jamais s'y aventurer ! Je tiens également à remercier Bernard OWEN, secrétaire général du Centre d'Etudes Comparatives des Elections, pour son active contribution à l'organisation de ce colloque, ainsi que tous les intervenants et experts qui animeront nos travaux.

Une des originalités de cette édition 2011 sera de faire intervenir plusieurs parlementaires - un député et deux sénateurs - qui vont, tour à tour, présenter les travaux et réflexions de trois groupes de travail constitués par les commissions des Lois des deux assemblées. Chacun dans son domaine, ces groupes de travail se sont penchés sur des questions intéressant notre matière. Le député de l'Aisne, René Dosière, nous parlera des commissions chargées de la régulation du financement de la vie politique. Le sénateur du Val-d'Oise et professeur de droit public, Hugues Portelli, présentera les propositions que Jean-Pierre Sueur et lui-même viennent de formuler sur les sondages et la démocratie. Enfin, Alain Anziani, sénateur de la Gironde, présentera un récent et remarquable rapport sur l'évolution de la législation sur les campagnes électorales.

La parution de ces trois rapports à quelques semaines d'intervalle me semble symptomatique d'une réflexion plus générale que résume bien l'intitulé de notre colloque : « Processus électoral, défis et interrogations ! ». De fait, les différentes facettes de ce processus sont régies par des textes qui n'ont pas toujours évolué au même rythme que la communication électorale en dépit de « rustines législatives » que le Parlement est contraint d'apporter régulièrement. Les assemblées ont fort à faire dans ce domaine et elles s'efforcent d'accompagner, voire d'anticiper, les évolutions de la société politique dans trois directions : la moralisation et la transparence des pratiques, la neutralité des acteurs publics dans la compétition électorale et la clarification des textes qui l'encadrent. Pour être efficace, la législation exige également un degré suffisant d'adhésion, de la part des candidats comme des partis politiques, voire des électeurs. S'agissant des partis politiques français, cet impératif paraît rempli. Dans l'ensemble, ils acceptent de se conformer aux contraintes d'une législation qui ne les handicape pas, tout au contraire. Car à condition de jouer le jeu, la loi leur ouvre droit à un financement public qui, pour les plus importants, représente aujourd'hui une part essentielle de leur budget.

Si le système actuel souffre encore de lacunes et d'imperfections - auxquelles nos rapporteurs proposent de remédier - notre code électoral et les lois qui l'accompagnent, à défaut d'être parfaits, offrent néanmoins des repères intéressants à d'autres pays moins avancés dans ce domaine. Le mérite d'une rencontre comparatiste comme celle d'aujourd'hui réside aussi dans la mise en commun d'expériences électorales variées et dans la tentative d'en dégager des lignes directrices de « bonne gouvernance électorale ». Là encore, le renforcement et le perfectionnement des systèmes électoraux passent par une bonne coopération européenne et internationale. Dans ce point de vue, je tiens à saluer la présence de Francis Delpérée, qui nous entretiendra cet après-midi du système belge en tant qu'éminent professeur de l'Université de Louvain et sénateur de Belgique.

Permettez-moi d'achevez mon propos en souhaitant à tous, en mon nom personnel et au nom du Président Gérard Larcher, la bienvenue au Sénat.

Excellents travaux !

Présentation générale de la journée

Bernard OWEN , Secrétaire général du Centre d'Etudes Comparatives des Elections (CECE)


La matinée sera consacrée à la réforme des procédures électorales en France. Comme l'a dit le Président Hyest, plusieurs parlementaires présenteront les réflexions récentes en vue d'une réforme de la législation électorale. Bernard Maligner explorera ensuite le monde des grands et micro-partis. Pour finir, Jean Baechler nous fera quitter le domaine administratif et nous entraînera dans celui de la réflexion.

L'après-midi nous conduira au-delà de nos frontières. Des pays nous interrogent avec espoir, d'autres sont marqués par des refus d'alternances. Pouvons-nous les accabler alors qu'il nous a fallu des siècles pour y parvenir ? Peut-être faudrait-il revoir nos copies lorsque nous exportons nos propres institutions sans suffisamment d'aménagements ni de prise en compte des habitudes politiques et des effets des systèmes électoraux. Ceux-ci ne se limitent pas à de simples calculs, d'autant que la perception du jeu politique peut varier selon qu'il s'agit d'un scrutin majoritaire ou proportionnel. Les institutions et les systèmes électoraux, plus que l'idéologie et les programme politiques, jouent un rôle important.

Les travaux de la matinée sont menés sous la présidence de Jean-Claude MASCLET, Professeur à l'Université Paris I Panthéon Sorbonne.

Jean-Claude MASCLET

Chaque année, ce colloque obtient un succès remarquable. C'est aussi celui d'un homme, Bernard Owen, et de l'équipe qui l'entoure et anime le diplôme créé il y a dix ans à l'Université de Paris 1. A l'époque, nous étions les seuls convaincus de l'intérêt d'une formation continue sur le processus électoral. Nous avons dû l'imposer et le chemin n'a pas été facile. Ce succès aurait été impossible sans la mobilisation d'une équipe autour de cette matière vivante que sont les élections, dont les enjeux et débats sont de portée nationale et internationale. Les sujets de cette matinée ont pour point commun de se référer à des textes datant de plus de quinze ans. Il est temps de les réexaminer et de rouvrir les débats. Ce colloque est également le succès d'une méthode, qui préfère l'ouverture à l'actualité. C'est un lieu de vie de la loi électorale.

Vers une fusion des Commissions chargées de la régulation du financement de la vie politique ?

René DOSIÈRE , Député de l'Aisne


A la demande du Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques de l'Assemblée nationale, le député Christian Vanneste et moi-même avons mené des travaux sur les autorités administratives indépendantes (AAI). Nous sommes arrivés à la conclusion qu'il est préférable de regrouper les autorités administratives pour des motifs parfois financiers - ce n'est pas le cas pour les autorités de la vie politique dont les budgets sont modestes - mais aussi avec l'objectif de regrouper des compétences.

Nous concluons également à la nécessité pour le Parlement de retrouver sa visibilité et de se saisir de ses prérogatives. Pour ce faire, nous proposons que la nomination des responsables d'autorités administratives indépendantes ne procède pas de l'exécutif mais du Parlement à la majorité des trois cinquièmes. Nous proposons également de regrouper les quatre autorités chargées de la surveillance de la vie politique, à savoir la commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, la commission nationale pour la transparence financière de la vie politique, la commission nationale de contrôle de la campagne électorale relative à l'élection du Président de la République et la commission des sondages, au sein d'une « Haute autorité de la transparence de la vie politique ».

Nos propositions se fondent sur le constat d'un manque de moyens matériels, d'influence et de lisibilité. Les responsables de ces autorités administratives indépendantes détiennent une autorité personnelle incontestable mais leurs recommandations sont rarement suivies d'effets. Ainsi, la commission nationale pour la transparence financière réclame depuis quatorze ans les déclarations de revenus des élus afin d'évaluer leur patrimoine, conformément à sa mission. De même, la commission nationale des comptes de campagne n'a aucun moyen de vérifier les comptes des partis politiques et réclame une normalisation du travail des commissaires aux comptes.

Le regroupement de ces quatre AAI aurait pour effet de revaloriser la vie politique. Leurs responsables détiendraient une légitimité incontestable puisqu'elle serait octroyée par le Parlement à la majorité des trois cinquièmes. C'est ainsi qu'est désigné le directeur général des élections au Québec, qui ne rend compte qu'au Parlement et dispose du budget nécessaire pour remplir l'ensemble de ses missions. Le budget de l'institution serait adossé à celui de l'assemblée. L'autorité que lui confèrerait sa procédure de nomination lui permettrait d'émettre en toute liberté des propositions de modification législative, davantage susceptibles d'être suivies d'effets. Ce dispositif permettrait également une plus grande transparence vis-à-vis du Parlement et une meilleure information de la population sur le fonctionnement de la vie politique. Enfin, il serait intéressant de confier à cette nouvelle instance la responsabilité du découpage électoral dans le cadre fixé par le Parlement. Ce découpage est actuellement conçu par une commission « indépendante » dont les propositions, en réalité, ne peuvent être neutres.

En conclusion, nos propositions ne nécessitent pas de réformes constitutionnelles. Nous allons nous attacher à élaborer un projet après avoir consulté les autorités concernées. Notre objectif est de faire progresser la démocratie en France. Nous réfléchissons à la présidence de la nouvelle commission : dans les pays démocratiques apaisés, le choix se porte sur une personnalité acceptable par tous. En France, cette présidence pourrait être confiée à un haut magistrat, à un universitaire ou à une personnalité à l'autorité incontestable.

Jean-Claude MASCLET

Je saisis la présence dans cette salle du Président de la commission nationale des comptes de campagne et de financement de la vie politique, pour lui demander ce qu'il pense de ces propositions.

François LOGEROT, Président de la Commission nationale des comptes de campagne et de financement de la vie politique

A mon avis, les institutions dont le regroupement est envisagé ne présentent pas de synergie véritable, pour la simple raison que leurs domaines d'intervention diffèrent. La commission de la transparence financière joue un rôle consultatif et non décisionnel. Même son rôle de signalement à l'autorité judiciaire pose problème. La commission nationale des comptes de campagne, en revanche, joue un rôle décisionnel puisqu'elle attribue chaque année aux candidats des élections plusieurs dizaines de millions d'euros et prend les décisions de remboursement. A l'égard des partis, les limitations du code électoral et de la jurisprudence lui confèrent néanmoins un rôle essentiellement formel d'examen des comptes rendus et publications, avec une attention particulière pour l'origine de leurs ressources.

