EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le 16 février 2022, la Commission européenne a présenté une proposition de règlement européen visant à créer une constellation de connectivité sécurisée européenne 1 ( * ) .

Cette dernière vise à doter l'Union européenne et ses États membres d'une nouvelle infrastructure spatiale, sous la forme d'une constellation satellitaire essentiellement en orbite basse, avec le triple objectif de fournir un accès à internet à haut débit pour tous les Européens (« mettre fin aux zones blanches ») 2 ( * ) , d'assurer la redondance et la résilience des communications terrestres, et d'offrir à l'Union et aux entités gouvernementales des États membres des services autonomes de télécommunications par satellite sécurisés, à terme grâce aux technologies quantiques.

I. La création rapide d'une constellation satellitaire européenne souveraine est un objectif hautement pertinent, tant du point de vue économique que du point de vue stratégique

a. Les objectifs d'autonomie stratégique de l'Union européenne impliquent qu'elle dispose d'une infrastructure spatiale souveraine

i. Le système de télécommunications gouvernementales par satellite européen doit être renforcé, dans un contexte de tensions géopolitiques croissantes

La multiplication récente des crises - qu'il s'agisse de catastrophes naturelles ou de conflits armés - a montré toute la pertinence d'une redondance des réseaux terrestres de télécommunications . De ce point de vue, les réseaux de télécommunications par satellite sont nettement moins vulnérables que les infrastructures terrestres 3 ( * ) . Ainsi, un système spatial de connectivité sécurisée et autonome, notamment pour les services gouvernementaux, pourrait avoir une forte valeur ajoutée pour la gestion de crises , notamment de catastrophes naturelles et humanitaires.

En outre, le déploiement d'une constellation satellitaire, dont la couverture est par définition mondiale, procurera des avantages certains pour les opérations extérieures , qui dépendent pour l'instant largement de capacités extra-européennes, surtout américaines, mais aussi pour les usages institutionnels européens hors du territoire européen (ambassades, sécurité civile, transports).

À cette fin, la proposition de la Commission prévoit d'ailleurs une claire priorisation des services gouvernementaux sur les services commerciaux : en cas de crise , le secteur public devra pouvoir disposer de la totalité de la bande passante du système 4 ( * ) .

Le programme spatial de l'Union européenne de 2021 5 ( * ) comporte déjà une composante de télécommunications gouvernementales sécurisées par satellite, GovSatCom , qui prévoit de mettre en commun les ressources publiques et privées disponibles dans l'Union en matière de télécommunications par satellite afin d'optimiser leur utilisation par les gouvernements des États membres. À l'issue de cette première phase, prévue jusqu'à 2025, le règlement spatial prévoit, si cette approche par la mise en commun apparaît « insuffisante pour faire face à l'évolution de la demande », la possibilité de développer, dans une deuxième phase, des capacités spatiales additionnelles, « dans le cadre d'un ou plusieurs partenariats publics-privés ».

De fait, les besoins croissants de communications gouvernementales de l'Union et de ses Etats membres , dans un contexte de rivalités et de tensions géopolitiques accrues, ne peuvent être satisfaits par les capacités actuellement disponibles au niveau de l'Union et des États membres, et aucun État membre européen ne dispose isolément des financements nécessaires au lancement d'une constellation de connectivité sécurisée pour son seul usage.

La Commission a précisé que dans le cadre du programme, il appartiendra à chaque État membre de choisir les usages que feront ses services gouvernementaux de l'infrastructure . À cette fin, le règlement prévoit la mise en place dans chacun des États membres d'autorités nationales, chargées de décider quel acteur national pourra accéder à chacun des services gouvernementaux de la constellation, sur le modèle de ce qui existe actuellement pour le service public réglementé (PRS) de Galileo.

ii. L'ambition de mettre en place des télécommunications satellitaires gouvernementales sécurisées justifie la sécurisation du système, à terme, grâce à des technologies de cryptographie quantique

La Commission européenne justifie également sa proposition de constellation par l' aggravation des menaces, notamment cyber , qui imposent de mieux sécuriser les communications gouvernementales : pour ce faire, la Commission souhaite faire usage de technologies de cryptographie quantique et post-quantique . Or ces dernières ne peuvent pas, en l'état actuel des techniques, être utilisées via la fibre. Ainsi, l'usage de télécommunications satellitaires permettrait de sécuriser davantage les communications gouvernementales.

