EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

I Définition de l'écriture inclusive

Selon le « Manuel d'écriture inclusive » publié en 2015 par le Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE), l'écriture inclusive peut être définie comme un « ensemble d'attentions graphiques et syntaxiques permettant d'assurer une égalité des représentations entre les hommes et les femmes ». Concrètement, la langue et l'écriture inclusives ne renvoient pas seulement à l'usage du point médian qui n'est que l'arbre qui cache la forêt. Elle revêt trois formes.

La première consiste dans l' éclatement et la pulvérisation du masculin à portée générique en un masculin et un féminin, ce que les linguistes appellent la « double flexion » et le philosophe Alain Finkielkraut le « bégaiement inclusif » . Quelques exemples : « la Ville de Paris recrute 400 policières et policiers municipaux » (Ville de Paris, 2 décembre 2021) ; « le candidat et la candidate », « les inspecteurs et les inspectrices » (circulaire sur les règles de féminisation dans les actes administratifs du ministère de l'Education nationale du 5 mai 2021) ;« L'histoire est écrite par les historiennes et les historiens » (Emmanuel Macron, 8 décembre 2021).

La deuxième est le point médian , dont la pratique s'affirme et se diffuse à partir de 2017. Les éditions Hatier publient alors le premier manuel scolaire rédigé intégralement en écriture inclusive, un manuel d'histoire destiné à des élèves de CE2. Exemples : « Grâce aux artisan e s et aux commerçant e s, la Gaule était un pays riche » (manuel Hatier, 2017) ; « Étudiant•e •s, êtes-vous bien inscrit•e•s sur les listes électorales ? » (Ville de Paris, 24 septembre 2019).

La troisième est le choix d'un terme épicène . Par exemple, « les gens » , volontiers utilisé par le monde politique

II D'où l'écriture inclusive vient-elle ?

Un rappel historique paraît important car il montre à quel point ces revendications sont un produit d'importation. Tout commence avec la présidence de François Mitterrand. En avril 1983, Yvette Roudy, ministre des Droits de la femme du gouvernement de Laurent Fabius est au Québec et, depuis cette province pionnière dans le travail de féminisation de la langue, elle annonce sa volonté de mettre en place une commission oeuvrant en ce sens : « Faut-il dire Madame la Ministre, parler des droits de l'homme ou des droits humains, ou des droits de la personne ? », interroge ainsi le ministre, comme on dit encore alors. Et le journal Le Monde de titrer : « Mme Yvette Roudy engage la lutte contre le "sexisme dans la langue française” ». La promesse faite au Canada est tenue et, le 29 février 1984, est instituée une Commission de terminologie chargée d'étudier les possibilités de féminisation des noms de métiers, des titres et des fonctions est instituée ; la présidence en est confiée à Benoîte Groult. À l'issue des travaux du collectif, Laurent Fabius adresse le 11 mars 1986 une circulaire aux ministres de son gouvernement prescrivant la féminisation dans les textes réglementaires et les documents officiels. Il les enjoint de surcroît de se faire les promoteurs de cette règle dans les secteurs d'activité dont ils ont respectivement la responsabilité. C'est ainsi que l'écriture et la langue inclusives, comme on ne les appelait pas encore, amorcèrent leur carrière en France. Il convient donc d'insister sur le fait que la féminisation de la langue s'inscrit, et doit être réinscrite, dans le contexte des années 1980 et de l'amorce d'une politique de reconnaissance des identités importée de l'Amérique du Nord, du Canada certes mais des campus américains, et aussi de l'Europe du Nord.

III Les arguments des promoteurs de l'écriture inclusive

Il est nécessaire également de connaître les arguments des promoteurs de l'écriture inclusive. Nous indiquons ici les trois principaux.

Premièrement, la langue française serait sexiste . Elle aurait contribué à occulter les femmes. En confiant au masculin, la fonction du neutre, le français aurait « invisibilisé » les femmes. Autrement dit, la portée générique du masculin serait une ruse de la raison machiste et patriarcale. La langue et les règles ordonnant son usage s'offriraient ainsi comme miroir des rapports entre les hommes et les femmes dans la société. Les révisionnistes de la langue refusent toute autonomie au champ grammatical et lexical.

Deuxièmement, les femmes ne se sentiraient pas concernées par le masculin générique . Les femmes ne se sentiraient concernées que par le féminin et s'excluraient dès lors qu'elles rencontreraient un masculin générique. Le point de départ de ce raisonnement ? Les petites annonces de recherche d'emploi. Les femmes renonceraient à postuler à certaines professions au motif que les offres sont énoncées au masculin : « Quand on présente une liste de noms de métiers au masculin, en demandant qui peut exercer cette fonction, les réponses spontanées donnent des hommes », expliquent certains. À les en croire, pourvu qu'on laissât proliférer dans la langue les marques du féminin, les femmes se verraient ouvrir des champs insoupçonnés qui leur seraient interdits aujourd'hui. Ainsi, suffirait-il, par exemple, que le mot « sapeuse-pompière » entrât dans l'usage et fût ratifié par toutes les académies pédagogiques, linguistiques et autres, pour que la parité régnât enfin dans ces forteresses d'hommes que sont les casernes.

