Colloque "Urgences et traitement de l'urgence" (17 juin 2004)


Table des matières


Actes du colloque SÉNAT-IHESI-HCDC
« Urgences et traitement de l'urgence »
17 juin 2004

Sous le haut patronage de Christian PONCELET , Président du Sénat

En présence de :
Paul GIROD , Sénateur, Président du Haut Comité Français pour la Défense Civile
Jean-Marc BERLIOZ , Directeur de l'Institut des Hautes Études de la Sécurité Intérieur
Danièle TRAUMAN , Présidente de l'Association Théories et Territoires de l'Urgence

Ouverture

Paul GIROD,
Sénateur, Président du Haut Comité français pour la Défense civile

Bonjour à toutes et à tous.

Monsieur Poncelet, qui ne peut malheureusement assister à ce colloque, m'a chargé de vous lire le message suivant.

« Monsieur le Président, cher Paul Girod,

Monsieur le Directeur de l'Institut des Hautes Études de la Sécurité intérieure, cher Marc Berlioz,

Madame la Présidente, chère Danièle Trauman,

Mesdames et Messieurs, chers amis,

Un déplacement en Afrique, à l'invitation du Président de la République gabonaise, m'empêche d'être parmi vous ce matin pour ouvrir le colloque sur l'urgence. J'ai donc demandé à mon ami et collègue Paul Girod, Président du Haut Comité français pour la Défense civile, de vous accueillir au Sénat et de vous lire en mon nom ce message de cordiale bienvenue.

Je tiens tout d'abord à lui rendre hommage et à le féliciter pour son action inlassable au service de la promotion de la défense civile. Il a la lourde tâche d'essayer de faire connaître à nos collègues ce concept qui leur est, encore, malheureusement trop souvent étranger. C'est pourquoi je me réjouis tout particulièrement que vous consacriez à la problématique de l'urgence une journée de réflexion au Palais du Luxembourg.

Le thème dont vous traitez aujourd'hui est en effet un sujet d'une grande acuité et d'une extrême gravité puisqu'il faut bien l'avouer, les recherches et les enseignements en matière d'urgence, bien que très avancés, ne permettent pas encore un traitement satisfaisant de l'urgence tant au plan national qu'international.

Les nombreuses crises que notre planète devenue « folle » nous fait traverser : les tempêtes, les incendies, la canicule, AZF, nous révèlent notre impuissance à les gérer et démontrent nos insuffisances ou nos retards de réaction et notre déficit de communication envers les citoyens.

Le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin a bien mesuré ces lacunes et s'emploie, notamment par le projet de loi sur la sécurité civile étudié en ce moment au Sénat, à apporter des réponses à ce triste état de fait dans le domaine plus spécifique des sapeurs-pompiers.

Cependant, je suis persuadé qu'il convient de définir le thème de l'urgence de manière large afin d'essayer d'apporter des réponses concrètes, pragmatiques et adaptées.

Tout d'abord, il faut convenir que l'urgence a un caractère relatif.

Quels sont, en effet, les facteurs objectifs qui nécessitent que l'on change les procédures habituelles pour pénétrer dans le domaine de l'urgence ? Je pense ici notamment à la notion d'urgence au Parlement : pour quelles raisons, d'un seul coup, on décide qu'un texte sera frappé de l'urgence ? Notion d'autant plus relative qu'après-coup les décrets d'application du projet de loi en question sont souvent très longs à venir. Y aurait-il alors véritablement urgence au sens étymologique du terme ?

Deuxième axe de réflexion : il faut déplorer le peu de transversalité dans le domaine de l'urgence. Chaque profession a beaucoup travaillé sur ce sujet mais, j'oserais dire, pour employer un terme trivial, chacune dans son coin. Ce constat est sans doute une clef pour comprendre le manque de coordination actuelle des acteurs entre eux et la nécessité absolue de travailler ensemble sur le sujet.

Troisième problématique : qui dit urgence, dit nécessairement réglementation plus stricte des libertés. Restriction de la liberté pour le parlementaire d'avoir une deuxième lecture sur un texte et donc de l'amender encore, mais aussi, plus grave peut-être, restriction des libertés fondamentales pour le citoyen. Il faut donc que les gouvernants s'engagent à bon escient dans le déclenchement d'une procédure ou d'un plan d'urgence, car cette notion, mal encadrée, peut se révéler dangereuse si on la banalise.

Enfin, dernière observation : le problème de l'urgence nécessite un traitement européen et international. Pour plus d'efficacité, il convient de mieux prendre en compte le phénomène d'internationalisation. Le meilleur exemple en est l'épisode malheureux des feux de forêt de l'été dernier, qui ont nécessité l'intervention de pompiers italiens, allemands, espagnols. Les pouvoirs publics des États, aussi développés soient-ils, ne peuvent plus se permettre de traiter les crises au seul niveau national. Comme dans les autres domaines, l'ouverture vers les autres et l'aide de l'extérieur sont primordiales.

Mettre en réseau les acteurs de l'urgence, anticiper et responsabiliser les citoyens face au risque, mieux communiquer sur les crises, sont les conditions d'un traitement véritable et efficace de l'urgence.

Ce colloque, en réunissant l'ensemble des opérateurs concernés : les pouvoirs publics, les assureurs, les associations, les élus et les citoyens, trace le début d'une réelle action commune.

La réflexion prospective, les expérimentations, la mise sur pied de communications et de coordinations, doivent permettre de préparer des procédures exceptionnelles nécessaires pour répondre aux situations d'urgence. C'est à ce prix seulement que des épisodes aussi tragiques et coûteux en vies humaines que celui de la canicule de l'été dernier pourront être évités.

Sachez que les parlementaires sont à vos côtés pour travailler sur ce thème et qu'ils attendent de vous des propositions qu'ils pourront traduire en textes législatifs.

Soyez assurés que le Sénat, et Paul Girod nous le rappellera si le besoin s'en faisait sentir, sera particulièrement attentif aux propositions que vous ferez aujourd'hui. Nous les attendons de manière urgente !

Je vous remercie toutes et tous pour la qualité de votre action et je vous souhaite un excellent colloque, riche, je n'en doute pas, de perspectives concrètes et réalistes ».

Tel était le message du Président Poncelet. Permettez-moi maintenant d'ajouter deux ou trois mots personnels. Nous nous sommes endormis dans une sécurité tranquille, au motif que le monde était devenu moins dangereux depuis la destruction du mur de Berlin. Nous avons fabriqué une civilisation industrielle qui crée des produits terriblement dangereux que, de surcroît, nous transportons allégrement d'un point à un autre. Les risques sont nombreux - risques dont les terroristes ne font que modifier les délais de survenance.

Je vous souhaite un très bon colloque.

Jean-Marc BERLIOZ,
Directeur de l'Institut des Hautes Études de la Sécurité intérieure

Mesdames, Messieurs, Monsieur le Président, permettez-moi tout d'abord de remercier les organisateurs de cette journée. L'Institut des Hautes Études de la Sécurité Intérieure (IHESI) a été créé en 1989 pour diffuser un message de sécurité, comme son aîné, l'IHEDN, diffuse un message de défense. Cependant, compte tenu de notre environnement, je pense notamment à la fin de la bipolarisation, à la montée de l'hyper terrorisme et au passage des flux matériels à des flux immatériels, il a été décidé de faire évoluer l'IHESI dans son implantation, son statut et ses missions. Le décret instituant l'INES (Institut national des Études de Sécurité) est en cours de signature.

J'ai choisi ici de vous présenter un angle d'attaque nouveau, et donc peut-être contestable. En effet, ne peut-on pas dire que le traitement le plus efficace de l'urgence consiste à la supprimer ? Cette conception radicale et provocatrice ne relève pas d'un débat abstrait. Elle se pose en termes de santé, mais aussi en termes de sécurité, lorsque l'état de crise devient planétaire. Faut-il être proactif ou réactif ? Cette opposition tend à devenir sommaire. Ne parle-t-on pas actuellement de « guerres préventives », qui assimilent proactivité et réactivité au lieu de les opposer ?

La prévention permanente et absolue, la stérilisation prophylactique des facteurs d'insécurité revêtent un effet tragique lorsque les risques de l'urgence relèvent du terrorisme. Efficacité tend alors à se confondre avec légitimité : il est parfaitement légitime de vouloir se sortir de manière efficace du risque terroriste.

La préparation permanente ne signifie pas que l'on a tout prévu, mais plutôt que l'on est prêt à affronter ce que l'on n'avait pas prévu. Préparation se distingue donc de prévention et de prévision. Aujourd'hui, la crise est constante et chronique. Sa gestion durera dans le temps. L'urgence est devenue la norme et non plus l'exception.

Il n'y a pas d'urgence en soi. A cet égard, la notion d'urgence absolue nous paraît toute relative. Traiter d'une urgence, c'est traiter aussi de l'urgence, c'est-à-dire en débattre sans considérer qu'un consensus naturel existe sur le sens de l'urgence.

Je vous souhaite un riche et fructueux débat.

Danièle TRAUMAN,
Présidente de l'association Théories et Territoires de l'Urgence

Je vous remercie. Je remercie également, au nom des membres de l'Association, tous nos partenaires qui ont permis la tenue de cette journée. Je remercie enfin ma fille, ici présente, pour son soutien logistique.

L'association « Théories et Territoires de l'Urgence » est composée notamment d'anciens auditeurs de l'IHESI et de doctorants qui mènent des travaux sur l'urgence, mais s'adresse aussi à tous les concitoyens intéressés par les dysfonctionnements provoqués par des événements naturels, industriels, politiques ou sociaux. Cette association a pour objectif de mettre en oeuvre des outils permettant une prise de décision rapide et d'élaborer des scenarii sur la conduite à tenir en situation d'urgence, afin, pourquoi pas, de tenter de rendre obsolète la notion d'urgence.

Cette première journée a pour objet de faire connaître nos travaux et notre réflexion, afin d'activer et de faire reconnaître nos recherches. Par la suite, au mois de septembre, nous recenserons vos travaux, qui seront publiés dans des revues scientifiques.

