EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le 18 octobre dernier, la Commission européenne a présenté son programme de travail pour 2023, intitulé « Une Union qui montre sa fermeté et son unité » .Ses initiatives sont ambitieuses mais la période utile pour les faire adopter est très brève, du fait de l'achèvement prochaine de la législature européenne en cours. Il est donc légitime de s'interroger sur le réalisme d'une telle programmation.

En outre, le programme de travail tend à d'abord à répondre aux nouvelles incertitudes géostratégiques, au premier rang desquelles le retour de la guerre sur le territoire européen à la suite de l'agression russe en Ukraine. La réponse à une telle crise était et demeure nécessaire. Il n'en reste pas moins que cette réponse ne peut constituer la seule priorité de ce programme de travail pour les mois à venir, au détriment des enjeux structurants de long terme pour l'avenir de l'Europe. Dans cet esprit, il faut saluer la volonté de « coupler » la poursuite de la transition écologique et celle de la transition numérique, afin qu'elles bénéficient au plus grand nombre.

Au regard de ce contexte historique inédit, la commission des affaires européennes du Sénat juge essentiel de veiller à une programmation rigoureuse des travaux européens annoncés et, surtout, à leur mise en oeuvre effective. C'est pourquoi elle propose au Sénat de prendre position sur cette programmation par le biais d'une résolution européenne. Elle y émet d'ailleurs plusieurs recommandations pour améliorer cette programmation, préconisant en particulier l'abandon de la présentation systématique de ces actions au sein des six grandes ambitions dégagées par la Présidente de la Commission européenne, Mme Ursula von der Leyen, dans son discours du 16 juillet 2019, à savoir « un pacte vert pour l'Europe », « une Europe adaptée à l'ère du numérique », « une économie au service des personnes », « une Europe plus forte sur la scène internationale », « la promotion de notre mode de vie européen » et « un nouvel élan pour la démocratie européenne ». En effet, cette présentation apparaît désormais décalée par rapport aux réalités présentées par la Commission européenne : ainsi, l'ambition de « promotion du mode de vie européen » mêle sans cohérence des initiatives en matière de politique migratoire et de santé, alors que « l'Europe adaptée à l'ère du numérique » comprend un projet de texte relatif à l'amiante dans les bâtiments !

En outre, force est de constater que n'apparaissent pas au programme certaines catégories de textes importants, tels que les actes délégués et les actes d'exécution, adoptés par la seule Commission européenne pour mettre en oeuvre les règlements et directives, voire pour les interpréter et les modifier : leur mention dans le programme de travail améliorerait la transparence des travaux de la Commission.

De plus, il importe que les projets législatifs européens soient présentés avec une analyse d'impact, afin de permettre d'en évaluer la nécessité, la pertinence et la conformité au principe de subsidiarité. En effet, l'Union européenne doit se garder d'effets d'annonce sans suite ou d'initiatives législatives conçues hâtivement, afin d'être en mesure de répondre aux attentes des citoyens des États membres et de leur offrir des résultats concrets.

À cet effet, l'association étroite des parlements nationaux, coeurs de la démocratie européenne et maillons essentiels entre les citoyens et les institutions de l'Union européenne, à l'élaboration des réformes européennes, est un impératif.

Dans le détail, le programme de travail de la Commission européenne pour 2023 décline les six grandes ambitions rappelées ci-dessus et réparties en 43 actions : un pacte vert pour l'Europe (9 actions) ; une Europe adaptée à l'ère du numérique (10 actions) ; une économie au service des personnes (10 actions) ; une Europe plus forte sur la scène internationale (4 actions) ; la promotion de notre mode de vie européen (7 actions) ; un nouvel élan pour la démocratie européenne (3 actions).

Au total, ces 43 actions devraient être mises en oeuvre à travers 54 initiatives a minima 1 ( * ) , dont 32 initiatives législatives certaines, 16 initiatives non législatives certaines, et 6 initiatives dont le statut n'a pas encore été précisé, selon un calendrier prévisionnel établi de façon trimestrielle.

Le programme de travail présente également les révisions, évaluations et bilans de qualité auxquels la Commission européenne envisage de procéder au cours de l'année, au titre du programme REFIT de simplification. 8 initiatives sont prévues dans ce cadre, dont 3 au titre du pacte vert pour l'Europe, 2 au titre d'une Europe adaptée à l'ère du numérique, 1 au titre d'une économie au service de la personne, 1 au titre de la promotion du mode de vie européen et 1 en ce qui concerne le nouvel élan pour la démocratie. Il est possible de citer la révision du règlement REACH relatif à l'évaluation et à l'autorisation des substances chimiques, la révision du cadre réglementaire aux droits des passagers et la définition de la stratégie pharmaceutique européenne.