Troisièmement, l'écriture inclusive rendrait les femmes « visibles » . Il ne s'agit plus, en effet, pour les « éveillés » ( woke ) de la cause des femmes, de jouir des mêmes droits que les hommes, mais d'être visibles, pleinement visibles en tant que femmes (mais non moins en tant que noirs, en tant que musulmans, en tant que lesbiennes, en tant que transexuels, etc.) et cette « visibilité » commencerait dans et par la langue

IV Ces arguments ne tiennent pas.

Nous proposons six réponses à ces arguments.

La langue française n'est pas sexiste parce que la langue n'est pas sexuée . Le genre grammatical et le sexe biologique ne correspondent pas. Les militants de l'inclusion commettent au nom de l'égalité des sexes ce que les académiciens Georges Dumézil et Claude Lévi-Strauss appelaient, en 1984, un redoutable « contre-sens », en établissant une équation parfaite entre le genre grammatical et le sexe biologique et en sortant leur calculette afin de juger de la représentativité des femmes dans la langue : « aucun rapport d'équivalence n'existe entre le genre grammatical et le genre naturel », écrivaient-ils. Le genre grammatical est en effet de convention. Ni le masculin ni le féminin ne renvoient nécessairement à un homme ou à une femme (par exemple : une sentinelle, une girafe). Observons que l'importation du vocable « Genre » qui s'est imposé en lieu et place de « sexe » a largement contribué à entretenir la confusion.

Quant au masculin générique, il correspond au neutre. La langue française n'a que deux genres grammaticaux, le masculin et le féminin. Elle n'a pas de neutre. Si bien que, pour désigner les qualités communes aux deux sexes et les compétences également requises, dans la parfaite indifférence au sexe, il a fallu conférer à l'un des deux genres grammaticaux, une valeur générique. Héritage latin, ainsi que le rappelle l'Académie française, le masculin s'est vu attribuer cette valeur. Autrement dit le masculin renvoie à l'universel donc à ce qui est commun aux êtres humains, à « l'humaine condition » comme dirait Montaigne.

Comme l'écrivent Georges Dumézil et Claude Lévi-Strauss : « Le genre dit couramment "masculin" est le genre non marqué, qu'on peut appeler aussi extensif en ce sens qu'il a capacité à représenter à lui seul les éléments relevant de l'un et l'autre genre. Quand on dit "tous les hommes sont mortels", "cette ville compte 20 000 habitants", "tous les candidats ont été reçus à l'examen", etc., le genre non marqué désigne indifféremment des hommes ou des femmes. Son emploi signifie que, dans le cas considéré, l'opposition des sexes n'est pas pertinente et qu'on peut donc les confondre » .

La langue dite inclusive est une langue de la séparation . Contester la valeur générique du masculin revient ainsi à se priver d'une forme capable d'exprimer, et de témoigner, au coeur même de la langue, qu'il y a du commun entre les deux sexes, autrement dit que les hommes et les femmes ne sont pas deux espèces à jamais séparées, posées l'une à côté de l'autre, vouées à s'opposer. Or, qu'il y ait du commun, un exemple l'établira aisément : « tous les hommes sont mortels » : est-il bien certain que les femmes se tiennent pour exceptées de ce lot, hélas, commun à l'humanité ?

La langue dite inclusive est une langue qui assigne chacun à résidence dans son sexe , une langue qui enferme chacun dans le cercle étroit de son identité, une langue qui méconnait les vertus émancipatrices, libératrices du masculin générique. En refusant le masculin à portée générique, les partisans de l'écriture inclusive se privent d'une forme qui postule qu'il est des titres et des fonctions (ainsi de citoyen ou d'électeur ou de professeur et d'écrivain) où le sexe de la personne est indifférent. L'écriture inclusive signe la négation au coeur même de la langue de l'indifférence à la différence : ce que l'on appelle l'universalisme à la française. Chacun est sans cesse rappelé à son identité, de femme en l'occurrence. Or, l'être humain est libre : il ne peut pas se soustraire aux données naturelles, à toutes les formes de déterminisme, mais il peut faire un pas de côté par rapport à eux. Dire « un écrivain », « un  peintre » qu'il s'agisse d'un homme ou d'une femme rappelle que l'écriture et l'art ne sont pas affaires de sexe mais de talent et, tout homme qu'il est, Flaubert peut concevoir Emma Bovary et, toute femme qu'elle est, Colette peut imaginer le personnage de Chéri (qui inspirera son Aurélien d'Aragon). On citera sur ce point les mots par lesquels Jean d'Ormesson accueillit en 1981 Marguerite Yourcenar à l'Académie française : « Ce n'est pas parce que vous êtes une femme que vous êtes ici aujourd'hui : c'est parce que vous êtes un grand écrivain [... ]. Nous n'avons pas voulu nous plier à je ne sais quelle vogue ou vague du féminisme régnant. Nous avons simplement cherché à être fidèles à notre vocation traditionnelle qui est de trouver - si faire se peut - dans les lettres françaises ce qu'il y a de meilleur, de plus digne, de plus durable. Vous êtes un écrivain et, comme quelques autres substantifs ou adjectifs de la langue française [... ], le mot écrivain ne connaît pas de distinction de genre : il ne connaît, hélas ! ou peut-être heureusement, que des différences de force, de talent et de style » .