Nous traiterons aujourd'hui du thème de l'urgence, de façon transdisciplinaire, autour de six tables rondes différentes :

- « urgence et libertés publiques » ;

- « procédures et cadre décisionnel de l'urgence » ;

- « urgences, cultures, temps et espace » ;

- « outils de l'urgence et coopération internationale » ;

- « acteurs de l'urgence » ;

- « urgence sociale ».

En fin de journée, le docteur Xavier Emmanuelli nous présentera les actions du Samu social à Paris. J'ajoute que chaque table ronde sera suivie d'un échange avec la salle.

Urgence et libertés publiques

Dominique TURPIN,
Président honoraire de l'Université d'Auvergne,
Doyen de la faculté de droit de Clermont-Ferrand

Les notions d'urgence et de libertés publiques paraissent ne pas faire bon ménage, a priori . Les hommes supposés vivre libres et heureux dans l'état de nature ont accepté d'abandonner, par le contrat social, une partie de leur liberté initiale pour un peu de sécurité - celle des personnes et celle des biens. L'urgence semble venir justifier que l'équilibre entre liberté et sécurité penche du côté de la sécurité, donc au détriment des libertés publiques. Pour autant, la sécurité peut être mise au service des libertés.

I. L'urgence, une notion dangereuse pour les libertés publiques
1. La notion d'état d'urgence

Dans tous les pays, qu'ils soient démocratiques ou non, l'organisation de pouvoirs de crise est prévue en cas d'urgence. La convention européenne des droits de l'homme permet, en vertu de son article 15, la mise en oeuvre de tels pouvoirs. En France, l'état de siège est constitutionnalisé et pourrait être décrété en Conseil d'État en cas de péril imminent. Il en va de même de l'état d'urgence, qui a été institué entre 1955 et 1960 par des lois qui sont toujours en vigueur, bien que non constitutionnalisées. Il a été mis en oeuvre en Nouvelle-Calédonie lors des troubles de 1985. Pour citer un dernier exemple, précisons que l'article 16 de la Constitution permet au chef de l'État de « prendre les mesures exigées par les circonstances en cas de menaces graves et immédiates ».

2. Urgence et liberté

La liberté est également affectée par les pouvoirs de police exercés au quotidien. Dans un État de droit, la liberté doit être la règle et sa restriction, l'exception. Mais il n'en va pas de même en situation d'urgence, puisqu'il est de l'essence même du rôle de l'administration d'agir immédiatement en cas d'urgence : quand la maison brûle, on ne demande pas l'autorisation d'envoyer les pompiers. Par exemple, le ministre de l'Intérieur peut prononcer l'expulsion des étrangers dont la présence sur le territoire constitue une menace grave pour l'ordre public. Cette mesure est normalement assortie de garanties procédurales. Toutefois, en cas d'urgence absolue, ces garanties peuvent être supprimées. Autre exemple : en cas de suspension de permis de conduire - atteinte à la liberté d'aller et de venir - il existe une procédure d'urgence de droit commun entourée de nombreuses garanties procédurales préalables, mais aussi une procédure d'urgence - pour conduite en état d'ivresse notamment - permettant une suspension immédiate. Les exemples de restriction de la liberté des individus pour motifs d'urgence sont ainsi nombreux et multiples dans nombre de domaines juridiques : police des établissements menaçant ruine, police administrative, etc.

II. L'urgence, une notion compatible avec les libertés publiques
1. Le nécessaire maintien de l'ordre public

Le recours à la notion d'urgence peut être justifié par les autorités administratives pour assurer le maintien de l'ordre public dont les citoyens sont demandeurs autant que de liberté. Les pouvoirs de crise constituent alors un état de moindre droit provisoire, mais ne remettent pas en cause cet état de droit. La préservation de l'ordre public a été érigée par le Conseil constitutionnel en objectif à valeur constitutionnelle devant être concilié avec les libertés de même valeur. L'article 34 de notre constitution confie à la loi le soin de garantir les libertés fondamentales. Il revient donc à la loi de concilier entre les impératifs liés au maintien de l'ordre public et au respect des libertés publiques, à la recherche de l'efficacité et au respect des droits de l'homme.

2. La protection juridictionnelle des libertés publiques

La notion d'urgence est également au service de l'objectif de protection juridictionnelle des libertés publiques. Le Conseil constitutionnel et le juge judiciaire peuvent ainsi engager des procédures d'urgence qui renforcent le droit des personnes à obtenir un jugement. De fait, la lenteur peut nuire à la justice. Depuis quelques années, le juge administratif dispose lui aussi de procédures d'urgence. C'est notamment le cas du recours contentieux en cas de reconduite à la frontière. Mais surtout, la loi du 30 juin 2000, entrée en vigueur au 1 er janvier 2001, place l'urgence au service des libertés au travers du référé « suspension » et du référé « liberté ou injonction ». Ce faisant, elle comble une lacune importante. Depuis l'entrée en vigueur de cette loi, les juges ont appliqué le référé « liberté » à de très nombreuses libertés fondamentales. Par exemple, à la fin de l'été 2002, le Front national a souhaité tenir son université à Annecy. Mais toutes les autorités locales ont refusé de mettre à sa disposition une salle. Avec le référé « liberté », ces refus ont été annulés et, dès le 19 août 2002, il a été ordonné de mettre une salle à la disposition de ce parti. On peut peut-être regretter que cette décision ait été rendue à l'occasion d'un contentieux impliquant le Front national, mais pour le coup, il est de fait qu'aucun risque avéré pour l'ordre public n'avait été démontré.

Les procédures, le cadre décisionnel de l'urgence :
urgence et retours d'expérience

Ont participé à la table ronde :

Général René NOTO Président de la Société française de médecine de catastrophe

Joël LEBESCHU Préfet du Vaucluse

Franck DAURENJOU Chef du Bureau de l'analyse et de la préparation aux crises, direction de la défense et de la sécurité civiles, ministère de l'Intérieur

La table ronde était animée par Claude COINTET-HAUTIER, Sous-Préfet, Directrice générale de l'Université ouverte de Montpellier Languedoc-Roussillon.

Claude COINTET-HAUTIER

Notre table ronde reviendra tout particulièrement sur l'exemple de la catastrophe naturelle de Vaison-la-Romaine.

Joël LEBESCHU

La catastrophe naturelle de Vaison-la-Romaine est survenue le 22 septembre 1992. Elle aura au moins permis de valider certains concepts en matière de gestion de crise. La forte médiatisation de cette catastrophe permet d'avoir encore un souvenir très précis des événements, aussi bien de façon collective que d'un point de vue opérationnel. Nous avons inventé, à Vaison-la-Romaine, un certain nombre de concepts qui sont encore en place à l'heure actuelle.

Au moment de la catastrophe, en raison de la présence du Mont Ventoux, les communications téléphoniques ne passaient pas - depuis, j'ai équipé toutes les voitures de la préfecture de téléphones satellites. Durant plus de deux heures, le préfet n'a donc pas eu connaissance des événements en cours à 40 kilomètres à peine de sa préfecture. Sur place, les secours étaient gérés par les pompiers et les forces locales. Mais ces dernières se sont avérées insuffisamment nombreuses au regard de l'ampleur de la catastrophe.

L'un des effets de la catastrophe a été de mettre en lumière l'importance de l'effet de sidération, de perte de sens. Il est en outre apparu que les secours ne sont vraiment opérationnels qu'après six heures d'intervention au minimum, puisqu'en cas d'urgence, seuls les services dit précisément « d'urgence » peuvent se rendre immédiatement sur place. Par ailleurs, il est apparu que s'il est aisé d'engager un plan Orsec, il est en revanche très difficile de le lever. La réforme des plans de secours, douze ans et plusieurs catastrophes après, est donc directement inspirée de la catastrophe de Vaison-la-Romaine.

En 1992, nous avons également pu valider le fait que la connaissance mutuelle et préalable des acteurs est un facteur fondamental de gestion des catastrophes. La crise, la catastrophe et l'urgence aggravent en effet les difficultés de gestion et d'intervention administratives. Il est donc essentiel que les différents acteurs se connaissent suffisamment bien pour coordonner leur action. Dès le 23 septembre 1992, je me suis rendu sur le terrain avec le ministre de l'Intérieur de l'époque. Au-delà de l'agitation médiatique qui entourait notre visite, il est tout de suite apparu qu'il fallait mettre en place une équipe de communication, mais aussi une équipe de gestion des états-majors susceptible d'assurer une réelle coordination de leur action. De ce point de vue, la sortie de l'urgence ne signifie pas la fin de la crise, bien au contraire.

Cette expérience montre que, dans un certain nombre de domaines, la culture de la sécurité civile est fondamentalement une culture du retour d'expérience, une culture de l'efficacité mais aussi et surtout une culture de l'humilité, puisque aucune catastrophe n'est jamais similaire aux précédentes.

Général NOTO

Je suis médecin-général. A partir de mon expérience, j'ai tenté d'identifier les clés qui permettent de décoder les situations d'urgence.

L'urgence désigne ce qui ne peut pas attendre. Mais attendre qui, attendre quoi ? Attendre combien de temps ? Les délais d'attente sont l'un des problèmes majeurs en matière d'urgence. Il y a un temps vécu, un temps perçu et un temps réel. Le temps n'est pas le même pour ceux qui attendent et ceux qui agissent - vous avez tous vécu cette situation en étant malade.

Est par ailleurs urgent ce qui est grave. Mais il existe différents degrés de gravité. De plus, si certaines gravités sont réversibles, d'autres ne le sont pas. Enfin, est urgent ce qui est proche. La proximité et l'éloignement physique, mais aussi affectif, social, national contribuent fortement à forger la notion d'urgence que peut recouvrir une situation.

Vous l'aurez compris, le domaine de l'urgence s'inscrit dans un contexte d'espace et de temps socioculturel, sociopsychologique, socio-économique, mais aussi médiatique. j'ajouterai que l'existence du facteur socioculturel est antérieure à l'événement. Il faut donc savoir en tenir compte.

Il y a quelques années, dans le domaine médical, l'on dénombrait trois formes d'urgence : l'urgence ressentie, l'urgence vraie et les situations de détresse. Au siècle dernier, Charcot décrivait des crises de tétanie qui duraient 24 heures. Aujourd'hui, une telle crise qui durerait plus de quelques heures se terminerait par une action en justice. La durée de l'urgence est donc susceptible d'évoluer avec le temps et le contexte général dans lequel elle se situe.