Le programme de travail de la Commission européenne dresse également la liste des textes présentés au cours des années précédentes mais encore en attente quoique prioritaires, leur examen restant en cours (ces textes sont au nombre de 116). Si l'évolution à la hausse du stock de propositions en attente d'adoption est normale à ce stade du mandat de la Commission européenne, on peut néanmoins souligner le fort activisme réglementaire de la Commission Von der Leyen. Ces textes en attente d'adoption concernent principalement le rétablissement de l'autonomie de l'Union européenne dans des domaines clefs (instrument d'urgence pour le marché intérieur ; règlement semi-conducteurs), la transition numérique (identité numérique ; intelligence artificielle ; cybersécurité...) ou encore le Nouveau pacte pour la migration et l'asile (règlement filtrage ; règlement Eurodac ; déclinaison réglementaire de la déclaration de solidarité...).

Dans ce contexte, le faible nombre de retraits (1) et d'abrogations (1) de textes présentés constitue une autre évolution notable (1 retrait et 1 abrogation contre 32 retraits en 2021 et 6 en 2022). En l'espèce, le programme prévoit le retrait d'une seule proposition, celle visant à revoir le règlement relatif à la réception des véhicules à moteur au regard des émissions des véhicules particuliers et des véhicules légers. Ce texte a en effet été rendu caduc à la suite d'un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne qui a fixé des valeurs d'émission à ne pas dépasser 2 ( * ) .

En outre, est envisagée l'abrogation d'une directive relative à la limitation des émissions sonores des avions à réaction subsoniques civils 3 ( * ) , dont certaines dispositions sont redondantes avec celles d'une directive plus récente et plus précise 4 ( * ) .

Signalons enfin que, sur la base de ce programme de travail, dans une déclaration conjointe en date du 15 décembre 2022, la Commission, le Conseil et le Parlement européen ont confirmé que 164 de ces propositions (nouvelles ou en attente d'adoption) étaient prioritaires.

Pour 2023, le programme de travail comporte de nombreuses initiatives . Les principales d'entre elles sont évoquées ci-après.

Pour donner un nouvel élan à la démocratie européenne , le programme de travail prévoit un « train de mesures pour défendre la démocratie » qui s'inscrit dans la lignée de ses initiatives récentes sur la transparence de la publicité politique et sur la liberté des médias, la mise à jour du cadre législatif anticorruption dans les États membres (initiative antérieure au scandale dit du « Qatargate ») et l'institution d'une carte européenne du handicap.

La proposition de résolution européenne soumise par la commission des affaires européennes soutient ces actions mais demande, afin de préserver l'État de droit, que le paquet de mesures anticorruption concerne également le fonctionnement des institutions européennes. Elle insiste sur la nécessité de protéger les journalistes mais souligne ses interrogations sur le texte dit « liberté des médias », qui ont été exprimées par le Sénat dans un avis motivé du 8 décembre dernier, et qui démontrait que la liberté de la presse en France pourrait paradoxalement être fragilisée par cette réforme. En outre, la proposition soutient les efforts entrepris pour conforter l'égalité hommes/femmes, en particulier le projet de directive sur l'égalité de rémunération. Elle rappelle enfin son attachement au multilinguisme ainsi qu'à Strasbourg comme siège de la démocratie européenne.

Les actions prévues au titre du pacte vert pour l'Europe sont axées autour de la révision des règles défaillantes du marché européen de l'électricité (les initiatives de la Commission européenne devant être présentées en mars prochain). D'autres initiatives importantes sont relatives à la réduction des déchets (alimentaires et textiles), à la mise en place de systèmes alimentaires durables, aux transports non polluants (transports de marchandises et transports urbains) et à la bonne santé des sols.

Dans la présente proposition de résolution, en conformité avec ses travaux récents, la commission des affaires européennes souhaite rappeler également son soutien à l'adoption du paquet gazier, afin de contribuer au développement de l'hydrogène, rappelle la nécessité de prendre en considération les exigences d'autonomie alimentaire dans le cadre de la nouvelle politique agricole commune (PAC) dans les objectifs du pacte vert, et appelle à un soutien à la pêche artisanale européenne.

