EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L'hôpital public est un bien commun ancré au coeur du pacte républicain et de l'État social auquel les Français sont considérablement attachés. Le principe de solidarité sur lequel est bâti le système de soins Français est unique au monde et fait partie de notre identité nationale. La crise sanitaire liée à la pandémie de COVID-19 a confirmé combien l'hôpital public est partie prenante et indispensable pour garantir une offre de soins universelle. « La santé gratuite sans condition de revenu, de parcours ou de profession, notre État-providence ne sont pas des coûts ou des charges mais des biens précieux, des atouts indispensables quand le destin frappe » a d'ailleurs déclaré le Président de la République, M. Emmanuel Macron, le 12 mars 2020.

Néanmoins, la paupérisation de ce service public emblématique est constante. La pénurie financière, matérielle et humaine sacrifie l'égalité d'accès aux soins qui, pourtant, est la préoccupation majeure des Français. Ils l'expriment régulièrement dans toutes les enquêtes d'opinion, et plus récemment dans le cadre du Grand débat national engagé par le gouvernement en janvier 2019 : alors même que la santé n'avait pas été mise en avant dans les thématiques proposées, l'hôpital public était identifié parmi les milliers de contributions comme la première préoccupation des Français et le service public à renforcer.

Le constat d'une dégradation progressive des moyens humains et matériels à la disposition du service public hospitalier est aujourd'hui unanimement partagé.

Cette situation, aggravée par un contexte sanitaire exceptionnel, résulte d'une triple crise entremêlée à laquelle il convient de remédier.

Premièrement, une crise humaine. Prendre soin de l'autre ne peut être réduit à une activité technique mesurable. Les professionnels qui s'engagent dans le soin en sont conscients. Ils savent évaluer le temps nécessaire au soin et la charge de leur travail. Or, les modalités actuelles de calcul de la performance économique tendent à favoriser les dimensions techniques du soin. Elles entraînent une perte de sens et d'attractivité des métiers de la santé ainsi que la souffrance des soignants. La conséquence, largement documentée, est une dégradation de la qualité et de la sécurité des soins qu'il devient urgent de prendre en considération dans la mise en oeuvre des politiques publiques de santé.

Deuxièmement, le mode de financement de l'hôpital public devrait permettre de financer l'ensemble des missions qui lui incombent. Pourtant, les lois de financement de la sécurité sociale votées chaque année imposent un Objectif national de dépense d'assurance maladie (ONDAM) pour l'hôpital systématiquement en dessous de ses dépenses et des charges nécessaires pour assurer les soins. Affaiblis par la dette ainsi générée, les hôpitaux ne peuvent plus emprunter et donc investir. Cette crise de financement est d'autant plus inacceptable qu'il s'agit d'une dette contractée en défaveur de l'intérêt général.

Troisièmement, une crise démocratique. Afin de garantir les meilleurs soins à toutes et tous, les priorités et les stratégies des établissements doivent être mises au service du droit à la santé. L'ambition de prodiguer pour chacun de justes soins aux justes coûts nécessite une définition loyale, partagée, concertée et territoriale des besoins. Avec le même objectif, le fonctionnement des hôpitaux doit prioritairement être tourné vers la réponse aux besoins en santé.

Au-delà des sondages et du Grand débat national, les Français ont manifesté leur inquiétude et leur volonté d'action par des pétitions signées par des centaines de milliers de personnes ayant récemment justifié la saisine du Conseil économique, social et environnemental (CESE) au titre de l'article 69 de la Constitution.

Dans son avis adopté à l'unanimité et motivé par de nombreuses auditions et une consultation citoyenne exceptionnelle par son ampleur (plus de 500 000 votants), le CESE fait le constat de cette triple crise humaine, financière et démocratique au sein de l'hôpital public et préconise que soient mises en place des dispositions législatives permettant de garantir l'accès universel à un service public hospitalier de qualité comme le prévoit le préambule de la Constitution de 1946.