Le manque de visibilité et d'autorité que vous constatez provient avant tout des limitations du code électoral, que nous tentons de faire évoluer à l'occasion de chacun de nos rapports. Si la loi était plus précise sur le périmètre des comptes des partis, par exemple, notre commission détiendrait davantage d'autorité.

S'il est exact que la légitimité tirée du Parlement est supérieure, confier la procédure de nomination d'une autorité chargée de contrôler les comptes des élus aux personnes soumises à ce contrôle me semble néanmoins peu souhaitable.

Enfin, l'exécutif n'a aucune part dans la désignation des membres de ces commissions puisqu'il s'agit des trois plus hauts magistrats de France.

Bernard MALIGNER

Comment une autorité personnelle investie dans les conditions que vous décrivez pourrait-elle avoir de l'autorité auprès du premier vice-président du Conseil d'Etat, de la Cour des comptes et de la Cour de Cassation ? Désigner un président de tribunal de grande instance à la tête de l'autorité dont vous préconisez l'existence poserait problème. Quant au manque de visibilité que vous regrettez, il est imputable avant tout à la loi, donc à la décision des parlementaires qui l'ont élaborée. Enfin, conférer la compétence du découpage électoral à une autorité administrative indépendante me fait craindre que cette instance doive composer avec les principes résultant de la Constitution.

René DOSIÈRE

L'attribution d'une compétence en matière de découpage électoral suppose effectivement une révision de la Constitution, qui n'est pas nécessaire, néanmoins, pour les autres compétences. Notre proposition a pour objectif de moderniser notre démocratie. En France, la culture politique n'est pas celle du compromis, mais de la majorité. Mes propos ne mettent pas en cause les responsables éminents des trois Commissions de la vie politique. Ma critique porte sur le fait que le Parlement n'est pas allé au bout de sa démarche. Dès qu'on aborde ces questions, il est difficile de progresser. C'est pourquoi une personnalité nommée par la majorité du Parlement me semblerait plus à même d'entraîner des changements et de sortir des questions du domaine partisan.

Pour autant, je perçois les réticences des partis politiques. Les avancées sur le financement de la vie politique sont liées à des périodes de remise en cause. Depuis 1995-1996, nous n'avons fait que coller des rustines, avec difficulté. Pour progresser dans ce domaine, une institution telle que nous la concevons aurait plus de force compte tenu de son processus de nomination. Y parviendrons-nous ? Je l'ignore, mais toutes les contributions au dépassement du clivage entre majorité et opposition sont bienvenues. L'exemple du Québec montre qu'il est possible de créer une institution unique, détenant une autorité reconnue et comprenant différents bureaux dédiés à l'organisation des élections, au financement des campagnes et au découpage électoral. Cette institution tirerait sa cohérence de son domaine d'intervention : la vie politique et son financement.

Jean-Claude MASCLET

L'idée d'une institution unique me séduit, ne serait-ce que pour une raison de clarté auprès de l'opinion publique. Une telle autorité aurait davantage d'impact et mettrait en évidence la volonté de renforcer la déontologie dans la vie politique. Notre système est loin de convaincre sur ce point, contrairement à celui du Québec.

Bernard OWEN

Cela étant, permettez-moi de rappeler que le Québec a connu de grandes controverses lors du dernier référendum. Pour la délimitation des circonscriptions, son système s'est avéré onéreux et a donné des résultats médiocres. Le système de la Grande-Bretagne pourrait constituer une solution raisonnable, dans la mesure où d'autres éléments que la démographie entrent en compte.

René DOSIÈRE

Le découpage électoral, au Québec, se trouve exclu de la politique partisane. La majorité, comme l'opposition, reconnaissent l'autorité du directeur général délégué aux élections, qu'ils ont nommé et dont ils ont fixé les missions. Celui-ci consulte un grand nombre d'acteurs avant de rendre son verdict, accepté ou refusé par l'Assemblée du Québec. Cette année, les difficultés qui se sont présentées sont liées au refus par le gouvernement d'accepter une suppression de comtés à laquelle la population était hostile. Il me semble important d'échapper au débat idéologique. Or ce système permet une confrontation de points de vue sans instrumentalisation partisane du découpage électoral. Espérons que les responsables politiques français soient capables d'accepter une évolution de la démocratie dans ce sens.

Sondages et démocratie

Monsieur Hugues PORTELLI , Sénateur du Val d'Oise


La commission des Lois du Sénat nous a mandatés, Jean-Pierre SUEUR et moi-même, pour analyser les évolutions législatives nécessaires en matière de sondage électoraux, la loi actuelle remontant à 1977 sans avoir connu depuis lors de modification notable. Notre rapport a été approuvé par la commission des Lois et fait l'objet d'une proposition de loi qui devrait être examinée en février.

Nous recommandons tout d'abord de définir le sondage, de manière générale, comme une interrogation conduite auprès d'un échantillon représentatif de la population française, respectant des règles méthodologiques et de publication (préciser les conditions de l'interrogation, les biais posibles, la représentativité de l'échantillon, etc.).

Dans la catégorie des sondages politiques, le sondage électoral proprement dit porte plus spécifiquement sur les intentions de vote de la population. Considérant que la plupart des citoyens ne sont pas dans l'esprit de se poser la question à un an de l'élection et que les sondages politiques pèsent sur les comportements électoraux, nous proposons que tous les sondages politiques entrent dans les compétences de la commission et se voient appliquer les règles établies. Les résultats bruts d'un sondage électoral, par exemple, doivent être rectifiés en fonction du poids des catégories socioprofessionnelles, des critères territoriaux, de résidence et en tenant compte de la mémoire du vote de la personne sondée. Si les résultats des sondages électoraux sont généralement corrigés, ceux des sondages politiques ne le sont pas. Il arrive qu'à la télévision, les téléspectateurs soient interrogés sur un homme politique en train d'être interviewé. Au fur et à mesure que l'émission avance, leur avis devient de plus en plus positif puisque ceux qui la suivent en entier en sont souvent les plus partisans. Dans ce cas, le sondage n'est pas représentatif d'un échantillon corrigé de la population française. C'est pourquoi nous préconisons de rendre transparentes les méthodes des instituts de sondage sur la rectification des résultats bruts, ainsi que les noms des financeurs, commanditaires et publieurs. Nous recommandons également de publier toutes les questions posées afin de mettre en évidence la logique du questionnaire. Enfin, lorsqu'un institut intègre des questions politiques dans d'autres sondages, la manière dont elles sont intégrées à ces sondages mérite d'être explicitée.

Concernant la commission des sondages, composée de neuf magistrats et de deux personnalités expertes, nous proposons de réduire le nombre de magistrats à six et de porter le nombre d'experts à cinq pour renforcer la qualité de l'expertise. Nous souhaitons également que la commission soit dotée de plus de moyens d'intervention, dont un pouvoir de sanction et de transmission des dossiers au Parquet en cas de violation de la législation.

Au niveau du droit électoral, il serait souhaitable d'éviter les interférences, par exemple en uniformisant les horaires d'ouverture de bureaux de vote. Cette disposition n'étant pas applicable en pratique, ne serait-ce qu'en raison des différences de modes de vie entre milieu rural et urbain, nous recommandons de maintenir l'interdiction de publier des sondages à partir du vendredi minuit précédant l'élection jusqu'à la fin du scrutin afin de laisser un temps de réflexion au citoyen pour se forger son opinion.

De la salle

Il me semble que maintenir en l'état l'interdiction de publier les résultats des sondages pendant les 36 ou 48 heures précédant l'élection pose deux problèmes. Le premier est la création d'une inégalité, relevée par la Cour Européenne des Droits de l'Homme, dans la mesure où les internautes peuvent consulter les résultats sur les sites des médias étrangers. Le second problème est que l'accès à une information de dernière minute peut être pertinent pour les électeurs qui n'ont pas arrêté leur choix. Ainsi, le 20 avril 2002, les médias portugais ont annoncé l'arrivée de Jean-Marie Le Pen en deuxième position. Si la télévision française avait pu en faire état, le résultat du vote s'en serait trouvé modifié. Existe-t-il des raisons impérieuses de maintenir l'interdiction de publication ?

Hugues PORTELLI

Il me semble préférable de préserver un temps de réflexion libre et de ne pas submerger les citoyens d'informations jusqu'au dernier instant. Par ailleurs, l'accès à Internet se généralise tant que l'inégalité de l'information me semble plus un argument recevable.

De la salle

Lors des dernières élections présidentielles en Côte d'Ivoire, le président sortant a commandité une dizaine de sondages en un an auprès des plus grands instituts de sondage français et d'une société de conseil en communication politique qui, tous, donnaient le commanditaire vainqueur au premier tour. Les instituts de sondage français sont-ils tenus de respecter la législation française pour leurs activités hors de France ? Il semble par ailleurs qu'un sondage ait été sous-traité à un institut ivoirien sans compétence ni notoriété, mais dont les résultats ont été repris par la presse française et utilisés par le candidat battu pour contester sa défaite et dénoncer une fraude.

Hugues PORTELLI

La responsabilité des instituts de sondage n'est pas susceptible d'être mise en cause, y compris en France. La commission des sondages vérifie la méthodologie utilisée et rend publique les violations manifestes. Seule la publication irrégulière des sondages peut faire l'objet de sanctions. C'est avant tout une question de déontologie.

