Colloque "Rencontres Russie 2006" (9 novembre 2006)



Investir et produire à Moscou et dans les régions de Russie

Table ronde B

(les deux tables rondes étaient simultanées)

Présidée par :

Jean-François COLLIN, Ministre Conseiller pour les Affaires économiques et financières, Ambassade de France en Russie

et par :

Mathieu FABRE-MAGNAN, Président de la Section Russie des conseillers du commerce extérieur de la France, Avocat associé, SCP Salans & Associés

co-animée par :

Alexis DELAROFF, Directeur des opérations Russie, Accor
Claude HELLER, Directeur général, Air Liquide Russie
Andrey NEZHKIN, Directeur général adjoint, Onduline Stroitelnye Materialy

Claude HELLER

Présent en Russie depuis 1999, Air Liquide a récemment conclu un contrat avec Severstal, le leader de la production d'acier, en Russie et dans le monde. Ce grand groupe a en effet fait le choix d'externaliser son approvisionnement en gaz, afin de se consacrer à son coeur de métier. Nous avons ainsi créé une joint-venture avec Severstal, ce qui ne constitue certes pas une situation idéale mais n'en reste pas moins le meilleur compromis que nous ayons trouvé avec ce client.

Nous avons par ailleurs d'autres projets en vue, avec des clients moins importants.

Andrey NEZHKIN

Nous sommes implantés en Russie depuis 1994, en tant que filiale commerciale d'une entreprise russe. L'année prochaine, il est prévu de monter une première unité de production, dans la région de Nijni-novgorod.

Jean-François COLLIN

Quid du choix de la forme et du lieu de l'implantation ? Lorsqu'on se pose la question d'investir en Russie, il convient dans un premier temps de déterminer si l'on souhaite le faire seul, ou avec le soutien d'un partenaire. C'est généralement affaire de secteur et de circonstances.

Dans un second temps, il faut opérer un choix entre une implantation en greenfield et le rachat d'exploitations existantes, s'apparentant à du brownfield . Quels sont les critères qui conduisent à opter pour l'un ou l'autre de ces dispositifs ? Et comment avez-vous personnellement résolu ce type de problèmes ?

Alexis DELAROFF

Le premier Novotel construit en Russie a ouvert ses portes en 1992, à l'aéroport de Cheremetevo. Nous avons ensuite ouvert un deuxième hôtel en 2002, dans le centre de Moscou, puis un autre en 2005, à Saint-Pétersbourg.

Imaginé sous l'ère soviétique, notre premier hôtel résulte du montage d'une joint-venture , entre un partenaire belge, Accor et Aeroflot, lequel montage nous a permis de réaliser un hôtel de grande qualité, sur un emplacement convoité par tous. Nous sommes parallèlement heurtés, toutefois, à d'importantes difficultés opérationnelles dans la vie de tous les jours, aussi bien dans les domaines des achats et du recrutement, que pour la prise de décision en général. Cette situation, devenue peu à peu ingérable, a contraint Accor à se retirer, après avoir perdu un peu d'argent.

Nous sommes néanmoins restés présents en tant qu'opérateurs, ce qui nous a permis de rebondir et d'ouvrir d'autres hôtels en Russie. En 2002, nous avons ainsi inauguré un nouvel hôtel, dans le centre de Moscou, dont la construction a nécessité la conclusion d'un contrat de management pur, qui implique notamment le versement de redevances.

Ce type de fonctionnement est plus adapté au contexte russe que ne le serait la franchise. Cet hôtel a d'ailleurs très bien marché et le propriétaire et nous-mêmes avons gagné beaucoup d'argent. Ce dernier a en effet gagné suffisamment d'argent en cinq ans pour retrouver sa mise de départ, alors qu'un tel retour sur investissement nécessite habituellement dix à douze ans. Forts de ce succès, nous avons pu conclure un nouveau contrat de management et ouvrir un nouvel hôtel à Saint-Pétersbourg.