Le diagnostic de l'urgence est de fait établi dans l'urgence et tient compte de l'événement et de la connaissance de l'événement. Il convient en outre d'identifier le niveau de gravité et le potentiel évolutif de la situation dite d'urgence. Dans certains cas, décideurs et acteurs se confondent - c'est par exemple le cas d'un pilote d'avion. Mais, le plus souvent, la décision - et donc ses conséquences - relèvent d'une responsabilité collective. Dans un tel contexte, la notion de compréhension est fondamentale : une décision mal comprise sera mal exécutée et aura des conséquences dramatiques. Un autre facteur primordial est celui du stress de la décision.

Franck DAURENJOU

Je reviendrai sur les actions qui ont été mises en oeuvre depuis 1992, date de la catastrophe de Vaison-la-Romaine comme nous l'avons vu. A l'époque, les pouvoirs publics et notamment les préfets considéraient qu'une crise était passée lorsque le dernier blessé était dans l'ambulance - pour utiliser cette image caricaturale. Au cours des années suivantes, notamment avec la tempête de 1999, les attentes des citoyens vis-à-vis des pouvoirs publics en situation d'urgence ont évolué. Les victimes n'attendent plus les pouvoirs publics sur la gestion de la crise et de l'urgence, mais sur la façon dont ils se sont préparés à l'urgence.

Quoi qu'il en soit, la France a maintenu le principe essentiel de l'acteur local, du préfet de département décisionnaire et gestionnaire. Elle a en revanche fait en sorte d'améliorer la permanence, en mettant en oeuvre le concept de veille et en développant des outils d'intervention, en particulier les PC opérationnels. En 1996, la loi de modernisation des SDIS a permis de se doter d'un véritable outil opérationnel, en association avec les services de secours. Il convient également de citer l'évolution du commandement, afin de mieux coordonner les acteurs de l'urgence et de développer les partenariats. Les maires se sont ainsi de plus en plus insérés dans la chaîne de commandement. Actuellement, un important travail est en cours en vue de mieux associer les bénévoles au sens le plus large du terme, au-delà des associations ou de la Croix-Rouge.

Un autre point important est celui du développement des solidarités. Depuis les années 90 et plus encore depuis 1999, l'échelon zonal est plus structuré et mieux organisé, de même que l'échelon européen. Il est en outre demandé aux acteurs publics de mieux anticiper le retour à la normale et le retour d'expérience. Par ailleurs, mieux se préparer à l'urgence relève du champ de l'immédiat avant crise. C'est un axe de progrès très important pour le ministère de l'Intérieur.

Pour citer ce sujet, je pense que le SDACR (Schéma départemental d'analyse et de couverture des risques) n'a pas encore trouvé toute sa place au sein de la réflexion sur l'urgence. Ce document stratégique est pourtant fondamental - tout autant que la culture de veille. La prévision, elle, repose sur la vigilance et l'alerte. Nous avons ainsi le projet de développer une carte de vigilance des inondations et des crues. Cette carte permettrait notamment de mieux savoir comment évolue une crue. Concernant l'alerte, d'importants progrès ont été accomplis mais beaucoup reste à faire. Le ministère de l'Intérieur a ainsi passé des accords avec Radio France pour relayer l'information et donner l'alerte.

Se préparer, c'est aussi planifier. Nous entendons donc développer des plans plus modulaires et d'application plus simples pour leurs acteurs. Par ailleurs, outre la réforme des plans d'État, nous mettons l'accent sur les plans communaux de sauvegarde, qui ont pour mission d'assurer une continuité en termes de soutien. La préparation comporte enfin nécessairement un volet de formation - formation des acteurs directs, mais aussi formation des citoyens, notamment des élèves de collège et de lycée. Un projet de loi est en cours d'élaboration dans ce sens. L'État souhaite en outre mettre en place une cinquantaine d'exercices sur le territoire national, ainsi que des exercices associant la population.

Mieux affronter les crises, c'est aussi tenter de les limiter, voire de les refuser. Cela implique de connaître le risque, d'éviter qu'il se réalise et d'en informer la population. En 1995, puis en 2003, nous avons ainsi mis en place et approfondi des plans de prévention (PPR).

Il convient par ailleurs de réfléchir aux mesures de protection. La loi Barnier est de plus en plus utilisée dès la fin d'une crise, pour mettre un terme définitif au risque. Le durcissement des infrastructures peut également constituer une mesure de protection efficace.

Enfin, il est indispensable de gérer la fin du tabou du secret et mieux informer les populations. Aujourd'hui, via Internet, tout citoyen peut avoir une vision exacte des risques inhérents à sa commune. La réflexion est désormais conduite par bassin de risques et non plus sous l'angle purement administratif du département.

Aujourd'hui, vous l'aurez compris, « l'avant » et « l'après » sont devenu aussi importants que le « pendant ». Pour citer ce seul exemple, la formation des pompiers a évolué en ce sens depuis dix ans, devenant de plus en plus technique. Enfin, le préfet est désormais un véritable manager de la crise.

Claude COINTET-HAUTIER

La parole est à la salle. Je voudrais d'ailleurs poser une question à la salle. Pouvez-vous nous dire, notamment, quel dispositif a été mis en place à Paris en prévision de la prochaine grande crue ?

De la salle, Michèle MERLI, préfète, secrétaire générale de la zone de défense de Paris

Nous nous appuyons fortement sur le retour d'expérience de nos collègues.

La notion de crise a été introduite dans la gestion d'État, en mettant l'accent sur la coordination. En France, sept zones de défense ont été définies, dont le rôle a été renforcé en 2000 : elles coordonnent désormais les cellules opérationnelles départementales. La coordination concerne les partenaires publics, certes, mais aussi les partenaires privés. Nous devons tous travailler ensemble et assumer les nouvelles responsabilités qui sont les nôtres.

Dans la zone de défense de Paris, nous avons mis en place un dispositif de veille opérationnelle. Cette dernière est permanente. Sa composition est à géométrie variable. Il s'agit de surveiller toute une série d'indicateurs et, le cas échéant, de déclencher une procédure d'alerte. Nous sommes ainsi en mesure de mettre en oeuvre une gestion de crise modulable. Mais, dans ce dispositif, l'anticipation reste la priorité.

Nous avons ainsi repéré qu'il existait un risque partagé par les huit départements de la région parisienne : le risque d'inondation suite à une crue majeure conjointe de la Seine, de la Marne et de l'Oise. Toutes les administrations et tous les opérateurs, mais aussi les maires ont participé à l'analyse partagée des risques et des risques croisés. Nous avons identifié 18 fonctions à mettre en place en période de crise. Nous construisons par ailleurs un véritable réseau de cellules de crise. Enfin, nous anticipons les dispositions de communication puis de retour à la normale - en prévoyant notamment les différents relais qui devront agir dans la durée.

Dans le futur, cette organisation pourra s'adapter à tout type de crises. Une réflexion est d'ailleurs en cours avec les grandes métropoles européennes. Nous devons également prendre en compte le niveau international. Cet échafaudage complexe à élaborer requiert des allers et retours permanents entre les différents acteurs.

Monsieur DESLANDES, anesthésiste-réanimateur

Lors d'une crise, le préfet déclenche le plan Orsec et coordonne tous les acteurs. Mais, une fois que la crise est terminée, la situation redevient celle de l'émiettement des acteurs et de la mauvaise coordination des services sur le terrain. Nous ne savons pas encore gérer, en France, le secours au quotidien. Je me pose donc les questions suivantes : quelle est la responsabilité de l'État en la matière ? Est-il possible d'interpeller ce dernier sur le manque de moyens et d'outils dont il s'est doté pour exercer sa responsabilité ?

Joël LEBESCHU

En démocratie, on a les institutions que l'on mérite. L'esprit citoyen est tout aussi important que la responsabilité de l'État. La France a encore d'importants efforts à faire en cette matière !

Dominique TURPIN

Des actions en responsabilité civile peuvent être engagées pour faute ou carence de service, de même que des actions en responsabilité pénale envers les élus qui n'auraient pas fait preuve d'une vigilance suffisante.

De la salle

La responsabilité pénale me paraît très importante dans la décision et le traitement de l'urgence. Avez-vous pu le constater ?

Joël LEBESCHU

L'exemple de Vaison-la-Romaine est très parlant à cet égard. La médiatisation et la judiciarisation des procédures sont en effet apparues avec plus d'acuité à cette époque.

Dans l'urgence, où l'on doit agir souvent dans une certaine précipitation, il est néanmoins fondamental de tenir une main-courante très précise de toutes les actions engagées. Le juge peut alors saisir ce document. Cela permet de montrer, le cas échéant, que le préfet a tenu son rôle durant la crise et qu'il n'est pas pénalement responsable des morts éventuelles.

Là encore, le retour d'expérience a toute son importance. Il ne doit pas être synonyme de mise en cause des acteurs. Pour en citer un exemple, la procédure judiciaire ouverte en 1992 après la catastrophe aérienne du Mont Sainte-Odile n'est toujours pas close. Dans bien des cas, des pièces importantes sont saisies pour les besoins de l'instruction : cela limite donc en partie le retour d'expérience. Quoi qu'il en soit, la culture du retour d'expérience doit encore être développée en France.

De la salle

Pour les médecins, l'urgence c'est tous les jours. Il aurait d'ailleurs été intéressant d'inviter à la tribune le docteur Patrice Peloux, du syndicat des urgentistes.

Je pense que la coordination entre les services d'urgence du ministère de la Défense et ceux du ministère de l'Intérieur doit encore être améliorée. La coordination entre les services de soins, elle, est nettement insuffisante, voire inexistante. Un important chemin reste donc à parcourir.

Franck DAURENJOU

Ces difficultés s'estompent progressivement.

De la salle

Il n'existe pas de hiérarchie d'utilisation des GSM, faute de l'accord des pouvoirs publics.

Par ailleurs, la crise qui naîtrait d'une crue de la Seine et de ses affluents pourrait rapidement se transformer en crise économique si aucun moyen financier n'est mis à la disposition des entreprises.

