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N° 156

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2008-2009

Annexe au procès-verbal de la séance du 12 janvier 2009

PROPOSITION DE LOI

assouplissant, notamment en matière d'accès internet, certaines des dispositions relatives à la publicité en faveur des boissons alcoolisées, au profit des vins et des boissons fermentées ,

PRÉSENTÉE

Par MM. Roland COURTEAU, Jean BESSON, Robert NAVARRO, Daniel RAOUL, François PATRIAT, Roland RIES, Simon SUTOUR, Didier GUILLAUME, Marcel RAINAUD, Bernard PIRAS, Philippe MADRELLE, Mme Françoise CARTRON, MM. Alain ANZIANI, Claude DOMEIZEL et Mme Patricia SCHILLINGER,

Sénateurs

(Renvoyée à la commission des Affaires sociales, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La lutte contre l'alcoolisme est un objectif de santé publique qui justifie que certaines restrictions soient apportées au régime de publicité en faveur des boissons alcoolisées.

Mais ces restrictions doivent rester proportionnées aux objectifs poursuivis.

Or, cet équilibre ne paraît plus aujourd'hui respecté :

- d'une part, parce que le code de la santé publique n'a jamais opéré, en matière de publicité, la distinction qui s'impose entre les alcools « durs » (gin, vodka, whisky...) et les boissons fermentées non distillées comme le vin ou le cidre ;

- d'autre part, parce qu'une double évolution jurisprudentielle est venue récemment durcir le cadre juridique de la publicité pour les boissons alcoolisées.

La présente proposition de loi se propose de remédier à cette situation :

- en prenant appui sur la distinction déjà opérée par le code de la santé publique entre les boissons fermentées non distillées d'une part, et les alcools durs de l'autre, pour autoriser explicitement la publicité sur internet au profit des premières ;

- en autorisant la publicité en faveur du vin à évoquer certaines de ses caractéristiques intrinsèques ;

- en opérant une distinction plus nette entre la publicité proprement dite et la publication d'articles rédactionnels.

1. Autoriser la publicité sur internet pour le vin et les boissons fermentées non distillées

L'article L. 3323-2 du code de la santé publique n'autorise la publicité en faveur des boissons alcoolisées que sur un certain nombre de supports limitativement énumérés.

Cette énumération, qui comporte, notamment, la presse écrite, la radiodiffusion sonore, les affiches et enseignes, ou encore les messages, circulaires commerciales et brochures adressées par les producteurs et les négociants, ne prend pas en compte l'internet et les réseaux numériques qui, lors de la discussion et du vote de la loi « Evin » du 10 janvier 1991 n'avaient pas encore pris leur essor.

La publicité sur les réseaux internet avait cependant été considérée jusqu'à aujourd'hui comme autorisée sur le fondement d'une interprétation que le Conseil d'État, dans un rapport publié en 1998 et intitulé « Internet et les réseaux numériques » , avait donnée du champ d'application de l'article L. 3323-2.

Le 4° de cet article admet en effet certains types de messages (les messages et circulaires commerciales, catalogues et brochures envoyés par les fabricants, producteurs et négociants) et l'examen des travaux parlementaires montre que le législateur considérait que les messages adressés par téléphone ou par minitel relevaient bien de cette catégorie. Le Conseil d'État avait jugé « raisonnable » d'assimiler internet au minitel et d'inclure les messages en ligne dans la liste des messages autorisés.

Cette interprétation, largement acceptée, avait été reprise par le Bureau de vérification de la publicité (BVP) qui, dans une recommandation de juillet 2004, avait considéré que, s'agissant de la publicité en faveur des alcools, « les services de communication en ligne, assimilés à des messages [étaient] des supports publicitaires autorisés » .

Cette position équilibrée a cependant été récemment remise en question par deux décisions de justice successives : une ordonnance de référé rendue le 8 janvier 2008 par le tribunal de grande instance de Paris, et le jugement de la cour d'appel de Paris qui l'a confirmée quelques jours plus tard, le 23 février 2008.

Dans ces deux décisions, les juges ont décidé de s'en tenir à une lecture littérale du code de la santé publique, et constatant que l'internet ne figurait pas expressément dans la liste limitative des supports autorisés par l'article L. 3323-2, en ont déduit que la publicité n'était pas autorisée sur les services de communication en ligne.

À l'heure où l'internet prend une place croissante dans le développement de la publicité, cette approche jurisprudentielle pourrait avoir les conséquences les plus graves, notamment pour le vin et la viticulture française.