Même si les experts auditionnés s'accordent à dire que ces technologies ne seront pas matures au niveau industriel avant au moins une dizaine d'années , les auteurs de la proposition de résolution soutiennent l'intégration dans la constellation des démonstrateurs et prototypes quantiques européens, afin de stimuler la recherche et l'innovation dans ce domaine : l'objectif d'une meilleure sécurisation, à terme, des communications gouvernementales, par des technologies d'informatique quantique et de cryptographie post-quantique, reste hautement pertinent.

Au regard des enjeux de souveraineté économique, industrielle et technologique inhérents au développement des technologies quantiques et post-quantiques, les auteurs insistent sur la nécessité de soutenir le développement des capacités quantiques et post-quantiques européennes, seules à même d'assurer un cryptage sécurisé des communications gouvernementales de l'Union et de ses Etats membres.

Les auteurs rappellent également la nécessité d'investir et de prévoir, en parallèle, des technologies de sécurisation des communications plus matures et disponibles plus rapidement, au cas où les technologies de cryptage quantique ne seraient pas suffisamment opérationnelles au moment du déploiement de la constellation européenne de connectivité.

b. La raréfaction des biens communs que sont les fréquences de radiocommunications et la disponibilité limitée de l'orbite basse imposent un déploiement très rapide de la constellation européenne

La Commission européenne envisage un calendrier de déploiement de la constellation extrêmement ambitieux , avec le lancement des premiers satellites et de premiers services accessibles dès 2024, pour un déploiement complet en 2027 6 ( * ) . Pour ce faire, les premiers appels d'offre devraient être lancés dès 2023.

Des consultations avec les industriels du secteur spatial sont d'ores et déjà prévues pour l'été 2022, en parallèle des négociations sur la proposition de règlement, afin de pouvoir lancer rapidement les premiers appels d'offres dès son adoption, espérée pour la fin de l'année 2022 ou le début de l'année 2023.

Ce calendrier ambitieux se justifie par la disponibilité limitée du spectre de radiofréquences et de l'orbite basse, qui ne permettent, selon les experts auditionnés par les auteurs, d'envisager, au maximum, le fonctionnement dans de bonnes conditions que de quatre à cinq constellations répondant aux caractéristiques voulues par la Commission européenne.

Autrement dit, il y a « urgence » si l'Union européenne souhaite sérieusement se positionner sur le marché des constellations de connectivité par satellite.

i. La multiplication récente des constellations commerciales de connectivité fait apparaître un risque de congestion et de pollution de l'orbite basse

Le marché de la connectivité par satellite est pour l'instant principalement servi par des constellations géostationnaires, en orbite « GEO » 7 ( * ) , mais les nouvelles générations de constellations comme Starlink de Space X, Kuiper d'Amazon ou OneWeb se développent rapidement en orbite basse (« LEO 8 ( * ) ») 9 ( * ) .

Ainsi, il est estimé que la constellation Starlink de Space X dispose déjà de plus de 2 700 satellites en orbite et prévoit quinze lancements en 2022 pour fournir des services à environ 400 000 abonnés dans 36 pays différents, dont environ 4 000 en France. Pour la constellation Kuiper, le projet d'Amazon est de mettre en orbite plus de 3 200 satellites avec déjà 68 lancements pré-commandés. Enfin, pour la constellation One Web, il est estimé que 60 % des 600 satellites environ prévus à terme sont déjà déployés.

Le développement en orbite basse offre des avantages en termes de réduction des temps de latence et d'amélioration de la vitesse de connexion , car les satellites sont plus proches de la Terre qu'en orbite géostationnaire ; cette réduction des temps de latence 10 ( * ) est particulièrement importante pour les usages gouvernementaux, notamment militaires , mais aussi, par exemple, pour les transactions financières et opérations boursières . Certains usages commerciaux, comme les jeux en ligne , ou certains usages ayant une forte valeur ajoutée économique ou sociale et appelés à se développer considérablement dans les prochaines décennies, comme la chirurgie à distance , les véhicules autonomes 11 ( * ) , le guidage de précision des bateaux ou encore l' internet des objets pourraient également recourir aux services permis par ces constellations en orbite basse.

Pour les particuliers, le développement de l'internet par satellite, notamment en orbite basse, permet également d'offrir à la population européenne des services satellitaires de connectivité complémentaires à ceux permis par les réseaux terrestres de télécommunications, car toutes les zones habitées ne pourront pas être couvertes par une seule et même technologie, le déploiement de la fibre optique demeurant par exemple incertain dans certaines zones peu denses.

En outre, les satellites GEO offrent des performances moindres aux pôles ; le déploiement de satellites en orbite basse pourrait donc servir la stratégie arctique européenne, comme le souligne d'ailleurs la Commission dans sa proposition.

