EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La loi n°86-2 du 3 janvier 1986 relative à l'aménagement, la protection et de la mise en valeur du littoral, dite « loi littoral », exposait la vision d'une urbanisation cohérente et maîtrisée des territoires littoraux. Elle prenait pour base trois principes structurants : limiter l'urbanisation des fronts de mer ; orienter le développement vers les secteurs rétro-littoraux, tout en évitant le mitage ; protéger des altérations humaines les espaces naturels les plus sensibles du littoral. Connue de tous, cette loi a démontré son efficacité pour éviter la « bétonisation » du littoral et participé activement à sa sauvegarde.

Toutefois, elle a fait l'objet de nombreuses critiques portant sur son centralisme excessif, son manque d'uniformisation des interprétations données par le juge administratif et sa tendance manifeste à privilégier l'extension des pôles urbains existants au détriment des autres espaces. Ainsi, l'un des principes qui a généré le plus de contentieux est celui d'extension de l'urbanisation en continuité des agglomérations et villages existants, posé à l'article L. 121-8 du Code de l'Urbanisme, qui se destinait à éviter le mitage du littoral.

Dans ce contexte, la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, dite « loi ELAN », a souhaité réformer ce principe substantiellement. D'une part, elle a supprimé la notion de « hameaux nouveaux intégrés à l'environnement » et, d'autre part, elle a permis de combler les dents creuses dans les « secteurs déjà urbanisés ». La suppression de cette notion, très critiquée pour son imprécision et son apparente contradiction avec l'esprit de la loi en raison du mitage qu'elle pouvait occasionner, était compréhensible.

Néanmoins, cette notion permettait également de répondre à certains enjeux locaux issus de spécificités géographiques, à l'instar notamment des opérations de développement touristique pouvant faire l'objet d'un traitement architectural spécifique pour assurer leur intégration aux paysages et patrimoines littoraux, sans pour autant se situer en continuité immédiate de l'évolution des documents d'urbanisme.

La grille d'analyse du Conseil d'État sur l'article L.121-8 du Code de l'Urbanisme (Arrêt du 9 novembre 2015 Commune de Porto-Vecchio) explique que, dans les communes littorales, ne sont autorisées que les extensions de l'urbanisation résultant soient de l'agrandissement de zones comprenant une densité et un nombre significatifs de constructions, soit de constructions supplémentaires à l'intérieur de celles-ci.

En revanche, est proscrite toute nouvelle construction dans une zone d'urbanisation diffuse, éloignée des agglomérations et villages. Il s'agissait alors de fixer un principe d'urbanisation par cercles concentriques, à partir d'un noyau central. De ce fait, pour déterminer si un secteur constitue une agglomération ou un village, le juge administratif se basait essentiellement sur le critère de la densité, sans que celui-ci ne soit réellement fixé par le législateur. Aussi, à la libre interprétation du juge, l'espace construit peut revêtir ou non cette qualification et, si tel n'est pas le cas, les projets de construction peuvent se retrouver gelés dans ce secteur.

Aussi, une jurisprudence s'est développée, interdisant le comblement des « dents creuses » dans les ensembles bâtis dont la densité ne permet pas de les considérer en villages ou agglomérations. Or, une telle jurisprudence présentait un effet pervers. En effet, elle pouvait avoir tendance à privilégier les projets en extension urbaine, consommateurs de foncier agricole et naturel, au détriment de projets en densification par comblement des espaces libres au sein de milieux déjà artificialisés.

Pour compenser cette défaillance, la loi ELAN a modifié la rédaction de l'article L. 121-8 du Code de l'Urbanisme pour autoriser les constructions au sein des « secteurs déjà urbanisés », autres que les agglomérations et villages existants. Ces secteurs sont définis comme des espaces qui se « distinguent par, entre autres, la densité de l'urbanisation, sa continuité, sa structuration, par des voies de circulation et des réseaux (...) ou la présence d'équipements ou de lieux collectifs ». Il en ressort alors que ces secteurs ont été pensés comme des espaces intermédiaires entre le village et l'urbanisation diffuse, présentant la forme d'un premier noyau urbain, à l'exclusion des formes d'urbanisation linéaire le long des axes viaires.

Afin d'éviter un développement immodéré de l'urbanisation de ces espaces, assez fréquent dans les communes littorales, la loi ELAN a prévu des conditions strictes d'encadrement de ces secteurs. L'ensemble de ces garanties avait d'ailleurs permis au Conseil constitutionnel d'écarter le moyen tiré de l'inconstitutionnalité de cette nouvelle rédaction de l'article L.121-8 du Code de l'Urbanisme, soulevé notamment au regard du principe de précaution. Les réussites de la loi littoral et de la loi ELAN ne doivent pas pour autant masquer les failles qui en découlent. Ainsi, si elles ont réussi à encadrer l'aménagement des territoires littoraux et participer grandement à la préservation de ces zones fragiles, un certain nombre de blocages issus de la rédaction actuelle des dispositions applicables aux territoires littoraux ont pu être recensés et doivent être rectifiés.