La présente proposition de loi référendaire s'inspire en partie de ces préconisations en renforçant ou modifiant les dispositions législatives qui répondent à cet objectif. Les enjeux qui y sont attachés s'inscrivent dans le cadre de la politique sociale de la France et des services publics qui y concourent ; ils justifient donc qu'elle puisse être soumise à l'approbation de l'ensemble des Français dans les conditions prévues par l'article 11 de la Constitution. Elle revêt par ailleurs la forme d'une loi de programmation au sens de l'article 34, al. 20 de la Constitution, de par son ambition de fixer les objectifs de l'action de l'État permettant de garantir un accès universel à l'hôpital public. En complément, des dispositions d'ordre budgétaire et financier pourront utilement venir en soutien de ces objectifs en suivant les procédures législatives qui leur sont propres.

CHAPITRE PREMIER - Objectifs de la politique de l'État en faveur de l'hôpital public

Conformément à l'article 34, al. 20 de la Constitution relatif aux lois de programmation, l'article 1 er de la proposition de loi énonce les objectifs de l'action résolue que doit mener l'État en faveur de l'hôpital public afin de remédier à la situation préoccupante qui est la sienne aujourd'hui. Fondée sur le principe d'égalité d'accès aux soins, la politique de l'État s'articulera en conséquence autour des notions de besoins en santé de la population et de juste coût des soins prodigués à l'hôpital.

L'ensemble de ces objectifs font l'objet de dispositions des chapitres suivants de la proposition de loi.

CHAPITRE II - Garantir pour toutes et tous des soins de qualité, en toute sécurité

L'article 2 vise à définir un nombre minimum de soignants par patient hospitalisé ou pris en charge en ambulatoire pour garantir la qualité et la sécurité des soins et de bonnes conditions de travail pour les personnels.

En effet, la préoccupation majeure des soignants concernant le manque de temps et de moyens humains concourant à la dégradation de la qualité de vie au travail et de la qualité des soins s'est imposée lors des contributions au Grand débat national organisé en février 2019. Ce manque de temps déshumanise les prises en charge, l'humain disparaît au profit de l'acte technique. De nombreux travaux académiques ont confirmé qu'une présence soignante insuffisante auprès des patients hospitalisés se traduisait par une augmentation de la mortalité hospitalière et des risques psychiques pour les soignants. Il faut donc adapter les effectifs et les compétences aux besoins et spécificités des activités sans oublier que le soin ne se réduit pas à des actes techniques.

Il est proposé à cet effet d'instituer, pour chaque spécialité et type d'activité de soin, un ratio minimal de soignants par lit ouvert ou par nombre de passages pour les activités ambulatoires. Ce ratio servira à déterminer le nombre minimal d'infirmiers ou infirmières et d'aides-soignantes ou aides-soignants de jour et de nuit présents et prévus en équivalents temps plein rémunérés (ETPR). Il sera établi au plan national par la Haute Autorité de santé, dont l'indépendance, notamment à l'égard des financeurs, est garantie.

Dans chaque établissement, la Commission des soins infirmiers, de rééducation et médico-techniques (CSIMRT) sera chargée de la mise en oeuvre de ces ratios et pourra proposer de les augmenter en fonction des spécificités de l'établissement.

L'article 3 a pour objet de garantir le nombre de lits hospitaliers nécessaires à la prise en charge des malades en adéquation avec les besoins en santé de la population.

Les décisions de fermeture de lits hospitaliers ne peuvent pas être contingentées en fonction d'une évaluation basée sur la performance du système de soin ni au prétexte qu'ils ne répondent pas à des critères de rentabilité économique, souvent construits subjectivement.

L'universalité de l'accès à l'hospitalisation est rendue de plus en plus difficile, en particulier du fait de la réduction toujours croissante du nombre de lits d'hospitalisation. Partout sur le territoire les hôpitaux suppriment des places d'hospitalisation. 4 000 lits ont été supprimés en 2018 et 3 400 en 2019. Malgré les tensions hospitalières majeures liées à l'épidémie de coronavirus, exacerbant les difficultés à trouver des lits d'hospitalisation pour les patients en ayant besoin, cette tendance ne s'est pas inversée.

Il est proposé en conséquence que le nombre de lits hospitaliers à ouvrir ou à fermer et leur répartition sur chaque territoire, laquelle relève des Agences régionales de santé (ARS), soient fondés sur une évaluation des besoins en santé. Il pourra être tenu compte pour cela de l'évaluation des besoins en conditions habituelles (base) mais aussi en conditions exceptionnelles (crise sanitaire). Cette évaluation devra être mise à jour selon les perspectives d'évolution démographique et d'évolution des recommandations professionnelles de prise en charge.

