Droits des conjoints survivants et égalité successorale entre les enfants légitimes et les enfants naturel ou adultérins

N° 211

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2000-2001

Annexe au procès-verbal de la séance du 31 janvier 2001

PROPOSITION DE LOI

visant à améliorer les droits et les conditions d'existence des conjoints survivants et à instaurer dans le Code civil une égalité successorale entre les enfants légitimes et les enfants naturels ou adultérins ,

PRÉSENTÉE

par M. Nicolas ABOUT,

Sénateur.

(Renvoyée à la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement).

Successions et libéralités.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Notre droit successoral est particulièrement défavorable à deux catégories de personnes : d'une part, au conjoint survivant, d'autre part aux enfants naturels, dits « adultérins ».

Dans l'ordre des héritiers, le conjoint survivant n'occupe, en effet, que le quatrième rang. Il n'intervient dans la succession de son conjoint, qu'après ses enfants, ses parents, mais aussi ses « collatéraux privilégiés », c'est-à-dire ses frères et soeurs. Dans la plupart des cas, la part d'héritage qui lui revient se limite au quart de l'usufruit, ce qui paraît bien peu, au regard d'une vie passée à deux. A la douleur provoquée par la perte d'un être cher, s'ajoutent donc pour le conjoint survivant des difficultés financières, qui peuvent parfois le conduire jusqu'à la précarité, en particulier si aucune disposition testamentaire n'a été prévue par le défunt, pour le protéger.

Lorsque le Code civil fut rédigé en 1804, l'objectif initial était de protéger les biens de la famille. Il convenait en effet d'assurer la transmission des biens aux enfants, en particulier les propriétés foncières. Or, la réalité d'aujourd'hui est tout autre. Les patrimoines familiaux se font de plus en plus rares. En revanche, les biens acquis pendant le mariage occupent une part prépondérante. Dès lors, la présence du conjoint survivant au quatrième rang des successibles ne se justifie plus. Dans la pratique, on constate d'ailleurs que les couples ont de plus en plus recours à des dispositions légales, leur permettant de se protéger mutuellement, en cas de décès de l'un ou de l'autre : « donations au dernier vivant » ou changement de régime matrimonial, au profit de la « communauté universelle ». Selon les Notaires de France (1( * )) , plus de 80 % des époux décident ainsi de se protéger par une disposition de dernière volonté. En deux siècles, la société française a beaucoup changé : ce sont désormais les liens d'affection qui priment sur les liens du sang. La loi doit en tenir compte.

La présente proposition de loi a pour objet de transformer une pratique devenue courante en une disposition automatique. En outre, il faut songer à protéger les conjoints survivants pour lesquels aucune disposition testamentaire n'aurait été prise par le défunt, par manque de précaution ou - tout simplement - par ignorance.

Toutefois, un juste équilibre doit être conservé entre d'une part, les droits des conjoints survivants et, d'autre part, le droit naturel des enfants à hériter de leur parent. Les descendants doivent conserver leur statut d'héritiers « réservataires », en particulier pour que la transmission finale des biens soit assurée. Il faut éviter, en outre, que l'octroi de droits successoraux supplémentaires au profit du conjoint ne pénalise les descendants, en particulier dans le cas de recompositions familiales. A titre d'exemple, la loi doit empêcher toute tentative, de la part des conjoints, d'évincer de la succession du défunt les enfants qui seraient issus d'un premier mariage.

Pour respecter cet équilibre, le présent texte propose de distinguer deux cas de figure :

1°) En l'absence de descendants.

Le conjoint survivant bénéficie d'une remontée dans l'ordre des successibles. Il passe devant les frères et soeurs du défunt, et accède au même rang d'héritage que les parents. Autrement dit, en l'absence d'enfant, le conjoint hérite en pleine propriété de la moitié des biens de son époux. Le reste de l'héritage revient à ses parents. Si l'un des parents du défunt est prédécédé, la part qui lui revenait retourne automatiquement au conjoint. Si les deux parents sont morts, la totalité des biens lui échoit.

2°) En présence de descendants.

Le conjoint survivant reçoit la totalité de l'usufruit des biens. Cette disposition essentielle permet de respecter l'équilibre défini plus haut. Contrairement à d'autres propositions qui ont été émises, l'option de l'usufruit paraît préférable à celle de la dévolution en propriété. Elle permet en effet aux enfants de conserver leur part réservataire. Ces derniers pourront toujours réclamer leur part d'héritage, s'ils le souhaitent, au moment de la succession - sans attendre le décès du second conjoint. Mais, en contrepartie, il leur sera demandé de renoncer à leurs droits dans la quotité disponible. Ce dispositif permet ainsi au conjoint de conserver son mode de vie. Elle lui garantit surtout de rester dans le logement conjugal.