Le nombre important de satellites composant chacune de ces constellations (600 à terme pour OneWeb, mais 40 000 pour Starlink) risque d'amener dans un futur proche à une saturation de l'orbite basse. Cette congestion de l'orbite basse pose un double problème de disponibilité de l'orbite basse , mais aussi d'accès aux orbites plus lointaines et, plus globalement, à l'espace , depuis la Terre.

En outre, la multiplication des satellites en orbite basse accroît la production de débris spatiaux , dont les constellations sont les plus grosses productrices : mécaniquement, l'explosion du nombre d'objets en orbites augmente les risques de collision ; en outre, certains nouveaux acteurs du spatial ont une moins grande expertise et un moins grand souci des questions de durabilité des usages de l'espace .

Selon les estimations de l'Agence spatiale européenne (ESA), il y aurait en orbite un million de débris de 1 à 10 cm, et à peu près 34 000 débris de plus de 10 cm. Sur les 12 000 satellites lancés depuis les années 1950, seulement 4 500 sont encore opérationnels, tandis que la plupart des autres satellites sont toujours en orbite.

Il est donc indispensable que les initiateurs de constellations soient sensibilisés à cette question, et que des règles concernant la pollution de l'espace soient clairement établies. La France s'est montrée particulièrement précurseure et exigeante en matière de régulation des opérations spatiales, et les auteurs recommandent que les dispositions de la loi française de 2008 relative aux opérations spatiales 12 ( * ) inspirent la réglementation à l'étude de l'Union européenne sur la gestion du trafic spatial.

Les auteurs estiment également qu'il serait hautement souhaitable que l'instrument législatif visant à établir des mesures contraignantes sur la gestion du trafic spatial , dont la présentation a été annoncée par la Commission européenne 13 ( * ) pour la fin de l'année 2024, soit pleinement opérationnel au moment où la constellation sera déployée . Cela nécessiterait d'avancer la présentation de ce texte, compte tenu des délais de négociation.

Pour la plupart des interlocuteurs des auteurs, conditionner au respect de ces normes l'accès au marché européen amènerait sans doute les acteurs extra-européens à s'y conformer, et inciterait donc au niveau mondial à une harmonisation par le haut des normes dans ce domaine.

Plus généralement, il conviendrait d' affirmer dans le projet des objectifs environnementaux clairs et ambitieux .

ii. Les fréquences nécessaires au déploiement de la constellation doivent être utilisées rapidement, à peine d'être perdues

Étant donné son double objectif de constellation souveraine et de constellation commerciale, la constellation européenne nécessite la mise à disposition de deux types de fréquences , correspondant à des bandes différentes : l'un pour les besoins gouvernementaux, qui devra être mis à disposition par les États membres au nom de l'Union européenne, l'autre pour les besoins commerciaux, qu'il appartiendra aux opérateurs privés impliqués de se procurer.

Les constellations de satellites ayant une emprise planétaire, l'attribution de fréquences se fait dans le cadre de l'Union internationale des télécommunications (UIT) . Cette attribution ne donne pas un droit d'usage exclusif sur les fréquences qui y sont « réservées », mais une priorité d'usage sur une bande de fréquences. Les acteurs de rang 2 et suivants qui souhaitent utiliser cette même bande doivent se conformer à un ensemble de spécifications opérationnelles et techniques déterminées par l'UIT, afin de ne pas brouiller les communications du détenteur de la bande. Ce droit d'usage prioritaire est cependant limité à sept ans : passé ce délai, si la fréquence n'est pas utilisée, elle peut être ré-attribuée par l'UIT à un autre acteur.

En ce qui concerne les services gouvernementaux, la France a indiqué à la Commission européenne sa volonté de mettre à disposition un droit d'usage prioritaire ( filing ) dont elle dispose (et qu'elle n'utilise pas) sur la bande Ka - normalement utilisée pour des besoins militaires. Ce filing est réservé jusqu'en octobre 2027. À la connaissance des personnes auditionnées par les auteurs, la France est aujourd'hui le seul État membre à avoir proposé la mise à disposition de telles fréquences pour la constellation européenne de connectivité.

La propriété de cette fréquence ne serait cependant pas transférée à la Commission européenne , qui n'en acquerrait qu'un droit d'usage. Comme pour Galileo, les États parties au programme devront former un groupe à l'UIT, afin que cette dernière leur permette l'utilisation commune de cette bande de fréquences (qui ne peut être attribuée qu'à un seul État).