Campagnes électorales

Monsieur Alain ANZIANI , Sénateur de la Gironde


La commission des Lois du Sénat a mis en place un groupe de travail pluraliste sur les campagnes électorales afin de clarifier le régime actuel, à droit constant. Sur ce sujet, en effet, une certaine confusion règne. Or la clarté doit être le propre de chaque loi, plus encore de celles qui fixent le régime démocratique. Nous avons abouti à quarante propositions, qui peuvent être regroupées en six rubriques.

La première consiste en un effort de rationalisation et de clarification des règles de dépôt des candidatures, de début et de fin de campagnes, ainsi que des règles d'éligibilité, d'inéligibilité et d'incompatibilité. Pour ce faire, nous proposons une définition des métiers mais aussi des fonctions et recommandons de prévoir que toute inéligibilité emporte incompatibilité.

Le second bloc de propositions concerne les comptes de campagne. Nous recommandons d'abaisser le seuil démographique d'obligation de présenter des comptes de campagne à 3 500 habitants au lieu de 9 000 actuellement et de supprimer le contrôle des comptes de candidats ayant obtenu moins de 1 % des suffrages, dans la mesure où ils n'ont pas bénéficié de dons, afin d'alléger le travail de la commission. Nous recommandons également d'étendre les comptes de campagnes aux élections sénatoriales, même si cette proposition suscite des résistances et des objections techniques. Il est en effet paradoxal que le Sénat édite des règles sans les appliquer à ses propres élections. Les représentants des cinq groupes politiques ont été unanimes sur ce point.

L'encadrement des procédés de campagne électorale, par ailleurs, nous paraît trop restrictif. Il interdit la diffusion de tout autre document électoral que ceux remis à la commission. Or faire campagne consiste, pour un candidat, à distribuer des tracts, poser des affiches, se rendre sur les marchés, etc., ce qui lui est refusé puisque l'infraction à la règle peut faire l'objet de sanctions pénales ou d'une saisine du juge des référés. Constatant ce décalage entre les textes et la pratique, nous proposons d'accorder la possibilité de distribuer des tracts et de tenir des réunions. En revanche, nous maintenons la restriction en matière d'affichage.

En matière de propagande, nous considérons que les règles applicables à l'écrit devraient s'appliquer à tout autre support, y compris à Internet et au phoning . Les candidats y recourent de plus en plus et ce, jusqu'au dimanche de l'élection, ce qui pose le problème de l'égalité des candidats et des comptes de campagne puisqu'aucune trace n'en est gardée. Nous recommandons également de préciser la définition des dépenses électorales, absente du code électoral, et des dépenses remboursables, à relier au débat politique. Jusqu'à présent, seule la jurisprudence y fait référence en désignant comme telle toute dépense ayant pour objectif l'obtention des suffrages.

En matière de sanctions, nous proposons d'accorder à la commission la possibilité de moduler les sanctions financières et préconisons l'uniformisation des sanctions. La sanction d'inéligibilité, par exemple, possède un caractère d'automaticité si elle est appliquée par le conseil constitutionnel, alors qu'elle n'est pas automatique lorsque l'affaire est de la compétence du Conseil d'Etat. Nous insistons par ailleurs sur la définition de la bonne foi des candidats comme « absence d'intention frauduleuse », considérant que des erreurs de forme ne devraient pas entraîner l'application de la sanction extrême d'inégibilité mais que les cas de fraude manifestes et intentionnels devraient être traités avec rigueur. Par conséquent, nous recommandons que le fraudeur soit frappé d'inéligibilité à toutes les élections, selon une durée maximale de cinq ans modulée par le juge, et que tout fraudeur encoure la sanction d'inéligibilité, quelle qu'en soit la raison, même si la fraude s'avère sans conséquence sur le scrutin.

René DOSIÈRE, Député

Le cadre des campagnes électorales doit certes être précisé mais je ne partage pas votre vision, peu de candidats me semblant susceptibles d'être frappés d'inéligibilité sans en connaître les raisons. La sanction d'inéligibilité me semble d'ailleurs être la seule valable pour un élu.

De la salle

Le travail de votre groupe est de première qualité. Vous avez traité des questions jusqu'à présent négligées, telles que le phoning . Je pense notamment à un sénateur de Guadeloupe ayant fait l'objet d'une campagne calomnieuse jusqu'au dernier instant, qui a modifié le résultat attendu de l'élection. J'apprécie par ailleurs que vous reteniez la sanction d'inéligibilité en matière de fraude électorale. A cet égard, il importe de revoir la loi du 31 décembre 1975 en précisant qu'un candidat élu, bénéficiaire ou auteur d'une fraude électorale, encourt une inéligibilité.

S'agissant de la bonne foi, certains ne partagent pas votre opinion par souci du droit positif. La conception que vous retenez n'est pas celle du Conseil d'Etat. Il conviendrait de préciser qui doit apporter la preuve de l'intention frauduleuse et d'amender le texte pour prendre en compte la situation dans laquelle un candidat pourrait être relevé d'inéligibilité si l'irrégularité n'a pas porté atteinte à la sincérité du scrutin. Mais on voit toutes les difficultés qui pourraient en résulter, car il s'agit de deux législations indépendantes.

François LOGEROT, Président de la CNCCFP

La CNCCFP peut extraire des comptes de campagnes les dépenses non électorales. Les sanctions sont donc étudiées en fonction. Une irrégularité susceptible d'aboutir au rejet du compte peut en revanche entraîner une sanction forte. Nous disposons d'un pouvoir d'appréciation qui nous conduit parfois à considérer que l'importance relative de l'irrégularité ne justifie pas le rejet. Si nous acceptons le compte, nous devons effacer la faute commise. Nous souhaitons pouvoir moduler le remboursement des dépenses électorales en déduisant le montant de la recette interdite du montant du remboursement. Nous éviterions ainsi des rejets tout en sanctionnant l'irrégularité.

De la salle

La législation encadrant le financement des partis politiques et des campagnes électorales s'est imposée face aux problèmes de corruption, ce qui la rend indispensable. Néanmoins, elle alourdit le travail des petits candidats aux élections cantonales et municipales. L'obligation de produire des comptes peut faire obstacle aux petites candidatures indépendantes. L'extension de la législation aux circonscriptions de moins de neuf mille habitants et aux élections sénatoriales répond-elle à des raisons impérieuses ?

Concernant le régime des inéligibilités, la référence à l'intention de fraude et à la bonne foi, d'une part, l'alourdissement des sanctions, d'autre part, nous entraînent dans le domaine pénal qui implique des procédures complexes, des condamnations difficiles et des délais relativement longs.

Alain ANZIANI, Sénateur

Le paquet sur les lois électorales doit être examiné par le Sénat dans quinze jours. Le Président de la commission des Lois souhaite se servir du véhicule législatif pour intégrer des propositions, y compris sur les comptes de campagne pour les élections sénatoriales dont l'absence d'encadrement peut jeter le discrédit sur la sincérité du scrutin. Sur ce sujet, le débat est ouvert. J'ai par ailleurs conscience de la complexité de la notion de bonne foi. Nous devrons veiller à la définir précisément. Elle devra faire l'objet d'un débat contradictoire, auquel le requérant devra pouvoir contribuer. Concernant le phoning , il nous semble nécessaire d'inscrire dans le code électoral l'interdiction de diffusion tardive d'éléments auxquels l'adversaire ne peut répondre. Enfin, pour assurer l'égalité entre candidats aux élections municipales et cantonales, les honoraires des experts comptables pourraient faire partie des dépenses remboursables.

Faut-il réformer le financement des « grands et micros » partis ?

Monsieur Bernard MALIGNER , CERSA Université Panthéon Assas (Paris 2)


Dans son étude consacrée à la réglementation des dépenses et ressources des partis politiques, Bernard Owen a exposé les raisons militant en faveur d'un financement public de la vie politique et dessiné les contours de ce que devrait être leur régime juridique. J'hésitais donc à intervenir sur le sujet. L'omniprésence médiatique, pendant l'été 2010, de l'affaire Woerth-Betancourt et du financement illégal des partis politiques m'a néanmoins incité à rouvrir ma réflexion. Si le régime juridique de financement des partis politiques s'est affiné au cours du temps, les lacunes et dévoiements révélés par la pratique invitent à le rationaliser.

Le régime juridique de financement des partis politiques a en effet fait l'objet de réformes législatives successives et bénéficié de l'apport de la jurisprudence électorale du Conseil d'Etat et du Conseil Constitutionnel. La loi du 11 mars 1988 prévoit ainsi l'attribution d'aides financières aux partis et groupements politiques proportionnellement au nombre de voix recueillies à l'occasion des élections législatives. Des dérogations au droit commun sont d'emblée instituées par le législateur, à savoir l'inapplicabilité du contrôle financier de la loi du 10 août 1922 relative à l'organisation du contrôle des dépenses engagées, l'absence de contrôle de la Cour des comptes et la non application du décret du 30 octobre 1935 relatif au contrôle des associations, oeuvres et entreprises privées subventionnées.

Deux ans plus tard, la loi du 15 janvier 1990 instaure un système reposant sur trois éléments principaux. Elle institue un financement public présentant pour caractéristiques de répartir l'aide publique aux partis et groupements politiques en deux fractions à peu près égales. La première est destinée au financement des partis ou groupements politiques en fonction de leurs résultats au premier tour des élections à l'Assemblée national, à l'exception des formations politiques ayant présenté des candidats exclusivement dans les départements et territoires d'Outre-mer. La seconde fraction de l'aide publique est attribuée aux partis bénéficiaires de la première fraction en fonction du nombre de parlementaires déclarant s'y rattacher. La loi du 15 janvier 1990 autorise également les partis politiques à recevoir des fonds par l'intermédiaire d'un mandataire financier. Enfin, elle institue un plafonnement des dons. Le droit des personnes morales de droit privé de contribuer au financement d'un parti est consacré et plafonné à 500 000 francs. Sont proscrits les dons des personnes morales de droit privé dont la majorité du capital appartient à plusieurs personnes morales de droit public, les dons émanant des casinos et maisons de jeux, de même que les contributions de personnes morales de droit étranger. Les dons des personnes physiques sont plafonnés à 50 000 francs par parti.