Il faut en effet rappeler l'objectif même de la réforme du droit successoral, concernant les conjoints survivants. Ce que souhaite le conjoint devenu veuf, ce n'est pas de priver ses enfants, ou ceux issus d'un mariage précédent, de leur part d'héritage, c'est de conserver des conditions d'existence décentes, si possible en gardant le droit d'habiter dans le logement où il a toujours vécu. C'est pourquoi le présent texte instaure, pour le conjoint survivant, un droit au maintien dans son logement. Trois cas sont envisagés :

. si le couple se trouvait, avant le décès, dans une location : le conjoint survivant sera, selon la loi, prioritaire au moment du transfert du contrat de location,

. si les époux étaient propriétaires en commun du logement : le conjoint survivant bénéficiera de l'attribution préférentielle en propriété ou en usufruit,

. si le logement était la propriété personnelle du défunt : le conjoint pourra réclamer au juge le droit d'obtenir un bail sur le logement.

Corrélativement, le conjoint bénéficiera d'un droit au maintien du mobilier garnissant le logement. Enfin, pour lui permettre de traverser dans les meilleures conditions possibles la période initiale, et très douloureuse, du veuvage, le texte instaure une gratuité complète, pendant un an, du logement servant d'habitation, lorsqu'il s'agit d'une location.

Dans notre droit successoral, les enfants naturels ou « adultérins » subissent également une forme de « maltraitance » juridique, qui n'est plus acceptable. Par l'existence même d'un chapitre spécifique, au sein du Code civil, ils sont l'objet de dispositions discriminatoires, qui limitent considérablement leurs droits successoraux, par rapport aux enfants dits « légitimes » :

1°) La part de l'enfant adultérin est réduite de moitié par rapport à celle des enfants légitimes.

2°) Le conjoint et les enfants légitimes bénéficient d'une attribution préférentielle des biens, dans le partage de la succession ; les enfants naturels ne peuvent s'y opposer.

3°) Enfin, contrairement aux enfants légitimes, l'enfant adultérin se voit privé du droit de recevoir, en plus de sa part successorale, des libéralités de la part de son parent.

Devant de telles différences de traitement, uniques en Europe, la Cour européenne des droits de l'homme vient de condamner la France, le 1er février 2000, pour violation de l'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, qui énonce le principe de la non-discrimination, et notamment celle fondée sur la naissance. La Cour justifie cette condamnation en ces termes : « l'enfant adultérin ne saurait se voir reprocher des faits qui ne lui sont pas imputables ». En effet, pourquoi sanctionner un enfant, et le brimer dans l'exercice de ses droits successoraux, pour des faits qui sont antérieurs à sa naissance ? Ces restrictions successorales sont d'autant plus choquantes que l'enfant naturel ou adultérin est soumis, par ailleurs - et tout comme les autres enfants - à l'obligation alimentaire à l'égard de ses parents... Je vous propose donc d'abroger la totalité de ces dispositions qui sont indignes de notre Code civil.

C'est dans ce double souci de protection des droits, mais aussi d'équité successorale, à l'égard des conjoints survivants comme des enfants naturels, que je vous propose, Mesdames, Messieurs, de bien vouloir adopter la présente proposition de loi.

PROPOSITION DE LOI

Article 1 er

La section VII du chapitre III du titre 1 er du livre III du code civil est ainsi modifiée :

I. - Avant l'article 765, sont insérés une division et un intitulé ainsi rédigés :

« § l - De la nature et de l'étendue des droits du conjoint survivant ».

II. - Les articles 765 à 767 sont remplacés par quatre articles ainsi rédigés :

« Art.765 . - Le conjoint survivant est appelé à la succession, soit seul soit en concours avec les parents du défunt.

« Art.766 . - Lorsque le défunt laisse des enfants ou des descendants, le conjoint recueille l'usufruit de la totalité des biens existant au décès.

« Toutefois, chacun des enfants ou descendants aura, en ce qui le concerne, la faculté d'exiger sa part réservataire en pleine propriété, compte tenu des libéralités dont il a pu bénéficier. Dans ce cas, il abandonne les droits dont il peut être titulaire dans la quotité disponible. L'enfant qui n'a pas déclaré exercer cette faculté dans les six mois du décès est réputé y avoir renoncé.

« Si l'un des enfants est mineur, le délai précédent est porté à un an. En cas d'opposition d'intérêts, il y a lieu à la nomination d'un administrateur ad hoc, dans les conditions prévues à l'article 389-3.

« Art. 767 . - Si, à défaut d'enfants ou de descendants, le défunt laisse ses père et mère, le conjoint recueille la propriété de la moitié des biens de la succession, nonobstant les dispositions de l'article 751.

« Quand le père ou la mère est prédécédé, la part qui lui serait revenue échoit au conjoint survivant.

« Art. 767-1 . - Si le défunt ne laisse que des ascendants autres que ses père et mère ou des collatéraux, le conjoint recueille la totalité de la succession en propriété. »

Article 2

Après l'article 767-1 du même code, sont insérés une division et un intitulé ainsi rédigés :

« § 2 - Du droit du conjoint survivant au maintien de son logement.

« Art. 767-2. - Si, au jour du décès, le conjoint occupe effectivement, à titre d'habitation principale, un logement dépendant en tout ou en partie de la succession, il en a de plein droit, pendant l'année qui suit, la jouissance gratuite ainsi que celle des objets mobiliers qui le garnissent. Ce droit peut s'exercer encore que l'époux prédécédé ait disposé de ce logement, soit par testament, soit par acte entre vifs, dont l'effet aurait été reporté jusqu'au décès sans que le conjoint y ait concouru.

