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N° 292

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2007-2008

Annexe au procès-verbal de la séance du 16 avril 2008

PROPOSITION DE LOI

relative à l' accès à l' activité de conducteur

et à la profession d' exploitant de taxi ,

PRÉSENTÉE

Par Mme Nicole BORVO COHEN-SEAT

Sénatrice.

(Renvoyée à la commission des Affaires économiques , sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Rompant avec la situation ancienne, trois modes d'exploitation du taxi coexistent depuis l'ordonnance du Préfet de Police de Paris du 1 er février 1973 qu'a étendue au plan national la réforme mise en place par la loi du 20 janvier 1995 ( ( * )) relative à l'activité de conducteur et à la profession d'exploitant de taxi :

1° Par des travailleurs indépendants, propriétaires de leur véhicule, titulaires des autorisations administratives obligatoires, qui conduisent et gèrent eux-mêmes leur véhicule.

Ils sont inscrits au registre des métiers et ont le statut de travailleurs indépendants.

2° Par des conducteurs liés par un contrat de travail à une société exploitante, propriétaire d'un certain nombre de véhicules et titulaire des autorisations requises. Ces salariés relèvent des dispositions du code du travail et de la convention collective du taxi.

3° Par des conducteurs ayant un contrat de location avec un exploitant, généralement une société dite de location, propriétaire des véhicules et titulaire des licences administratives.

Les chauffeurs de taxis qui se voient imposer cette forme de travail se trouvent de fait sans statut social. Ils ne sont pas des artisans au sens du décret du 10 juin 1983, pas des travailleurs indépendants au sens des réglementations en vigueur, pas des salariés sauf à faire requalifier leur contrat par la juridiction compétente.

Un problème social important se pose de ce fait, problème qui a, par ailleurs, des répercussions négatives au plan économique, au plan de l'exercice de cette profession indispensable au service du public.

C'est l'objet de la présente proposition.

Il existe, selon les statistiques officielles, plus de 42 000 autorisations de taxis pour l'ensemble du territoire national. Elles sont délivrées par les préfets et les maires, en application de la législation en vigueur.

L'autorisation de stationner et de charger sur la voie publique s'analyse sur le plan économique en autorisation d'exploitation d'une prestation de transport individuel au service du public et, sur le plan social, en droit au travail.

Ainsi, sur 15 600 autorisations de stationnement de taxis délivrées à Paris :

- 8 769 sont exploitées par des travailleurs indépendants ;

- 6 000 le sont en location ;

- 831 sont exercées par des salariés et certaines font l'objet de doubles services, c'est-à-dire que certains de ces véhicules roulent de jour et de nuit.

Cela se concrétise cependant, en heures de travail, par un nombre supérieur de chauffeurs d'entreprise.

Cette proportion se retrouve, sinon au plan national, du moins dans les grandes agglomérations.

La place prise par les sociétés de taxis pratiquant la location révèle l'importance de la crise qui secoue non seulement cette partie de la profession mais l'ensemble des chauffeurs de taxis, notamment les travailleurs indépendants, dits « artisans », touchés par la baisse des recettes, recettes qui conditionnent leurs revenus.

Un court rappel historique est nécessaire. La location a existé avant 1936.

C'est la convention collective des taxis de la Seine du 24 juin 1936 qui y a mis fin en établissant un contrat collectif de travail aux chauffeurs.

Une loi du 13 mars 1937 et un arrêté ministériel du 31 décembre 1938, ayant pour objet l'organisation de l'industrie du taxi au plan national, ont donné une portée générale à l'économie du texte conventionnel et aux revendications du Syndicat unifié portées par la Chambre syndicale des cochers et chauffeurs de voitures de place de la Seine.

Depuis cette date jusqu'aux années soixante-dix, la branche du taxi a trouvé un certain équilibre, malgré les difficultés économiques, les difficultés de circulation et leurs conséquences.

La situation matérielle et les conditions de travail des chauffeurs de taxis se sont détériorées : depuis 1973, après la réforme du 2 novembre 1972 relative à l'organisation du taxi, le nombre de chauffeurs « hors convention collective » n'a cessé de croître. Cela a eu pour conséquence le non-respect des temps de repos, qui a bloqué le processus des embauches et s'est répercuté sur la continuité du service des taxis, par la suppression progressive des chauffeurs de relais.

Par un curieux sophisme, l'ordonnance du 1 er février 1973 qui interdisait formellement aux loueurs de taxi « de prêter ou louer leurs autorisations de circuler, de stationner et de charger sur la voie publique, sous peine de retrait desdites autorisations » (art. 10) ne considérait pas comme location, la location de taxis par un loueur des catégories B et C. (* ( * )2)

La loi du 20 janvier 1995 est muette sur le contrat de location lui-même comme sur les formes d'exploitation.