Concernant les personnes morales, elle impose désormais que soient rendus publics les entreprises donatrices, les dons versés et leurs bénéficiaires. La loi du 29 janvier 1993 modifie ce régime. Elle conditionne ensuite l'attribution de la première partie de l'aide publique à la nécessité de présenter des candidats dans 50 circonscriptions au lieu de 75, ce qui multiplie les candidatures aux élections législatives et favorise la création de nouvelles formations politiques. Un parti considéré comme sectaire, à savoir le parti de la loi naturelle, a ainsi pu bénéficier de l'aide publique.

La loi du 19 janvier 1995 complète et dans une certaine mesure revient sur le dispositif antérieur en interdisant désormais purement et simplement tout don des personnes morales de droit privé à l'exception des dons émanant des partis politiques. La possibilité est ainsi offerte aux partis politiques de financer d'autres partis et des candidats aux élections. Ceci n'est pas non plus étranger au développement des formations. Le 6 janvier 2000, la loi sanctionne le non-respect du principe de la parité entre les candidats en affectant d'une retenue financière le montant de l'aide publique - 5 millions d'euros échapperaient ainsi aux partis politiques -. La loi du 11 avril 2003 aménage le dispositif d'attribution des fractions d'aide publique, notamment pour les candidats ayant obtenu moins de 1 % des suffrages dans 50 circonscriptions. En vertu de l'ordonnance du 14 mai 2009, la première fraction de l'aide publique est désormais également versée aux partis et groupements ayant présenté des candidats exclusivement dans l'Outre-mer, à Saint-Barthélemy et Saint-Martin.

Ce système n'a pourtant pas atteint le degré de sophistication qu'il atteindra en 2014. La loi du 16 décembre 2010 concernant la réforme territoriale contient en effet des dispositions dont l'économie générale reprend le dispositif des aides en deux parties, une partie étant fractionnée en deux parties de deux tiers/un tiers. Les députés ont fait valoir sans succès qu'il s'agissait d'une atteinte au principe d'intelligibilité de la loi. La création des conseillers territoriaux aura pour conséquence de modifier le régime d'attribution des aides puisqu'il sera désormais tenu compte des voix obtenues par les candidats aux fonctions de conseiller territorial. Je redoute qu'une telle perspective n'entraîne une nouvelle prolifération des partis.

Cette législation ne prend pas position sur la définition d'un parti politique. Dans un premier temps, le Conseil d'Etat a jugé qu'un parti politique est un groupement qui s'assigne un but politique et dont les statuts confirment cette orientation. Il s'est ensuite ravisé et a complété cette définition par le fait d'être bénéficiaire de l'aide publique ou d'avoir désigné un mandataire financier et par la soumission à l'obligation de déposer des comptes certifiés par un expert comptable le 30 juin de chaque année. Cette jurisprudence a été confirmée par le Conseil Constitutionnel et par un avis de contentieux rendu le 30 juin 2000. La notion de parti politique est aujourd'hui plus restrictive, mais purement formelle et très peu contraignante.

Dans ce contexte juridique, le système de financement introduit depuis 1988 bénéficie actuellement à 296 partis et le montant de l'aide publique s'élève à 75 millions d'euros. En réalité, il est de 71,776 millions d'euros, principalement du fait des pénalités dues à la méconnaissance des règles de parité. Huit partis politiques ont connu une retenue sur leur dotation pour cette raison, parmi les plus importants. Plutôt que d'aide publique, il faudrait par ailleurs parler d'aide directe publique. Or l'avantage fiscal consenti par l'article 200 du code général des impôts n'est pas évalué. Il peut être estimé à un montant variant entre la moitié et les trois quarts de l'aide publique, soit 35 millions d'euros. Le poids du financement public représente 39,4 % du total des financements des partis, à raison de 33,4 millions d'euros pour l'UMP (62 %), 23 millions d'euros pour le Parti socialiste (40,6 %), devançant largement le MODEM et le Parti communiste. 14 partis politiques étaient bénéficiaires de la première fraction de l'aide dans 50 départements. 227 formations politiques ont déposé en juin 2010 leurs comptes certifiés, dépensant ainsi 181,4 millions d'euros. Dans ces conditions, le système ne peut être considéré comme pleinement satisfaisant. A certains égards, il a été dévoyé et mériterait d'être rationalisé. La souplesse de la notion de parti politique retenue a favorisé leur prolifération (28 partis en 1990, 255 en 2004, 296 en 2010). Trois catégories peuvent être distinguées :

• les grands partis traditionnels et structurés (UMP, Parti Socialiste) ;

• les partis d'Outre-mer ayant droit à un traitement privilégié (une quarantaine) ;

• les autres partis, qualifiés par la presse de « micros partis » ou de « partis satellites ».

Il est indéniable que les micros partis sont liés à une personnalité politique. Le Président Sarkozy dispose ainsi de deux partis satellites (l'association nationale des amis de Nicolas Sarkozy et l'association de soutien à l'action de Nicolas Sarkozy), de même que Monsieur Dupont-Aignan. Je pourrais faire la même remarque pour la gauche. Les micros partis peuvent également prendre la forme d'associations locales associées à des personnalités politiques ou adopter un objet politique limité tel que le rassemblement des objecteurs de conscience.

Les interstices de la loi ont ainsi développé le nombre de partis politiques au point de rendre possible le financement de partis sectaires pendant quelques années. On rapporte également le cas de partis politiques qui ne perçoivent pas de financement direct mais en bénéficient indirectement par leur affiliation à un parti politique. Des efforts de rationalisation méritent donc d'être entrepris, notamment sur la notion de parti politique. Mais pour des raisons constitutionnelles tenant au principe de libre administration des partis politiques, nous devrons nous contenter de quelques mesures législatives :

• modifier le régime des dons des personnes physiques aux partis politiques sans en modifier le montant ;

• interdire aux parlementaires élus sur le territoire métropolitain de s'affilier à des partis Outre-mer pour bénéficier de la manne financière ;

• distinguer les dons et les cotisations, dont la confusion permet de contourner la législation.

En conclusion, le régime juridique de financement des partis politiques est très élaboré et diversifié. Il encadre assez correctement notre vie politique mais gagnerait à être perfectionné. S'il faut l'amender, c'est le Parlement qui doit en décider.

Représentation et représentativité

Jean BAECHLER , Membre de l'Institut (Académie des Sciences morales et politiques)


La démocratie peut être conçue comme le régime naturel du politique, lui-même défini comme l'ensemble des activités humaines s'occupant de la résolution pacifique des conflits, ce qui suppose la définition de règles du jeu et la mise en place d'un droit. Pour ce faire, les activités humaines doivent être divisées en trois sphères :

• la sphère publique, qui s'occupe du bien commun et des problèmes concernant l'ensemble des membres réunis en assemblée politique ;

• la sphère privée, où se réalisent les intérêts privés, sous couvert de la loi et sous peine de sanction ;

• la sphère intime, où chacun peut se soustraire au regard d'autrui et s'occuper de son essentiel.

Les élections sont une technique. Or le critère d'une technique est l'efficacité. La démocratie n'a pas partie liée avec les élections comme technique. Dans d'autres contextes historiques, l'ancienneté, le tirage au sort ou la cooptation peuvent être préférés aux élections. Dans des circonstances modernes, les élections sont la technique préférée. Il importe néanmoins de ne pas les confondre avec la démocratie. Les élections servent à permettre à des compétents supposés de se consacrer à l'actualisation, à la réalisation et à la gestion du bien commun. En démocratie, le pouvoir est enraciné dans les citoyens qui n'ont de raison de le déléguer que s'ils ne peuvent faire autrement pour atteindre le bien commun. Le calcul n'est censé qu'à la condition que les délégations de pouvoir s'effectuent à titre circonscrit, temporaire et de manière réversible, c'est-à-dire après vérification des compétences.

Le concept juste pour porter un jugement sur les rapports entre citoyens et hommes politiques est celui de « délégation ». Le mot latin dont il est la transcription, delegare , de lex, signifie déléguer à quelqu'un la charge de faire quelque chose en vertu d'un contrat. La délégation de pouvoir est donc un contrat entre des citoyens et des responsables politiques pour réaliser, dans la mesure du possible, le bien commun. Si nous admettons ce principe fondateur, la représentation apparaît comme une mésinterprétation perverse si les délégués sont supposés représenter les citoyens. La représentativité attribuée aux délégués induit mécaniquement la corruption de la démocratie par l'entremise du marché politique. La représentativité n'a de légitimité démocratique qu'appliquée au corps de citoyens délégants.