Ces besoins en santé doivent être définis de manière juste, loyale, objective et indépendante en s'appuyant sur une concertation impliquant différents acteurs et en particulier : représentants de soignants de toutes catégories, représentants d'usagers et/ou comités d'usagers du territoire, experts en santé publique, représentants de la société civile, élus, centres communaux ou intercommunaux d'action sociale...

C'est pourquoi il est proposé qu'à l'échelon territorial, chaque Conseil territorial de santé (CTS) soit chargé de déterminer, au moins annuellement, les besoins en santé du territoire qu'il recouvre ainsi que les besoins en lits et en recrutements des établissements de santé assurant le service public hospitalier.

Ces besoins sont exprimés à la fois pour l'année en cours et pour les années suivantes. Ils sont transmis à la Conférence régionale de la santé et de l'autonomie dont relève le CTS. C'est ensuite sur la base des besoins établis par la conférence régionale que l'ARS attribue les moyens aux établissements.

CHAPITRE III - Garantir le financement pérenne de l'hôpital public au juste coût des soins prodigués.

La dotation accordée aux hôpitaux publics par les gouvernements successifs est systématiquement inférieure au coût réel des soins hospitaliers. Le financement des hôpitaux est fondé sur la performance, la compétitivité et une certaine approche de la rentabilité économique, malmenant le soin dans sa définition et les conditions de sa réalisation. Les contraintes budgétaires étranglent l'hôpital et concourent à la dégradation des soins, des conditions de travail des soignants. L'endettement majeur imposé aux structures hospitalières empêche les investissements nécessaires à l'exercice de leur mission de service public.

Or, ce n'est pas la logique financière de court terme qui doit dicter le niveau de dépenses de santé, mais une décision démocratique qui doit délibérer sur un panier de soins auquel toutes et tous devraient avoir accès sans contraintes financières. Le financement doit garantir l'universalité de l'accès aux soins.

Le calcul de l'Objectif national de dépenses d'assurance-maladie (ONDAM) doit s'appuyer sur les besoins de santé de la population et ses évolutions attendues. Le périmètre de l'ONDAM doit également être redéfini, en limitant les prestations hors ONDAM. Il convient par exemple d'en exclure le financement de l'investissement immobilier hospitalier issu de plans d'initiative gouvernementale.

Il est proposé, par l'article 4, de mener un débat sur ces sujets au sein de la Conférence nationale de santé, qui regroupe l'ensemble des acteurs du système de santé. Le rapport issu de ce débat ainsi que d'une consultation publique devra en particulier porter sur :

- les conditions dans lesquelles le financement des établissements assurant le service public hospitalier et la tarification de leurs activités permettent de garantir la satisfaction des besoins de soins ;

- les critères à mettre en oeuvre dans le même objectif pour la définition et la répartition de l'ONDAM ;

- les charges financières pesant indûment sur les établissements assurant le service public hospitalier, en particulier au titre de la dette.

Dans le même temps, il est demandé au Gouvernement, par l'article 5, de remettre au Parlement un rapport présentant la situation dans les hôpitaux publics, du nombre de lits et de soignants disponibles, ainsi que les modalités de financement de l'hôpital public permettant de garantir à tous et sur tout le territoire un accès universel et pérenne à un service public hospitalier de qualité.

Il convient tout particulièrement de rendre plus justes les modalités de financement de l'hôpital public. Des modes de financement tenant compte de la pertinence des soins et les besoins de santé doivent en effet prévaloir sur le dévoiement de la tarification à l'activité (T2A) qui incite à faire toujours plus d'actes, parfois sans bénéfice pour les malades. En réalité, les tarifs doivent être définis en fonction seulement des coûts de prise en charge par pathologie.

Il faut donc mettre en place un mécanisme qui permette de déterminer le coût réel des soins hospitaliers afin que les forfaits proposés ne soient ni trop hauts, ce qui serait contraire à l'efficience, ni trop bas, ce qui mettrait les hôpitaux en difficulté. En conséquence, l'article 6 pose le principe selon lequel le financement d'un établissement de santé lié à la tarification à l'activité ne doit pas être supérieur à la moitié de ses revenus.

