Adaptation du droit boursier

N° 162

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2001-2002

Annexe au procès-verbal de la séance du 20 décembre 2001

PROPOSITION DE LOI

relative à certaines adaptations du droit boursier ,

PRÉSENTÉE

Par M. Philippe MARINI,

Sénateur.

( Renvoyée à la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement ).

Marchés financiers.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La présente proposition de loi traite de trois sujets distincts, qui nécessitent des adaptations substantielles aux dispositions en vigueur.

***

I - Trop souvent encore, le droit boursier et le droit de la concurrence s'ignorent.

L'actualité a ainsi mis en lumière une rigidité du droit boursier français, préjudiciable tant à la capacité d'adaptation des entreprises françaises qu'à l'intérêt des épargnants.

En effet, le droit boursier français ne permet pas de conditionner une offre publique d'acquisition à l'octroi d'une autorisation publique. Cette rigidité explique en partie les difficultés rencontrées par les sociétés Schneider et Legrand ou Sidel et Tetra-Laval.

En effet, dans ces deux opérations, les initiateurs de l'offre ont pu mener à bien celle-ci sur le plan boursier mais se sont trouvés confrontés au refus postérieur des autorités communautaires de la concurrence d'autoriser leur rapprochement.

Ils se sont alors trouvés en possession d'un nombre très important d'actions des sociétés cibles dont ils doivent se défaire dans des conditions défavorables.

Il ne s'agit pas, bien entendu, de remettre en cause la nécessité d'un contrôle des concentrations, et notamment dans les affaires citées, mais, bien au contraire, de prendre en considération son influence sur le droit boursier.

Ainsi, il aurait mieux valu que l'offre publique puisse être conditionnée à l'autorisation des autorités de la concurrence. Les entreprises n'auraient pas été pénalisées par leur initiative puisque l'offre n'aurait pas été consommée et les titres apportés à l'offre auraient pu être restitués aux investisseurs.

Ces situations, jusque-là très rares, risquent de se rencontrer plus fréquemment en raison des nombreux rapprochements déjà réalisés qui rendent les nouvelles opérations de concentration plus suspectes aux yeux du droit de la concurrence. De plus, la loi sur les nouvelles régulations économiques, en abaissant les seuils, fait entrer de plus nombreuses opérations dans le champ d'application du contrôle des concentrations. Il est indispensable de réagir sans attendre de nouvelles difficultés.

Une plus grande sécurité juridique ne pourra qu'encourager les entreprises à prendre de nouvelles initiatives en vue d'acquérir des positions de force sur les marchés internationaux.

C'est la raison pour laquelle il a paru utile de faire évoluer l'état du droit applicable.

La présente proposition de loi affirme d'abord le principe de l'irrévocabilité des offres. Ce principe essentiel protège les actionnaires de la société cible de l'offre publique en leur garantissant le sérieux de l'engagement de l'initiateur de l'offre et le maintien du niveau du cours de leurs actions dès lors que l'offre a été déclarée recevable. De plus, l'irrévocabilité de l'offre assure l'égalité entre les actionnaires qui vendent leurs titres sur le marché au prix de l'offre avec ceux qui préfèrent les apporter à l'initiateur.

Le principe d'irrévocabilité des offres ne figurait jusqu'alors que dans une disposition d'ordre réglementaire, l'article 5-1-4 du règlement général du Conseil des marchés financiers. Son importance commande de le faire figurer dans la loi.

Ce principe étant ainsi posé dans la loi, il convient aussitôt de l'aménager en autorisant la conditionnalité des offres.

Certes, la conditionnalité des offres n'est pas strictement une exception à l'irrévocabilité, puisque l'irrévocabilité porte sur les conditions de formation du contrat et non pas sur le maintien de l'offre pendant une certaine durée. Cependant, la conditionnalité peut être considérée comme une exception à l'irrévocabilité en raison de ses effets.