Aujourd'hui, nous assistons à un retour vers la joint-venture dans les régions de Russie et nous restons tout à fait confiants quant au développement d'hôtels trois étoiles dans ce pays. Dans le cadre de ces joint-ventures , nous nous allions souvent avec la Banque européenne de reconstruction et de développement (BERD), afin de sécuriser encore un peu mieux nos contrats.

Pour l'heure, le projet de construction d'un hôtel à Kazan est en cours de finalisation. Il n'est toutefois pas toujours très aisé de trouver le bon emplacement, et à un prix abordable.

Mathieu FABRE-MAGNAN

Dans la mesure où il n'y avait pas de cabinet d'avocats d'affaires en Union soviétique, la plupart des cabinets occidentaux se sont implantés seuls, sans aucun soutien local. Salans & Associés est arrivé en Russie il y a une quinzaine d'années.

Pour notre part, nous déconseillons habituellement la joint-venture , qui peut contraindre les entreprises françaises souhaitant s'implanter en Russie à renoncer à certaines de leurs prérogatives.

S'agissant du choix à opérer entre greenfield et brownfield , l'attrait de l'achat d'exploitations existantes ne cesse de décroître, dans un contexte de hausse des coûts. Il devient en effet difficile de racheter des actifs industriels ou des entreprises existantes, même si cela peut aider à démarrer son activité rapidement, et le greenfield semble présenter de plus en plus d'avantages. Tout diffère cependant en fonction des secteurs d'activités.

Claude HELLER

Nous prônons pour notre part une approche purement pragmatique, concernant nos implantations à l'étranger.

D'un point de vue général, notre activité gaz a été divisée en quatre lignes d'activités :

- grande industrie : fourniture de produits à l'industrie lourde, durant une quinzaine d'années ;
- clients industriels : conclusion de contrats oscillant entre trois et cinq ans ;
- activité électronique : livraison des gaz pour la fabrication des composants ;
- activité de la santé.

Dans le cas de la Russie, nous avons estimé que la meilleure façon de pénétrer ce marché consistait à le faire par la grande industrie, en réalisant des investissements importants, sur le long terme, dans un pays où la sidérurgie avait longtemps pesé très lourd. A noter que nous avons décidé d'entrer en Russie en 2005, conformément à des plans qui avaient commencé à être élaborés en 1995 ; déjà, à l'époque, nous avions fait ce choix de la grande industrie.

Quand, en 2005, nous avons décidé d'investir, nous avons pris contact avec Severstal, qui devait à l'époque réinvestir, pour accroître sa production et améliorer la qualité de ses produits. C'est alors que Severstal a opté pour l'externalisation de son approvisionnement en gaz, afin de consacrer ses ressources financières à son métier de base. Nous avons ainsi conclu une joint-venture avec ce client, dans le cadre d'une approche pragmatique visant à nous poser en partenaires d'un grand client sur le marché russe. Pour autant, je maintiens que la mise en place d'un tel dispositif ne constitue pas le meilleur système qui soit, dans la mesure où le client est aussi actionnaire, ce qui peut poser quelques problèmes à terme. Il n'en reste pas moins que la mise en place d'une joint-venture , qui contribue notamment à faciliter certaines procédures administratives, a constitué, en l'espèce, un compromis acceptable.

A l'avenir, nous allons continuer à nous développer en Russie et nous saisirons la prochaine opportunité qui se présentera. Pour l'heure, toutefois, nous nous trouvons confrontés à un marché très éclaté, sur lequel évoluent nombre de petites sociétés créées après la chute de l'URSS et dont les propriétaires ne souhaitent pas se défaire. Nous devrons par conséquent probablement nouer des partenariats avec ces acteurs locaux, si nous entendons nous implanter durablement en Russie.

Andrey NEZHKIN

Lorsque nous nous sommes implantés sur le marché russe, en 1994, nous n'avons pas eu le choix des modalités de notre implantation et avons dû pénétrer le marché en tant que filiale commerciale d'une entreprise russe. Depuis lors, nous couvrons un territoire allant de Vladivostok à Kaliningrad et sommes présents dans les neuf villes les plus importantes de Russie, ainsi que dans toutes les villes de Russie via nos partenaires distributeurs. Nous proposons notamment des matériels de toiture.

