N° 372

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2004-2005

Annexe au procès-verbal de la séance du 8 juin 2005

PROPOSITION DE LOI

tendant à abroger certaines dispositions de la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure ,

PRÉSENTÉE

Par Mmes Nicole BORVO COHEN-SEAT,

Éliane ASSASSI et Josiane MATHON,

Sénateurs.

(Renvoyée à la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

Ordre public.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La loi pour la sécurité intérieure du 18 mars 2003, et tout particulièrement les dispositions relatives à « la tranquillité et à la sécurité publiques » qui, en réalité, ne font que pénaliser la misère, connaissent un échec, après avoir été controversées et critiquées lors de l'examen du projet de loi par le Parlement.

Deux ans après l'adoption de cette loi, force est de constater, malgré l'affichage politique et médiatique du ministre de l'Intérieur d'alors et conformément à ce que nous prédisions à l'époque de l'examen du texte, que ces dispositions sont inopérantes, voire dangereuses.

La première disposition concerne le délit de racolage passif, qui punit de deux mois d'emprisonnement et de 3750 euros d'amende « le fait, par tout moyen, y compris par une attitude même passive, de procéder publiquement au racolage d'autrui en vue de l'inciter à des relations sexuelles en échange d'une rémunération ou d'une promesse de rémunération ». Cette incrimination, censée aider les forces de l'ordre à lutter contre les réseaux de proxénétisme, s'avère non seulement inefficace sur le démantèlement de ces réseaux mais en plus a augmenté la précarité et l'insécurité des personnes se livrant à la prostitution.

La prostitution n'a pourtant pas disparu, elle s'est simplement déplacée, en passant des centres villes aux endroits périurbains et peu fréquentés, tels que les friches industrielles ou encore les bois périphériques. Si les prostituées sont moins visibles, elles sont devenues en revanche plus vulnérables. Les associations rencontrent aujourd'hui bien plus de difficultés pour rentrer en contact avec elles, ce qui présente évidemment des risques en matière de prévention mais également de recensement des personnes se livrant à la prostitution.

La loi pour la sécurité intérieure, bien loin de régler le problème des réseaux transnationaux de proxénétisme et de traite des êtres humains, a acculé les personnes prostituées à la clandestinité -situation d'autant plus dramatique qu'elle est marquée par la violence et la dépendance accrue qui en découle vis-à-vis de leur proxénète- et à la précarité.

Une deuxième disposition est tout autant critiquable et concerne le délit d'entrave à la libre circulation dans les halls d'immeubles. Reconnu par les magistrats comme étant inapplicable, tant cette infraction est difficile à caractériser, il a même été question de le transformer en une simple contravention.

Il a été fait une grande publicité autour de ce délit : au final, les magistrats sont confrontés à une infraction aux contours flous, une loi inapplicable, et une possible condamnation à la prison ferme disproportionnée. Parallèlement, l'insuffisance des structures encadrantes et d'accueil pour les jeunes se fait toujours ressentir. Force est de constater que la voie pénale -et donc uniquement répressive- n'était pas la bonne.

Les dispositions relatives aux sanctions à l'encontre des gens du voyage qui s'installeraient illégalement sur un terrain relèvent de la même logique. Aujourd'hui, cinq ans après l'adoption de la loi Besson, l'accueil des gens du voyage n'est toujours pas organisé. Seules 8 000 aires de stationnement ont été aménagées ; il en manque 20 000. Dans ces conditions, il paraît mal approprié de répondre par la voie pénale à un problème évident d'accueil des gens du voyage. Traiter cette question sous l'angle uniquement répressif ne fait que renforcer les discriminations et le rejet de populations qui ont choisi un mode de vie itinérant et non sédentaire, et systématiquement montrées du doigt comme étant délinquantes et organisées de façon mafieuses.

La solution la plus réaliste et la plus efficace est de mettre l'accent sur les structures d'accueil plutôt que de multiplier les sanctions pénales.

Enfin, l'incrimination de la mendicité agressive est elle aussi disproportionnée et apparaît en décalage par rapport à la réalité. Une fois de plus, au lieu de combattre la précarité et la détresse dans lesquelles se trouvent les personnes obligées de se livrer à la mendicité, le choix a été fait de sanctionner pénalement ces personnes.

Toutes ces nouvelles infractions en matière de racolage, d'occupation des halls d'immeubles, de sanction à l'encontre des gens du voyage et de mendicité sont non seulement inopérantes mais apparaissent surtout en complet décalage par rapport à la situation vécue par toutes les personnes concernées. Ces nouveaux délits, qui s'inscrivent dans une logique de judiciarisation et de pénalisation des problèmes sociaux, aboutissent à engorger encore davantage la justice sans résoudre les problèmes de fond.

C'est également écarter toute politique de prévention en matière de sécurité, qui devrait être une priorité pour les forces de l'ordre. Une politique pénale juste et efficace doit replacer au rang de priorité la prévention, trop largement abandonnée depuis trois ans. L'inflation pénale et l'affichage médiatique que nous connaissons n'ont finalement rien résolu. L'échec des dispositifs de la loi dite « Sarkozy » ou encore celui des Groupements d'interventions régionaux, les GIR, pourtant très médiatisés, en est la preuve.

Nous proposons donc de supprimer les quatre incriminations emblématiques de la loi du 18 mars 2003. Tel est objet de la proposition de loi que nous vous demandons de bien vouloir adopter.

PROPOSITION DE LOI

Article unique

Les articles 225-10-1, 312-12-1, 322-4-1 du code pénal, ainsi que l'article L. 126-3 du code de la construction et de l'habitation sont abrogés.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page