Joël LEBESCHU

Concernant l'utilisation des téléphones portables, nous avons constaté la fragilité des réseaux et l'impérative nécessité de revoir nos plans d'action. Le texte en cours d'élaboration prévoit d'ailleurs d'inscrire dans la loi la coordination des opérateurs téléphoniques en cas de crise.

De la salle

Cela représente un grand défi : à elle seule, la téléphonie fixe compte quelque 150 acteurs privés !

Urgences, cultures, temps et espace :
diversité des urgences hier et aujourd'hui, ici et ailleurs

Ont Participé à la table ronde :

Nicole AUBERT Professeur en sciences sociales, ESCP-EAP ;

Jean-François CHANLAT Professeur en sociologie, Université Paris-Dauphine ;

Philippe JEANNIN Professeur d'économie, Université Paul-Sabatier de Toulouse 3 (laboratoire LERASS) ;

Max Jean ZINS Chercheur CNRS-CERI.

La table ronde était animée par Marie BERCHOUD, Professeur en sciences du langage à Dijon.

Marie BERCHOUD

Notre table ronde se situe dans le domaine des sciences humaines et sociales. Nous allons ainsi nous poser la question non plus des procédures, mais des processus. Comment répondre à l'urgence, répondre et non pas réagir ? Nous placerons l'individu au coeur de nos réflexions.

Nicole AUBERT

Vous venez de le dire, nous parlerons ici de la culture temporelle de notre civilisation. Pour ma part, j'aborderai ce sujet à l'échelle de l'entreprise.

Vous connaissez la métaphore du fleuve, pour évoquer le temps qui passe et qui s'écoule. Vous connaissez aussi l'expression « le temps, c'est de l'argent », avec tous les termes qui en découlent : gagner du temps, perdre du temps. Par ailleurs, depuis quelque temps, une nouvelle métaphore a vu le jour, celle de la compression du temps.

La notion de vitesse a toujours existé dans la logique capitaliste. Dans un premier temps, cette notion s'appliquait surtout à l'espace. Mais, dans un second temps, elle a progressivement gagné la sphère du temps. Sont alors apparues les notions d'instantanéité, d'immédiateté et d'urgence. Cette dernière notion n'est plus réservée au domaine médical ou au domaine juridique. Elle a gagné d'autres univers, notamment celui de la vie professionnelle et de l'entreprise.

De l'urgent, nous sommes passés au très urgent. Une contagion du mode de fonctionnement des marchés financiers a gagné celui des entreprises. Les entreprises cotées en bourse doivent ainsi désormais présenter des résultats trimestriels et non plus seulement semestriels. Cela ne va pas sans certains effets pervers.

Les individus vivent eux aussi de plus en plus en « temps réel », avec la généralisation des emails ou des téléphones portables. Nombreux sont ceux qui ne parviennent plus à couper leur téléphone, afin d'être constamment en mesure de répondre dans l'immédiat. Les individus fonctionnent qui plus est en flux tendus, à l'instar de l'économie. Ils sont alors dans l'incapacité de différencier l'urgent et l'important. Des affaires urgentes et importantes nécessitent une réponse sans délai. Des affaires non urgentes, mais très importantes sont stratégiques - mais cette catégorie tend à être dépassée par la première. Désormais en effet, tout est présenté comme étant à la fois urgent et important. Le pan stratégique passe de plus en plus à la trappe. Or il est primordial. C'est lui qui nous permet de faire face, le cas échéant, mais aussi de nous ressourcer.

Au final, les individus sont dans un hyper fonctionnement permanent. Ils n'ont plus le recul nécessaire à l'analyse. Certains ont besoin de ce rythme pour fonctionner. Ils développent un fort sentiment de triomphe sur le temps. Mais d'autres, sans doute plus nombreux, loin d'être des « shootés » de l'urgence seraient plutôt des « corrodés » de l'urgence. Ils deviennent extrêmement irritables, tendus, hystériques. Comme si la couche protectrice du caractère de l'individu était attaquée par la violence du milieu ambiant et de ses exigences. Enfin, d'aucuns fonctionnent à l'instar de piles électriques qui ne pourraient pas être débranchées. Ils fonctionnent comme des machines, sans avoir le temps du recul ou de l'analyse. Parfois, à l'instar des machines, ils explosent. Précisons d'ailleurs que le nombre de dépressions consécutives à l'épuisement est en croissance.

En conclusion, nous assistons à une mutation globale du rapport au temps, passant d'une société à temps long à une société à temps court. Tout se passe comme si le mouvement se suffisait désormais à lui-même. Tocqueville, en son temps, observait déjà que les hommes désespèrent de vivre une éternité, mais sont pressés de vivre tout en un seul jour. Nous assistons aujourd'hui, à mon sens, à l'avènement d'un homme instant, englué dans la recherche de l'intensité de l'instant.

Jean-François CHANLAT

Après cet exposé sur le présent, je reviendrai à une vision plus anthropologique et historique du temps. L'histoire de l'humanité s'inscrit largement dans celle de sociétés qui ne connaissaient pas l'urgence. De fait, si le concept de temps a toujours existé, celui d'urgence est relativement récent.

Nous nous sommes construits, en tant qu'êtres humains, dans une société de cueilleurs et de chasseurs. Pour certaines sociétés, comme chez les Sioux, le temps n'existe pas. Le rapport au temps renvoie à la culture, au rapport à la nature ou au rapport aux autres. Je prendrai ici l'exemple du rapport à l'âge : les Chivas de Colombie ne distinguent que les enfants et les adultes. La notion de vieux n'existe pas. Cette société entend traiter les anciens comme si la vieillesse n'existait pas, afin d'éviter toute rupture.

La perception du changement est à relier à celle du temps et à l'ensemble des autres concepts propres à chaque culture. Une société qui n'appréhende pas le temps dans le mouvement n'accorde pas la même importance que nous au changement. Le temps linéaire que nous connaissons aujourd'hui n'est qu'une des formes possibles. Il n'a d'ailleurs pas toujours existé. Aujourd'hui, toutes les sociétés ne sont pas dans la problématique de l'urgence, bien au contraire. Les sociétés dites traditionnelles favorisent avant tout les rapports entre les hommes. Nous avons pour notre part mis en avant les rapports entre les hommes et les objets. Notre rapport à la nature et au monde social nous pose problème. En Angleterre, par exemple, le temps de déjeuner a diminué de 9 minutes en quelques années, pour ne plus faire que 37 minutes : est-ce véritablement un progrès, puisque la compression du temps, y compris du temps des repas, est le plus souvent synonyme de pression supplémentaire ?

Il existe en outre une urgence environnementale, puisque notre modèle de développement commence en effet à poser problème, en tant que tel. Cette question concerne d'ailleurs la planète entière et non pas les seules sociétés dites développées. L'urgence sociale est, elle aussi, de plus en plus crainte. Se pose alors la question du développement durable, c'est-à-dire d'un autre rapport au temps - et ce, dans tous les domaines. Il est urgent de trouver un mode de développement plus en accord et en harmonie avec la nature et avec les autres.

Le futur dépend dans une large mesure de notre action. Il est donc temps d'agir ensemble, pour trouver un mode de développement articulant de façon harmonieuse le rapport à la nature avec le rapport aux autres.

Philippe JEANNIN

La question de l'urgence intéresse aussi les économistes. Aujourd'hui, ils doivent se situer en économistes industriels et en économistes de la dynamique, pour répondre aux questions de l'urgence.

Beaucoup de choses ne sont pas urgentes. L'urgent n'est pas le pressé, ni le rapide. L'urgent, pour le dire ainsi, c'est parfois ce qui peut attendre. Mais il est souvent utilisé comme un paravent commode, pour mettre en oeuvre une gestion de la précipitation. En fait, l'urgent est le pressant et le risqué à la fois. La dérive de l'urgent est le « court-termisme », exacerbé par les nouvelles technologies de l'information et de la communication.

L'urgence est un fruit vert : nous manquons de temps, nous manquons d'espace, nous manquons de moyens. La décision urgente a moins de temps que la décision courante. Nous devons donc exiger qu'elle ait des qualités plus fortes. L'urgence a donc un coût. Souvent, la parade à l'urgence est la routine. L'urgence peut avoir des avantages. Elle permet l'innovation. Mais l'urgence gâte aussi la décision. De fait, elle bouscule généralement la hiérarchie. Le manager n'ayant pas le temps d'analyser la décision prise par son subordonné, il l'approuve. La compétence supplante la hiérarchie. L'urgence pose donc la question de la centralisation versus la décentralisation de la décision. Le plus souvent, une organisation centralisée est plus efficace en urgence. Mais, dans un certain nombre de cas, la décentralisation est plus efficace, grâce à l'autonomie et à la réactivité qu'elle permet. Enfin, l'irréversibilité complique l'urgence. Bien souvent, il existe un continuum entre le réversible et l'irréversible. L'on peut alors demander un délai de grâce, pour instruire un dossier de manière plus approfondie. Mais ce délai de grâce est coûteux.

Il apparaît que, lorsque l'incertitude s'accroît, l'on répond plus vite afin d'éviter toute irréversibilité. Cela entraîne bien souvent des phénomènes de surcapacité. C'est le cas dans de nombreux secteurs de l'économie.

En conclusion, il importe de savoir tirer parti des échecs et de développer une culture de mise à plat des échecs - outre les difficultés d'ordre juridique qui ont été présentées tout à l'heure. Je ne reviens pas sur la nécessité des dispositifs de veille et de gestion de crise. En économie, nous avons besoin d'outils et de critères permettant de hiérarchiser les urgences. Le coût n'est que l'un d'entre eux. Nous devons également prendre en compte, par exemple, le critère de durabilité. Nous devons aussi tenir compte du contexte, ou « framing » pour employer ce terme anglais.

Une étude sur la polyarchie et la hiérarchie montre que les organisations polyarchiques acceptent davantage de mauvais projets tandis que les organisations hiérarchiques rejettent davantage de bons projets. La question est posée : quel système préférer ?

Max Jean ZINS

J'inscrirai mon exposé, citant l'exemple de l'Inde, sous l'éclairage de la relativité.