Les auteurs saluent le bon positionnement de la France dans le domaine des fréquences 14 ( * ) et se réjouissent de cette contribution de la France au projet de constellation européenne.

II. Les fortes incertitudes qui demeurent quant à la viabilité économique du projet ne pourront être levées que par un soutien appuyé et continu à la filière spatiale européenne

a. Les modalités de participation des acteurs privés au programme, qui conditionnent la viabilité financière du projet, doivent encore être précisées

i. Les conditions de participation des acteurs privés doivent être précisées, tant du point de vue des services proposés que des conditions d'éligibilité

Le modèle envisagé à l'origine par la Commission européenne était celui d'un contrat de concession ; en-dehors des services inclus dans le cahier des charges - services gouvernementaux et connectivité pour les zones blanches -, les concessionnaires seraient en outre libres d' ajouter des services commerciaux de leur choix . Concrètement, un contrat de concession serait passé avec un consortium d'acteurs privés, approvisionné par la Commission pour ses besoins propres et ceux des États membres. Ce modèle de partenariat public-privé semble indispensable, du fait du caractère limité des besoins institutionnels, et au regard du coût de la constellation .

La Commission ne se prononce pas a priori sur les types de services commerciaux qui pourraient être proposés dans le cadre de la constellation : ces derniers sont laissés à la libre appréciation des partenaires privés. Il est néanmoins envisageable, selon les indications que les représentants de la direction générale de l'industrie de la défense et de l'espace (DG DEFIS) de la Commission européenne ont pu apporter aux auteurs, que les critères d'adjudication puissent récompenser les prestataires qui proposeraient des portefeuilles de services commerciaux plus nombreux, diversifiés, innovants et rapidement opérationnels. Ainsi, la constellation vise également un objectif économique et social plus large qu'une amélioration de la connectivité en Europe, dans la mesure où elle permettra de fournir toute une gamme de services commerciaux aux citoyens et entreprises de l'Union.

Par ailleurs, les auteurs insistent sur la nécessité de garantir que les investissements publics mobilisés pour financer le déploiement d'une telle constellation bénéficient en priorité aux entreprises européennes du secteur spatial , afin que les retombées économiques d'un tel projet soient localisées sur le territoire de l'Union européenne.

En outre, lors de la sélection des prestataires de services commerciaux, de la négociation des contrats de concession et de l'adoption des actes d'exécution, une attention particulière doit être portée à la gouvernance et à la répartition du capital des entreprises qui souhaitent investir dans ce projet de constellation et proposer des services commerciaux à partir des infrastructures gouvernementales, afin de garantir la protection des infrastructures et technologies stratégiques européennes. À la suite des discussions au Conseil, il est désormais envisagé différents degrés de services gouvernementaux, des plus souverains et sécurisés (« hard gov ») aux moins sensibles (« light gov »). Pour ces derniers, la Commission privilégierait des achats de services déjà existants, ce qui permettrait, en outre, de limiter les distorsions de concurrence.

Plus généralement, greffer des services commerciaux sur le noyau gouvernemental de la constellation risquerait de créer des distorsions de concurrence entre les fournisseurs de services spatiaux . Il est donc indispensable que les fonds publics destinés à payer les services gouvernementaux ne subventionnent pas de fait les services commerciaux , afin de limiter ce risque et de permettre aux services commerciaux d'être proposés au prix du marché. Le règlement de la constellation identifie clairement ce point et propose des dispositions pour le circonvenir 15 ( * ) .

Afin de connaître les capacités des industriels à répondre à la commande, la Commission européenne a mandaté dès décembre 2020, en amont de sa proposition, un consortium réunissant des acteurs historiques du secteur (Airbus Space, Arianespace, Eutelsat, Thales Alenia Space, Orange, Hispasat, OHB, SES et Telespazio). Un an plus tard, elle a passé la même commande à deux consortiums d'entreprises intégrant également des acteurs du « Nouvel espace », dont l'un, New Symphony, mené par deux entreprises françaises, Unseenlabs et Euroconsult, et constitué de 22 entreprises européennes 16 ( * ) . La Commission estime entre 17 et 24 milliards d'euros (Mds €) les retombées économiques du projet en Europe , ce qui est cohérent avec le ratio d'effet de levier classiquement retenu pour ce type de systèmes de connectivités.

Par ailleurs, un travail d'articulation de la constellation européenne avec les constellations déjà existantes devra être mené. En effet, il existe déjà un marché privé de la connectivité privée par satellites, y compris en Europe, à la fois en géostationnaire et en orbite basse. Pour la plupart des usages télécoms classiques, les acteurs privés assurent déjà un service satisfaisant ; aussi seule la réduction des zones blanches devrait pouvoir faire l'objet d'investissements massifs de la Commission, pour le désenclavement de certaines zones qui ne peuvent être reliées aisément par la fibre , par exemple certaines îles, zones montagneuses ou zones très peu denses.

