Colloque "Rencontres Russie 2006" (9 novembre 2006)



S. Exc. Alexandre AVDEEV ,
Ambassadeur de Russie en France

Alors que le volume d'échanges, entre la France et la Russie, devrait avoisiner les 14 milliards d'euros en 2006 et que la France se place au 8 ème rang des fournisseurs de notre pays, cette dernière reste pour nous un incontestable partenaire stratégique.

A ce titre, les relations bilatérales entre nos deux pays ne cessent de se développer et nous partageons de fait la même vision du monde : celle d'un monde multipolaire, au sein duquel la primauté du droit international serait assurée. Nous sommes également favorables au renforcement du rôle du Conseil de sécurité dans le monde et nous sommes prêts à unir nos efforts pour étouffer les foyers de conflits et de crises qui se font jour ça et là. Nous avons en outre la même vision des risques qui planent sur la Russie et sur l'Europe. Aussi développons-nous des efforts communs, sur l'arène internationale, concernant la non prolifération nucléaire, l'arrêt des migrations illégales et la lutte contre le terrorisme.

La France suscite un intérêt certain en Russie, comme en témoignent les nombreuses lettres et demandes que nous recevons à l'Ambassade, émanant tant des citoyens que des médias russes. Et sur le terrain, les désirs du peuple russe et du Président Poutine, à l'égard de la France, se rejoignent insensiblement vers une volonté commune, consistant à faire en sorte que la France reste forte, amicale et indépendante.

A cet égard, nous souhaitons notamment que la France continue à jouer un rôle moteur dans l'intégration européenne, aux côtés de l'Allemagne, créant ainsi une atmosphère de coopération propice entre l'Union européenne et la Russie. Pour ce faire, il faudrait sans nul doute dépasser les images stéréotypées véhiculées dans les médias concernant nos deux pays.

J'en veux pour preuve le coup de téléphone que j'ai reçu hier, d'une directrice d'école à Moscou, laquelle me demandait si elle pouvait emmener ses élèves à Paris en toute sécurité. Elle envisageait en effet d'ajourner son voyage, suite à la flambée de violence qu'ont connue certains quartiers de banlieue au cours des dernières semaines. Côté français, nous assistons à la même déformation de la réalité concernant la Russie. A en croire les médias français, la Russie se réduirait ainsi à un État totalitaire, violant allégrement les droits de l'homme et menant une guerre illicite en Tchétchénie ; notre pays n'aurait qui plus est pas opté pour la voie démocratique et la société civile ne s'y développerait pas suffisamment.

Ceci pour vous montrer que les journalistes contribuent incontestablement à créer des visions stéréotypées des pays qu'ils couvrent, ce qui peut se révéler dommageable, sur le long terme. Et si, au-delà de cette vision déformée de certains événements récents, les journalistes russes promeuvent généralement une image positive de la France, qu'ils voient comme un pays ami, ce n'est malheureusement pas le cas de la plupart des journalistes français, qui persistent et signent dans cette vision négative qu'ils développent de la Russie.

Pour l'heure, l'Union européenne fait face à deux crises majeures, la première étant liée à l'élargissement, la seconde à la mise en place d'une constitution. Nous sommes toutefois optimistes et ne doutons pas un seul instant que ces deux crises seront prochainement surmontées. Il n'en reste pas moins qu'elles sont génératrices d'instabilité et qu'il devient de fait difficile de faire un pronostic fiable sur l'avenir du continent européen, lequel devient de plus en plus imprévisible.

Il est notamment difficile d'imaginer quelle sera la réaction de l'Europe, à l'égard de la Russie. Pour l'heure, en tous cas, alors que la transition vers l'économie de marché a été menée à son terme dans notre pays, l'Union européenne maintient à notre encontre des mesures anti-dumping, ce qui peut sembler inapproprié.