En 2005, nous avons décidé de monter une unité de production et avons déterminé notre choix, entre greenfield , brownfield et acquisition pure, conformément à notre propre stratégie de développement.

S'agissant du choix à opérer entre l'implantation en totale indépendance ou avec le soutien d'un partenaire, il n'existe, en la matière, aucune recette miracle. Tout dépend de votre métier et de votre secteur d'activité.

En ce qui nous concerne, nous changeons de formule selon le profil de la région dans laquelle nous souhaitons nous implanter. Et si nous ne trouvons pas de partenaires sur lesquels nous appuyer et avec lesquels créer des joint-ventures , il est toujours possible d'envisager une implantation en succursales. Encore une fois, il convient par conséquent de procéder à un règlement au cas par cas.

S'agissant du terrain, il n'est pas toujours évident de trancher, entre greenfield et brownfield . Pour notre implantation dans la région de Nijni-Novgorod, notamment, nous avons opté pour des bâtiments datant des années 1970, car ceux-ci présentaient le mérite de posséder des branchements pour le chauffage, lesquels valent souvent une fortune à installer. Là encore, il convient de décider au cas par cas.

Viktor KLOTCHAÏ, de la salle

J'ai travaillé par le passé à Severstal et je peux vous assurer que vous faites le bon choix en concluant un accord avec ce grand groupe. Certes, le problème du format de coopération est complexe à résoudre, mais il l'est partout dans le monde et pas seulement en Russie. Comme l'ont par ailleurs souligné plusieurs des précédents intervenants, il ne faut pas tenter de répondre de manière univoque à toutes ces questions.

Pour ma part, je ne saurais trop vous recommander de ne pas vous allier de manière trop précipitée avec un partenaire trop insistant pour demander une joint-venture . De même, il me semblerait plus sage d'éviter une région dont le gouverneur voudrait vous dissuader à tout jamais d'investir seuls.

S'agissant du choix entre greenfield et brownfield , celui-ci s'avère souvent délicat. Il peut certes être parfois intéressant de profiter d'une infrastructure existante dans la mesure où le raccordement d'une nouvelle construction au réseau électrique peut coûter plusieurs millions d'euros. Pour autant, il y a de moins en moins d'infrastructures à acquérir sur le marché. Dans le cas d'une usine de montage automobile ou de la construction de grands centres commerciaux, c'est plutôt l'approche greenfield qu'il faudrait privilégier. Il n'en reste pas moins qu'il convient de prendre ses décisions au cas par cas, en fonction de vos objectifs et de la nature de vos projets.

Il en va de même pour la création de joint-ventures ou la conclusion de franchises. De manière générale, il faut informer les entreprises françaises des opportunités que leur offre le marché russe. Pour l'heure, en effet, les Français ne sont pas suffisamment au courant du développement de l'économie en Russie, contrairement aux Allemands qui n'hésitent pas à prendre des risques, en pesant le pour et le contre de tout projet de collaboration. A ce titre, d'ailleurs, je souhaiterais souligner que je ne connais aucun exemple de projet allemand qui ait échoué dans notre pays. Cette méthode a donc bel et bien fait ses preuves et il faut s'en inspirer sans plus attendre.

Anne ZUCCO, de la salle

Je suis responsable des relations avec la Russie, à l'École centrale de Lyon. Depuis 1994-1995, nous collaborons en effet avec ce pays et avons initié dans ce cadre un certain nombre d'actions, en partenariat avec l'université technique d'État de Moscou (BAOUMAN).

Nous avons notamment mis au point, avec ce partenaire, un programme de double diplôme permettant de former des élèves russes et français de façon à ce que ces derniers obtiennent, en plus de leur diplôme de l'École centrale, un diplôme de spécialiste russe (un an d'étude en plus). Nous formons ainsi des ingénieurs compétents, qui pourront ensuite se prévaloir des deux cultures, lorsqu'ils répondront à une offre d'emploi.

Dans le même temps, nous avons mis au point un mastère de génie industriel destiné à de jeunes diplômés russes, auxquels nous dispensons une formation complémentaire en économie, afin de les familiariser aux règles de l'économie de marché.