Elle contient pourtant une disposition en son article 4, qui porte atteinte à l'égalité dont devraient bénéficier sociétés exploitantes de taxis et artisans, pouvant offrir leurs véhicules à location, sur la durée minimale d'exploitation de l'autorisation.

L'article 10 du décret n° 95-935 du 17 août 1995, reprenant l'article 10, alinéa 2 de l'ordonnance du Préfet de Police de Paris n° 73-16079 du 1 er février 1973, définit les mesures de police administrative qui régissent le régime de la location. Il renvoie à l'appréciation souveraine de l'autorité compétente pour délivrer les autorisations de stationnement son droit de subordonner, dans l'intérêt de la sécurité et de la commodité de la circulation sur les voies publiques, la délivrance de l'autorisation sollicitée « à la présentation par le demandeur (c'est-à-dire l'exploitant) d'un contrat de louage conforme à un contrat type approuvé par elle ».

Ce contrat type, agréé par l'autorité administrative compétente, ne revêt aucun caractère obligatoire. Il devrait, selon l'article 9 de l'ordonnance préfectorale du 31 octobre 1996 par exemple (BMO de la Ville de Paris, 29 novembre 1996), être « établi en liaison avec les organisations professionnelles intéressées » afin de servir de référence aux loueurs et aux conducteurs. Il n'a été signé à la société G7 le 31 janvier 1996 que par une seule organisation de chauffeurs existante à ce jour.

Le contrat de location ne fait l'objet d'aucun encadrement ni contrôle réglementaire. Il ne relève que de la seule volonté de l'exploitant-loueur qui, alors, propose ou plutôt impose un contrat d'adhésion. L'économie de ce contrat ne fait pas disparaître les éléments de fait existant dans les relations de travail qui caractérisent la subordination juridique, critère du contrat de travail.

Cette situation imposée et qualifiée de contrat de location, qui a pris la succession de la pratique patronale du forfait, est génératrice d'insécurité juridique pour les chauffeurs.

- Elle entre dans le champ social des contrats de travail faisant l'objet d'une affiliation obligatoire par le code de la sécurité sociale (art. 311-3-7°) pour les droits à l'assurance maladie. Mais on leur impose les délais de carence des artisans pour les indemnités journalières.

- L'Urssaf refuse l'affiliation de ces personnels au régime des employeurs et travailleurs indépendants, au motif que cette activité ne remplit pas les conditions de l'article R 241-2 du code de la sécurité sociale.

- La chambre des métiers refuse l'inscription des chauffeurs locataires de taxis, car ils ne remplissent pas les conditions des articles 1 er et 3 du décret du 10 juin 1983, situation confirmée par lettre du 22 octobre 1997 du ministère des Finances à la préfecture de Savoie.

- De nombreuses instances ont été engagées dont les résultats (Cassations du 19 décembre 2000, notamment) ont entraîné que la jurisprudence sociale a requalifié ces contrats, qui de ce fait relèvent désormais du code du travail.

Or, la situation concrète faite à ces personnels fait pourtant qu'ils sont toujours exclus de toute une série de droits sociaux et des dispositions du code du travail.

Au niveau rémunération, citons un journal économique du 12 février 1997, pour illustrer cette réalité : « les locataires versent 4 400 F par semaine au loueur (dont les charges sociales et la TVA) auxquels il faut ajouter 70 à 300 F par jour de carburant. Avec une recette moyenne quotidienne de 800 à 1000 F, un locataire gagne donc entre 4 000 F et 8 000 F par mois pour 75 heures de travail hebdomadaire ».

La durée de travail quotidienne est de 11 heures pour les travailleurs indépendants (autorisations de catégorie A) et de 10 heures pour les conducteurs d'entreprises (autorisations de catégories B et C). Cette réglementation découle de la notion de temps d'occupation de la voie publique, et sert également, via l'horodateur, de base pour la répartition de la clientèle entre chauffeurs dans certaines zones d'activité.

On comprend aisément que cette réglementation ne puisse pas être respectée par les locataires, dès lors que le système forfaitaire mis en place ne permet une rémunération comparable au niveau conventionnel, que par le dépassement de l'horaire journalier et hebdomadaire et en ignorant les jours de repos hebdomadaires. Par l'absence du chauffeur de relais, le locataire doit donc effectuer la durée de travail d'1,25 chauffeur salarié. De ce fait, découle un profond déséquilibre économique entre exploitants au seul profit des sociétés de location.

Le repos dominical, les congés payés annuels, ne sont pas obligatoires, pas respectés, pas sanctionnés.

Les conducteurs locataires n'entrent pas dans le champ des règles d'hygiène et sécurité, ne relèvent pas de la Médecine du travail (* ( * )3) .

