EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Les incivilités impactent de plus en plus nos concitoyens au quotidien.

Elles qualifient toute atteinte à l'ordre public et englobent de très nombreux comportements. Certains ne sont pas pénalement sanctionnés, d'autres constituent des infractions : dégradations, comportements agressifs, stationnement gênant, troubles à la tranquillité, tapage, dépôts sauvages de déchets, insalubrités etc.

Le fait d'abandonner des déchets ou de constituer un dépôt illégal de déchets peut être, selon les cas, sanctionné par une contravention de 4 ème classe (soit 750€ maximum), de 5 ème classe (1500€ maximum, et 3000€ en cas de récidive), et peut même constituer un délit.

Depuis la loi du 10 février 2020 sur la lutte contre le gaspillage et l'économie circulaire 1 ( * ) , si l'auteur du dépôt est identifié, et selon la procédure indiquée à l'article L.541-3 du Code de l'environnement, le maire peut, en même temps qu'il le met en demeure, lui imposer le paiement d'une amende administrative dont il détermine le montant. Cette amende peut aller jusqu'à 15 000€.

Les jets de mégots et de détritus sur la voie publique sont eux sanctionnés d'une contravention de 4 ème classe. Le tapage est sanctionné de la peine d'amende prévue pour les contraventions de 3 ème classe, soit 180€ maximum. L'état d'ivresse sur la voie publique est sanctionné d'une amende pouvant atteindre 150€.

Des sanctions pénales existent, et le pouvoir de police municipale du Maire peut également régir la lutte contre une grande partie des incivilités (article L.2212-2 du Code général des collectivités territoriales). La jurisprudence a, en effet, donné compétence aux maires de prescrire par arrêté l'exécution des mesures nécessaires pour faire cesser certaines incivilités. Par exemple, le Conseil d'Etat a reconnu aux maires la possibilité de prescrire par arrêté aux riverains de procéder au nettoiement (balayage et désherbage) du trottoir et du caniveau situés devant leur habitation 2 ( * ) .

Cependant, la possibilité de prendre un arrêté municipal, et ces sanctions de façon générale, restent peu appliquées par les élus locaux, et quand cela est effectif, mal connus des citoyens concernés. Or des incivilités répétées et non sanctionnées contribuent à un sentiment d'insécurité. Elles correspondent à une « petite délinquance » très mal vécue par nos concitoyens.

Au quotidien, la vie en société ne peut pas se fonder sur l'individualisme et la revendication de droits personnels. Le respect des autres et des devoirs citoyens est la garantie d'une vie collective plus apaisée.

Si la lutte contre ces incivilités, d'aucun qualifierait de « mineures », ne représente pas un grand enjeu national (car effectivement prises individuellement, cela peut apparaître anecdotique), il n'en reste pas moins vrai que leur multiplication génère à l'évidence une dégradation de la qualité de vie.

Une commission d'enquête sénatoriale sur la délinquance des mineurs, créée le 12 février 2002, a donné lieu à un rapport 3 ( * ) qui abordait déjà la question des incivilités comme une forme de délinquance qui « augmente et se modifie ».

Les auteurs y indiquent que « nombre de personnes entendues par la commission d'enquête se sont accordées à reconnaître que ce sont les incivilités, et non les formes plus graves de délinquance, qui empoisonnent le plus la vie des citoyens aujourd'hui et qui sont en grande partie responsables du sentiment d'insécurité. »

En rappelant les sanctions existantes, ou potentiellement existantes, il ne s'agit pas d'« aseptiser » la société mais bien de rendre la vie collective agréable.

Nos concitoyens, les premiers impactés par ces comportements inciviques, appellent légitimement à une meilleure prévention et à des actions collectives en faveur du bien-vivre ensemble. Certains agissent déjà, comme l'illustre le challenge « Fill the Bottle », à l'origine lancé par une lycéenne de 18 ans, qui consiste à ramasser les mégots abandonnés au sol.

Au-delà du manquement aux règles élémentaires de la République, ces incivilités représentent également un enjeu environnemental déterminant.

Dépôts sauvages, poubelles sorties hors des horaires de ramassage, mégots jetés à même le sol, encombrants dans les rues, stationnement gênant, déjections canines non ramassées, pollutions sonores des boosters pétaradant et voitures « trafiquées », piétons non respectés... Ce sont tous ces irrespects du quotidien qui détériorent la qualité des espaces publics, qui dégradent notre environnement et qui irritent nos concitoyens.