Néanmoins, le coût de l'internet par satellite en orbite basse limite son déploiement massif et généralisé : les services actuellement proposés par Starlink de Space X sont par exemple tarifés à plus de 100 € par mois, contre environ 40 € pour les opérateurs de télécommunications par satellites géostationnaires classiques, par exemple le français Nordnet (filiale d'Orange). Pour certains usages, il serait donc sans doute plus économique de trouver des synergies entre les services et infrastructures déjà existants, notamment en orbite géostationnaire , et les nouveaux déploiements prévus.

Les auteurs remarquent également que les modalités de fourniture du haut débit et très haut débit grand public diffèrent selon les États membres : la France a pour sa part fait le choix de la fibre comme technologie de référence dans le cadre du plan France Très Haut Débit , le nombre d'abonnés aux services d'internet par satellite se limitant à quelques milliers d'abonnés, principalement dans des zones où la fibre n'est pas disponible, et ne semblant pas devoir croître de manière importante.

ii. Le budget sur fonds publics prévu est insuffisant pour mener à bien le projet

Le montant exact du projet n'est pas connu a priori , dans la mesure où le nombre de satellites nécessaires à la fourniture du portefeuille de services défini par la Commission en concertation avec les États membres sera laissé au libre choix des prestataires. L'architecture de la constellation sera également un déterminant important du coût de la constellation.

Son coût total, pour la période 2023-2027 , est estimé par la Commission européenne à 6 Mds € , parmi lesquels 1,6 Md seraient financés par l'Union. La Commission prévoit par ailleurs que le projet pourra bénéficier de contributions financières ou en nature complémentaires des agences de l'Union, des États membres, des pays tiers participant au programme ou de l'ESA 17 ( * ) , ainsi que d' acteurs privés, à hauteur de 2 Mds € pour ces derniers, qui pourraient trouver ensuite un intérêt commercial à utiliser une infrastructure satellitaire en orbite basse.

Ce schéma de financement se distingue de celui des autres grands programmes spatiaux européens comme Galileo, développé sur fonds publics pour un usage public, et Copernicus, co-financé avec l'Agence spatiale européenne (ESA), mais sans intervention d'acteurs privés.

Le montant envisagé pour le projet paraît particulièrement faible , au regard des montants estimés pour le déploiement des constellations Starlink (10 Md €) ou Kuiper (10 à 15 Md €). L'ensemble des interlocuteurs interrogés par les auteurs s'accorde sur le fait qu'il ne peut s'agir que d'un fonds d'amorçage . En effet, au-delà des coûts de maintenance, qui seront par définition faibles en phase de lancement de la constellation, mais sont ensuite appelés à croître, le remplacement des premiers satellites interviendra au bout d'une durée maximale de 8 à 10 ans.

Le financement sur fonds publics de la constellation devra donc être pérennisé, dans le cadre du prochain cadre financier pluriannuel . À ce titre, si la ponction d'autres programmes de l'Union (Horizon Europe, programme spatial et instrument de voisinage, de coopération au développement et de coopération internationale) apparaît regrettable, rouvrir le cadre financier pluriannuel actuel risquerait sans doute bien davantage de retarder le projet de façon dommageable.

Afin d'assurer la part de financement privée de la constellation, qui demeure incertaine, il est indispensable que les premiers services commerciaux soient déployés en même temps que l'infrastructure gouvernementale . Aussi, l'un des critères d'attribution des marchés pourrait être, dans un premier temps, la maturité de l'offre de service et l'existence d'un marché. La manière la plus sûre de s'assurer de la viabilité de la constellation demeure en effet de garantir la viabilité du business plan du partenaire commercial.

