EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le Premier ministre a déposé, le 24 janvier 2020, des projets de loi ordinaire et organique engageant une refonte sans précédent de notre système d'assurance vieillesse depuis 1945.

Pour la première fois, le droit à une retraite complète ne dépendra plus d'une durée de cotisation mais d'un âge de départ, dit âge d'équilibre, qui est construit pour s'accroître dans le temps. Quant au montant de la pension, celui-ci ne dépendra pas du montant du salaire sur une période limitée et structurellement favorable à l'assuré mais des cotisations versées sur l'ensemble de sa carrière et transformées selon un mécanisme d'acquisition et de liquidation de points.

Ce système se veut universel, au sens où il doit se substituer à l'ensemble des régimes de retraite de notre pays, qu'il s'agisse des régimes de base ou des complémentaires obligatoires.

Une réforme d'une telle magnitude introduit des évolutions sans précédent pour les dizaines de millions de Français auxquels elle s'appliquerait et porte sur des masses financières qui ont représenté 325 milliards d'euros en 2018.

La hâte et la précipitation avec lesquelles le Parlement a été saisi est d'autant moins compréhensible qu'un Haut Commissaire avait travaillé pendant près de deux ans sur ce sujet. Les dates d'entrée en vigueur prévues par ces projets de loi (2022 puis 2025), l'étalement de l'application de la réforme proposée jusqu'en 2045 et l'absence de caractère d'urgence quant à l'équilibre financier du système actuel - ainsi que l'a rappelé dans son avis le Conseil d'État pour qui « le projet de loi intervient dans un contexte de relative solidité du système français de retraite, en raison notamment des réformes des années récentes qui ont permis de sécuriser son financement » -, il n'existe aucune justification possible à ces délais qui n'ont donc pour but que de contraindre la capacité du Parlement à exercer pleinement les missions constitutionnelles qui sont les siennes en matière législative.

Le groupe Socialiste et Républicain et le groupe Communiste, Républicain Citoyen et Écologiste s'étaient inquiétés précocement de l'enjeu majeur de l'étude d'impact pour un projet de loi qui entend revoir un élément clef du pacte social tel que refondé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

Plus que jamais avec un tel projet de loi, l'étude d'impact est un élément essentiel pour le législateur.

L'avis du Conseil d'État est particulièrement éclairant sur cette question, puisqu'il a souligné l'importance de ce document pour le travail législatif sur ce projet de loi. Il a décrit celle-ci comme étant «insuffisante» pour «certaines dispositions» , ne répondant pas « aux exigences générales d'objectivité et de sincérité » et manquant de « précision », pour « vérifier que cette réforme est financièrement soutenable ». « Le Conseil d'État constate que les projections financières ainsi transmises restent lacunaires et que, dans certains cas, cette étude reste en deçà de ce qu'elle devrait être » .

Enfin et plus que tout, le Conseil d'État estime ne pouvoir « garantir la sécurité juridique » de la réforme.

De telles inquiétudes exprimées par la plus haute juridiction administrative sur une réforme aussi déterminante ne peuvent qu'alerter le Parlement.

Ce sont ainsi tantôt des millions de Français ou des dizaines de milliards d'euros qui naviguent dans un flou inédit pour un texte qui entend refonder une composante de notre contrat social et dont l'un des objectifs affichés est de redonner lisibilité et prévisibilité à notre système de retraite.

Cette situation est dommageable car elle aurait pu être évitée.

Depuis la réforme constitutionnelle de 2008, les études d'impact ont été renforcées et rendues obligatoires.

L'examen engagé des projets de loi n° 2622 et n° 2623 a montré que les doutes portant sur la sincérité et la solidité de l'étude d'impact demeuraient. Par ailleurs, nous sommes obligés de constater l'absence de clarification à l'Assemblée nationale du Gouvernement sur cette question.

Dès lors, il appartient au Parlement de se saisir des outils prévus par la Constitution, pour permettre le bon exercice des prérogatives constitutionnelles que le Parlement détient en application de l'article 24 de la Constitution et qui dispose que : « Le Parlement vote la loi. Il contrôle l'action du Gouvernement. Il évalue les politiques publiques ».

Ainsi, la présente proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête entend s'assurer de la sincérité, de l'exhaustivité et de l'exactitude de l'étude d'impact relative aux projets de loi ordinaire et organique relatifs au système universel de retraite au regard des dispositions de l'article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution.

En effet, cet article dispose que les études d'impact doivent notamment exposer avec précision « l'évaluation des conséquences économiques, financières, sociales et environnementales, ainsi que des coûts et bénéfices financiers attendus des dispositions envisagées pour chaque catégorie d'administrations publiques et de personnes physiques et morales intéressées, en indiquant la méthode de calcul retenue ».

La présente proposition de résolution respecte également les conditions de recevabilité prévues par l'article 8 ter du Règlement du Sénat, par l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, ainsi que par l'article 51-2 de la Constitution. Cette demande concerne en effet le fait de disposer d'une étude d'impact sincère. Ensuite, aucune poursuite judiciaire à cette heure n'est enregistrée. Enfin, aucune commission d'enquête sur le même sujet n'a été créée ces douze derniers mois.

Par ailleurs, la mise en oeuvre d'une commission d'enquête s'attachant à des dispositions en cours d'examen au Parlement ne constitue pas une novation si l'on veut bien se rappeler que le Sénat avait créé une commission d'enquête chargée de recueillir des éléments d'information sur les conséquences de la décision de réduire à trente-cinq heures la durée hebdomadaire du travail le 11 décembre 1997 soit le lendemain du dépôt du projet de loi sur la réduction de la durée hebdomadaire légale du travail à 35 heures.

Ainsi, les conditions de droit et de fait sont réunies pour la création d'une commission d'enquête sur l'étude d'impact relative à l'instauration d'un système universel de retraite.

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