Comme évoqué précédemment, laisser ces incivilités se développer peut aboutir à des phénomènes plus graves. C'est l'enseignement principal de la « théorie de la vitre cassée » ( Broken window theory 4 ( * ) ), née d'un article de James Q. Wilson, professeur de science politique, et George L. Kelling, professeur de criminologie, paru en 1982.

Cette théorie démontre que l'absence de réactivité devant une incivilité peut provoquer la répétition d'actes similaires de façon exponentielle. Par exemple, un tag non effacé en appelle d'autres rapidement.

La justice de proximité fait partie de l'arsenal de solutions permettant d'assurer une meilleure réactivité face aux incivilités. La loi du 9 avril 2021 améliorant l'efficacité de la justice de proximité et de la réponse pénale 5 ( * ) a permis de faire un pas significatif en direction des victimes des incivilités, avec pour objectif premier : efficacité et rapidité de la réponse aux troubles.

Dans son discours de politique générale prononcé à la tribune de l'Assemblée nationale le 15 juillet 2020, le Premier ministre Jean Castex avait déclaré souhaiter « promouvoir la justice de la vie quotidienne », et avait souligné que, dans beaucoup de territoires, « la petite délinquance, les petites incivilités, le tag, l'insulte, le petit trafic, les troubles à ce que le code communal appelle la tranquillité publique, se sont développés au point de gâcher la vie des gens. Ils se sont développés car, faute de réponse judiciaire, une forme d'impunité s'est installée. »

Le Gouvernement a donné une traduction budgétaire à son projet de revaloriser la justice de proximité, notamment au travers d'une hausse de 8% du budget du ministère de la Justice en 2022, et ce pour la deuxième année consécutive.

La justice de proximité est une réponse adaptée aux incivilités. La mise en application de la loi du 9 avril 2021 nécessite d'être soutenue au travers d'une communication accrue auprès des maires, afin que ceux-ci puissent connaître et appliquer l'ensemble de leurs prérogatives 6 ( * ) .

Au-delà de la répression, la lutte contre les incivilités nécessite naturellement une politique de prévention et d'éducation à la civilité.

L'éducation, tant à l'école qu'à la maison, et la communication via des campagnes de sensibilisation sont les seuls moyens d'appropriation des règles de vie en commun. Ces enseignements doivent se faire dès le plus jeune âge, en maternelle et en primaire. Cette formation à la responsabilité et au respect doit également être un des piliers du Service national universel (SNU).

Remettre les règles du civisme au coeur de la société est un défi qu'il est urgent de relever. Cela doit devenir une priorité du Gouvernement ; un objectif spécifique et distinct des autres domaines d'application de la politique gouvernementale. La création d'un Secrétariat d'Etat du Civisme, sous la tripe tutelle des Ministères de l'Education, de l'Intérieur et des Collectivités territoriales, pourrait traduire cet engagement et envoyer un signe fort à nos concitoyens, celui qu'une conscience collective en faveur de la civilité est nécessaire au bon fonctionnement de nos politiques publiques, et à celui de la société en générale.

Le Sénat doit s'emparer de ce grand chantier citoyen et engager une réflexion collective face à l'augmentation de ces irrespects du quotidien. Cette réflexion devra nécessairement se décliner au niveau de la commune, échelon à même de mettre en place des dispositifs adaptés au territoire, pour favoriser la tranquillité publique, la sécurité et la préservation de l'environnement.

Tel est le sens de la présente proposition de résolution.


* 1 LOI n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire.

* 2 Conseil d'Etat, 15 octobre 1980, Garnotel.

* 3 Rapport de commission d'enquête n°340 (2001-2002) de MM. Jean-Claude CARLE et Jean-Pierre SCHOSTECK, fait au nom de la commission d'enquête, déposé le 27 juin 2002.

* 4 Broken Windows. The police and neighborhood safety. By George L. Kelling and James Q. Wilson. Seymour Chwast. March 1982 Issue.

* 5 LOI n° 2021-401 du 8 avril 2021 améliorant l'efficacité de la justice de proximité et de la réponse pénale.

* 6 La loi du 9 avril 2021 introduit par exemple la possibilité pour le parquet de demander au délinquant de répondre à une convocation du maire afin de conclure une transaction lorsque les biens d'une commune sont concernés. Le maire peut alors convenir avec le délinquant de la réparation du préjudice ou d'un travail non rémunéré de 30 heures maximum.

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