L'interdiction de toute forme de publicité pour les boissons alcoolisées sur internet reviendrait à imposer la fermeture de tous les sites en ligne qui évoquent un cépage, une appellation, voire un territoire.

Les sites touristiques consacrés à une région viticole devraient paradoxalement être expurgés des pages qui évoquent une production locale alors que celle-ci contribue à la réputation et à l'attrait d'un terroir.

Ne pouvant s'appliquer qu'aux services de communication en ligne régis par la loi française, elle pénaliserait les producteurs français par rapport à des producteurs de pays tiers dont les sites, accessibles sur le réseau mondial de « la toile », ne seraient pas régis par des dispositions aussi contraignantes.

Enfin, elle pénaliserait particulièrement tout un secteur de la production viticole française, celui des petits producteurs indépendants qui, ne pouvant s'adosser à un important réseau de distribution commerciale, trouvent actuellement dans l'internet un moyen moderne et précieux de faire connaître leur production.

Les auteurs de la proposition de loi ne contestent pas la nécessité d'encadrer juridiquement la publicité en faveur des boissons alcoolisées sur internet.

Mais ils estiment qu'il convient d'opérer une distinction entre les alcools durs, qui jouent un rôle préoccupant dans le développement de l'alcoolisme chez les jeunes, et qui sont proposés par des alcooliers adossés à des groupes puissants, et les boissons fermentées non distillées, comme le vin, telles que les définit l'article L. 3328-1 du code de la santé publique, qui ne sont pas liées aux mêmes modes de consommation.

L' article premier de la proposition de loi a pour objet d'autoriser la publicité sur internet pour les seules boissons fermentées non distillées, sous les conditions posées par l'article L. 3323-2 du code de la santé publique.

Il reviendra aux pouvoirs publics, au terme de la réflexion qu'ils ont engagée, de définir le régime plus strict qui doit, pour des raisons de santé publique, s'appliquer à la publicité sur internet en faveur des alcools durs.

2. Autoriser la publicité pour le vin à évoquer certaines de ses caractéristiques oenologiques

L'article L. 3323-4 du code de la santé publique autorise la publicité en faveur des boissons alcoolisées sous réserve de deux conditions : celle-ci doit se borner à un certain nombre d'indications et de paramètres limitativement énumérés par la loi ; en outre, elle doit être assortie d'un message de caractère sanitaire précisant que l'abus d'alcool est dangereux pour la santé.

De ces conditions, si la première est la plus visible pour le grand public, la seconde qui a trait au contenu du message publicitaire est la plus contraignante.

Dans un premier temps, la publicité devait en effet se limiter « à l'indication du degré volumétrique d'alcool, de l'origine, de la dénomination, de la composition du produit, du nom et de l'adresse du fabricant, des agents et des dépositaires ainsi que du mode d'élaboration, des modalités de vente ou du mode de consommation des produits » .

Ce cadre restrictif, dont la jurisprudence a rapidement confirmé qu'il s'appliquait tant aux publicités effectuées pour le compte d'un fabricant qu'aux actions promotionnelles engagées par une interprofession, était de nature à paralyser toute communication relative, par exemple, à un terroir viticole.

Aussi doit-on se réjouir qu'à l'occasion de la discussion de la loi n° 2005-157 du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux, le Sénat soit intervenu une première fois pour compléter l'article L. 3323-4 précité par un alinéa additionnel ajoutant que cette publicité peut comporter, en outre, des références relatives aux terroirs de production, aux distinctions obtenues, aux appellations d'origine ou aux indications géographiques reconnues, ou encore aux références objectives relatives à la couleur et aux caractéristiques.

Le 1° de l'article 2 de la proposition de loi propose d'apporter un complément à ce dispositif, pour les seules boissons fermentées non distillées, telles que les définit l'article L. 3321-1 du code de la santé publique.

Pour ces boissons et, au premier chef, pour le vin, la publicité pourrait en outre comporter des références aux cépages dont elles sont constituées, aux techniques d'élevage, de vinification ou d'assemblage qui ont conduit à leur élaboration, ainsi qu'au patrimoine gastronomique, culturel et régional auquel elles se rattachent.

Ces dispositions sont de nature à desserrer un peu le corset dans lequel est aujourd'hui enserrée la publicité pour le vin, en autorisant les producteurs à mentionner des indications qui peuvent constituer, pour le consommateur averti, autant d'informations significatives sur la qualité et la nature du produit proposé.

3. Mieux distinguer publicité proprement dite et publication d'articles rédactionnels

Le champ d'application du dispositif de l'article L. 3321-1 du code de la santé publique appelle en outre une observation.