Jean-Claude ABEILLON, de la salle

Il peut arriver que les sièges sociaux des entreprises fassent montre de réticence à s'implanter en Russie, tant l'image de ce pays, véhiculée dans les médias, reste majoritairement négative. A ce titre, comment argumenter auprès des sièges pour les convaincre d'investir dans ce pays ? En d'autres termes, comment lever les éventuelles inquiétudes ?

Andrey NEZHKIN

Nous avons mis trois ans à convaincre nos actionnaires français qu'un investissement en Russie était nécessaire pour le développement futur de notre société. Pour ce faire, nous avons fondé notre démonstration sur des données chiffrées - les seules qui soient à même de retenir l'attention de l'actionnaire même le plus sceptique.

Claude HELLER

Nous sommes aujourd'hui très présents en Europe de l'Ouest et aux États-Unis, où la croissance sur nos métiers est aujourd'hui plus faible. Nous sommes par ailleurs implantés en Chine et nous nous sommes intéressés à la Russie dès 1995, sans suite immédiate. Pour l'heure, nous continuons à examiner de près tous les projets d'investissements qui se présentent à nous.

Philippe PINTAT, de la salle

Vous représentez une grande entreprise et on entend souvent dire que l'implantation d'une grande entreprise, dans un pays donné, peut favoriser la collaboration avec des PME de même nationalité. Or, il semblerait que cela n'ait pas été le cas avec Air Liquide. Auriez-vous d'autres exemples plus prometteurs à nous soumettre en la matière ?

Claude HELLER

Nous avons passé un contrat avec une société 100 % russe, sur un marché local, et ce même si Severstal réexporte certains de ses produits. Or, parmi nos sous-traitants, il y a une entreprise française, la SNEF, spécialisée notamment dans les installations électriques. Pour autant, nous avons surtout eu recours à leurs services, non pas parce qu'ils étaient français, mais parce qu'ils étaient déjà présents sur le sol russe.

Dans le cadre de ce projet, parallèlement à la vente de gaz, nous allons développer d'autres produits qui n'existent pas, à l'heure actuelle, sur le marché russe. Ainsi, de manière indirecte, par le biais des produits que nous mettons sur le marché, nous pouvons favoriser le développement d'entreprises high tech de haut niveau.

Jean-François COLLIN

Je souhaiterais lever toute ambiguïté à ce sujet. De toute évidence, lorsqu'une entreprise investit à l'étranger, c'est pour y développer son propre business et non pour faire venir des sous-traitants nationaux. Il se peut ensuite que cela arrive mais ce n'est jamais l'objectif de départ, même si cette éventualité atténue le malaise ressenti par certains, tant il est vrai que les investissements réalisés à l'étranger sont parfois considérés comme nuisibles à l'emploi en France.

A l'heure actuelle, Renault produit des Logan en masse sur le sol russe et un autre grand groupe automobile français devrait investir prochainement en Russie ; or, ces constructeurs vont devoir choisir des sous-traitants principalement locaux, car ils bénéficient d'une exonération des droits de douane, subordonné au principe selon lequel la composante locale de leur personnel doit progressivement augmenter. Ainsi, le fait qu'un constructeur français s'implante à Moscou pour produire 50 000 véhicules par an ne suffit pas à générer la délocalisation d'équipementiers nationaux. Le niveau de production atteint n'est en effet pas suffisant, en l'espèce, pour susciter un tel phénomène.

Philippe COMTE, de la salle

Vous êtes-vous intéressés de près à l'état du système hôtelier dans les petites villes de Russie ? Assiste-t-on à l'émergence de chaînes d'hôtels russes ?

Alexis DELAROFF

Après la crise de 1998, les investissements étaient redescendus à leur niveau le plus bas. Nous nous sommes depuis lors rendus en province et avons pris la décision d'investir.

Alors que les hôtels Intourist sont restés durant longtemps dans un état catastrophique, certains d'entre eux ont récemment bénéficié d'une réfection totale et ont même atteint un niveau d'hôtels quatre étoiles.