La « représentation », quant à elle, serait la substitution, à un grand nombre insusceptible d'agir en commun, un petit nombre capable d'agir. L'idéal serait donc d'avoir un substitut représentant fidèlement les tendances du substitué. Or l'enracinement du pouvoir dans le peuple est une idée fausse : il n'existe que des citoyens, qui sont des acteurs privés. A ce titre, en tant qu'acteur politique individuel, les citoyens sont identiques en tant que siège du pouvoir, seuls susceptibles de le déléguer et non égaux. La représentation véhicule par ailleurs l'idée que le peuple dispose de la souveraineté, c'est-à-dire du pouvoir de décider tout ou n'importe quoi, alors que les délégués ne sont là que par contrat et ne sont pas les substituts du corps des citoyens. L'idée de représentation est donc un « idéologème » qui conduit tout droit à l'idéocratie lorsqu'il est pris au sérieux, c'est-à-dire à la contradiction de la démocratie. Ainsi, Sieyès donne la convention, qui donne le comité de salut public, qui donne Robespierre et Saint-Just. En 1902, au deuxième congrès du Parti Communiste Russe, un délégué de Sibérie, Trotski, dénonça avec véhémence les positions de Lénine en argumentant que si l'humanité a pour substitut le prolétariat, le prolétariat aura pur substitut le parti, le comité central se substituera au parti et le secrétaire général au parti. La représentation induit une logique de substitution en chaîne et une justification des tyrannies.

La représentativité est également une notion corrompue, dans la mesure où la composition du corps des délégués devrait correspondre à la composition des délégants. Cette position entre en contradiction avec le principe fondateur que le politique a pour objet exclusif le bien commun et non les intérêts particuliers, puisqu'ils ne se gèrent pas dans la sphère publique mais privée. Or si l'on admet l'idée de représentativité des délégués, les électeurs, identiques en tant que siège du pouvoir et citoyens préoccupés du bien commun, sont transformés en solliciteurs de subventions et en groupes de pression. Par conséquent, la sphère publique qui doit être le lieu de débat du bien commun devient une scène sur laquelle se rencontrent les groupes de pression pour défendre des intérêts particuliers coalisés. Il se crée mécaniquement un marché politique. En revanche, la représentativité est légitime si elle est appliquée aux électeurs délégants. Les délégants ne sont identiques qu'en tant que citoyens. En tant qu'être humains, ils sont marqués par la plus grande diversité et divergence d'intérêts et d'opinions. Par conséquent, des corps électoraux homogènes délégueraient à leur ressemblance et les délégués seraient définis par des opinions figées. Nous obtiendrions une situation opposée au souhaitable. L'idéal est donc des circonscriptions où toutes les opinions et intérêts seraient représentés de façon à s'annuler au bénéfice du bien commun. Plus une circonscription électorale est hétérogène, mieux c'est pour le fonctionnement de la démocratie.

En conclusion, ce sont des vérités premières que l'on trouve en dernier et qui sont accessibles à n'importe quel citoyen. L'instruction et l'éducation civique ont pour rôle de les expliquer. L'expression « démocratie représentative » me paraît fâcheuse parce qu'elle fait penser irrésistiblement à la représentation, qui conduit dans des marécages nocifs pour la démocratie. S'il est malheureusement trop tard pour en changer, il importe néanmoins de ne pas se laisser tromper.

Jean-Claude MASCLET

Outre le bien public et le concept de délégation, deux notions me semblent essentielles : les mandats impératifs et les mandats révocables. S'ils ne sont pas impératifs ni révocables, les deux premiers concepts ont moins de valeur.

Jean BAECHLER

La délégation s'opère au bénéfice d'une équipe ayant un projet pour réaliser le bien commun et qui le propose au citoyen. Une fois élue, cette équipe doit avoir les moyens de se consacrer à la réalisation du bien commun. Pour ce fait, il faut constamment introduire de nouvelles données, de sorte qu'un mandat impératif serait d'une inefficacité extrême. Quant à la révocabilité, elle perturberait l'efficacité de la recherche du bien commun. Sauf crime exceptionnel, je n'y suis pas favorable. L'élection tient lieu de sanction.

De la salle

Est-il trop tard pour changer le modèle de fonctionnement de nos démocraties ?

Jean BAECHLER

Je ne suis pas certain qu'il faille changer de modèle. A l'échelle des histoires humaines comparées, la réussite de la démocratie est remarquable. Son plus grave défaut est le marché politique, mais il semble inévitable. On peut espérer le minimiser et faire en sorte qu'il ne masque pas la réalisation du bien commun. Il appartient à chaque pays de trouver l'équilibre le moins insatisfaisant et de s'éloigner le moins possible du modèle idéal.

Les travaux de l'après-midi sont menés sous la présidence de Jean-Claude COLLIARD, Président de l'Université Paris I Panthéon Sorbonne.

Présentation du Centre d'éducation permanente (CEP)
de Paris I

Pierre Le MIRE , Professeur à l'Université Paris 1 Panthéon Sorbonne


Le diplôme d'université Administrateur d'élections, sous la direction de Bernard Owen, est une formation unique au monde. Créé il y a dix ans, il se fonde sur l'idée que la technique électorale est susceptible de transformer le paysage politique. C'est un diplôme professionnalisant par la qualité de ses intervenants, qui possède un caractère international. Nos anciens étudiants ont participé à la mise en place d'élections démocratiques importantes, notamment au Rwanda et en Europe Centrale. Nous accueillons chaque année une trentaine d'étudiants.

Situé au centre d'une université prestigieuse, le CEP propose une soixantaine de formations et reçoit 2 000 à 2 500 étudiants. Le coeur de notre formation se compose de diplômes d'université ou de masters spécialisés en droit, économie, gestion et science politique. Nous travaillons en étroite interaction avec des ministères, des grandes entreprises et des fédérations professionnelles. Universitaire, le CEP est aussi en prise avec la réalité du terrain.

Démocratie directe : un procédé d'avenir ou un procédé du passé ?

Jean-Marie DENQUIN , Professeur à l'Université Paris Ouest Nanterre La Défense (Paris X)


L'expression « démocratie directe » désigne un système politique des 4 ème et 5 ème siècles avant Jésus Christ dont la pratique s'avère aujourd'hui impossible. Comme Rousseau l'a constaté, ce système n'est pas applicable aux grands États. Une démocratie directe suppose que le peuple fonctionne à la manière d'une assemblée parlementaire, c'est-à-dire qu'on puisse organiser un dialogue direct entre tous les membres de l'assemblée. Ceci n'est possible qu'à partir du moment où le peuple n'est constitué que d'un nombre limité d'individus. A Athènes, 10 000 personnes possédaient le statut de citoyen, dont les deux tiers ne venaient jamais à l'assemblée, laquelle ne pouvait matériellement accueillir plus de 6 000 personnes. L'absentéisme était un problème chronique. La définition actuelle du peuple ne permet pas de réunir dans un même lieu en temps réel l'ensemble des citoyens. En ce sens, la démocratie directe appartient au passé.

La démocratie semi-directe se distingue de la démocratie directe. Dans la démocratie directe, le peuple est maître de la question. Dans la démocratie semi-directe, le peuple ne peut que répondre à la question. Ceci pose un problème de formulation. Dans la procédure d'initiative populaire, ce n'est pas le peuple qui pose la question, mais un comité d'initiative. Je vais donc centrer mon discours sur la démocratie semi-directe. Dans ce domaine, les impasses de la représentation posent problème. Elles se manifestent par la polysémie du terme et l'ambiguïté de la crise, toujours évoquée, rarement définie, de la représentation. En droit public français, la représentation possède un sens traditionnel datant de la Révolution. La majorité de l'Assemblée constituante a opté pour la formule suivante : les représentants sont définis non par leur mode de désignation mais par leur capacité à suppléer la nation et à participer au processus législatif à la place de et pour la nation. La nation se veut souveraine, mais en tant qu'abstraction, sa volonté est exprimée par ses représentants. Par conséquent, elle ne préexiste pas à leur désignation, qui est la conséquence nécessaire de son expression. Ce système, dans lequel la nation est souveraine mais ne s'exprime que par ses représentants, est désigné comme représentatif et défini par Sieyès en opposition à la démocratie qu'il rejette. C'est un système cohérent, à un détail près. Cette doctrine exclut l'idée de mandat puisqu'il faut un mandant. Or par définition, la nation ne donne mandat à personne, puisqu'elle n'existe pas en tant que telle. Son existence sera une conséquence de la représentation. Il est donc contradictoire d'employer le terme de mandat dans un système représentatif, mais il est si bien ancré qu'il sera conservé. Une ambigüité s'introduit ainsi dans la théorie classique de la représentation.

Ce système va être dépassé par le concept de démocratie. Dans son ouvrage « Eléments de droit constitutionnel français », Esmein n'utilise pas l'expression de « démocratie représentative ». Au sens juridique du terme, la démocratie est un concept récent. En revanche, dans la première édition posthume de 1914, les mots « démocratie représentative » apparaissent. A partir de ce moment, la notion de démocratie va s'imposer et s'accompagne de modifications. On considère désormais que les élus sont censés représenter les électeurs et qu'ils sont représentants dès lors qu'ils sont élus. Les élus des collectivités territoriales seraient des représentants, ainsi que le Président de la République. Dans cette optique, on pourrait même considérer que les juges devraient se conformer à l'opinion publique. Dans ces conditions, le terme de représentant devient polysémique :

• est représentant celui qui décide de la loi ou émet la norme juridique au nom des citoyens ;

• est représentant celui qui est le porte-parole des citoyens ;

• est représentant celui qui nous ressemble et partage avec nous des traits objectifs.

Les deux premiers sens sont potentiellement divergents. Rien n'empêche, en effet, qu'en droit ou en fait, celui qui décide à notre place décide le contraire de ce que nous souhaitons. On introduit ainsi une contradiction au sein même du concept de représentation. Cette polysémie révèle par ailleurs l'ambigüité de la crise. Elle n'est pas la même selon le sens retenu. Au sens juridico-politique, les représentants décident pour nous sans tenir compte de notre avis et leur décision possède une valeur juridique. Cette forme antique de la représentation se porte bien. En revanche, au sens psycho-politique, la crise de la représentation existe et se traduit par un mécontentement latent des populations, un taux d'abstentionnisme croissant et un rejet des élites. On en arrive à la notion de gouvernance, c'est-à-dire au despotisme éclairé. C'est ainsi que la notion de démocratie se retrouve actuellement au coeur des polémiques et des débats. Si certaines réponses paraissent de portée limitée, la démocratie semi-directe, sous réserve de précautions, pourrait constituer une alternative partielle à la crise psycho-politique de la représentation.