L'urgence est le chaos, mais elle peut aussi être un ordre - elle l'est même de plus en plus. Dire que l'urgence est un chaos revient à opposer les notions d'urgence et de temps. En Inde, les notions de rites et de sacrifices se sont construites autour de la notion de temps. Temps, rite et sacrifice sont intimement liés dans la pensée indoue, y compris aujourd'hui. En Inde, une année peut durer 120 000 ou 12 000 ans. L'année est la vérité du temps.

Le temps de l'Inde est, qui plus est, un temps politique et social. De fait, le système des castes est lié au sacrifice de l'homme originel. La division de la société en castes est consubstantiellement liée au temps. Elle est le temps. Le temps n'a de sens que s'il est respecté. En Inde, on ne tue pas le temps, qui a une conception cyclique. Les actes que nous faisons nous sont dictés par nos vies anciennes, lesquels actes expliquent notre vie actuelle et nous aurons à en répondre dans notre vie future. La chaîne de vie est infinie.

En Inde, on ne brusque pas le temps. Le temps est un ordre. Dans ce contexte, l'urgence n'a pas de place. Elle est un chaos que le temps interdit et, en tout état de cause, un mot que le vocabulaire indou ne connaît pas. Les Indiens persistent ainsi à valoriser le temps par rapport à l'urgence. La cuisine, par exemple, s'exerce dans la lenteur : lenteur de la préparation culinaire, lenteur de la cuisson, absence de surgelés (on ne fige pas l'éphémère pour le consommer ensuite dans la méditation). La lenteur est partout. Le yoga fait l'éloge de la lenteur. La musique aussi. En Inde, les corps sont lents. Il existe une véritable pathologie politique de l'urgence et du temps.

Mais l'urgence peut aussi être un ordre. Le modèle de l'urgence, né chez nous, arrive progressivement en Inde, entraînant une nouvelle pathologie. L'urgence entraîne une jouissance. Elle est, en effet, ce qui nous permet d'acquérir sur le champ. La temporalité est certes hachée, mais elle nous donne le sentiment d'en être maître, d'être maître du temps. Une partie de la population indoue commence ainsi à vivre sur ce tempo de la jouissance. Je pense aux urbains, nouveaux consommateurs. Mais, dans la notion de jouissance, existe une dimension individuelle. Pourtant, en Inde, les pratiques de l'urgence demeurent encore largement communautaires. De fait, la majeure partie de la population vit non pas en urgence, mais dans l'urgence. Je ne pense pas cependant que le phénomène de globalisation de l'urgence soit synonyme d'homogénéisation.

Marie BERCHOUD

Merci d'avoir respecté votre temps de parole, c'est-à-dire le temps de la parole d'autrui. La parole est maintenant à la salle.

De la salle, ministère des Affaires étrangères

Jamais nous n'avons autant employé qu'aujourd'hui les termes de feuille de route ou d'agenda, c'est-à-dire des notions de planification de l'urgence. Cela conduit peut-être à rétablir une espèce d'équilibre dans la situation actuelle. Quel est donc le fonctionnement normal de la réaction d'urgence ?

Par ailleurs, l'Europe demande aux États nations de devenir les gestionnaires de l'urgence. Pouvez-vous nous éclairer à ce propos ?

Jean-François CHANLAT

Le rythme de vie est devenu de plus en plus instable. Or les êtres humains ont besoin d'un minimum de stabilité. Par ailleurs, le lien est fondamental, dans une société. Or pour faire du lien, il faut du temps. Comment faire du collectif lorsque l'espace-temps est fragmenté, lorsque les individus n'ont plus de temps ensemble ? Dans ce contexte, la prévision devient une notion primordiale.

Nicole AUBERT

La planification existe. Les professionnels de l'urgence sont les plus organisés qui soient. A défaut, ils ne pourraient pas gérer l'urgence.

Philippe JEANNIN

La paix prend exemple des pratiques de la guerre. Le plus souvent, face à l'urgence, on met en place des solutions routinières. Je ne suis pas certain que cette pratique guerrière soit la plus efficace. Qu'en pensez-vous ?

De la salle

Peut-être faudrait-il introduire le concept de cycles décisionnels ? Ce concept prend actuellement une importance croissante pour l'armée américaine. Mais il s'impose aussi en matière commerciale.

De la salle

La différence par rapport au passé vient du nombre croissant de flux. Cela nécessite d'opérer un tri.

Marie BERCHOUD

Il faut donc réfléchir, analyser, donc ne pas être toujours dans l'immédiateté. Il faut se placer dans la réponse et non dans la réaction.

De la salle

Il faut apprécier les niveaux de crise, dans le domaine militaire, mais aussi dans le domaine civil. Dans le domaine militaire, on réintroduit l'humain et, dans le domaine civil, on réintroduit la notion d'extrême organisation, à l'instar de l'armée.

De la salle

L'urgence est intemporelle dans certains domaines. Prenons l'exemple de celui de l'incendie. Je rappelle que dans ce domaine, les premiers corps de sapeurs-pompiers remontent à l'époque romaine.

De la salle

Avant les années 90, on opposait le modèle militaire et le modèle civil. Puis plusieurs travaux ont montré la complémentarité entre ces deux modèles. Cette complémentarité est désormais acquise.

Max Jean ZINS

Je tiens à préciser que mon propos n'était pas d'opposer l'Inde et la France. En France, par exemple, les Savoyards - j'en suis un - sont des êtres que les actions sont inspirées par l'esprit de lenteur.

Marie BERCHOUD

Je vous remercie.

Outils de l'urgence et coopération internationale :
les plans d'urgence

Participaient à la table ronde :

Pia BUCELLA, Commission européenne, Responsable de l'unité protection civile (DG Environnement)

André PAVIA Directeur de l'Observatoire euro-méditerranéen sur la gestion des risques ;

Jean-François SCHMAUCH Colonel des sapeurs-pompiers (e.r.), Expert près la Cour d'Appel de Rennes ;

Thierry PRUNET Médecin colonel des sapeurs-pompiers, Coordinateur des équipes de secours à l'étranger.

La table ronde était animée par Anne-Charlotte TAILLANDIER, Consultante en organisation.

Anne-Charlotte TAILLANDER

Pour faire face aux urgences de manière efficace, la coopération et la coordination doivent intervenir en amont, mais aussi en aval des événements présentant des caractères d'urgence. Il convient en outre d'accepter de façon commune les objectifs et de mesurer et d'accepter les difficultés inhérentes à toute coopération. La coopération et la coordination, complémentaires, nécessitent en effet de mettre en place des mécanismes spécifiques et modulables.

La coopération est la participation à une oeuvre commune. Elle rend les choses possibles en créant les conditions de la participation, mais elle est aussi un vecteur actif d'action. La coordination, elle, est l'agencement des parties d'un tout vers une fin déterminée. Il ne saurait y avoir de coopération efficace sans coordination. La coopération internationale est une obligation morale de corriger les déséquilibres entre les pays et les peuples. Si elle apparaît comme un avantage, sa coordination est une contrainte lourde.

Avec le développement des échanges et la médiatisation, la mondialisation a fait prendre conscience des interdépendances. Dans ce contexte, la coopération internationale est essentielle. Elle s'impose à nous. Elle s'est beaucoup transformée depuis 20 ans, mais plusieurs expériences malheureuses nous incitent à plus de modestie. Nous devons donc y réfléchir et ce, de façon permanente.

Pia BUCELLA

Bonjour à tous. Je suis très heureuse de participer à ce colloque et de vous présenter ce qui se fait à l'échelle européenne dans le domaine de la protection civile. Le mécanisme communautaire de protection civile a été créé par décision du Conseil européen du 23 octobre 2001. Plusieurs pays européens extracommunautaires -pour le moment- y participent, puisque outre les 25 membres de l'Union, il faut aussi compter la Bulgarie, la Roumanie, la Norvège, et le Lichtenstein. J'ajoute que nous devrions bientôt conclure des accords ad hoc avec de nouveaux États.

Lorsqu'un État est touché par une catastrophe majeure, il peut envoyer une demande d'assistance au centre européen de suivi et d'information. Le Centre est accessible 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. La demande est alors transmise aux 29 autres pays. Le pays touché peut ainsi s'adresser à un centre unique, et recevoir l'assistance de 29 États. Le centre peut aussi envoyer des experts ou des agents de liaison - notamment lorsqu'une assistance est acheminée par plusieurs pays.

Lors des inondations de décembre 2003, la France a activé le mécanisme communautaire de protection civile en demandant des pompes de grande capacité. En moins de trois heures, l'Allemagne et la Belgique ont répondu et envoyé des pompes. Puis cinq autre pays ont fourni une assistance, dès le lendemain matin. La capacité d'assistance européenne a permis de doubler la capacité française de pompage.

Cet exemple a montré que la France n'avait pas besoin de se fournir d'un plus grand nombre de pompes de grande capacité dans la mesure où, le cas échéant, des pompes supplémentaires peuvent être acheminées par d'autres pays dans des délais très brefs.

Je souhaite profiter de cet exemple pour dire un mot de la dimension symbolique de l'urgence. Plus de 800 pompiers venus d'Allemagne ont acheminé une soixantaine de pompes sur le territoire français, avec l'aide de collègues italiens, tchèques et français. Au regard de l'histoire, à l'heure de la commémoration du 60 ème anniversaire du débarquement, cet exemple témoigne, si besoin était, des progrès de la construction européenne.

Outre des moyens matériels et logistiques très développés, le dispositif européen de protection civile est équipé d'un centre de suivi et de formation. Le système commun de communication est en cours de validation par un groupe test d'États membres. Il sera pleinement opérationnel à la fin de cette année. Il s'agit d'acheminer l'assistance dans les plus brefs délais.

Les équipes pouvant fournir de l'assistance sont régulièrement répertoriées. Il n'est cependant pas nécessaire de standardiser les moyens d'action. Chaque pays doit conserver ses caractéristiques nationales. Mais toutes les équipes doivent être en mesure de travailler rapidement ensemble. C'est pourquoi nous avons organisé une formation pour tous les chefs d'équipe et leurs adjoints (800 personnes). Nous proposons en outre des exercices grandeur réelle. Le dernier en date s'est tenu dans le sud de la France à Pâques. Il simulait des feux de forêt et prévoyait une assistance aérienne acheminée par quatre pays. Il fallait notamment que les instructions soient transmises rapidement et comprises par toutes les équipes.