Ils n'ont pas de représentants élus du personnel, ni de délégués syndicaux, ni de droits syndicaux.

En cas de rupture de leur contrat ou de non renouvellement, ils ne bénéficient pas des indemnités de chômage.

La qualification de contrat de louage donnée par les textes réglementaires s'inscrit apparemment dans la tendance législative découlant de la loi dite Madelin du 11 février 1994 et l'article L. 120-3 du code du travail qui est en issu. Cette loi vise, dans le contexte où sévit une grave crise de l'emploi, à faciliter l'accès à toutes les formes d'activité économiques permettant, selon l'expression d'un auteur connu, « de réduire le périmètre du droit du travail ». D'échapper ainsi aux « contraintes de la législation du travail » en créant des incitations au développement de l'artisanat, du travail indépendant de l'entreprise individuelle, de l'essaimage, etc. comme moyen de lutter contre le chômage.

La finalité du décret du 17 août 1995 ne peut s'inscrire dans la même logique d'incitation à la création d'emplois et d'entreprises individuelles, puisque le volume des licences de taxis reste identique en tout cas étroitement dépendant de la seule autorité administrative.

À l'inverse, on constate que cette situation a abouti à l'effet opposé dès lors que les 6 000 autorisations concernées, exploitées en location, suppriment les « chauffeurs de relais » qui sortent les véhicules pendant les périodes de repos hebdomadaire, congés annuels et autres temps d'absence des chauffeurs. Ce chiffre est estimé à 2 000 emplois qui ont ainsi disparu.

L'extension du contrat de louage contribue à déséquilibrer la structure de ce secteur économique en faisant progressivement disparaître les chauffeurs salariés, pour échapper à l'application des droits sociaux. Elle menace de réduire considérablement l'exercice artisanal lui-même. C'est le jeu de l'harmonisation de la concurrence qui, en définitive, est violé, pour imposer des formes de travail de plus en plus désarmées et fragilisées.

Cette situation a d'ores et déjà des conséquences négatives sur l'exercice d'une profession qui, jusque là, était fortement régulée, encadrée, contrôlée, voire réprimée par les pouvoirs publics. Elle porte atteinte à l'image de cette profession et aux villes concernées. Elle se répercute sur la qualité du service rendu et la sécurité, ce qui se traduit :

1° par une incitation à la violation de la législation du code de la route, relative à la durée du travail, et à la réglementation propre aux taxis ;

2° par un taux de sinistralité en progression qui semble bien frapper plus fortement les locataires que les travailleurs indépendants, au même kilométrage parcouru ;

3° par un taux d'envoi en commission de discipline très supérieur pour les premiers par rapport aux seconds, pour des litiges avec la clientèle ou des infractions à la réglementation des taxis ;

4° par une baisse sensible du niveau de formation et de compétence des chauffeurs qui n'est plus assurée de manière suffisante, alors même qu'ils subissent une détérioration de leurs conditions de vie et de travail (durée « illimitée », embouteillages, pollution, difficultés de stationnement) ;

5° par une insuffisance croissante de taxis disponibles aux heures de pointe, malgré les progrès de la régulation par utilisation du radiotéléphone, les couloirs réservés, les augmentations du nombre ;

6° par une spéculation des sociétés sur les autorisations incompatible avec le service au public.

Pour toutes ces raisons, il convient de définir et confirmer la nature de contrat de travail pour les chauffeurs n'ayant pas un statut de travailleur indépendant, et d'harmoniser le régime de cessibilité des autorisations entre les divers exploitants.

Il est proposé par conséquent d'adopter les dispositions suivantes :

PROPOSITION DE LOI

Article 1 er

Après l'article 2 bis de la loi n° 95-66 du 20 janvier 1995 relative à l'accès à l'activité de conducteur et à la profession d'exploitant de taxi, il est inséré un article ainsi rédigé :

« Art. 2 ter A.- Une même personne physique ou morale peut être titulaire de plusieurs autorisations de stationnement.

« Le titulaire d'une ou plusieurs autorisations de stationnement doit assurer l'exploitation effective et continue du ou des taxis, personnellement ou avec son conjoint, ou avoir recours à des salariés conventionnels ».

Article 2

Dans le premier alinéa de l'article 4 de la loi n° 95-66 du 20 janvier 1995 précitée, les mots : « , et nonobstant les dispositions de l'article 3 de la présente loi » sont supprimés.

* Décret n° 95-935 du 17 août 1995 et ordonnance du préfet de Police du 31 octobre 1996 (BMO du 29 novembre 1996, p. 1952)

* *2 B : titulaire d'une autorisation et qui ne conduit pas lui-même ou titulaire de 2 à 200 autorisations ; C : titulaire de plus de 200 autorisations

* *3 Des visites médicales sont imposées lors du CAP et tous les cinq ans

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