Par ailleurs, une chaîne russe du nom d'Azimuth a récemment vu le jour. Il s'agit toutefois plutôt du regroupement improbable de plusieurs établissements que d'une authentique chaîne d'hôtels offrant des prestations cohérentes et harmonisées. Parallèlement, certains acteurs procèdent à l'achat de terrains, afin de réaliser des profits sur le real estate .

Andrey NEZHKIN

Les autorisations d'investissements sont souvent très longues à obtenir. Je ne saurais par conséquent que trop vous conseiller de vous y prendre très en amont, si vous ne voulez pas voir stoppés net vos projets d'implantation.

Alexis DELAROFF

Vous ne pouvez ouvrir un hôtel si vous n'avez ni eau chaude, ni chauffage. C'est principalement pour cette raison que nous faisons souvent le choix de nouer des partenariats avec des acteurs locaux. Ces derniers facilitent en effet l'obtention des autorisations architecturales, ainsi que le branchement à tous les réseaux nécessaires à la bonne marche d'un établissement hôtelier.

La conclusion de tels partenariats n'exonère pas, toutefois, de toutes difficultés ; le projet que nous avons initié dans la ville de Novorosisk traîne ainsi depuis longtemps déjà car notre partenaire doit tirer un câble pour approvisionner l'hôtel en électricité ; de même, lorsque vous vous trouvez contraints de construire une mini centrale thermique, à proximité d'un hôtel afin de le chauffer, vous comprendrez que vos projets d'implantation s'en trouvent ralentis d'autant.

Catherine MANTEL, de la salle

Pensez-vous que la réforme de la loi sur les SARL, visant à modifier les modalités de retrait des associés va passer ? Et si tel était le cas, serait-elle en partie rétroactive ? Je ne pense pas, pour ma part, qu'il s'agisse d'une simplification.

Mathieu FABRE-MAGNAN

Je confesse mon ignorance concernant ce projet de réforme.

Pour l'heure, la « OO » russe n'est autre qu'une forme simplifiée de société commerciale, dans le cadre de laquelle les associés bénéficient d'un droit de retrait qu'ils peuvent faire jouer à tout moment. Vous comprendrez aisément qu'une telle règle puisse effrayer les entreprises françaises qui envisageraient de créer une joint-venture avec un partenaire russe.

Jean-François COLLIN

Dans la mesure où la consommation augmente de 4 à 5 % dans les grandes agglomérations et que la production ne suit pas, le seul moyen d'opérer une régulation consiste à faire monter les prix des procédures de raccordement au réseau, ce qui ne manque pas de générer toute une série de problème.

Je souhaiterais à présent que nous nous intéressions aux modalités de recrutement sur le marché russe. Privilégiez-vous notamment le recrutement d'expatriés ou l'embauche de personnel local ?

Alexis DELAROFF

En 1992, lorsque nous avons ouvert notre premier Novotel à l'aéroport de Cheremetevo, nous employions 45 expatriés, sur un total de 500 personnes. Ces 45 expatriés représentaient alors 95 % de la masse salariale. En 2002, nous étions trois expatriés seulement, pour ouvrir un établissement de 250 chambres en plein centre de Moscou.

Les choses évoluent donc et devraient d'ailleurs continuer à évoluer en ce sens, dans le cadre du développement de notre implantation régionale, dans des villes telles que Kazan ou Novorosisk. Il est en effet difficile de trouver des expatriés prêts à s'y installer et le recours à la main d'oeuvre locale constitue donc une obligation, en même temps qu'une priorité.

A ce titre, nous formons, au sein de l'Académie Accor de jeunes russes qui auront vocation à devenir directeurs d'hôtels, dans les deux à trois années qui viennent. A l'avenir, nous envisageons en effet de procéder à de nouvelles ouvertures d'établissements via l'implantation ponctuelle d'une task force française sur place, et de confier à terme la direction de ces établissements à des personnels russes, dont la compétence n'est plus à démontrer.