La représentativité, qui joue sur la ressemblance, fait également partie des réponses évoquées. C'est un discours souvent tenu aux minorités visibles. Or cette idée pose la question de fond des catégories à représenter. Pour quelles raisons certaines catégories méritent-elles d'être représentées tandis que d'autres disparaissent ? Si l'on adopte une logique de représentativité, il faudrait être capable de répondre à cette question. La notion de représentativité véhicule par ailleurs l'idée qu'un individu devrait être satisfait dès lors qu'il serait représenté. En pratique, les individus s'intéressent davantage aux actes et décisions prises qu'à la personne qui les prend. L'idée de représentativité n'est donc pas à la dimension du problème posé.

La démocratie participative, à ne pas ne confondre avec la démocratie semi-directe, est parfois envisagée. Elle peut se définir comme l'ensemble des procédures par lesquelles des compétences sont transférées à des individus non élus. Ceux-ci sont soit tirés au sort, soit auto-désignés. Ce mode de sélection est purement négatif, puisqu'on attend d'eux de ne pas être élus. Or le fait de ne pas l'être n'est pas une vertu positive. Cette méthode reproduit, sous une autre forme, un mécanisme de représentation dans la mesure où ces individus décideront à la place des autres. Si la démocratie participative peut introduire une dimension utile d'un point de vue psychologique, elle n'en constitue pas pour autant une réponse. Les citoyens n'auront toujours pas la possibilité de décider eux-mêmes des questions qui les concernent directement.

Les procédures directes ont l'avantage d'être les seules dans lesquelles les citoyens décident eux-mêmes à la majorité. Les arguments contre la démocratie semi-directe (incompétence des citoyens, réactions affectives, etc.) n'ont pas évolué depuis Platon. Or ils sont également applicables à la démocratie. L'arrivée d'Hitler au pouvoir en 1933 montre que les élections peuvent aussi avoir des conséquences dommageables. Accepter ces arguments conduit à contester l'idée même de démocratie au profit d'un système d'élites éclairées. Si au contraire, on ne récuse pas l'idée de démocratie, il faut admettre la mise en place de consultations sur un certain nombre de sujets. On ne peut éviter un processus de délégation pour la gestion de la majorité des affaires publiques. Avec des garde-fous juridiques effectifs, il serait en revanche possible de réintroduire le citoyen dans le cadre conceptuel du constitutionnalisme et de rétablir le dialogue.

La situation politique et électorale en Belgique : complexités et incertitudes

Monsieur Francis DELPÉRÉE , Sénateur de Belgique, Professeur émérite à l'Université de Louvain


Depuis neuf mois, la Belgique vit une crise politique. La démission du gouvernement le 26 avril 2010 a été suivie d'élections le 13 juin. Depuis lors, le gouvernement expédie les affaires courantes, tandis que des négociations s'esquissent pour tenter de composer un gouvernement de plein exercice. Elles sont loin d'aboutir. En cas d'échec, la menace de nouvelles élections législatives ne pourrait être écartée.

Née en 1830, la Belgique a pratiqué un scrutin majoritaire pendant soixante ans. A la fin du 19 ème siècle elle passe à la représentation proportionnelle au scrutin de liste. En 1912, Joseph Barthélémy écrit un ouvrage enthousiaste sur l'organisation du suffrage et l'expérience belge, montrant que la constitution belge s'efforce d'assurer l'adéquation entre le nombre d'électeurs et d'élus. Ce système s'étant complexifié, le scrutin majoritaire revient actuellement dans les débats. La mise en oeuvre de la représentation proportionnelle suscite en effet plus de difficultés que l'énoncé de ses principes pourrait le laisser penser, et qui peuvent prendre plusieurs formes. Des aménagements y ont donc été introduits progressivement.

En amont, est instaurée une règle de parité selon un principe de représentation globale de l'ensemble de la liste (autant de femmes que d'hommes) en sachant que les deux premières places doivent être attribuées à des candidats de sexe différents. Le système de suppléance est également aménagé de la manière suivante : le suppléant doit être élu sur la liste des suppléants. Ce système confère aux partis politiques un poids considérable.

En aval, deux règles ont aménagé la représentation proportionnelle. Il existe actuellement douze formations politiques à la Chambre des représentants. En fonction des résultats, quatre à sept partis négocient la formation d'un gouvernement, ce qui ne sert pas le principe d'efficacité. Pour combattre la multiplication des partis politiques et la fragmentation de l'institution représentative, le législateur a instauré la règle du seuil : la formation politique qui n'obtient pas 5 % des voix ne participe pas à la répartition des sièges. Les listes partageant un même projet politique doivent représenter 5 % des voix dans un arrondissement pour pouvoir s'allier avec celles d'un autre arrondissement.

Au-delà de ces complexités, ce système peut laisser perplexe. Les développements de la crise politique de 2010 et 2011 l'illustrent. C'est moins une crise de gouvernement qu'une crise de l'Etat remettant en cause les principes mêmes de son organisation, y compris le processus électoral. Un changement de structure ou de méthode pourrait-il apporter un début de solution ou éviter d'autres crises de même ampleur ?

La remise en cause des institutions pose la question du bicamérisme, pratiqué depuis toujours par la Belgique, et pourrait avoir des conséquences importantes. La réforme du Sénat à l'étude envisage différentes solutions. L'une est un Sénat fédéral, communautaire et régional, qui ne serait pas représentatif des individus mais des composantes de l'Etat. Ce serait de la représentation proportionnelle indirecte. La solution d'une chambre de dialogue entre l'Etat fédéral et les collectivités fédérées est également envisagée. Dans cette optique, le Sénat devrait être paritaire, avec deux communautés représentées à égalité. Dans ce cas, la règle de la représentation proportionnelle ne s'appliquerait plus.

La remise en cause des méthodes induit la question du maintien de la représentation proportionnelle. A ce sujet, deux réflexions sont en cours. La première préconise un scrutin d'arrondissement et la seconde, un scrutin national. Il faut savoir qu'un scrutin majoritaire à deux tours n'est pas envisageable au niveau fédéral, la constitution belge n'étant pas révisable sur ce point pour l'instant. L'idée d'un scrutin national circule davantage. Dans un Etat qui doute de son existence, les modalités d'organisation des élections ont un effet désastreux puisqu'il n'y a plus une, mais deux sociétés politiques qui choisissent leurs propres élus, l'une flamande, l'autre francophone. Dans ce contexte, l'adoption d'un scrutin national permettrait d'élire un nombre déterminé de députés et de sénateurs pour inciter les candidats de chaque communauté à s'intéresser à l'autre société. Chaque citoyen disposerait de deux bulletins de vote, le premier pour élire un représentant d'un collège particulier, le second pour élire un représentant de la nation. Afin de respecter les équilibres belges, le nombre de parlementaires fédéraux et nationaux devrait être équilibré entre francophones et flamands, ce qui constitue une nouvelle entorse au système de représentation proportionnelle.

En conclusion, il ne suffira pas de changer les modalités du scrutin pour assurer à la Belgique et aux citoyens belges davantage de sérénité et de stabilité.

Les dernières élections de mid-term aux États-Unis : Tea Party, phénomène de mode ou nouvelle force politique ?

Maria RODRIGUEZ Mc KEY , CECE


Les élections à mi-mandat sont toujours défavorables au parti au pouvoir. Dans ce contexte, la victoire du Tea Party doit être relativisée : il a soutenu 138 candidats républicains, gagné 44 sièges, dont 5 au Sénat et 39 à la Chambre des représentants, mais perdu 85 sièges, dont 3 au Sénat et 82 à la Chambre. Une approche comparative et historique peut aider à mieux comprendre l'élection de mi-mandat de 2010.

En 1994, dans un contexte économique plus favorable et sans guerre d'Irak ou d'Afghanistan, Bill Clinton a perdu la majorité dans les deux chambres alors qu'en 2010, Barack Obama n'a perdu que la Chambre des représentants. Ces élections présentent néanmoins des similitudes : d'une part, le rejet d'une proposition de loi d'assurance maladie universelle et d'une loi sur le port d'armes, d'autre part, l'élaboration par les républicains d'un contract to America en 1994 et d'un contract from America en 2010, à cette différence que le second contract émane de l'Amérique profonde. L'élection de 1994 a revêtu un caractère historique en ce qu'elle permet au parti républicain d'obtenir la majorité à la chambre des représentants pour la première fois depuis 1954.