À cet égard, les auteurs insistent sur la nécessité de travailler davantage sur la consolidation du modèle de financement de ce projet de constellation, car plusieurs projets antérieurs ont échoué ou connu de sérieuses difficultés financières, à l'image de One Web qui a été recapitalisé grâce aux investissements conjoints de l'État britannique et du groupe indien de télécommunications Bharti.

b. La mise en place de la constellation devrait être l'occasion de structurer la filière spatiale européenne, pour assurer un accès et un usage souverain de l'espace pour l'Union européenne

i. Une préférence européenne doit être fermement affirmée pour les lanceurs, les bases de lancement et les stations au sol

La qualité et la diversité de l'écosystème spatial des pays de l'Union européenne lui donnent tous les atouts nécessaires pour mener à bien le projet : l'Union dispose, avec Airbus et Thales Alenia Space, des deux leaders mondiaux dans le domaine de la construction de satellites , ainsi que d' opérateurs de satellites de références (Eutelsat, SES, Telespazio), qui devraient se positionner sur le projet. Pour les représentants du Centre nationale d'études spatiales (CNES), auditionnés par les auteurs, l'industrie française est actuellement la seule en Europe à pouvoir proposer des produits et systèmes de communication par satellites « à l'état de l'art » sur les constellations, et devrait donc pouvoir tirer pleinement parti du projet.

Le programme prévoit par ailleurs, pour la participation d'entreprises issues de pays tiers, des dispositions restrictives, calquées sur celles du règlement spatial européen 18 ( * ) , la Commission étant en outre habilitée à introduire si nécessaire, par actes d'exécution, des exigences supplémentaires 19 ( * ) .

Il convient surtout de soutenir fermement une préférence européenne pour les lanceurs qui déploieront les satellites de la constellation, dès lors qu'il s'agit de matériel destiné aux services gouvernementaux, et a fortiori de matériel militaire. Cette préférence européenne devrait en outre être affirmée pour l'ensemble des lancements , pour d' évidents motifs de souveraineté économique technologique , d'autant plus que les technologies sont aujourd'hui de plus en plus souvent duales. L'arrêt brutal des coopérations spatiales avec la Russie a d'ailleurs montré la pertinence, pour l'Europe, de disposer d'infrastructures spatiales autonomes, notamment pour l'accès à l'espace. Selon la proposition de la Commission, pour protéger les intérêts de l'Union en matière de sécurité, les satellites de la constellation devront être lancés, lorsque la Commission l'estimera justifié 20 ( * ) , par des opérateurs qui ne dépendent pas de pays tiers 21 ( * ) . Il convient de renforcer cette préférence européenne, en encadrant strictement les motifs de dérogation .

En outre, aux termes de la proposition, les lancements devront se faire « si possible », à partir du territoire des États membres 22 ( * ) . Cette expression ambigüe est interprétée diversement par nos partenaires européens, certains estimant qu'un manque de compétitivité des bases européennes pourrait être un motif de dérogation, même si, en toute hypothèse, la mention, dans le même article, d'un objectif de promotion de l' « autonomie stratégique » de l'Union semble limiter la possibilité d'une telle interprétation. Ce point doit néanmoins être clarifié, de telles dérogations ne devant intervenir que dans des cas très limités d'incapacité constatée des lanceurs européens à remplir cette mission, et au regard des dommages susceptibles d'être causés par un retard de déploiement du système.

L'applicabilité de ces restrictions de lancement par des acteurs non européens dépend cependant, concrètement, de la capacité d'Ariane 6 - le cas échéant suppléée par Vega-C - à déployer les satellites de la constellation . Pour rappel, le vol inaugural de Vega-C a eu lieu le 13 juillet 2022, tandis que le premier lancement d'Ariane 6 a été récemment reporté à 2023. Or cette dernière, lorsqu'elle sera opérationnelle, sera dans les premières années principalement missionnée pour le déploiement de la constellation Kuiper d'Amazon, qui a réservé 18 lancements d'Ariane 6 échelonnés entre 2024 et 2027. Cela rend plausible l'hypothèse selon laquelle les services de lancement européens seraient insuffisants pour assurer le déploiement de la constellation européenne, même si une montée en cadence des lancements n'est pas à exclure. Afin de se prémunir contre ce risque, il serait souhaitable que la Commission européenne assure plus fermement son rôle de client d'ancrage pour les services de lancement européens, en contrepartie d'une montée en cadence de ces services, pour disposer des bases industrielles suffisantes au déploiement de la constellation européenne de connectivité .

Les auteurs ne sont pas non plus favorables à la possibilité de lancements depuis les bases de pays membres de l'Agence spatiale européenne (ESA) mais non membres de l'Union européenne, comme la Norvège, tant la composition, les priorités et les règles de fonctionnement de l'ESA et de l'Union peuvent diverger. L'ESA, qui dispose d'une expertise indéniable, devrait assurer uniquement un rôle de soutien technique au projet et notamment à l'analyse des offres, et une stricte séparation devrait être établie en son sein entre les marchés concernant les services gouvernementaux, auxquels ne devraient participer que les États membres de l'Union, et les marchés commerciaux, qui pourraient être ouverts plus largement aux États membres de l'ESA.