L'Europe n'est en outre pas en mesure de se prononcer clairement sur les modalités du dialogue énergétique qu'elle entend instaurer avec la Russie. Dans un tel contexte, nous ne pouvons approuver le Traité sur la charte énergétique, dans la mesure où nous ne disposons pas des mêmes droits que les pays « transitaires » faisant partie de l'Union. Pour autant, nous sommes tout à fait favorables aux investissements étrangers en Russie, y compris dans les secteurs du pétrole et du gaz, et ce contrairement à ce que disent les journalistes. Ces derniers n'hésitent pas, en effet, à diaboliser Gazprom, dès que cette entreprise entend être partie prenante dans le circuit gazier de l'Union. Une telle attitude est évidemment susceptible d'entraver durablement l'instauration d'une coopération sereine entre nos deux pays.

Or, la sécurité énergétique ne relève pas seulement, selon nous, de la sécurisation des achats et des ventes. Il convient en effet d'instaurer une interdépendance entre vendeurs et acheteurs, entre ceux qui extraient et ceux qui consomment. Quand Total participe à l'exploitation de nos gisements pétroliers, cela sécurise incontestablement le consommateur européen qui est certain d'être approvisionné. Nous souhaiterions par conséquent qu'il en soit de même pour nous et que le groupe Gazprom soit bien accueilli lorsqu'il entend pénétrer le marché européen. Encore une fois, l'interpénétration des différents marchés est génératrice de sécurité pour les uns et pour les autres, ce qui constitue, à n'en pas douter, un gage de sérénité dans les relations entre les différents pays.

L'atmosphère politique en Russie devient par ailleurs de plus en plus propice à une coopération accrue avec les pays de l'Union. Nous continuons en effet à oeuvrer à la transformation de notre modèle politique. Il s'agit toutefois d'un processus long, dans la mesure où l'on ne peut prétendre créer de véritables partis d'opposition par oukaze. En la matière, certaines évolutions se sont récemment fait jour puisque qu'il y a un mois environ, quelques petits partis se sont réunis pour fonder un seul grand parti de gauche, à l'instar du rassemblement qui avait eu lieu chez vous, en France, autour de la personne de François Mitterrand. Notre système politique gagne ainsi progressivement en cohérence et nous nous acheminons vers un Etat de droit.

Certes, notre société civile, qui n'a qu'une dizaine d'années, accuse un certain retard, en regard de la société civile française qui comptabilise plus d'un siècle d'existence. Nous avons néanmoins amorcé un véritable processus de rattrapage et nous aurons comblé notre retard d'ici dix, vingt ou trente ans. Partant de là, toute comparaison visant à mettre en regard la situation française et la situation russe, sans tenir compte des soixante-dix années de régime communiste que nous avons connues, est évidemment vouée à l'échec. A cet égard, j'ajouterai que je suis toujours étonné de constater que les journalistes français éprouvent tant de sympathie pour les jeunes démocraties et portent un jugement aussi sévère sur notre pays ; la Russie est pourtant elle aussi un jeune pays démocratique, qui sort d'un quasi-siècle de totalitarisme.

En matière d'économie, nous décelons, fort heureusement, quelques évolutions favorables. Depuis deux ans, en effet, les investisseurs se montrent très actifs en Russie, ce dont il convient de se réjouir. La France est en outre parvenue au 9 ème rang des fournisseurs de la Russie, ce qui atteste de l'amélioration du climat juridique dans notre pays. Les Français se montrent en effet toujours plus timorés que leurs homologues italiens ou allemands, plus habitués au risque qu'eux. Le renforcement de la présence française dans notre pays constitue par conséquent un bon indicateur de l'amélioration du climat juridique et commercial qui y règne. A noter que la représentation commerciale de la Russie en France s'attache de son côté à renforcer les liens entre nos deux pays.

Pour finir, je souhaiterais souligner combien nous sommes satisfaits de l'état des relations politiques entre nos présidents, nos services diplomatiques et nos pays en général. Nous restons par conséquent optimismes et enthousiasmes et ne doutons pas que notre désir de voir la France forte, indépendante et amicale corresponde au désir des Français de voir la Russie forte, démocratique et amicale.