EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Dans un contexte de forte hausse du coût de l'énergie pesant sur les entreprises, les collectivités et les particuliers, l'objectif de la présente proposition de loi est de supprimer le critère lié à la puissance installée permettant de bénéficier des tarifs réglementés de vente d'électricité (TRVE). Cette évolution permettrait d'ouvrir l'éligibilité aux TRVE, plus protecteurs que les tarifs libres, à un plus grand nombre de bénéficiaires.

Les prix de l'électricité font l'objet de hausses exceptionnelles depuis l'entrée de l'hiver 2021, notamment à cause de la reprise soudaine de l'activité économique suite à la crise sanitaire, de l'augmentation du prix des quotas d'émissions de CO2, de la baisse de la production française d'énergie nucléaire, des différentes tensions géopolitiques comme la guerre en Ukraine ainsi que de la méthode de fixation des tarifs sur le marché européen.

Cette hausse du coût de l'énergie a un impact sur les activités économiques consommatrices d'énergie. En 2022, plusieurs dispositifs d'aides ont été déployés comme le bouclier énergétique, un filet de sécurité pour les collectivités territoriales ou les aides au guichet pour soutenir les entreprises. Ces dispositifs ont été renforcés en 2023 par un «amortisseur électricité» qui permettrait une prise en charge par l'État d'environ 20% des factures d'électricité. Cependant, face à des augmentations de 500 % à 1000 % des dépenses énergétiques, ces aides nécessaires restent insuffisantes.

C'est le cas de nombreux artisans, notamment des boulangers, dont certains sont contraints de fermer ou envisagent de le faire en raison des prix de l'énergie qui alimente leur four. Si le montant varie en fonction du fournisseur d'énergie, il n'est pas rare que l'augmentation atteigne 5 à 10 fois le tarif initial selon l'Association des Maires Ruraux de France (AMRF).

Les boulangers, dont les fours sont alimentés par de fortes puissances excédant 36 kilovoltampères (kVA), sont en conséquence inéligibles aux TRVE, réservés aux faibles puissances dans le droit français. Ainsi, ce critère de puissance empêche nombre d'artisans, qui en ont le plus besoin, d'accéder à ces tarifs réglementés moins élevés que les tarifs libres, alors que paradoxalement ceux-ci bénéficient aux secteurs dont les consommations d'énergie sont moindres.

Pour les collectivités locales, les augmentations de coût de fourniture d'énergie s'échelonnent entre 30 et 300% pour l'électricité et le gaz d'après l'Association des Maires de France (AMF) et la Fédération Nationale des Collectivités Concédantes et Régies (FNCCR). Environ 9 collectivités sur 10 sont impactées. Intercommunalités de France considère que la facture énergétique des trois quarts des intercommunalités a doublé, voire triplé ou quadruplé. Alors qu'en 2017, les dépenses en énergie des collectivités était évalué à 4 milliards d'euros par l'Agence de la Transition Écologique (ADEME), la FNCCR estime à 11 milliards d'euros la dépense supplémentaire pour 2022.

Face à ce constat, il est primordial de mieux protéger les TPE et PME et les collectivités territoriales qui peinent à poursuivre leur activité ou à boucler leur budget, notamment en leur permettant de bénéficier plus largement des TRVE.

En effet, depuis le début des années 2000, le droit européen a changé le cadre réglementaire en vue de favoriser l'intégration des marchés nationaux et d'achever la constitution d'un marché intérieur européen de l'électricité. Une des conséquences de ces décisions à l'échelle européenne réside dans la fin des TRVE dans les États membres, considérés comme portant atteinte au principe de marché ouvert.

La France avait institué le dispositif de TRVE par l'article 4 de la loi n°2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité, consistant en une tarification aÌ prix réguléì des offres de fourniture d'électricitéì. Ainsi, la Commission européenne a engagé des procédures d'infraction à l'égard de la France pratiquant ces tarifs réglementés de vente d'électricité et de gaz naturel et un tarif réglementé transitoire d'ajustement du marché (TaRTAM). En réaction, le Gouvernement français s'est engagé à supprimer le bénéfice des tarifs réglementés de vente pour certains consommateurs d'électricité et de gaz naturel.