Claude HELLER

Pour notre part, nous n'avons pas eu de difficulté à trouver un expatrié qui consente à aller s'établir à 400 kilomètres au nord de Moscou, dans une ville comptant 400 000 habitants, pour construire notre nouvelle usine, car nous comptons suffisamment de baroudeurs dans nos effectifs. A terme, nous emploierons 30 personnes au sein de cette unité de production, dont la construction aura nécessité un investissement de 100 millions d'euros. Le Directeur général de cette usine sera russe ; il sera néanmoins placé sous le contrôle d'un expatrié, durant les deux ou trois premières années d'exploitation de cette unité, compte tenu des spécificités importantes de notre secteur d'activité. A terme, toutefois, d'ici trois ou quatre ans, l'ensemble du personnel travaillant au sein de cette usine sera russe.

Andrey NEZHKIN

Dans le secteur des services, nous employons plutôt des expatriés ; pour les postes au contact direct de la clientèle, nous privilégions le personnel local. De toute évidence, en tous cas, ce ne sont plus les écarts de salaires qui motivent les décisions de recrutement, dans la mesure où un directeur financier venu de France et un directeurs financier russe bien formé sont dorénavant rémunérés à l'identique. J'ajoute qu'il n'est pas toujours évident de trouver des personnes prêtes à aller s'installer dans des coins perdus de Russie où recevoir un salaire élevé ne représente qu'un avantage très relatif, dans la mesure où il n'y a rien à acheter.

Elisabeth GORODKOV, de la salle

Il est tout aussi difficile de faire bouger les Russes d'une région à l'autre que de faire venir des expatriés français dans des villes russes a priori peu attrayantes. A cet égard, et dans la mesure où le marché moscovite est en pleine expansion, ces difficultés de recrutements en régions constituent un indéniable frein pour les projets industriels se développant hors des grandes villes de Russie.

Philippe COMTE, de la salle

Un des obstacles à la présence française en Russie ne tiendrait-elle pas au côté casanier de la main d'oeuvre française ? Du côté de la fonction publique, notamment, l'État rencontre toutes les difficultés du monde à trouver des hauts fonctionnaires prêts à aller travailler quelques années en Allemagne...

Elisabeth GORODKOV

Non, les Français ne sont pas particulièrement casaniers. L'embauche de jeunes français, motivés pour partir en Russie, n'est toutefois pas toujours très aisée, sur un plan administratif. Les permis de travail sont en effet difficiles à obtenir et il est souvent plus facile de recruter du personnel russe. Le recrutement de personnel expatrié continue toutefois à être privilégié pour des postes clés, tels que celui de contrôleur financier.

Jean-François COLLIN

Alors que d'aucuns publient des articles de presse alarmistes, sur le brain drain des jeunes cerveaux français, vous vous demandez aujourd'hui si ces derniers ne seraient pas trop casaniers. A ce titre, je signalerai simplement que nous recevons environ 42 000 candidatures par an pour des stages de volontariat international en entreprise (VIE), alors que le nombre de postes offerts dans ce cadre n'excède pas les 4 000. C'est donc bien du côté de l'offre, que l'emploi fait défaut.

Claude HELLER

Les VIE constituent un outil efficace pour acquérir une première expérience dans une entreprise étrangère. A ce titre, nous avons nous-mêmes recruté, en contrat local, trois personnes qui avait effectué un stage VIE en Russie.

Andrey NEZHKIN

Il conviendrait parfois de se montrer moins exigeant, en matière de recrutement. Il n'est en effet pas toujours aisé de trouver un ingénieur compétent, à même de diriger notre site de Nijni-Novgorod et qui parle parfaitement le français. Nous ne l'avons d'ailleurs pas trouvé et avons finalement opté pour un candidat très compétent, mais parlant anglais uniquement.

Natalia MARZOIEVA, de la salle

Lorsque nous avons ouvert Fauchon à Moscou, nous avons commencé à travailler avec des expatriés. Au bout de six mois, les 6 top managers français étaient partis et avaient été remplacés par des personnels russes, que nous avions préalablement formés.

Jean-François COLLIN

Nombre d'entreprises qui s'implantent en Russie font le choix d'externaliser certaines de leurs fonctions. Quelles sont selon vous les fonctions qu'il est souhaitable d'externaliser ? Et, à l'inverse, quelles sont les fonctions qu'il serait risqué d'externaliser ?