Plusieurs de nos projets concernent la communication dans l'urgence. De véritables améliorations sont en effet possibles dans ce domaine. Nous comptons en outre des programmes de plan de contingence et de support psychosocial aux victimes de désastre. Ces programmes sont cofinancés par les services de la Commission. Plusieurs pays y participent.

La valeur ajoutée du mécanisme communautaire n'est plus à démontrer. Dans le contexte actuel de risques émergents, aucun État n'est préparé pour faire face à toutes les éventualités. Les menaces sont de plus en plus nombreuses et de plus en plus graves. C'est pourquoi chaque État doit pouvoir se fier à l'assistance qui peut être fournie par les autres États européens.

Enfin, le mécanisme communautaire de protection civile est un véritable outil au service de la solidarité européenne. Nous continuerons donc notre travail et nous espérons améliorer encore l'assistance fournie au niveau européen.

André PAVIA

L'objectif de l'Observatoire euro-méditerranéen sur la gestion des risques est d'assurer la mise en place d'une culture des risques partagée. L'Observatoire est inscrit dans l'accord « Eur-OPA sur les risques majeurs » de 1987. Cet accord regroupe 25 pays adhérents. Il vise principalement à resserrer et dynamiser la coopération entre États. L'accord « Eur-OPA sur les risques majeurs » concerne 26 centres européens - le dernier-né étant l'Observatoire euro-méditerranéen sur la gestion des risques.

Notre mission est d'aider à la coopération dans les différentes phases de gestion des risques : connaissance, alerte, gestion de crise, analyse post-crise et retour à la normale. Il assure en outre une veille technologique, pour informer des dernières priorités et de la disponibilité des moyens. Actuellement, dans une optique d'aide à la décision, nous participons à une médiation entre décideurs. Outre la diffusion de la connaissance, il s'agit d'intégrer le traitement des données. Les mécanismes de médiation sont très lourds. Mais un certain nombre de logiciels sont d'ores et déjà actifs.

Dans l'espace de l'urgence et de la crise, les problèmes de communication sont des problèmes majeurs et l'approche communautaire est une nécessité primordiale. Nous devons tendre vers une réelle harmonisation en la matière. Dans ce cadre, nous développons un programme intitulé Iris, relatif à l'information sur les risques. Il s'agit d'anticiper une directive européenne sur l'alerte et l'information. Iris a pour objectif l'harmonisation et la mise en place d'un ensemble de dispositions d'information et d'alerte des populations sur les risques naturels et technologiques, ainsi que l'établissement de recommandations et la définition d'un code européen pour l'alerte des populations. Ce travail devrait contribuer à la mise en place d'une politique en faveur d'une meilleure responsabilisation des citoyens et des autorités.

Nous procédons par ailleurs à une analyse comparative des législations nationales dans le domaine de la gestion des déchets dangereux, en particulier les déchets d'origine industrielle ou militaire. Le principal objectif du projet de gestion des déchets dangereux est de réduire le risque environnemental à travers la mise en place d'instruments et de mécanismes légaux. Et ce, dans un espace européen élargi aux Balkans, à la Russie et aux nouveaux États indépendants d'Europe centrale et orientale. Je me tiens à la disposition de ceux qui voudraient avoir plus de détails concernant ce projet.

La spécialité « culture du risque » a pour objectif de former des professionnels capables d'analyser et de quantifier les situations à risque, d'en évaluer les conséquences économiques, humaines, juridiques, sociales et techniques, et de proposer des solutions adaptées. Nous envisageons aujourd'hui de mettre en place un doctorat européen en la matière. Une université européenne d'été a en outre été créée. Elle se tiendra au mois de septembre 2004 et portera sur l'analyse comparée des principes et méthodes de gestion des risques. L'Observatoire euro-méditerranéen sur la gestion des risques participera à son organisation.

Actuellement, notre observatoire est implanté sur le site d'Agropolis à Montpellier, qui organise tous les ans des entretiens. En 2004, le principal sujet abordé est celui des vulnérabilités face aux risques à l'échelle régionale et européenne.

Colonel Jean-François SCHMAUCH

La crise est un état sensiblement ordonné qui évolue vers un état très sensiblement désordonné. Les crises qui sont des sommes d'événements courants sont ainsi relativement aisées à traiter. Je reviendrai à ce titre sur la catastrophe ferroviaire d'Eschede, en Basse-Saxe, suite d'accidents de circulation ordinaires.

Les solutions opérationnelles peuvent prendre la forme d'équations à trois variables : les risques, les moyens opérationnels et les délais. Ces variables sont clairement définies par des textes réglementaires précis. Dès lors, une application rigoureuse des textes conduit à une résolution relativement aisée de la crise. Mais il peut arriver que tel ne soit pas le cas.

J'étudie actuellement tous les textes réglementaires existants et les retours d'expérience, afin d'identifier des solutions. Les textes réglementaires allemands sont très simples, en la matière. Le territoire est divisé en zones opérationnelles de base, elles-mêmes divisées en secteurs de première intervention, dans lesquels les délais moyens d'arrivée des services médicaux doivent être de huit minutes environ. Pour chaque zone, un nombre minimal d'ambulances est disponible. Au niveau fédéral, toutes les dispositions doivent être prises pour qu'aucun point du territoire soit situé à plus de dix minutes d'un service urgentiste. L'application de ces textes donne lieu à une équation très simple. Il apparaît que les réponses aux crises sont, lorsque l'équation se vérifie, extrêmement pertinentes et égalitaires.

La catastrophe d'Eschede, survenue le 3 juin 1998, est l'effet d'une succession d'accidents de la circulation. La mobilisation des moyens médicaux et techniques a été immédiate. Ainsi, la réponse aux risques majeurs est, lorsqu'elle respecte l'équation dont je parlais, aussi efficace que la réponse aux risques ordinaires. Au total, 614 personnes de l'urgence médicale ont été mobilisées, dont 100 médecins. Le déclenchement de tous les moyens s'est fait quasiment sans intermédiaire, à partir de l'alerte du centre de traitement des appels. Chaque victime été traitée comme elle l'aurait été dans un accident ordinaire. Le temps n'est donc pas compressé, mais transversal. Par ailleurs, les pilotes d'hélicoptère connaissent en temps réel la disponibilité des lits. Il est intéressant de noter que, lors de la catastrophe d'Eschede, 22 hôpitaux étaient prêts à accueillir les victimes, dans un rayon de 60 kilomètres.

Au final, si l'on gère bien les risques courants, l'on gère relativement bien les crises. La gestion de la catastrophe d'Eschede a donné lieu à de nombreuses publications, dans la plus grande transparence. Cette démarche présente un réel intérêt pour l'analyse des retours d'expérience.

Anne-Charlotte TAILLANDER

Une telle catastrophe en France serait-elle gérée avec la même efficacité ?

Jean-François SCHMAUCH

Je serais tenté de dire que les délais seraient bien plus longs.

Anne-Charlotte TAILLANDER

Nous avons donc beaucoup à apprendre les uns des autres, en Europe.

Olivier PAUL-MORANDINI, Association européenne du Numéro d'Appel d'Urgence 112

La communication de mars 2003 sur le mécanisme communautaire de protection civile ne contient aucune fiche financière. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ? Nous sommes en mesure de nous interroger sur la validité de ce mécanisme.

Je regrette en outre que ce document se focalise sur les seules catastrophes - contrairement au cadre stratégique qui était initialement prévu. Enfin, il n'existe pas de numéro de crise inter-opérable équivalent au 112. Comment comptez-vous parvenir à une interopérabilité européenne pour des situations nettement plus compliquées que celles qui relèvent du 112 ?

Pia BUCELLA

Nous nous connaissons de longue date, vous et moi ! Et nous savons sur quel terrain nous travaillerons ensemble. Les sujets traités aujourd'hui sont, à mon sens, d'une autre portée. Je souhaite toutefois vous répondre. Ce dont j'ai parlé tout à l'heure diffère de la communication du mois de mars 2003.Sachez cependant que cette communication contient bel et bien une fiche financière et porte principalement sur l'inter-opérabilité des moyens civils et militaires. Quoi qu'il en soit, nous attendons de connaître les pistes identifiées par le Conseil des ministres européens avant d'engager plus avant nos réflexions.

De la salle

Est-il prévu de mettre en place une stratégie européenne permettant de «contrer » dans ce domaine l'industrie américaine ?

Pia BUCELLA

Un travail est engagé depuis six mois par le Comité européen de normalisation sur une éventuelle standardisation en matière de sécurité et de sûreté. Mais, vous le savez mieux que moi, une telle démarche est loin d'être aisée. L'exemple des feux de forêts du sud de la France de l'été dernier est en l'exemple criant : faute de branchements normalisés au plan européen, les pompiers italiens ne pouvaient pas raccorder leurs tuyaux sur les robinets français.

Thierry PRUNET

Nous avons vu que la gestion des risques pouvait revêtir un caractère quasi-mathématique.

Aujourd'hui, l'enjeu majeur est celui d'une mutualisation européenne. Certes, nous n'avons pas tous les mêmes moyens à notre disposition, mais la coopération est efficace, sur le terrain - et permet des réponses parfaitement pertinentes.

Anne-Charlotte TAILLANDER

Je vous remercie.

Acteurs de l'urgence, témoignages et réflexions :
urgence, transports et logistique

Participaient à la table ronde :

Docteur Jean-Marie FONROUGE Directeur de la Fondation internationale Carrefour ;

Jacques COLLIARD Chef de mission sûreté à l'Union internationale des Chemins de Fer (UIC) ;

Laurent BISTER Expert-évaluateur du programme eTEN de la Commission européenne dans le domaine des situations de crise ;

Pascal MORVAN Directeur exploitation et logistique Air France ;

Olivier PAUL-MORANDINI Président de l'Association européenne du Numéro d'Appel d'Urgence (EENA) 112.

La table ronde était animée par le Docteur Jean-Claude DESLANDES, Anesthésiste-Réanimateur, Rédacteur en chef d'Urgence Pratique.