Au titre des objectifs de l'Europe du marché intérieur et de l'Europe adaptée à l'ère du numérique , la Commission européenne prévoit des mesures de portées diverses dont les plus importantes sont destinées à sécuriser l'approvisionnement et le recyclage des matières premières critiques, à aider les petites et moyennes entreprises (PME) en butte à des retards de paiement, à élaborer un cadre juridique pour le développement des « métavers », à lutter contre le piratage sur Internet, à renforcer les exigences de détection de l'amiante dans les bâtiments ou encore à assurer la gestion du spectre radio-électrique, qui est indispensable aux communications sans fil.

En complément, la commission des affaires européennes se félicite de l'amélioration des modalités de négociation des accords commerciaux mais demande une réponse européenne forte à l'adoption de l'Inflation reduction act (IRA) américain, à la fois, par des outils de défense commerciale et par une nouvelle politique industrielle européenne. Elle souhaite aussi l'adoption d'initiatives prioritaires en cours de discussion comme l'instrument d'urgence pour le marché intérieur, le règlement « semi-conducteurs », le règlement sur les données (ou « Data act ») et la directive sur les conditions de travail des travailleurs des plateformes. Elle apporte également un soutien au nouveau cadre juridique sur l'intelligence artificielle (IA). Au titre du volet santé du marché intérieur, elle demande la présentation de la stratégie pharmaceutique européenne et l'instauration d'une approche globale de la santé mentale. Enfin, elle rappelle son attachement à la prise en considération des régions ultrapériphériques (RUP) ainsi que des pays et territoires d'Outre-mer (PTOM) dans l'ensemble des politiques européennes.

Concernant l'économie au service des personnes et l'Europe sociale , les initiatives annoncées sont d'importance inégale. La proposition de résolution européenne insiste sur le suivi vigilant du réexamen à mi-parcours du Cadre financier pluriannuel (CFP), sur l'exigence de doter au plus vite l'Union européenne de nouvelles ressources propres, sur l'instauration de l'euro numérique et sur la reconnaissance de l'économie sociale au niveau européen.

Dans ce cadre, la commission des affaires européennes souligne la pertinence des réflexions sur la création d'un Fonds européen de souveraineté, envisage avec prudence la mise en place d'un euro numérique et demande l'achèvement des négociations européennes en cours sur l'instauration d'un devoir de vigilance des entreprises et sur l'interdiction des produits issus du travail forcé. Elle regrette par ailleurs l'absence de mise en place d'un système de garantie unique des dépôts.

Au titre de l'Europe plus forte sur la scène internationale, de l'Europe de la défense et de l'Europe spatiale, le programme de travail de la Commission européenne insiste sur 3 priorités, au premier rang desquelles le renforcement de la sécurité et de la défense spatiales, la sûreté maritime, qui devrait s'attacher en particulier à la protection des câbles sous-marins, et l'approfondissement des relations avec l'Amérique latine et les Caraïbes.

La commission des affaires européennes souhaite en outre encourager les initiatives industrielles européennes en matière de défense et marquer son soutien pragmatique à l'ancrage européen de l'Ukraine, de la Moldavie et des pays des Balkans occidentaux, tout en préconisant de nouvelles initiatives fortes de l'Union européenne en Méditerranée.

Enfin, concernant l'Espace de liberté, de sécurité et de justice , le programme de travail de la Commission européenne mentionne en particulier l'évolution des dispositifs de migration légale, la dématérialisation des documents de voyage et l'actualisation du cadre législatif européen relatif à la lutte contre les abus sexuels sur les enfants (qui se traduit par un projet de règlement, actuellement en négociation, et par la refonte prochaine de la directive pertinente de 2011).

Sur ce point, la proposition de résolution européenne demande aussi l'adoption définitive du Nouveau Pacte sur la migration et l'asile avant la fin du mandat de la Commission Von der Leyen. Elle souhaite également la mise en place d'un contrôle parlementaire conjoint, associant le Parlement européen et les parlements nationaux des États membres, sur l'agence Frontex et apporte son soutien au Parquet européen.

À l'issue de cette présentation, la commission des affaires européennes a conclu au dépôt de la proposition de résolution européenne qui suit :


* 1 En effet, dans son programme, la Commission européenne se réserve la possibilité d'adopter 3 initiatives supplémentaires.

* 2 CJUE,13 janvier 2022, République fédérale d'Allemagne contre Commission, C-177/19, C-178/19 et C-179/19.

* 3 Directive 89/629/CE du Conseil relative à la limitation des émissions sonores des avions à réaction subsoniques civils du 4 décembre 1989.

* 4 Directive 2006/93/CE du 12 décembre 2006 relative à la réglementation de l'exploitation des avions relevant de l'annexe 16 de la convention relative à l'aviation civile internationale.

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