Le Tea Party n'est pas un parti politique mais un mouvement auquel sont liés plusieurs groupes ou associations. Il a soutenu les candidats républicains les plus conservateurs lors des primaires du parti et des élections de 2010. Son nom renvoie à l'événement qui a déclenché le mouvement pour l'indépendance des Etats-Unis vis-à-vis de la Grande-Bretagne. En 1763, le roi Georges II et son gouvernement ont décidé de taxer le thé pour rembourser les dépenses de guerre. L'arrivée des bateaux déclencha une vive réaction de la part de milliers de personnes qui jetèrent le thé à la mer. Le Tea Party de 2010 puise ses origines dans les réactions au plan de sauvetage du secteur bancaire, notamment contre le plan de relance fédéral proposé par le gouvernement et adopté par le Congrès. Financé par l'association conservatrice FreedomWorks et par des entreprises, le mouvement prend de l'ampleur lors de la révélation des primes versées aux dirigeants d'AIG, compagnie qui a pourtant bénéficié du premier plan de relance, et lors du débat sur les réformes de santé proposées par le gouvernement Obama. Il apporte un soutien décisif à l'élection du républicain Scott Brown au Sénat des Etats-Unis pour l'un des sièges du Massachussetts, qui avait été celui de Ted Kennedy pendant plus de 46 ans. Enfin, le Tea Party s'oppose à trois lois sur l'énergie, la régulation financière et la réforme de la santé et défend la réduction des impôts et de l'intervention publique.

Le contract from America est l'idée de Ryan Hecker, un avocat basé à Houston, qui propose de faire appel à l'Amérique profonde pour élaborer une réforme et d'utiliser son site Internet pour recueillir des propositions. Il est aidé par Dick Armey, lié à la majorité républicaine précédente et à FreedomWorks. Est également lié au Tea Party le free state project , qui consiste à inviter les anarchistes à se regrouper dans le New Hampshire pour demander la réduction du pouvoir du gouvernement.

Comme le montre une approche comparatiste et historique des Etats, les causes du phénomène du Tea Party sont très diverses. L'expérience politique des candidats et les caractéristiques religieuses, ethniques, démographiques et socio-économiques des Etats ayant élu des candidats soutenus par le Tea Party varient. Dans les Etats industrialisés comme la Pennsylvanie, dont les cinq dernières élections ont pourtant été remportées par des démocrates, l'inquiétude face au chômage et à la crise économique a joué. Au Kentucky, qui possède des mines de charbon et dont la majorité de la population souhaite le moins d'intervention publique possible, la campagne électorale a été marquée par une hostilité aux lois sur l'environnement et sur l'assurance maladie. Dans l'Etat de New-York, deux républicains soutenus par le Tea party ont pris cinq sièges au congrès face aux démocrates qui ont remporté les postes de gouverneurs et les deux sièges du Sénat. Les circonscriptions remportées par les candidats soutenus par le Tea Party étant démocrates depuis peu, les démocrates ne s'attendaient pas à les conserver. En Géorgie, la 9 ème circonscription a été démocrate de 1875 à 1995 puis républicaine jusqu'en 2010. Le candidat républicain, soutenu par le Club pour la croissance, le FreedomWorks et par un parti proche du Tea Party, a remporté les primaires avec 56,5 % des suffrages contre un autre républicain, avec une campagne a axée sur la protection du droit au port d'armes, le remplacement de l'impôt fédéral par une TVA nationale et l'abrogation de la loi sur l'assurance maladie. Aucun candidat démocrate ne s'est présenté. Dans l'Arkansas, un état historiquement à gauche, les deux candidats soutenus par le Tea Party ont remporté l'élection dans leur circonscription. L'un était soutenu par FreedomWorks, l'autre par le Tea party.

En Amérique comme ailleurs, il y a des extrémistes de droite et de gauche. Le scrutin majoritaire à un tour leur laisse néanmoins peu de chances de remporter une élection, de bouleverser le système des partis et de produire de l'instabilité politique. Les Etats-Unis disposent d'un système bipartisan puissant. Un système de cohabitation à la française ne peut y exister, le Président américain disposant d'un droit de veto. Le Tea Party ne peut jouer qu'un rôle de groupement cautionnant l'un des deux partis. C'est une manifestation des mouvements qui vont et viennent au gré des circonstances. Les résultats des élections de mi-mandat méritent donc d'être relativisés. La participation est plus faible qu'aux élections présidentielles et marque généralement une opposition au gouvernement, partielle en 2010. En outre, le Tea Party a fragilisé le rôle de certains candidats républicains en leur donnant une image trop à droite. Son soutien a finalement contribué à la perte de trois candidats au Sénat et 82 à la chambre des représentants.

Les dernières tendances de la politique électronique

Bertrand SIMON , CECE


Je vous propose de dégager les dernières tendances de la politique électronique en me fondant sur trois exemples : WikiLeaks, The Anonymous et la Tunisie. Dans un premier temps, je reprendrai les contestations électorales et le rôle des ONG, avant d'approfondir ces trois exemples à partir desquels nous dégagerons les trois piliers de la politique digitale.

I. Contestations électorales

Le paysage des communications devenant de plus en plus complexe et participatif, la population en réseau bénéficierait d'un meilleur accès à l'information, l'incitant à s'engager davantage dans la politique et l'action collective. Ce constat est partagé par les ONG qui oeuvrent au développement de la démocratie. Le rapport du World mouvement for democracy , intitulé Défendre la société civile , insiste ainsi sur l'accès des populations aux moyens de la société de l'information et de la communication, en particulier aux médias digitaux (Internet, blogs, réseaux sociaux, partage de vidéos, etc.), en présentant cet accès comme un droit fondamental. L'accès de la société civile et des individus à Internet en tant que moyen d'organisation politique et de diffusion de l'information permettrait d'assurer la liberté d'expression et le pluralisme. Dans le contexte d'un pays en voie d'accès à la démocratie, dont le régime est encore autoritaire, le but est de combattre la censure et de tenter, par le développement des moyens digitaux, de faire naître une opposition susceptible de diffuser plus largement les messages en faveur de la démocratie.

Ces pratiques ont été observées dans de nombreuses contestations électorales, en Moldavie, en Biélorussie, en Iran, au Gabon ou encore en Côte d'Ivoire. Pour parvenir à la contestation, il faut aussi financer des programmes. Dans cette optique, les ONG consacrent des centaines de millions de dollars au développement d'Internet, à travers la formation des élites militantes à l'usage des médias digitaux et, éventuellement, aux moyens de contourner la censure. En Iran, entre 2001 et 2008, soit un an avant la Révolution verte, 768 000 dollars ont été injectés dans le développement d'une culture de l'Internet. En Chine, 2 448 000 dollars ont été investis en 2008. En additionnant tous les pays, les sommes atteignent le milliard de dollars.

Néanmoins, cela ne suffit pas. Les ONG doivent faire comprendre à la population que les médias digitaux sont un moyen d'accès à la démocratie dans des pays vivant sous d'autres régimes. Des associations militent pour placer au coeur des préoccupations des diplomates et des gouvernants le thème de la société de l'information. Evgeny Morozov, reconnu comme un expert par les médias internationaux, est membre de l'Open society et créateur d'une ONG dont le but était le développement de la maîtrise de l'Internet dans les pays de l'ex-Union soviétique. Lorsqu'on l'interroge en tant qu'expert sur le développement de la démocratie par Internet, on a le sentiment de n'interroger qu'un expert alors qu'il est juge et partie et praticien. Il sensibilise ainsi la communauté internationale et les élites à cette thématique.

II. Etude de trois phénomènes

Dans les trois phénomènes cités en introduction, faut-il voir l'action des ONG ayant favorisé l'émergence « d'élites Internet » ?

WikiLeaks est une sorte de ligne de fuite de la démocratie. C'est une initiative collective dont le but est de publier des documents classés secrets ou confidentiels, produits par les pouvoirs et transmis par des correspondants volontaires et anonymes. La publication intervient généralement après une longue investigation et le recoupement des sources. WikiLeaks a commencé par le compte rendu historique des faits de guerre en Afghanistan ( war logs ) et la révélation des télégrammes diplomatiques ( cable gate ). Une telle démarche repose sur une analyse du fonctionnement des régimes politiques prenant son origine dans l'idéologie d'un Internet libre et autogéré, conçu comme un outil d'intelligence collective placé au service de la démocratie. Pour WikiLeaks, tous les régimes politiques auraient tendance à la rétention d'information, assimilable à de la conspiration. Julian Assange, son fondateur, pointe ainsi la nécessité de réconcilier politique et éthique. C'est finalement l'autonomisation du politique par rapport à la religion, la morale ou l'éthique, permise par Machiavel, qui est remise en cause. Si le secret est possible et que l'Etat fait référence à la raison d'Etat en opposition au droit des citoyens, nous courrions le risque de déconnecter la pratique politique de toute réflexion éthique. Un Etat vivant sur le secret serait un Etat qui pourrait dériver vers l'injustice. Le fonctionnement de WikiLeaks repose sur une volonté de créer l'attention en plaçant un sujet au centre du débat public, une demande de transparence et la mobilisation de l'opinion public et des médias.

The Anonymous est un groupe informel issu de la culture des hackers. Par définition, on ne sait qui ils sont. Ils se revendiquent 9 000. Leurs faits d'armes sont une intervention contre l'église de scientologie, puis en faveur de WikiLeaks contre les médias ayant cessé de soutenir le site ou ayant bloqué ses transactions bancaires. Ils utilisent des méthodes de pirate, dont le denial of service , qui met un service hors d'usage en le submergeant de requêtes. Ils se sont récemment illustrés en Tunisie en tentant de limiter la censure exercée par le gouvernement et la guerre de l'information. On retrouve une préoccupation semblable de garantir à tous un libre accès à un Internet exempt de censure. The Anonymous frappent donc ceux qui cherchent à censurer ou dissimuler l'information.