La conversion à l'écriture inclusive signifie la trahison de l'universalisme à la française et l'abdication devant le processus d'américanisation de la France . La France est en effet ce pays qui, instruit notamment par les guerres de religion, a donné la préséance au commun sur les appartenances particulières et communautaires. Exception française qu'il nous faut faire prévaloir et défendre, quel que soit l'exemple des autres pays et les pressions exercées par certaines organisations internationales, à commencer par l'Union européenne.

L'exigence de visibilité identitaire ignore l'idéal français de discrétion, élevé au rang de vertu de la vie en commun . L'exigence de visibilité qui s'élève désormais, et avec quelle véhémence, couronne la valorisation des identités et des différences inaugurée dans les années 1980. Cette revendication de visibilité témoigne d'un grand mépris de la singularité française, de notre universalisme, de notre indifférence aux différences mais aussi et peut-être d'abord de notre idéal de discrétion - une discrétion élevée au rang de vertu de la vie en commun.

La conversion à l'écriture inclusive pousse à la soumission à la tyrannie des identités . Adopter l'écriture inclusive revient à se soumettre à la tyrannie des identités particulières. Notre pays est la proie de revendications diversitaires et victimaires toujours plus véhémentes. L'exigence d'une langue « féminisée » est l'une de ces revendications. Il est de notre devoir de nous y opposer. L'enjeu dépasse la seule langue : un modèle de société est engagé dans cet usage de la langue inclusive. Notre époque donne tranquillement congé à l'universel, incarcère chacun dans sa prétendue identité, décompose notre nation en une multitude de communautés. Parler la langue des féministes - ce qu'est la langue inclusive - revient à ratifier la conversion de la France à la logique identitaire. L'écriture inclusive trahit ce que Georges Dumézil et Claude Lévi-Strauss, cités plus haut, appelaient « l'esprit français de la langue » , mais non moins l'esprit français tout court.

C'est un enjeu essentiel pour notre nation que d'interdire l'écriture inclusive.

Si l'on ne peut évidemment proscrire les mots génériques ou épicènes, la loi peut décider l'annulation des actes civils ou administratifs qui comportent l'usage du point médian ou toute autre ponctuation médiante.

V Le cas précis du point médian

Deux arguments supplémentaires peuvent être avancés sur le cas spécifique du point médian.

Tout d'abord, l'usage de ces signaux en morse rend la lecture à l'oral impossible et institue une rupture entre l'écrit et l'oral . De fait, l'usage du point médian revient à promouvoir une langue qui ne se parlerait plus et ne s'écrirait plus qu'au féminin. Et la chose est pernicieuse : afin de pouvoir malgré tout lire à haute voix le texte hérissé de points médians, que fait le lecteur ? Il ignore les points et ainsi seul demeure le féminin. Afin de le vérifier, prenons deux exemples : le premier emprunté au manuel d'histoire signalé plus haut : « Grâce aux artisan•e•s et aux commerçant•e•s, la Gaule était un pays riche » ; le second, sur le site de la mairie de Lyon : « Rencontre avec un groupe d'étudiant•e•s lyonnais•e•s qui planchent sur un projet qui fera partie du programme de la Fête des Lumières 2021 » (Ville de Lyon, 22 novembre 2021). Résultat : une langue qui ne parlerait plus que des femmes et ne s'adresserait plus qu'aux femmes...

Ensuite, le point médian est profondément inégalitaire. Il est un nouveau facteur d'exclusion. Seule les personnes bénéficiant d'un certain niveau de lecture sont capables de déchiffrer les textes rédigés en langue inclusive.

« Le vers le mieux rempli, la plus noble pensée,/ Ne peut plaire à l'esprit quand l'oreille est blessée », dit l'Art poétique de Boileau.

VI Les sanctions de nullité

Si une circulaire du ministre de l'éducation nationale proscrit l'utilisation de l'écriture inclusive, force est de constater que son usage ne cesse de se développer. Les alertes de l'Académie française, de linguistes et de très nombreux intellectuels ne parviennent pas à éradiquer ce phénomène d'importation. C'est ce qui justifie la présente proposition de loi.

La nullité de plein droit d'un acte civil ou administratif qui utilise l'écriture inclusive est redoutable.

Toute partie à un contrat pourra, au cour de l'exécution du contrat, en demander la nullité. La convocation à un conseil municipal, à une commission d'appel d'offre souffrira la même sanction.

Ainsi, l'interdiction de l'usage du point médian créera une insécurité juridique qui mènera à son exclusion de fait.

C'est toute la portée de la présente proposition de loi.

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