L'article 7 prévoit quant à lui que la Conférence nationale de santé détermine les activités, actes et soins justifiables de la mise en oeuvre d'une tarification à l'activité par les établissements de santé. Son avis conforme sera requis pour la fixation des tarifs par le gouvernement.

Il est ainsi possible d'envisager que la tarification à l'activité soit réservée aux séjours et actes les plus techniques, standardisés et programmables de la médecine hospitalière. D'autres modalités de financement doivent être mises en place selon les situations pour les autres types de soins : dotation globale, forfait ou financement au parcours.

CHAPITRE IV - Garantir les moyens d'une démocratie sanitaire et une administration des établissements de santé au service du juste soin

Les dispositions de ce chapitre visent en premier lieu à renforcer la démocratie sanitaire à l'échelon national comme à celui de l'établissement.

Ainsi convient-il d'affirmer le rôle majeur que doit jouer la Conférence nationale de santé, qui réunit l'ensemble des acteurs du système de soins. L'article 8 prévoit à cet effet qu'elle n'ait plus seulement un rôle consultatif.

À l'échelon des établissements, les enjeux portent à la fois sur la gouvernance et sur les structures hospitalières.

Tout d'abord, l'association des usagers à la gouvernance doit être une priorité. La fonction de la Commission des usagers (CDU) sera valorisée grâce aux dispositions de l'article 9. Celui-ci prévoit que le président de la CDU est élu parmi les usagers, permet à la CDU de s'autosaisir sur les sujets relevant de sa compétence et ouvre la possibilité pour le président de la CDU et un autre usager de siéger au directoire.

Il convient ensuite de répondre aux difficultés nées d'une gouvernance des hôpitaux qui repose très largement sur les directeurs ou directrices. Trop souvent, la tendance est de renforcer les obligations de rendre compte et les contrôles, plutôt que de faire confiance en l'expertise et la compétence de la communauté soignante. Ainsi, la Commission médicale d'établissement (CME), instance consultative qui représente la communauté médicale, pharmaceutique, maïeuticienne et odontologique, n'a aucun pouvoir décisionnel. Dans ces conditions, la fonction de son président ou de sa présidente, élu(e) par ses pairs, s'est considérablement amoindrie. Pour sa part, la CSIRMT, autre instance consultative, réunit des collèges de paramédicaux élus dans chaque métier (infirmières, aides-soignants, rééducateurs, médico-techniques, cadres). Cette Commission est présidée de droit par le directeur ou la directrice du service des soins infirmiers, membre de l'équipe de direction, ce qui fait obstacle à la vocation représentative de cette Commission puisque son président n'est pas élu.

Une réelle prise en compte de l'avis de ces commissions est indispensable pour améliorer l'organisation des soins médicaux et paramédicaux et donc proposer à la collectivité le juste soin au moindre coût. Il convient dès lors de se donner les moyens de retrouver une gouvernance équilibrée des hôpitaux.

Dans cet esprit, l'article 10 autorise la CME et la CSIMRT à s'autosaisir sur les sujets relevant de leur compétence. Il dispose en outre que, comme la CME, la CSIMRT élit son président en son sein.

Enfin, sont modifiées certaines dispositions du code de la santé public relatives à l'organisation interne des établissements publics de santé. C'est en effet au niveau organisationnel du service hospitalier que sont prodigués les soins : il s'agit du niveau le plus pertinent et approprié pour définir les organisations et la gestion des ressources matérielles et humaines. Les services doivent être gérés comme des collectifs interprofessionnels à la fois solidaires et créatifs, respectueux de chaque professionnel.

Il convient donc de privilégier des organisations au plus près du soin. C'est pourquoi l'article 11 vise à subordonner désormais la mise en place des pôles d'activité hospitaliers à une demande exprimée par la commission médicale d'établissement, laquelle maîtrise l'ensemble des paramètres médicaux. Les pôles qui existent à l'heure actuelle dans les établissements ne seraient maintenus que sur demande expresse de la CME.

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