Le règlement général du Conseil des marchés financiers admet déjà certaines exceptions au principe d'irrévocabilité. Il en est ainsi en cas d'offres ou de surenchères concurrentes, de modification de la consistance de la cible, d'offre devenue sans objet (article 5-2-9). L'offre non obligatoire peut être conditionnée au fait d'atteindre un certain pourcentage du capital ou des droits de vote (article
5-1-3-1). Elle peut être également conditionnée, lorsqu'elle porte sur deux cibles, au fait d'atteindre un certain seuil au sein des deux cibles (article 5-1-3-2). D'autres dérogations d'importance moindre existent également. En outre, une offre ne peut être ouverte qu'après réception des autorisations préalables requises par la législation française (article 5-1-5).

Ne figurent pas parmi ces dérogations, les notifications aux autorités de la concurrence, les autorisations de ces dernières, ni d'ailleurs les autorisations réglementaires étrangères.

Le droit français paraît ainsi inutilement rigide. En effet, les droits allemand, anglais ou encore américain, qui ne sont pas réputés peu protecteurs des droits des actionnaires, au contraire, autorisent la conditionnalité des offres à l'octroi d'autorisations publiques. Cette faiblesse du droit français a été, malheureusement, mise en exergue par les exemples récents des offres Schneider-Legrand et Tetra Laval-Sidel.

Les entreprises françaises sont placées dans une situation défavorable par rapport à leurs concurrentes étrangères. Les rapprochements d'entreprises françaises se révèlent, en effet, plus risqués que ceux des sociétés étrangères puisqu'ils ne peuvent pas être conditionnés à l'obtention de l'ensemble des autorisations réglementaires. Ceci nuit tant aux entreprises initiatrices de l'offre qu'aux actionnaires de la cible qui risquent de se voir privés d'une prime et au marché qui peut se voir privé d'un rapprochement porteur de synergie ; en effet, une entreprise hésitera à prendre un tel risque et préférera donc s'abstenir de lancer une offre.

Cette rigidité se justifie d'autant moins que les objectifs de protection des actionnaires ne seraient pas remis en cause par la conditionnalité des offres. En effet, comme l'illustrent les affaires récentes citées, il n'est pas dans l'intérêt des actionnaires de l'initiateur de l'offre que la structure financière de leur société soit obérée par les conséquences d'un refus des autorités de la concurrence, ni que l'initiateur se retrouve contraint, a posteriori , à devoir céder les actifs nouvellement acquis. En cas de clôture de l'offre préalablement à certaines autorisations réglementaires étrangères, l'initiateur peut se retrouver - malgré lui - en violation de lois étrangères et exposé à des sanctions.

La gestion de la cible entre la clôture de l'offre publique et l'obtention de l'autorisation des autorités communautaires de la concurrence est particulièrement délicate : l'initiateur devenu - par hypothèse - actionnaire majoritaire - ne peut pas exercer ses droits de vote en assemblée générale. Quant aux actionnaires de la société cible, la conditionnalité des offres ne devrait pas leur porter préjudice dans la mesure où ils restent libres de vendre leurs titres pendant la durée de l'offre. Enfin, lorsque les actionnaires de la cible ont apporté leurs titres à une offre publique d'échange, ils ont adhéré au projet industriel proposé, et l'on sait ce qui en résulte lorsque l'initiateur se voit ensuite contraint de céder sa participation.

La conditionnalité de l'offre à la décision d'une autorité publique est parfaitement justifiée, d'autant que la condition n'est en aucun cas potestative puisque l'élément à réaliser reste parfaitement extérieur à la volonté de l'offrant.

Il est donc nécessaire d'en tirer les conséquences en autorisant la conditionnalité des offres à des autorisations publiques.

C'est pourquoi il appartient au législateur de poser le principe de l'irrévocabilité des offres publiques et d'autoriser le règlement général du Conseil des marchés financiers à y apporter de nécessaires aménagements, que ce soit en permettant, le cas échéant, de conditionner les offres publiques aux notifications aux autorités réglementaires (françaises, mais aussi européennes ou étrangères) ou aux autorisations de ces autorités, ou encore à d'autres facteurs.