Danièle TRAUMAN, présidente de l'Association Théories et Territoires de l'Urgence

Pour cette table ronde, nous avions annoncé la participation du Docteur Philippe BARGAIN, Chef du service médical d'urgence d'Aéroports de Paris (Charles-de-Gaulle), mais un fax d'ADP nous a récemment informés que dans les circonstances actuelles, ADP ne souhaitait pas que ses cadres s'expriment sur ces sujets. Acte en est donné.

Jean-Claude DESLANDES

Je vous propose de revenir à des considérations pratiques, pour cette dernière table ronde. La parole est donc aux praticiens de terrain.

Avant d'entamer les débats, je souhaite rendre aux hommages à cinq de nos amis de Médecins du monde qui ont été tués en mission la semaine dernière, en Afghanistan. Ils sont véritablement allés au bout de leur mission d'urgence.

Docteur Jean-Marie FONROUGE

J'ai travaillé durant 22 ans au Samu, avant d'intégrer la fondation internationale du groupe Carrefour.

J'ai le sentiment que le trans-frontiérisme tel que nous le connaissons aujourd'hui est en train de changer. De fait, depuis dix ans, nous constatons régulièrement les limites de notre action. Lors de grandes catastrophes, les logisticiens envoyés sur le terrain critiquent de plus en plus librement et publiquement les services de secours mis en place par les autorités locales. Tout se passe effectivement comme si l'on assistait à un nouvel impérialisme de la part du monde occidental, dans le domaine de l'humanitaire. Personne n'a crié au devoir d'ingérence humanitaire lors de la catastrophe de Kobe. En aurait-il été de même si la même catastrophe avait eu lieu en Europe et si les secours étaient venus de l'extérieur ?

Aujourd'hui, en cas de catastrophe, nous sommes systématiquement informés. Mais toutes les informations ne sont pas significatives selon les pays concernés. Les récentes inondations au Mexique, par exemple, ont à peine été citées dans les journaux radiotélévisés. De fait, outre les médias, les organisations internationales et les ambassades apportent, en cas de crise, des informations complémentaires non négligeables. Les informations peuvent également provenir des cellules de crise locales - mais se pose alors la question de la langue. Quoi qu'il en soit, et malgré les progrès réalisés, le besoin est encore criant en matière de communication et d'alerte.

Dans les premiers convois d'aide alimentaire en Afghanistan, les Nations-Unies avaient constaté que plusieurs containers transportaient des chocolats de Noël invendus... L'aide alimentaire, l'aide humanitaire, c'est parfois aussi cela ! Et je suis systématiquement outré d'entendre que tant de tonnes d'aide humanitaire ont été envoyées sans qu'on ne se soit auparavant informé des besoins réels du pays, compte tenu de ses usages alimentaires : la prise en compte du tonnage de l'aide humanitaire n'est en soi pas significatif. En revanche, il est toujours utile de demander des listes décrivant les aliments consommés ou les types de vêtements portés dans tel ou tel pays sinistré en faveur duquel une intervention est décidée.

Pour moi, l'aide humanitaire ne doit pas se limiter à l'envoi d'un convoi occidental vers un autre pays, le plus souvent un pays défavorisé. L'aide humanitaire doit surtout être un formidable moment de respect entre deux peuples - et également le moyen de s'excuser de relations passées peu glorieuses.

Lors des inondations de Prague, les frontières étaient fermées. Les camions transportant l'aide humanitaire étaient donc bloqués. Nous ne pouvions pas non plus envoyer d'avions, l'espace aérien étant réservé aux avions tchèques. C'est toutefois grâce à Air France et au Quai d'Orsay que nous avons pu débloquer la situation et engager une action, mais aussi grâce aux préfets et aux services de la police nationale. Nous étions pourtant à la veille du pont du 15 août, ce qui était loin de faciliter les choses. Nous sommes pourtant parvenus à venir en aide aux Pragois. C'est aussi cela, la coopération en cas de catastrophe.

Offrir, c'est offrir au nom de son pays. Envoyer une aide humanitaire, c'est intervenir avec le gouvernement français, c'est faire appel à une compagnie aérienne française, c'est mobiliser divers responsables français. C'est travailler ensemble. Une catastrophe est une situation extraordinaire. Le cadre ordinaire de la vie, c'est celui de la mésentente. Les situations de catastrophe, elles, sont peut-être le moment où l'on peut s'entendre. De fait, apprenons à travaillons ensemble, nous répondrons ainsi de façon efficace aux catastrophes.

Jean-Claude DESLANDES

L'urgence, c'est aussi la vie, c'est donc le partage. A ce propos, je me pose une question : la SNCF sait-elle organiser des transports d'urgence ?

Jacques COLLIARD

Non, pas réellement. Pour nous, l'urgence n'existe pas en tant que telle dans la mesure où elle est notre lot quotidien. En théorie, nous savons faire rouler un train en situation de crise, mais dans la pratique l'organisation administrative peut compliquer les choses. Par exemple, il n'est pas certain que nous obtenions dans des délais très brefs une autorisation d'utiliser tel ou tel sillon. J'ajoute que les régions SNCF ne correspondent pas aux départements français. Par ailleurs, la crise intervient par principe là où on ne l'attend pas. Elle peut en outre commencer à un endroit et se terminer à un autre.

Les crises endogènes, comme un accident interne, sont aisément gérables. Mais les crises ayant une cause exogène sont autrement plus complexes à résoudre. Aujourd'hui, les risques de ce type de crises sont de plus en plus nombreux et de plus en plus divers. J'ajoute que nous ne sommes pas les seuls acteurs, en cas de crise et que nous devons tenir compte de l'intervention d'autres structures, notamment depuis la partition administrative entre la gestion des voies ferrées et l'exploitation du matériel roulant. De fait, nous ne sommes ni médecins, ni responsables administratifs. Cela explique l'importance de la constitution de partenariats.

Quoi qu'il en soit, nous agissons. Nous procédons par exemple à l'analyse de la vulnérabilité du réseau, nous préparons différents types d'interventions et nous incitons l'ensemble de nos managers à diligenter fréquemment des exercices de secours. Nous avons par ailleurs fait évoluer nos métiers, face aux risques nouveaux de terrorisme, notamment. Nous avons créé une équipe de 80 personnes susceptible d'intervenir sur le réseau en appui des pompiers en cas de contamination bactériologique. Nous avons en outre consenti d'importants efforts en matière de communication. Nous avons enfin mis en place un numéro vert d'aide aux victimes en cas de catastrophe ferroviaire. Quoi qu'il en soit, la recherche et le respect de la sécurité est et restera le fondement de notre activité.

Laurent BISTER

Je suis consultant en stratégie des organisations et, à ce titre, parfaitement indépendant de la Commission européenne. Je parlerai donc ici en mon nom propre.

Le fait de coordonner les intervenants dans la résolution de situations de crise ou générant l'urgence, de même que la coordination des attentes et des réactions du grand public, sont, nous l'avons vu tout au long de la journée, primordiaux. C'est dans cette logique que doit intervenir l'utilisation des technologies de l'information et de la communication.

Les moyens doivent être mis en commun. Le langage, lui aussi, doit être commun. J'entends au sens du langage la langue, mais aussi la culture. Il importe en outre de disposer de procédures communes et partagées par tous les acteurs. A cet égard, les technologies de l'information sont essentielles, mais pas suffisantes.

Deux types d'infrastructures peuvent être distinguées : les infrastructures publiques et communes d'une part, les infrastructures dédiées d'autre part. Les premières sont tout à fait utilisables dans une procédure d'urgence, mais le risque élevé d'indisponibilité est élevé en cas de catastrophe naturelle. Il existe en outre un risque de saturation. L'on peut rappeler, à titre d'exemple, la saturation des réseaux survenue lors de l'explosion de l'usine AZF à Toulouse, au détriment des systèmes de secours. Les infrastructures publiques sont donc dépendantes du bon vouloir des opérateurs privés et des contraintes qui leur sont imposées. Or, aujourd'hui, les contraintes sont peu nombreuses et les opérateurs suivent avant tout leur intérêt économique. Les infrastructures dédiées, elles, sont opérationnelles et efficaces - mais uniquement pour les acteurs qui en disposent. Se pose ainsi la question de l'interopérabilité des infrastructures, des moyens et des réseaux dédiés. L'accès à ces infrastructures peut, qui plus est, devenir problématique en cas d'utilisation exceptionnelle. Les réseaux dédiés deviennent parfois partiellement inutilisables. Enfin, il est difficile d'employer ces réseaux si l'on n'en fait pas, en temps ordinaire, une utilisation régulière.

Les projets de gestion des crises sont toujours de beaux projets techniques. Ils mettent toujours en oeuvre des technologies de pointe - donc des technologies qui ne sont ni totalement matures, ni parfaitement fiables. S'ajoutent alors aux problèmes à gérer en cas de crise des problèmes technologiques. Dans ce domaine, l'armée est en avance sur le secteur civil.

Par ailleurs, dans ces projets, la dimension humaine est souvent négligée. C'est souvent la principale cause d'échec. De fait, la dimension humaine est essentielle. Au plan international, il apparaît en outre que la coopération européenne est fort complexe à mettre en oeuvre, pour des raisons techniques, mais aussi pour des raisons culturelles.

Enfin, la finalisation opérationnelle des nouvelles technologies de l'information a un coût très élevé. Souvent, les projets ne sont que pré-opérationnels.

N'oublions pas, en guise de conclusion, que c'est bien l'homme qui résout les situations d'urgence. Ce n'est pas la technologie.

Pascal MORVAN

Je ne parlerai pour ma part que d'urgence avec un petit « u » - sans pour autant éluder la question des situations de crise.

Dans le secteur des transports aériens, l'urgence est notre quotidien. Nous opérons sous la pression du temps. Par ailleurs, nous sommes dans un environnement complexe de métiers tous fort différents. Nous sommes également soumis à de nombreux aléas, divers et variés, qu'ils soient météorologiques, techniques ou humains. Nous travaillons, qui plus est, dans une ambiance stressée. Le transport aérien n'est effectivement pas un milieu banal et le stress y est permanent, pour des raisons diverses. Enfin, nous sommes face un impératif incontournable de sécurité.