De la même manière, les stations terriennes , indispensables pour recevoir et diffuser les signaux satellitaires, et dont la localisation influe sur les temps de latence et les vitesses de connexion, devront faire l'objet d'une attention soutenue : autant que faire se peut, compte tenu des contraintes opérationnelles, il est souhaitable qu'elles soient situées exclusivement sur le territoire de l'Union (y compris dans les territoires d'outre-mer). Il faut cependant remarquer que, dès lors que les satellites disposent de liens inter-satellites leur permettant de communiquer directement, le nombre de stations au sol peut être significativement réduit, ce qui permet de limiter le nombre d'infrastructures terrestres à sécuriser.

ii. La mise en oeuvre de la constellation est l'occasion de tirer parti du « Nouvel espace » européen, en complémentarité des acteurs historiques

Parallèlement aux acteurs historiques du secteur spatial européen, le soutien aux acteurs émergents doit être encouragé . L'article 6 de la proposition prévoit notamment, à cette fin, l'intégration de critères d'attribution des marchés destinés à garantir la participation sur tout le long de la chaîne de valeur des startups et des petites et moyennes entreprises (PME), ces dernières devant également faire l'objet d'un plan d'intégration de la part du contractant. En outre, aucune barrière ne devrait empêcher les startups et PME de fournir leurs propres services aux utilisateurs finaux.

En ce qui concerne plus spécifiquement les lanceurs, une mention de la possibilité de recourir aux petits et micro-lanceurs a été introduite lors des discussions au Conseil, à la demande de certains États membres. Les auteurs tiennent à souligner que l'usage de micro-lanceurs ne va pas sans un certain nombre de difficultés .

D'une part, dans l'hypothèse d'une constellation multi-orbitale, les satellites géostationnaires ne pourront être lancés que par un lanceur lourd ; d'autre part, même les petits satellites destinés à l'orbite basse devront premièrement être lancés par grappes, ce qui nécessitera donc, en priorité, l'usage de lanceurs lourds. Les petits et micro-lanceurs, dont les développements sont plus récents, ne pourront donc être utilisés que ponctuellement, et de façon complémentaire, notamment pour faire du réassort sur la constellation . En outre, la multiplication des prestataires multiplie également les risques de failles de sécurité . C'est pourquoi le soutien aux micro et petits lanceurs européens, qui devront être préférentiellement utilisés, ne devra pas se faire au détriment d'une application stricte des normes de sécurité qui seront déterminées par l'Agence de l'Union européenne pour le programme spatial (EUSPA).

Il est donc primordial de structurer l'industrie européenne des lancements , afin d'assurer une réelle complémentarité entre les différentes capacités.

Conclusion

Du fait de son double objectif, le projet de constellation européenne de connectivité fait l'objet d'un relatif consensus au sein des États membres de l'Union européenne, certains étant plus sensibles à l'aspect de réduction des inégalités d'accès à internet et au développement de services commerciaux, d'autres privilégiant les usages souverains, notamment militaires.

Ce consensus a été illustré dès le sommet de Toulouse en février 2022 puis par l'adoption d'un mandat de négociation au Conseil, le 29 juin dernier, après seulement quatre mois de négociations.

La présidence tchèque de l'Union européenne ayant fait du projet de constellation européenne une priorité, un accord en trilogue pourrait intervenir dès la fin du second semestre 2022 , après l'adoption, prévue le 13 octobre prochain, du mandat de négociation du Parlement européen.

Les auteurs soutiennent fermement le projet , qui devrait permettre de stimuler et faire dialoguer l'industrie spatiale européenne, tout en assurant les conditions de la souveraineté européenne et d'une croissance basée sur les nouveaux usages du numérique. Les auteurs souhaitent toutefois que les restrictions liées aux motifs de sécurité et de protection des technologies soient explicitées de manière plus opérationnelle dans le règlement et qu' une approche stricte de la préférence européenne sur les lanceurs et les bases de lancement soit fermement défendue.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Instances européennes

Commission européenne

Mme Ekaterini KAVVADA, directrice innovation et promotion à la DG DEFIS

Parlement européen

M. Christophe Grudler, député européen (FR - Renew), rapporteur sur la proposition de règlement au sein de la commission ITRE

Services de l'État

Direction générale des entreprises (Ministère de l'économie et des finances)

Mme Julie Galland, sous-directrice du spatial, de l'électronique et du logiciel

Représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne

Mme Céline Bégon, conseillère pour les sujets spatiaux

Autorités de régulation et agence de l'Etat

Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP)

