EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La France est-elle sur le point de perdre son âme ?

« On reconnaissait de bien loin le clocher de la nôtre, inscrivant à l'horizon sa figure inoubliable. Quand mon père, du train qui nous amenait de Paris, l'apercevait qui filait tour à tour sur tous les sillons du ciel (...) il nous montrait au loin la fine pointe de notre clocher qui dépassait seule, mais si mince, si rose, qu'il semblait rayé sur le ciel par un ongle qui aurait voulu donner à ce paysage, à ce tableau rien que de nature, cette petite marque d'art, cette unique indication humaine. (...) De là elle n'était encore qu'une église isolée, résumant la ville, parlant d'elle et pour elle aux lointains, puis, quand on était plus près, dominant de sa haute mante sombre, en pleins champs, contre le vent, comme une pastoure ses brebis, les dos gris et laineux des maisons rassemblées. (...) Comme je la revois bien notre église ! »

Ces mots de Marcel Proust résonnent dans le coeur de tous les amoureux de leur village. À chacun son église avec ses décors et ses particularités. Elle est la gardienne du temps de nos territoires. Celui du temps long. Celui des saisons, immuable et rassurant. Une église est le témoin familier de ce qui a été, ce qui est et ce qui sera.

Que nous croyons au ciel ou que nous n'y croyons pas, l'avenir des 45 000 églises ou chapelles, propriété des communes est indissociable du nôtre. Car la déliquescence d'une église, c'est le délitement d'une partie de notre identité collective, une rupture du lien avec le passé de notre pays et un renoncement à ce qui fait la fierté de nos villages. Elle fait écho à un sentiment plus profond, à une forme de déclinisme français et à l'abandon de ces territoires ruraux qui sont, pourtant, le coeur battant de la France.

Or, loin de l'image d'Épinal, au-delà des actes de vandalisme inacceptables qui se multiplient, nous ne pouvons ignorer que le travail de destruction a malheureusement déjà commencé dans certaines parties de notre pays, malgré l'attachement viscéral des Français pour leur patrimoine en général, et leurs églises en particulier. Comme en témoignent le succès du loto du patrimoine, des émissions dédiées ou encore les dons massifs à la suite de l'incendie de Notre-Dame de Paris.

Le risque d'abandon d'une partie des édifices non protégés hors des grandes villes est un défi majeur, central, qui engage chacun d'entre nous. Et il y a urgence. Selon le rapport de la mission d'information menée par nos collègues Anne VENTALON et Pierre OUZOULIAS, publié en juillet 2022 et dont le travail doit être salué, 2 000 à 5 000 églises risqueraient de disparaître ou d'être vendues d'ici à 2030 à cause du manque d'entretien.

Or beaucoup de Français l'ignorent, les chapelles et églises, en tout cas l'essentiel de celles construites avant 1905, ne sont que rarement la propriété des diocèses puisque 90 % d'entre elles appartiennent aux communes. Et ce n'est pas en violation de la loi de séparation des Églises et de l'État, qui nous est chère, mais au contraire en application de son article 9.

Les causes sont multiples et profondes. Mises bout à bout, elles forment un paysage quasi-inextricable pour leur sauvegarde. Au premier chef, viennent la perte de pratique croissante des Français et la désertification des campagnes, qui ont pour conséquence de vider les églises.

S'y ajoutent les contraintes budgétaires accrues des communes et enfin le développement des intercommunalités, ou des relations parfois conflictuelles entre le curé affectataire et les maires.

Aujourd'hui, de multiples sources de financements existent, bien que largement insuffisantes, qui peuvent être mobilisées pour les restaurations. Outre les éventuelles subventions publiques, le loto du patrimoine, instauré depuis 2018, la générosité publique et le mécénat peuvent aider les maires à payer leurs factures. Mais ces derniers ne savent pas toujours à qui s'adresser, et n'ont pas toujours un responsable administratif capable de monter des dossiers complexes, qui imposent parfois un architecte des bâtiments de France pas toujours conciliant.

Conduire un chantier est, par ailleurs, un travail en soi. En dehors de la Bretagne, les services de l'État ne sont pas en mesure d'assurer une assistance à maîtrise d'ouvrage (AMO), et les départements et régions n'offrent pas tous cette compétence.

Plus on s'intéresse à un patrimoine, plus il revêt de l'intérêt aux yeux de tous. Et ce n'est qu'en permettant à ces édifices de redevenir « signifiants et utiles » pour une part importante de la population que leur sauvegarde pourra être garantie. Or, la mise en valeur des édifices cultuels, ainsi que des trésors artistiques qu'ils recèlent parfois, n'est pas toujours à la hauteur.

Les communes doivent pouvoir mettre en place un système permettant d'ouvrir aux visites, en recourant au gardiennage ou à des bénévoles. C'est une condition de la préservation de ce patrimoine si singulier et si précieux.

Ainsi, l'État doit envisager un plan national en lien avec les associations et les collectivités territoriales permettant d'avoir les outils nécessaires et proportionnels à l'ambition de sauvegarde de notre patrimoine religieux remarquable et unique au monde.

C'est pour cette raison que la présente proposition de résolution a pour objectif de dessiner les axes de ce plan visant à sauvegarder notre patrimoine religieux.

Ils sont au nombre de trois.

En premier lieu, augmenter aides de l'État et diversifier les solutions financières pour garantir un entretien des bâtiments à travers, par exemple, le financement participatif.

Ensuite, il est nécessaire de revoir l'ingénierie générale, avec, par exemple, la mise en place de carnets d'entretiens avec pour objectif de garantir plus d'anticipation pour les travaux et une conservation plus efficiente. De même, cela permettrait un meilleur accompagnement des maires et des élus locaux qui sont en première ligne dans ce combat et qui se sentent parfois désemparés face à l'ampleur de la tâche.

Enfin, nous devons permettre une réappropriation et une resocialisation des édifices cultuels en garantissant leur accès et en améliorant leur mise en valeur, par exemple en développant des parcours de visite touristiques autour du patrimoine religieux à l'échelle des territoires.

Car lorsque les murs seront à terre, il sera trop tard. Dès lors, cette perte sera irréversible et surtout inexcusable. Il est désormais temps que l'ensemble de la Nation se mobilise, car rappelons-nous que nous sommes comptables envers les générations futures de ce qu'il adviendra de notre patrimoine religieux.

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