Mon troisième exemple est l'Internet tunisien. Ces dernières semaines, de nombreux articles ont évoqué une « twitter revolution » et prétendu que les medias sociaux auraient réveillé les Tunisiens. En réalité, c'est avant tout le poids d'une situation insupportable qui les a fait descendre dans la rue. Cela étant, il est vrai que la Tunisie compte 11 millions d'habitants, dont 3,6 millions d'internautes ; sur ce nombre, environ 1 970 000 sont membres de facebook -soit plus de 50 %- dont 70 % ont entre 18 et 34 ans. Les conditions d'une utilisation de facebook comme outil de diffusion de contenus dans le cadre de la révolution de Jasmin étaient ainsi réunies. Cette jeunesse instruite mais désoeuvrée par le chômage utilise facebook comme moyen de communication principal, au point que le gouvernement Ben Ali a préféré ne pas en interdire l'accès, mais pointer les leaders pour signaler ensuite des dysfonctionnements. Le problème est que les employés de facebook ne peuvent vérifier tous les signalements. Face à la censure, on observe une volonté d'accéder à une information transparente. L'intérêt pour les documents sur la corruption en Tunisie publiés sur WikiLeaks en témoigne, même si au fond, ils n'apprennent rien de nouveau à la population.

III. Les piliers de la politique digitale

Ces trois exemples illustrent les trois piliers de la politique digitale :

• la capacité à capter l'attention et donc, à fixer l'agenda :

Le peuple a la possibilité de mettre sur la place publique un sujet auparavant minoritaire. Il s'agit de capter l'attention de ses pairs, de la communauté internationale et des médias internationaux de façon à transformer un sujet en enjeu véritable.

• la volonté de la transparence :

De nombreuses voix se sont élevées pour dénoncer la dictature de la transparence, qui ôterait toute possibilité de rétention d'information et d'intimité. Ce sont les mêmes qui installent des caméras ou organisent des dispositifs de surveillance sur le web. Dans cette volonté de transparence, se joue avant tout la nécessité de rompre avec une conception machiavélienne de la politique et de réconcilier politique et éthique. Au-delà de cette analyse, le sujet de la transparence ouvre de nouvelles occasions d'affrontements entre une idéologie sécuritaire et de contrôle et une idéologie techno-libertaire qui ont toutes deux présidé à la naissance d'Internet.

• la mobilisation :

La mobilisation s'entend au sens d'engagement. Hors contexte électoral, il peut s'agir de développer la participation du citoyen au débat. Dans un contexte électoral ou de crise, l'objectif est de faire pression.

Les ONG sont-elles manipulatrices ? Dans une interview récente, Evgeni Morozov déclare que ces groupes ont les moyens et l'expérience d'une attaque et les utilisent pour une cause qui leur semble juste. Il dénigre les mouvements en permanence, les assimilant à des adolescents énervés. Or dans la plupart des contestations électorales, chez WikiLeaks, chez les Anonymous voire au sein des think tanks, on retrouve les mêmes principes que ceux employés par les ONG. Celles-ci semblent dépassées par la société civile elle-même.

En conclusion, ces mouvements posent la question de la confiance dans le régime, la représentation, le politique et le processus électoral. La préoccupation principale des Etats et des gouvernements devrait être de restaurer cette confiance. Le moyen d'y parvenir -sans doute le seul- pourrait consister à pratiquer davantage de consultation et de participation et à approfondir la notion de délégation pour que le citoyen se sente à nouveau acteur de son destin. Ces phénomènes nouveaux sont appelés à prendre de l'ampleur et déjà, de nouvelles initiatives apparaissent, plus habiles.

Échanges avec la salle

De la salle

Monsieur Francis DELPÉRÉE, pourriez-vous nous expliquer dans quel contexte la Belgique a changé de mode de scrutin à la fin du 19 ème siècle ? La complexité que vous évoquez pourrait venir du fédéralisme, auquel ce pays s'est rangé pour régler la querelle entre Flamands et Wallons. La Belgique est certes sans gouvernement, mais elle fonctionne. Elle a même assuré la présidence de l'Union européenne pendant six mois. Comment l'expliquez-vous ? Au fond, la belgitude ne consisterait-elle pas à mettre à distance le pouvoir central en développant des identités locales ? Ne serait-ce pas une voie pour l'Europe ?

Francis DELPÉRÉE

En 1893, la révision constitutionnelle entérine le passage du scrutin majoritaire, qui encourage le bipartisme, au scrutin proportionnel pour sauver le parti libéral, lequel demande aujourd'hui le retour au scrutin majoritaire. 1893 est aussi l'année du passage du suffrage censitaire au suffrage de représentation proportionnelle et celle de l'instauration du vote obligatoire.

Il est vrai que le fédéralisme est un élément de complexité, puisqu'il implique un Etat pluri-législatif. Cette complexité est cependant nécessaire pour continuer à faire fonctionner une certaine forme d'Etat en Belgique. Le système continuant à fonctionner malgré la crise politique, la théorie des affaires courantes prend une ampleur considérable et la continuité du service public semble assurée. Pour autant, la situation est complexe. La présidence belge de l'Union européenne s'est certes bien déroulée, mais l'exercice a ses limites. Il n'y plus de nomination d'ambassadeurs ou de secrétaires généraux de ministères et le problème des retraites n'est pas résolu. Le FMI invite la Belgique à prendre des mesures structurelles mais le régime de traitement des affaires courantes ne le permet pas. Le FMI, l'OCDE et les partenaires de la Belgique commencent à l'inciter à se doter à nouveau d'un gouvernement de plein exercice ainsi, ajouterai-je, que d'un parlement de plein exercice.

Jean-Claude COLLIARD

La Belgique est le seul pays de l'Union européenne comprenant deux systèmes de partis. Il arrive qu'un parti d'une même tendance idéologique gouverne dans une partie du pays et soit dans l'opposition dans l'autre partie. Même dans un Etat fédéral comme l'Allemagne, le système de parti est unique.

Bernard OWEN

L'enjeu électoral est perçu différemment dans le cadre d'un scrutin majoritaire ou proportionnel. C'est un élément clé de compréhension, qui rétroagit sur les systèmes électoraux et sur les structures d'accueil. L'idée de rétablir un scrutin majoritaire en Belgique doit prendre en compte cette influence, au vu des résultats des élections passées. Les Pays-Bas et la Finlande ont aussi connu des périodes sans gouvernement parlementaire. Depuis 1945, ces périodes cumulées dépassent un total de quatre ans.

Les gouvernements de grande coalition, tels que l'Allemagne de Weimar les a connus, me semblent également problématiques. Le parti nazi n'obtenait que 2,8 % des suffrages en 1928 alors qu'en 1930, il obtenait 18 %. Dans un gouvernement de cohabitation, l'affiliation politique des électeurs se dilue. Ce n'est pas souhaitable pour la cohésion politique des citoyens.

La désaffectation pour la démocratie est un phénomène pluriel, à la fois structurel et conjoncturel. Elle sera moindre pour une élection présidentielle que pour une élection européenne paraissant lointaine. Plusieurs phénomènes se conjuguent mais dans l'ensemble, je ne crois pas que la désaffection pour la politique soit si forte que certains l'affirment.

De la salle

Sur le thème proposé, « défis et interrogations », on ne peut échapper au parallèle avec l'Afrique. Le cas ivoirien mérite plus une attention de la part des chercheurs, notamment sur la question de la sincérité des scrutins en Afrique. Comment pouvons-nous organiser un scrutin dans lequel le peuple puisse s'exprimer, mais dont la volonté soit prise en otage par un candidat sans que cela suscite de protestation de la communauté internationale, qui a pourtant contribué au financement du processus électoral ? L'une des élections les plus crédibles est celle de la Côte d'Ivoire. Même le Conseil constitutionnel ivoirien ne remet pas en cause la victoire d'Alassane Ouattara. Les résultats de sept départements ont été annulés mais pas ceux des élections. Une telle décision est inédite. En tant que démocrate, je conteste donc les discours sur la souveraineté des pays et l'interventionnisme de la communauté internationale. Pour moi, le seul interventionnisme valable est d'être aux côtés du peuple ivoirien.

Bernard OWEN

Le problème rencontré en Côté d'Ivoire est un problème que nous avons connu en Europe pendant des siècles, à savoir le refus d'alternance. Quant à la communauté internationale, l'expérience de la commission électorale du Rwanda a été marquée par des interventions catastrophiques. De 1960 à 1995, se sont succédé des gouvernements totalitaires, des coups d'état militaires, des exodes de population et des massacres. La communauté internationale peut prêter assistance si on le lui demande, mais elle outrepasse ses compétences si elle se met à exercer du pouvoir. Notre intervention doit se limiter à la dimension technique du processus.

De la salle

Bertrand SIMON, la transparence n'ouvre-t-elle pas la porte à des abus et à une utilisation dictatoriale d'Internet ? En Côte d'Ivoire, la majorité du web semble contrôlé par les tenants de Monsieur Gbagbo. Aux Etats-Unis, les campagnes se mènent sur Internet. Quelle que soit la cause, la loi du plus fort semble s'appliquer. Une ouverture totale laisse la porte ouverte à des prises de position, fondées ou infondées, venant de personnes incompétentes et mues par l'affectif.

Bertrand SIMON

Je ne suis pas certain que le danger vienne d'Internet, même si ces personnes s'expriment avec leur affect, qu'elles soient au moins entendues, à défaut d'être écoutées. Surtout, les forces économiques supporteront mal certaines révélations, l'ouverture ne sera donc pas totale : nous risquons au contraire la censure.

Je ne prône pas une transparence totale, mais une transparence sachant poser ses limites (éviter toute mise en danger de la vie d'autrui par exemple). Une réflexion sur la notion de secret d'Etat, en revanche, serait utile. Un certain nombre d'informations pourraient être partagées avec un peuple de plus en plus instruit. Je préfère faire preuve d'optimisme qu'opter pour un élitisme éclairé.