M. Frank Tarrier, directeur mobile et innovation

Mme Alexandra Bedu, chargée de mission à la direction mobile et innovation

Agence nationale des fréquences (ANFR)

Mme Caroline Laurent, présidente du conseil d'administration

M. Eric Fournier, directeur de la planification du spectre et des affaires internationales

Centre national d'études spatiales (CNES)

Mme Caroline Laurent, directrice des systèmes orbitaux et des applications

M. Jean-Pierre Diris, sous-directeur des projets de télécommunications et navigation

Entreprises

Eutelsat

Mme Eva Berneke, directrice générale

M. David Bertolotti, directeur des affaires institutionnelles et internationales

Arianespace

M. Stéphane Israël, président-directeur général

M. Emeric Lhomme, responsable du projet de constellation européenne

Consortium New Symhony

M. Clément Galic, co-fondateur et président-directeur général d'UnseenLabs

M. Pacôme Révillon, président du directoire d'Euroconsult


* 1 Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil du 15 février 2022 établissant le programme de l'Union pour une connectivité sécurisée pour la période 2023-2027, COM (2022) 57 final.

* 2 Ce premier objectif est cohérent avec l'ambition de fournir à l'ensemble des citoyens européens une connectivité haut débit dans les années à venir, affichée notamment dans le programme d'action numérique de l'Union à l'horizon 2030 (proposition de décision du Parlement européen et du Conseil du 15 septembre 2021 établissant le programme d'action à l'horizon 2030 « La voie à suivre pour la décennie numérique », COM(2021) 574 final).

* 3 Des risques de cyberattaques, interceptions ou brouillage de signaux, voire d'attaques de proximité, ne sont pas à exclure, et les constellations en orbite basse sont par nature plus vulnérables que les constellations en orbite géostationnaire. Néanmoins, des règles de sécurité communes aux 27 États membres seront mises en place, sous la houlette de l'Agence de l'Union européenne pour la programme spatial (EUSPA).

* 4 Dans une logique proche de celle du décret n° 2022-235 du 24 février 2022 relatif aux réquisitions de biens et services spatiaux.

* 5 Règlement (UE) 2021/696 du Parlement européen et du Conseil du 28 avril 2021 établissant le programme spatial de l'Union et l'Agence de l'Union européenne pour le programme spatial.

* 6 Les représentants de la DG DEFIS de la Commission européenne ont néanmoins annoncé aux auteurs un déploiement massif plutôt vers 2026-2027.

* 7 Geostationary Earth Orbit : 36 000 km de la Terre.

* 8 Low Earth Orbit : 800 à 1 200 km de la Terre.

* 9 D'autres constellations sont en projet, notamment au Canada (projet Telesat), mais aussi en Chine et très probablement en Russie.

* 10 La latence est le délai nécessaire pour que des données parviennent de l'émetteur au destinataire ; elle dépend de la technologie employée, mais aussi du volume de données à transférer.

* 11 Le constructeur automobile chinois Geely a par exemple annoncé récemment le lancement de sa propre constellation de connectivité par satellites pour servir le développement de sa flotte de véhicules autonomes.

* 12 Loi n° 2008-5018 du 3 juin 2008 relative aux opérations spatiales.

* 13 Communication conjointe de la Commission et du Haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité au Parlement européen et au Conseil du 15 février 2022, intitulée « Une approche de l'UE en matière de gestion du trafic spatial. Une contribution de l'UE pour faire face à un défi mondial », JOIN (2022) 4 final.

* 14 En raison d'une prise de conscience précoce des enjeux associés aux fréquences, la France est le second Etat, après les États-Unis, en termes de fréquences réservées auprès de l'UIT, ce qui lui donne une plus grande latitude pour déployer des projets dans le domaine des télécommunications.

* 15 2 e alinéa du 4 de l'art. 8 de la proposition.

* 16 10 entreprises françaises, ainsi que des entreprises venant d'Allemagne, du Danemark, d'Espagne, d'Italie et même de Norvège.

* 17 Le montant du financement consenti par l'ESA sera connu après la ministérielle de l'automne prochain.

* 18 Règlement (UE) 2021/696 du Parlement européen et du Conseil du 28 avril 2021 établissant le programme spatial de l'Union et l'Agence de l'Union européenne pour le programme spatial.

* 19 Art. 26, 4. de la proposition.

* 20 Conformément aux dispositions du programme spatial.

* 21 Art. 5 et 19 de la proposition, renvoyant à l'art. 24 du règlement spatial.

* 22 Point 5 de l'article 5.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page