Tel est l'objet du premier titre de cette proposition de loi.

En outre, avant la crise sanitaire, la France était la première destination mondiale de tourisme, réunissant annuellement une fréquentation record de 88 millions à 89 millions de visiteurs étrangers en 2018. Si ce secteur est vital à l'économie française, son développement intense entraîne une sur fréquentation dommageable à la préservation de la nature, des paysages et des sites constituant le patrimoine de notre nation.

Quelques chiffres édifiants permettent d'illustrer la réalité de l'hyper-fréquentation touristique de certains sites en France : 7 000 touristes quotidien recensés sur l'île de Porquerolles, 16 000 sur la dune du Pila, 300 à 400 personnes gravissent le Mont-Blanc en été, 1,5 million et 1,2 million de touristes visitent annuellement respectivement le Mont Saint-Michel et la ville d'Étretat. Si le tourisme et l'hyper-fréquentation des sites d'exception ne sont pas choses nouvelles, ce phénomène a indéniablement franchi un seuil depuis le début du XXIème siècle, principalement explicable par l'essor des plateformes de location numérique entre particuliers et du transport low-cost. Toutefois, à cet essor s'ajoute une modification des comportements des touristes sur les territoires visités, moins respectueux et plus égoïstes vis-à-vis de ces derniers.

Les conséquences de l'hyper-fréquentation touristique sont multiples pour des communes dépassées qui, malgré les revenus financiers que le tourisme peut générer, peinent à réguler et accueillir correctement l'ensemble des visiteurs.

Il en découle alors de nombreuses externalités négatives pour les habitants de la commune, prenant progressivement le pas sur les externalités positives : désertification des centre-ville, raréfaction de l'offre immobilière autre que saisonnière ou de courte durée, démultiplication des dépôts sauvages, des stationnements gênants, des embouteillages, de la pollution, des nuisances sonores et autres dégâts ou atteintes à l'ordre et au domaine public.

Cette dégradation des conditions de vie dans les communes accueillant des sites touristiques provoque le mécontentement des habitants et, dans de nombreux cas, leurs départs. Ainsi, à Étretat, pas moins de 400 départs en 10 ans ont été recensés, réduisant de fait le nombre d'habitants et, en conséquence, les dotations de l'État accordées à ces communes. Aujourd'hui, l'hyper-fréquentation touristique ne peut plus être géré à l'échelle de la commune seule, ni même à celle de la communauté urbaine d'agglomération ou du département ; les élus locaux, dépourvus d'une capacité d'action suffisante, n'ont plus les moyens d'agir et de faire face.

Les maires sont, par définition, les premiers concernés. Ils disposent d'une capacité d'intervention et d'action qui conduit à interroger la définition aujourd'hui retenue de l'ordre public général. Le périmètre de celui-ci est d'ailleurs défini par l'article L. 2212-2 du Code général des Collectivités territoriales qui dispose que « la police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques ». Il est déductible des sept paragraphes qui suivent qu'il repose sur trois piliers essentiels : la tranquillité, la sécurité et la salubrité publiques.

Sur le fondement de ce texte, la jurisprudence administrative censure les arrêtés municipaux réglementant ou limitant l'accès à certaines zones ou à certains sites dans l'objectif de protéger l'environnement, la biodiversité et le caractère des lieux, au motif qu'ils ne visent pas à garantir la tranquillité, la sécurité ou la salubrité publiques. Le premier effet de cette situation est alors soit d'interdire aux maires d'exercer leur responsabilité dans la protection de lieux et de sites méritant protection, soit de les inciter à déguiser leur intervention sous un prétexte de sécurité publique, ce qui est de nature à fragiliser juridiquement leur décision.

À l'heure où le pays se remet en voie de marche et tente par tous les moyens de relancer son économie, où les alertes scientifiques sur la crise écologique s'amplifient et alors que la prise de conscience citoyenne s'accélère, donnant lieu une attention de plus en plus forte des populations à l'égard de la sauvegarde des lieux et des sites remarquables, la question de la lutte contre l'hyper-fréquentation touristique doit occuper une place au coeur des débats. Une telle situation appelle nécessairement une évolution du droit.

Tel est l'objet du second titre de cette proposition de loi.

L'article 1 de la présente proposition de loi propose d'intégrer le concept de hameaux dans l'extension d'urbanisation. En effet, les maires se trouvent dans l'impossibilité d'autoriser des constructions dans des zones dites de « dents creuses » des hameaux, au motif que ceux-ci ne peuvent-être considérés comme des « secteurs déjà urbanisés ». Or, dans le pays de Caux en Seine-Maritime, à l'instar d'autres nombreux départements, une multitude de communes se sont constituées sous la forme de plusieurs hameaux. Ces spécificités sont le fruit d'un développement urbain modelé par des spécificités territoriales, dont, en l'occurrence ici, le bocage normand. Parties constituantes des communes, les hameaux représentent alors une large partie de la commune et leur exclusion handicape grandement les communes dans leur projet de développement.