Alexis DELAROFF

Dans le cadre des contrats de management que nous concluons, la question ne se pose pas puisqu'aucune fonction n'est externalisée. Au sein du siège d'Accor, qui emploie cinq personnes, nous avons en revanche externalisé notre comptabilité, étant entendu que notre directeur général continue à exercer son contrôle sur l'ensemble des processus et que notre comptabilité est régulièrement soumise à des audits internationaux.

A terme, il est question de créer une comptabilité interne permettant d'assurer un meilleur suivi de nos mouvements de trésorerie, suite à l'ouverture de nos derniers hôtels. En outre, dans la mesure où les propriétaires de nos hôtels ont décidé de garder la main sur la maintenance de leurs établissements, nous avons conclu un contrat d'externalisation avec eux. C'est certes un peu coûteux, dans la mesure où un tel contrat permet à ces derniers de nous facturer plus que ce que coûtent réellement les prestations rendues, mais c'est un moindre mal.

Mathieu FABRE-MAGNAN

Nous déconseillons généralement vivement à nos clients d'externaliser leur comptabilité. C'est souvent beaucoup trop risqué, comme l'ont prouvé plusieurs expériences désastreuses.

Alexis DELAROFF

Il me semble que l'on peut externaliser la comptabilité sans risque, à condition que quelqu'un, au siège, comprenne parfaitement le fonctionnement de la comptabilité russe, qui est une comptabilité de cash-flow .

Mathieu FABRE-MAGNAN

Certes. Il n'en reste pas moins que nous recommandons généralement de ne pas externaliser ce type de fonctions, même s'il existe bien évidemment des exceptions pouvant justifier une telle procédure.

S'agissant des autres fonctions de l'entreprise, les possibilités d'externalisation sont nombreuses, dans la mesure où les services proposés au sein de la capitale russe sont en constante expansion.

Claude HELLER

Pour ma part, je vous recommanderai d'externaliser vos besoins en gaz, si vous en avez...Nous nous ferons un plaisir de répondre à vos attentes.

Dans le cadre de la joint-venture que nous avons créée avec Severstal, nous avons procédé, dans un premier temps, à l'externalisation de notre comptabilité, afin de nous donner le temps de recruter une chef comptable compétente sur le site de Tcherepovetz. Nous avons néanmoins pris la peine de confier cette fonction à une société que nous connaissions par ailleurs et en laquelle nous avions confiance.

Nous avons également externalisé la maintenance technique de nos systèmes d'information, comme nous l'avions fait dans la plupart de nos filiales à travers le monde. La société retenue a été préalablement auditée, ce qui réduit sensiblement les risques. De même, nous avons externalisé les fonctions de gardiennage sur le chantier de construction de notre usine.

Andrey NEZHKIN

De manière générale, les Russes n'ont pas trop le réflexe de l'externalisation car ils considèrent que ce sera toujours moins cher, s'ils font eux-mêmes. Il n'en reste pas moins qu'il existe un potentiel d'externalisation indéniable, pour les entreprises implantées en Russie, et ce même si certaines fonctions, telles que la comptabilité, présentent évidemment un caractère sensible.

Anne ZUCCO, de la salle

Dans le cadre du processus de collaboration que nous avons initié entre l'École centrale de Lyon et l'Université Baouman, nous avons créé un centre franco-russe de transfert de technologies. Nous pouvons ainsi mettre à votre disposition les laboratoires de recherche de nos deux écoles. Encore une fois, si vous avez des pistes à explorer ou des demandes à formuler, vous pouvez vous adresser à nous et nous vous aiderons à mettre en oeuvre des innovations technologiques qu'il vous serait difficile de développer en interne.

Catherine MANTEL, de la salle

De plus en plus d'industriels cherchent à externaliser tout ce qui ne touche pas à leur coeur de métier. Pour la gestion des utilités, notamment, c'est une tendance qui se développe de plus en plus en Russie.