Ainsi, l'article 14 de la loi n°2010-1488 du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l'électricité, codifié à l'article L. 337-9 du code de l'énergie, a fait disparaître, à compter du 1 er janvier 2016, les tarifs réglementés de vente d'électricité pour les consommateurs ayant une puissance souscrite supérieure à 36 kVA et dont le site de consommation est situé en métropole continentale.

La directive (UE) 2019/244 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité et modifiant la directive 2012/27/UE a encore restreint le champ d'éligibilité des consommateurs aux TRVE, avec la mise en place de critères restrictifs, le Parlement européen considérant que la fixation des prix pour la fourniture d'électricité doit se faire sans porter atteinte au principe de marchés ouverts et dans des circonstances, et au profit de bénéficiaires, bien définis, tout en étant limitée dans le temps. Ainsi, la directive impose la fin des TRVE pour tous les clients professionnels (dont les collectivités locales), à l'exception des structures employant moins de dix personnes et dont le chiffre d'affaires annuel et/ou le total du bilan annuel n'excède pas 2 millions d'euros, qui peuvent continuer à bénéficier de tarifs réglementés mis en place par les États membres.

La transposition en droit français de cette directive a été opérée par la loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat, et notamment par son article 64 spécifiant qu'à partir du 1 er janvier 2021, les TRVE bénéficient aux consommateurs finals non domestiques qui emploient moins de dix personnes et dont le chiffre d'affaires, les recettes ou le total de bilan annuels n'excèdent pas 2 millions d'euros, à la condition supplémentaire qu'ils en fassent la demande pour des sites souscrivant une puissance inférieure ou égale à 36 kVA, ce que prévoyait déjà le droit français en vigueur. En application de cette loi, le nombre de clients professionnels est ainsi passeì de 3 aÌ 1,3 millions entre l'année 2019 et 2021.

Ce critère de puissance maximale (correspondant aux anciens tarifs bleus d'EDF) vient limiter encore plus l'éligibilité des consommateurs aux TRVE que ne le prévoit la directive européenne. En effet, la directive ne limite pas cette éligibilité aux sites de ces consommateurs raccordés sous une puissance inférieure ou égale à 36 kVA, alors que c'est ce que prévoit le premier alinéa du I de cet article L.337-7. Ce critère de puissance n'est que le fruit d'une surtransposition du droit européen en droit français venant restreindre le périmètre des consommateurs éligibles plus que nécessaire.

Aujourd'hui cette surtransposition a pour effet d'exclure du champ d'application des TRVE tous les sites de plus de 36 kVA de puissance souscrite, y compris ceux des consommateurs qui remplissent les deux conditions par ailleurs exigées, ce qui le cas notamment de très nombreux artisans, en particulier des boulangers et des bouchers pour l'alimentation électrique de leurs fours et de leurs chambres froides. Elle est très pénalisante à la fois pour certaines collectivités territoriales et pour les petites entreprises qui se doivent faire face à l'explosion des tarifs libres. Dans le contexte de tension des prix de l'énergie et face aux difficultés rencontrées par les acteurs économiques et les collectivités territoriales, il n'y a pas de raison de garder ce critère limitatif.

La présente proposition de loi vise donc à modifier le code de l'énergie afin de respecter strictement le cadre de la directive européenne (UE) 2019/244 et de revenir sur la transposition qui en a été faite au travers de la loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat en supprimant le critère le critère lié à la puissance installée permettant de bénéficier des tarifs réglementés de vente d'électricité.

Cette démarche est une première réponse aux attentes des artisans dans les secteurs de forte demande en énergie, qui sont menacés de faillite et souhaitent pouvoir bénéficier d'un bouclier tarifaire proche de celui des petites entreprises et des particuliers. C'est également une première réponse aux attentes des élus et de l'AMF, qui a demandé à plusieurs reprises de donner aux collectivités locales qui le souhaitent la possibilité de revenir aux TRVE quels que soient leur taille ou leur budget.

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