L'article 2 de la présente proposition de loi souhaite permettre la construction d'annexes à proximité immédiate du bâti, dès lors que son ampleur ne relève pas d'une extension d'urbanisation. Il vise à corriger plusieurs défaillances causées par une interprétation délicate de la rédaction de l'article L. 121-8 du Code de l'Urbanisme, empêchant les communes littorales d'autoriser l'aménagement d'une annexe non-jointive au bâti sur un terrain d'habitation. Aussi, cela représente un blocage pour l'attractivité des territoires littoraux, souvent très touristiques, dont les restrictions d'urbanisation ne leur permettent pas d'adapter les installations et les constructions aux attentes de nouveaux habitants.

L'article 3 de la présente proposition de loi souhaite donner aux maires des communes littorales la possibilité de solliciter, par une demande motivée, une dérogation aux dispositions de l'article L. 121-8 du Code de l'Urbanisme prévoyant la possibilité d'autoriser des constructions et des installations sur des secteurs déjà urbanisés exclusivement pour des motifs d'amélioration de l'offre de logement ou d'hébergement et d'implantation de services publics. De ce fait, les dispositions actuelles de la loi ELAN prohibent les projets de constructions ou d'installations à usage de commerce et d'activités sur ces secteurs déjà urbanisés. Les communes se retrouvent alors lourdement contraintes dans leurs projets d'aménagements et ne peuvent pas pleinement concourir à leur développement et à leur densification, point pourtant essentiel de la loi ELAN. Délivrée par le représentant de l'État dans le département, cette dérogation permet aux maires, dans le cadre de projet précis, d'esquisser plus librement des projets d'aménagements à visée plus larges sur leurs territoires.

L'article 4 de la présente proposition de loi vise à assouplir le dispositif contraignant introduit par la loi ELAN à l'article L. 121-10 du Code de l'Urbanisme, interdisant le changement de destination des constructions agricoles, forestières ou de cultures marines. Pourtant, de nombreux bâtiments agricoles anciens situés en communes littorales constituent un patrimoine architectural remarquable, en particulier sur le littoral de la Seine-Maritime, et participent pleinement à la valorisation du littoral. Or ces bâtiments deviennent souvent inadaptés aux nouvelles pratiques et normes agricoles ; leur préservation ne peut se faire autrement que par un changement de destination. Cette disposition permet de prendre en compte certaines spécificités territoriales et d'élargir le champ juridique qui encadre les constructions à usage agricole, forestière ou marine, afin d'exclure les constructions et installations dont l'usage a cessé depuis longtemps, du fait de son abandon, du champ de cet article.

L'article 5 de la présente proposition de loi souhaite étendre le pouvoir de police spéciale prévu par l'article L. 2213-4 du Code général des Collectivités territoriales. Afin de resserrer le dispositif sur la prévention des atteintes à des sites remarquables liées à une sur-fréquentation, cette extension permet au maire de réglementer (non plus seulement d'interdire) l'accès et la circulation des personnes (non plus seulement des véhicules motorisés) dans les espaces naturels, dès lors que cet accès est de nature à compromettre l'un des piliers prévus par l'article L. 2212-2 soit la tranquillité publique, soit la qualité de l'air, soit la protection des espèces animales ou végétales, soit la protection des espaces naturels, des paysages ou des sites ou leur mise en valeur à des fins esthétiques, écologiques, agricoles, forestières ou touristiques. Le maire disposera ainsi d'un outil supplémentaire pour protéger des sites bénéficiant d'une protection pour des raisons écologiques ou culturelles dont le caractère serait menacé par une hyper-fréquentation touristique.

L'article 6 de la présente proposition de loi vise à instaurer la préservation des sites protégés dans les éléments auxquels les collectivités territoriales concourent avec l'État. En outre, il permet l'instauration d'un règlement communal dans les communes touristiques, les stations de tourisme ou les communes accueillant un site protégé, édicté par le maire et contrôlé par le préfet, disposant les délits susceptibles de faire l'objet d'un procès-verbal et d'une contravention. Le règlement municipal permet d'encadrer les conséquences de l'hyper-fréquentation touristique en donnant à la police municipale les moyens de verbaliser les comportements inadaptés. Enfin, les recettes afférentes à ces procès-verbaux font l'objet d'une délibération pour décider des modalités de répartition entre les fonds communaux et les fonds alloués par le département au tourisme. Ces éléments permettront à la fois de développer une réponse aux conséquences négatives du tourisme sur la vie communale, tout en lui assurant une part du bénéfice des recettes.

Tels sont les objets de la présente proposition de loi.

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