Sylvie GOUJON, de la salle

L'externalisation de la comptabilité, sur notre filiale de Tver, a été une très mauvaise expérience et nous avons rapidement dû tout reprendre en main. Nous recruterons très prochainement un chef comptable et une assistante, sur cette filiale, afin de redresser la situation.

Olga LAMBERT, de la salle

SGS Monitoring est présente sur le marché russe depuis 25 ans maintenant et emploie 1 200 personnes sur place, dans les secteurs de l'énergie, notamment. Nous pourrions par conséquent mettre à disposition nos personnels sur certains projets de court terme, menés par des entreprises s'implantant en Russie.

Mathieu FABRE-MAGNAN

Le détachement de personnel est un instrument à manier avec la plus grande précaution, dans la mesure où les personnels détachés pourraient faire le choix de dénoncer leurs contrats, afin de se faire embaucher, de manière définitive, par la société auprès de laquelle ils ont été détachés.

Claude HELLER

Notre usine devrait entrer en production à l'été 2007 ; nous nous sommes en effet fixé les mêmes délais de construction qu'en Europe de l'Ouest ou aux États-Unis, soit 27 mois, ce qui constitue un véritable challenge en Russie. Pour tenir ce délai particulièrement exigeant, nous avons opté pour la méthode des permis partiels, susceptible de nous faire gagner un temps certain. Si nous n'avions pas fait le choix de cette méthode, il nous aurait probablement fallu au moins un an de plus pour construire notre usine.

Mathieu FABRE-MAGNAN

Selon quels critères avez-vous choisi vos prestataires ?

Claude HELLER

Nous avons tout simplement procédé à une évaluation objective de leurs compétences. Le choix a été un peu plus compliqué pour les sous-traitants de réalisation, dans la mesure où nous avons constaté des niveaux de qualité très disparates des prestations délivrées, ce qui nous a d'ailleurs valu quelques discussions assez âpres avec notre partenaire russe. Nous n'avons en effet pas forcément retenu toutes les sociétés locales avec lesquelles il voulait que nous travaillions.

Andrey NEZHKIN

Il est évidemment nécessaire d'opter pour le système des permis partiels, faute de quoi vous vous découragerez avant même d'avoir commencé.

Viktor KLOTCHAÏ, de la salle

Le système de certification en Russie est complexe, mais c'est également le cas dans d'autres pays. De toute évidence, il faut lutter contre la corruption en ne versant aucun pot-de-vin. Dans la région de Nijni-Novgorod, les choses se passent bien et nous ne rencontrons aucun problème de certification.

Quand une société étrangère souhaite investir dans notre région, elle nous fait une demande d'autorisation et nous l'acceptons, la plupart du temps. Le taux de refus est en effet très bas puisqu'il n'excède pas les 2 %. Les projets de construction présentés doivent respecter les normes techniques et écologiques en vigueur dans notre pays.

Une fois la construction achevée, la Commission d'État l'examine et statue sur sa conformité. Préparé durant la période de construction, le permis d'exploitation est ensuite délivré si aucun problème particulier n'est décelé. L'entrepreneur étranger pourra alors commencer à exploiter sa structure.

Mathieu FABRE-MAGNAN

Il convient de s'adapter à la donne russe.

Alexis DELAROFF

Les processus sont effectivement différents de ceux auxquels nous sommes habitués en Europe de l'ouest et l'adaptation n'est pas toujours aisée. Pour autant, si c'était impossible, personne n'irait. Si l'on respecte toutes les étapes, on ne rencontre en effet pas plus de problèmes qu'ailleurs. Et pour paraphraser certains spécialistes de la zone, « les Français ont inventé la bureaucratie, les Russes l'ont améliorée ».

François WOLF, de la salle

Je suis moi-même en train de construire une usine en Russie et le système d'octroi des permis et des autorisations me semble on ne peut plus logique, à condition qu'on le suive à la lettre. S'agissant du choix à opérer entre le greenfield et le brownfield , le premier sera souvent plus coûteux que le second.

Mathieu FABRE-MAGNAN

Pour construire une usine en Russie, il convient de se conformer, comme partout dans le monde, à un certain nombre de règles. Espérons que de nouveaux projets verront le jour, dans les prochains mois, suite à ce colloque !