***

II - D'autre part, le droit français pose le principe de l'interdiction de la négociation de promesses d'actions. Cette interdiction, justifiée par la protection des investisseurs, est levée lorsque les actions sont à créer à l'occasion d'une augmentation de capital d'une société dont les actions anciennes sont déjà admises sur un marché réglementé. En effet, lorsque la société est déjà cotée, on estime que les risques pour les épargnants sont limités. L'article 2 propose de clarifier cette exception en l'étendant expressément aux situations dans lesquelles l'augmentation de capital est concomitante à l'introduction en bourse de la société concernée sur un marché réglementé. Il n'y a pas de raison de principe qui justifierait de traiter différemment la négociation de promesses d'actions selon qu'elle s'effectue lors de l'introduction en bourse initiale ou lors d'une augmentation de capital ultérieure. En outre, afin d'éviter tout doute sur la possibilité de négocier ces promesses, la nature de la condition affectant les promesses doit être résolutoire.

L'article 3 vise à rendre plus cohérente la dépénalisation du droit des sociétés entreprises par la loi relative aux nouvelles régulations économiques. L'article 122 de la loi NRE a en effet abrogé l'article L. 242-3 3° du Code de commerce qui prévoyait une sanction pénale applicable à certains cas de négociations de promesses d'actions, tout en en maintenant l'article L. 242-4 qui fait lui-même toujours référence à l'article L. 242-3 aujourd'hui partiellement abrogé.

***

III - Enfin, l'article 4 vise à s'assurer de la conformité de l'article L. 225-145 du Code de commerce avec le droit communautaire. Dans sa rédaction actuelle, l'article L. 225-145 prévoit que la garantie irrévocable de bonne fin ne peut être délivrée que par des « prestataires de services d'investissement agréés à cet effet dans les conditions prévues à l'article 11 de la loi n° 96-597 du 2 juillet 1996 de modernisation des activités financières ». Or ledit article 11 vise exclusivement les établissements de crédit français (par référence à l'article 12-1 de cette loi), qui seuls pourraient se porter garants. La validité de cet article pourrait être douteuse au regard de la directive sur les services d'investissement du 10 mai 1993 et aux principes de libre établissement et de libre prestation de services sur le territoire des États membres de l'Union européenne.

Cet article ajoute à la référence à l'article 11 de la loi de modernisation des activités financières celle à l'article 74 de cette même loi et propose d'actualiser les références en citant l'article L. 532-1 du Code monétaire et financier (anciennement article 11 de la loi de modernisation des activités financières) et l'article L. 532-18 du même code (anciennement article 74 de la loi de modernisation des activités financières).

***

Pour ces différentes raisons, il vous est proposé, Mesdames, Messieurs, d'adopter la présente proposition de loi.

PROPOSITION DE LOI

Article 1 er

L'article L. 433-1 du Code monétaire et financier est complété par un second alinéa ainsi rédigé :

« Les offres publiques portant sur des instruments financiers négociés sur un marché réglementé ont un caractère irrévocable. Le règlement général du Conseil des marchés financiers, dans le respect de l'égalité des actionnaires et de la transparence des marchés, précise les modalités d'application et d'appréciation de cette irrévocabilité et peut y apporter des exceptions ou permettre que des offres publiques soient soumises à des conditions ».

Article 2

L'article L. 228-10 du Code de commerce est ainsi rédigé :

« Art. L. 228-10 . - La négociation de promesses d'actions est interdite, à moins qu'il ne s'agisse d'actions à créer à l'occasion d'une augmentation de capital d'une société dont les actions anciennes ont été préalablement, ou sont concomitamment admises aux négociations sur un marché réglementé. En ce cas, la négociation n'est valable que si elle est effectuée sous la condition résolutoire du défaut d'augmentation de capital. À défaut d'indication expresse, cette condition est présumée ».

Article 3

À l'article L. 242-4 du Code de commerce, les mots : « ou promesses d'actions » sont supprimés.

Article 4

L'article L. 225-145 du Code de commerce est ainsi rédigé :

« Art. 225-145 . - Dans les sociétés faisant, pour le placement de leurs actions, publiquement appel à l'épargne, l'augmentation de capital est réputée réalisée lorsqu'un ou plusieurs prestataires de services d'investissement agréé à cet effet dans les conditions prévues à l'article L. 532-1 ou L. 532-18 du Code monétaire et financier ont garanti des manière irrévocable sa bonne fin ».

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