« Si son habitation était assurée au moyen d'un bail à loyer, et que les ressources personnelles du conjoint ne lui permettent pas d'en acquitter le prix, les loyers sont payés par la succession pendant l'année qui suit le décès, au fur et à mesure de leur échéance.

« Art. 767-3. - Lorsque le local servant à son habitation dépend de la communauté ayant existé entre les époux ou de la succession du prédécédé, le conjoint survivant peut en demander l'attribution préférentielle, soit en propriété soit en usufruit, ainsi que celle des objets mobiliers garnissant ce local, s'il y avait sa résidence à l'époque du décès.

« Cette demande doit être formée dans l'année qui suit le décès.

« Art. 767-4. - L'attribution préférentielle ainsi demandée par le conjoint survivant de la propriété ou de l'usufruit du local servant à son habitation est de droit, à moins que le maintien dans l'indivision n'ait été ordonné en vertu de l'article 815-1 alinéa 2.

« Même si l'attribution préférentielle a été accordée judiciairement, le conjoint pourra, par dérogation aux dispositions de l'article 832 alinéa 10, exiger de ses copartageants, pour le paiement d'une fraction de la soulte égale au plus à la moitié, des délais ne pouvant excéder cinq ans. Sauf convention contraire, les sommes restant dues porteront intérêt au taux légal.

« En cas de vente de l'immeuble, le solde de la soulte devient immédiatement exigible.

« Art. 767-5. - Lorsque l'habitation du conjoint survivant était assurée, au moment du décès, au moyen d'un bail à loyer, et que le droit au bail appartenait indivisément aux deux époux en raison de l'article 1751, ce droit est attribué au conjoint s'il en fait la demande.

« Dans les cas où le défunt était seul titulaire du droit au bail, celui-ci est de plein droit transmis au conjoint survivant.

« Art. 767-6. - Lorsque le logement dépend de la succession du prédécédé et que le conjoint ne peut en jouir à titre de propriétaire, de copropriétaire ou d'usufruitier, ce local peut lui être concédé à bail sur sa demande.

« En cas de conflit, le juge fixe les conditions et la durée du bail. Il peut le prolonger ou le résilier en cours d'exécution si les circonstances le justifient. La demande peut être rejetée si elle excède manifestement les besoins et les facultés du conjoint.

« Ce bail prend fin de plein droit par le décès du preneur.

« La concession de ce bail peut avoir lieu encore que l'époux prédécédé ait disposé de l'immeuble servant au logement, soit par testament soit par acte entre vifs dont l'effet aurait été reporté jusqu'au décès sans que le conjoint y ait concouru. »

Article 3

Le second alinéa de l'article 1527 du même code est ainsi rédigé :

« Néanmoins, au cas où il y aurait des enfants qui ne seraient pas issus du mariage, toute convention qui aurait pour conséquence de donner à l'un des époux au delà de la portion réglée par l'article 1094-1, au titre « Des donations entre vifs et des testaments », sera sans effet pour tout l'excédent ; mais les simples bénéfices résultant des travaux communs et des économies faites sur les revenus respectifs quoique inégaux, des deux époux, ne sont pas considérés comme un avantage fait au préjudice des enfants d'un précédent lit. »

Article 4

Après l'article 1527 du même code, il est inséré un article 1528 ainsi rédigé :

« Art. 1528. - Les clauses conventionnelles conférant des avantages au profit de l'époux survivant seront sans effet lorsque la communauté sera dissoute par divorce ou séparation de corps, ainsi qu'en cas d'ingratitude du bénéficiaire. »

Article 5

Après l'article 1093 du même code, il est inséré un article 1093-1 ainsi rédigé :

« Art. 1093. 1 - Au cours du mariage, les époux pourront se faire, réciproquement ou l'un des deux à l'autre, donation de tout ou tout partie des biens qu'ils laisseront à leur décès, dans les limites fixées aux articles 1094 et suivants du présent chapitre.

« Ces donations seront toujours révocables. La révocation, lorsqu'elle a lieu, est notifiée au bénéficiaire de la disposition. »

Article 6

Le second alinéa de l'article 1096 du même code est abrogé.

Article 7

La section VI du chapitre III du titre 1 er du livre III du même code est abrogée.

Article 8

Après l'article 745 du même code, il est inséré un article 745-1 ainsi rédigé :

« Art. 745-1. - L'enfant naturel a, dans la succession de ses père et mère et autres ascendants, ainsi que de ses frères et soeurs et autres collatéraux, les mêmes droits qu'un enfant légitime. »

Article 9

Les articles 908, 915, 915-1, 915-2 1097 et 1097-1 du même code sont abrogés.

Article 10

A la fin de l'article 913 du même code, sont supprimés les mots : « hormis le cas de l'article 915 ».



1 Demain la famille , rapport du 95 ème Congrès des Notaires de France, 4 ème commission, n° 4069 et s., mai 1999.

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