Même avec l'assouplissement proposé par la présente proposition de loi, le dispositif est conçu pour s'appliquer à la publicité proprement dite, et son extension à la parution d'articles rédactionnels dépourvus de toute contrepartie financière pourrait constituer une entrave injustifiée à la liberté d'expression.

Or, certains jugements récents semblent bien amorcer une telle évolution jurisprudentielle.

Dans deux jugements 1 ( * ) rendus successivement en juin et en décembre 2007, le tribunal de grande instance de Paris a considéré que des articles illustrés de photographies consacrés respectivement au vin et au champagne constituaient, même en l'absence de tout achat d'espace publicitaire, des publicités dans la mesure où ils avaient pour effet de promouvoir la vente d'une boisson alcoolique en exerçant sur le lecteur une action psychologique de nature à l'inciter à la consommation, et donc, qu'à ce titre, ils auraient dû respecter les prescriptions de l'article L. 3323-4 du code de la santé publique.

Ces deux arrêts se situent dans le prolongement d'une jurisprudence 2 ( * ) comparable portant sur un autre secteur de la publicité réglementée, dans laquelle le juge a considéré, d'une façon plus explicite encore, qu'il n'y avait « pas lieu de distinguer, eu égard à l'objectif de santé publique visé par la loi, entre la publicité commerciale, conçue et payée par un annonceur, et la publicité rédactionnelle, information objective émanant d'un journaliste indépendant, dès lors qu'elle a pour effet de donner une image favorable [de ces produits] et par là même d'inciter à leur consommation ».

Cette confusion parait extrêmement périlleuse au regard de la liberté d'expression et de la liberté de la presse qui, outre sa valeur constitutionnelle, est garantie par les engagements internationaux de la France, et en particulier par l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales.

Assimiler à une forme de publicité tout article ou toute publication qui donnerait une image favorable d'une boisson alcoolisée lui imposerait en effet, non seulement, d'être assorti du rituel message sanitaire, mais, en outre, de se borner aux seules indications limitativement autorisées par l'article L. 3323-4 du code de la santé publique.

Ces règles, conçues pour encadrer la publicité, constitueraient un redoutable carcan pour la presse : tout article qui n'aborderait pas l'alcool sous l'angle de la dénonciation pudibonde ou de la description objective encourrait le risque de censure. Les revues de consommateurs devraient y regarder à deux fois avant de comparer les mérites et les prix respectifs de deux champagnes. Quant à la presse oenologique, elle n'aurait plus qu'à se résigner à sa disparition.

Pour mettre un frein à ces dérives manifestes, la présente proposition de loi recommande, dans le 2° de son article 2 , de compléter l'article L. 3323-4 du code de la santé publique pour recentrer son dispositif sur la publicité proprement dite, en précisant qu'il ne saurait s'appliquer aux articles de presse rédactionnels élaborés d'une manière indépendante et publiés sans contrepartie financière.

Tel est le texte qu'il vous est recommandé d'adopter.

PROPOSITION DE LOI

Article 1 er

Avant le dernier alinéa de l'article L. 3323-2 du code de la santé publique, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« La propagande ou la publicité, directe ou indirecte, en faveur des boissons fermentées non distillées définies à l'article L. 3321-1, sont en outre autorisées sous la forme d'une présentation effectuée par les producteurs, les fabricants, les importateurs, les négociants, les concessionnaires ou les entrepositaires, sur leurs propres services de communication au public ou de vente en ligne, des produits qu'ils proposent, et de leurs conditions de vente, sous réserve que cette présentation ne comporte que les mentions prévues à l'article L. 3323-4. »

Article 2

L'article L. 3323-4 du même code est ainsi modifié :

1° Après le deuxième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« La publicité autorisée en faveur des boissons fermentées non distillées définies à l'article L. 3321-1 peut en outre comporter des références aux cépages dont elles sont constituées, aux techniques d'élevage, de vinification ou d'assemblage qui ont conduit à leur élaboration, ainsi qu'au patrimoine gastronomique, culturel et régional auquel elles se rattachent. » ;

2° Il est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Les articles de presse portant sur les boissons relevant de la catégorie des boissons fermentées non distillées au sens de l'article L. 3321-1 ne constituent pas des publicités au regard du présent dispositif, dès lors qu'ils sont élaborés d'une manière indépendante, sont publiés sans contrepartie financière directe ou indirecte, et n'évoquent pas les conditions de vente du produit. »

* 1 Tribunal de grande instance de Paris 06/00193 du 26 juin 2007 et 06/05406 du 20 décembre 2007.

* 2 Tribunal de grande instance de Paris du 24 avril 2003.

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