Une compagnie aérienne est régulièrement soumise à des situations d'urgence, comme peuvent l'être un transport d'organe vivant ou la survenance d'un malaise de passager (la première cause de déroutement d'un avion n'est d'ailleurs plus la panne moteur, mais le malaise de passager). Ces situations se gèrent grâce à l'anticipation structurelle (l'organisation mise en place et la distribution des rôles, les procédures) et conjoncturelle (transmission des informations nécessaires, briefing). La gestion de l'urgence passe ainsi par le management, mais aussi par le reporting à une instance supérieure mieux à même de définir des priorités. Enfin, gérer une situation d'urgence requiert un retour systématique d'expérience, et particulièrement un retour d'expérience volontaire. Tous ces facteurs permettent de modifier les organisations en tant que de besoin et, le cas échéant, de répondre aux crises.

Pour dire un mot de l'action humanitaire, j'ai le sentiment d'un grand manque d'efficacité. Certes, nous sommes capables d'envoyer du fret à l'autre bout de la planète dans des délais très brefs. En situation strictement normal, le transport aérien est très puissant. Mais, en situation de crise, les demandes sont souvent floues et trop tardives. De plus, contrairement à ce que peuvent imaginer les responsables de secours humanitaires, nous n'avons pas un parc d'appareils inemployés au sol que nous pourrions affecter à telle ou telle opération urgente. Nous n'avons que rarement des avions disponibles prêts à partir, puisque 90 % de la flotte est en permanence dans les airs. Le champ de progrès dans ce domaine est donc encore très vaste.

Olivier PAUL-MORANDINI

Une fillette dont le père venait de faire un arrêt cardiaque a eu le réflexe de prendre son téléphone portable et d'appeler le 112. Malheureusement, elle n'a pas été capable d'indiquer sa localisation. Son père n'a alors pas pu être secouru, et il est mort. Depuis, la fillette ne parle plus et sa mère est veuve. Comment accepter cette situation quand on sait que la localisation des appelants est obligatoire depuis plusieurs années ?

La mise en place du 112 a fait suite à des réflexions approfondies et repose sur des expériences multiples. Le 112 est un dispositif contraignant (mêlant compétence nationale et compétence européenne), mais va dans le sens du bien-être des citoyens. A terme, il devrait être un dispositif aussi concret que l'euro.

Chaque année, plus de 100 millions d'Européens voyagent en Europe. Ils peuvent avoir à faire face à un accident ou une catastrophe et demander de l'aide dans un pays autre que le leur, d'autant qu'une récente enquête montre que le sentiment d'insécurité est plus grand lorsqu'on se déplace à l'étranger dans la mesure où l'on ne connaît pas les risques du pays et où l'on ne parle pas la langue. On pense en outre que les services d'urgence sont moins bien organisés que dans son propre pays - sans compter que les signalétiques sont différentes.

L'Union européenne enregistre 80 à 100 millions d'appels d'urgence par an, dont 40 millions passés depuis un téléphone mobile. Mais là encore, un grand nombre d'informations sont erronées et tous les appelants ne sont pas localisés. Tout cela empêche l'envoi de secours dans des conditions efficaces.

En médecine d'urgence, les victimes doivent être prises en charge dans les plus brefs délais (« golden hour »). Il en va de même pour l'intervention des pompiers et de la police : à quoi sert qu'ils arrivent quand la maison a déjà brûlé ou que le voleur s'est déjà enfui avec votre voiture ?. C'est pourquoi la localisation est un aspect essentiel. Toutefois, seuls quelques pays ont fixé des normes en matière de délai d'intervention.

Sont concernés par les appels d'urgence les organisations politiques, les entreprises privées, les usagers professionnels et les associations civiles. Le 112 a été créé en 1991. Il a été implanté dans toute l'Union européenne en 2000. Il peut exister parallèlement aux numéros nationaux. Son accès est gratuit. Il doit fournir une réponse appropriée et acheminée aux destinataires de la façon la mieux adaptée à l'organisation nationale des systèmes d'urgence.

Dans plusieurs pays, la mise en place du 112 a conduit à la suppression pure et simple des anciens numéros nationaux d'appel d'urgence (police, pompiers). La localisation est plus ou moins assurée lorsque l'appel est passé depuis un poste fixe. Elle doit encore être implémentée pour les appels depuis un mobile. Le 112 est connu de 1 Européen sur 5 et de 3 Français sur 20 le contacteraient s'ils devaient faire face à une urgence lors d'un déplacement à l'étranger. L'objectif de mon association est de promouvoir ce numéro unique d'appel d'urgence. La connaissance du 112 est un droit. Le 112 peut sauver la vie.

Régis GARRIGUE

Je suis médecin urgentiste, administrateur de l'ONG Médecins du monde, organisation non gouvernementale médicale internationale humanitaire. Nous agissons dans le monde entier, Europe et France incluses. Aujourd'hui, les principales causes d'urgence sont les épidémies infectieuses. Elles demandent un réel savoir-faire et de solides compétences. De ce cadre, la logistique, la communication et les moyens de transport sont, pour nous, des outils et non une fin en soi.

L'urgence guide les missions des organisations internationales humanitaires. Nous travaillons sur le court terme, mais aussi sur le moyen terme. Nous apportons une aide à ceux qui en ont besoin, mais nous avons aussi une mission de témoignage. Pour gérer l'urgence, il est essentiel d'être indépendant. Cette indépendance concerne avant tout les ressources humaines, mais aussi le savoir-faire et les moyens financiers.

Pour Médecins du monde, il importe en outre de pouvoir s'associer à des coopérations de terrain dans le cadre de situations d'urgence, notamment en post-crise. Notre action se situe au centre du sinistre, mais aussi dans sa périphérie.

La gestion de crises et de risques en tant que telle ne concerne pas directement les associations humanitaires françaises. Mais les humanitaires sont présents sur les terrains de crise et ils restent souvent plus longtemps sur le terrain que les acteurs de l'aide dite d'État. J'ajoute qu'ils sont aujourd'hui de plus en plus confrontés à la problématique du faire et du faire-faire, pour assurer la sécurité des équipes. La situation devient véritablement de plus en plus complexe en la matière.

Jean-Claude DESLANDES

Je vous remercie.

Urgence sociale

Xavier EMMANUELLI,
Président du Samu social de Paris

Je suis avant tout anesthésiste-réanimateur, médecin urgentiste. Le Samu social a pris la forme d'un Samu, d'où son nom. Nous avons reproduit les méthodes du Samu dans le monde du social. Le Samu social est une méthode d'approche, dans l'urgence, des victimes sociales. Il s'agit de sortir ces personnes de l'urgence. Telle est notre unique finalité.

Le Samu social est une cellule de veille et d'écoute permanentes, 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24. Le numéro d'accès est le 115. Nous recueillons des informations que nous traitons, en envoyant le cas échéant notre Smur avec, à bord, une équipe professionnelle.

Certes, il n'y a pas d'urgence sociale pure. Mais il y a une urgence médico-sociale. La première mission est d'entrer en contact avec les personnes. Il convient ensuite d'effectuer un bilan, avant de prodiguer les premiers soins et, enfin, nous orientons les personnes vers les centres d'hébergement ou de soins adaptés.

Une question se pose : peut-on véritablement intervenir en urgence auprès d'une personne qui vit depuis 30 ans dans la rue ? Ces personnes souffrent du syndrome de « sur-adaptation paradoxale », ce qui les a conduit à s'adapter à une situation extrême, tout en se repliant sur eux-mêmes. Il est donc très difficile de les aborder. Mais peut-on, pour autant, rester sans agir, fermer les yeux ? L'on peut passer à côté d'un clochard sans le voir. Mais, pour peu que ce clochard se fasse renverser en traversant la rue, il bénéficiera dans les sept minutes des secours les plus performants. Le constat est donc celui-ci : nous savons agir en urgence auprès des polytraumatisés, dans le domaine médical. Mais pas dans le domaine social.

Notre mode de vie, en ville, génère l'exclusion. L'exclusion est ce qui réduit les individus à l'état de victime et de survie. Or, dans la survie, l'on vit au jour le jour. On perd la notion d'espace ou la notion de temps. C'est pourquoi, les personnes dans cette situation ont besoin d'une aide extérieure, de la façon la plus professionnelle possible. Il convient de respecter trois séquences de temps : l'urgence, la post-urgence, puis la réinsertion.

Le Samu social existe dans 83 villes françaises et dans 9 grandes villes étrangères (Alger, Dakar, Ouagadougou et Budapest, notamment). Un Samu social devrait prochainement être mis en place à Moscou et à Lima. Plus les villes se développent, plus elles créent de l'exclusion. C'est automatique. Or à l'horizon de 2020, 60 % de la population mondiale vivra dans les villes. Il est donc fondamental de trouver des systèmes pour approcher les individus. L'urgence sociale en est un.

Pour finir, je tiens à rappeler à quel point toutes les grandes organisations internationales intervenant dans le domaine de l'urgence sont les enfants du Samu. Elles sont la déclinaison de l'urgence à travers de nouveaux territoires.

Clôture

Danièle TRAUMAN,
Présidente de l'Association Théories et Territoires de l'Urgence

Chers amis, vous aurez pu prendre conscience, aujourd'hui, de la diversité que recouvre le terme d'urgence.

Il y a encore beaucoup à faire pour élaborer des méthodes d'analyse. Le retour d'expérience, notamment, est une démarche particulièrement intéressante. Il permet notamment de ne pas laisser de côté la question de l'après-crise. Il y a beaucoup à faire, que ce soit dans le domaine social, dans le domaine économique et dans le domaine quotidien. Les améliorations passeront par la formation mais aussi, à mon sens, par la mise en oeuvre d'un annuaire de l'urgence.

Je remercie tous les organisateurs de cette journée, notamment les services du Sénat et le Président Paul Girod, sans qui cette rencontre n'aurait pas eu lieu. Surtout, je vous remercie tous pour votre participation. J'espère que ce premier colloque sera suivi d'une deuxième édition très bientôt !

Synthèse réalisée en temps réel par Ubiqus
Tél. 01 44 14 15 16, www.ubiqus.fr

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page