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N° 430

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2011-2012

Enregistré à la Présidence du Sénat le 24 février 2012

PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

tendant à la reconnaissance des langues et cultures régionales ,

PRÉSENTÉE

Par M. Robert NAVARRO, Mme Maryvonne BLONDIN, MM. Thani MOHAMED SOILIHI, Serge ANDREONI, Mme Françoise LAURENT-PERRIGOT, MM. Roland COURTEAU, Yves CHASTAN, Maurice ANTISTE, Mme Frédérique ESPAGNAC, M. Didier GUILLAUME, Mme Bernadette BOURZAI, MM. Yannick BOTREL, Roland RIES, Jean-Marc PASTOR, Claude BÉRIT-DÉBAT, Simon SUTOUR, Georges LABAZÉE, Mme Odette HERVIAUX, MM. Gilbert ROGER, Richard TUHEIAVA, Richard YUNG, Gérard MIQUEL, Jean-Jacques MIRASSOU, François MARC, Pierre CAMANI, Georges PATIENT, Jacky LE MENN, Marcel RAINAUD, Félix DESPLAN, Yannick VAUGRENARD, Michel DELEBARRE, Roland POVINELLI, Mme Virginie KLÈS et M. Ronan KERDRAON,

Sénateurs

(Envoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La réforme de la Constitution menée en 2008 a introduit un article 75-1 qui stipule que « les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France ». À l'époque, cette réforme avait été présentée comme une avancée considérable en faveur des langues régionales.

Pourtant, les langues régionales n'ont toujours pas de véritable statut juridique : le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2011-130 QPC, précise que « (...) cet article [75-1] n'institue pas un droit ou une liberté que la Constitution garantit. »

Les langues régionales, dans notre pays, n'ont toujours pas de véritable statut juridique, ce qui constitue une anomalie en Europe et dans le monde. Cet article 75-1 n'est qu'une coquille vide.

Notre Constitution n'offrant aucun cadre aux langues régionales, il est plus que jamais nécessaire de légiférer pour les protéger.

Plusieurs propositions de loi relatives aux langues et cultures régionales ont été déposées récemment, mais toutes connaissent un risque d'inconstitutionnalité. Comme l'a souligné Xavier North, délégué général à la langue française et aux langues de France, dans une audition autour de l'une de ces propositions de loi, « si l'on s'en tient à la décision du Conseil, il n'y a pas dans notre pays de droit à d'autres langues qu'au français » ; Xavier North a averti qu' « il n'est pas déraisonnable de penser que tout ce qui pourrait s'apparenter dans la proposition de loi à des obligations pour l'État ou les collectivités locales et, symétriquement à la reconnaissance d'un droit aux langues régionales, court un risque d'inconstitutionnalité ».

Nos langues et cultures régionales sont notre patrimoine commun et une partie du patrimoine de l'humanité. Face à certains exemples récents de comportements discriminatoires envers celles-ci et conscients de l'héritage qu'elles représentent mais aussi de leur fragilité, nous estimons qu'il est de notre devoir d'assurer l'épanouissement de ces langues sur notre territoire : ne rien faire reviendrait à précipiter leur disparition ou, tout du moins, leur effacement. La République a un rôle à jouer : gardienne des valeurs et des principes fondamentaux, elle doit être attentive aux demandes, aux attentes, à la vie de ces langues et cultures qui existent sur son territoire, en métropole comme outre-mer.

La France, régulièrement dénoncée par le Conseil de l'Europe et les Nations unies pour son manque de volonté à conférer aux langues régionales un cadre juridique protecteur, élude jusqu'à présent le débat. Pourtant, un tel statut est, à nos yeux, nécessaire !

Notre pays protège bien ses monuments historiques ainsi que ses oeuvres artistiques. Des mesures et structures administratives ont été mises en place, des fonctionnaires ont été recrutés et formés pour en assurer leur valorisation. Pourquoi la France ne porterait-elle pas la même attention à son patrimoine linguistique ainsi qu'à sa diversité culturelle ? Cela relève également de son devoir !

Nous ne pouvons que constater que cette demande est relayée de façon de plus en plus appuyée par nos élus locaux. Véritables baromètres des situations à l'échelle régionale, ceux-ci peuvent vouloir le respect d'abord, le développement ensuite, d'une langue parlée par la population sur leur territoire. Il ne faut pas non plus s'étonner que cette montée de la demande linguistique et culturelle fasse écho : le développement local et la démocratie de proximité font partie des armes contre la crise. De nombreuses collectivités territoriales ont d'ailleurs déjà engagé des actions politiques en ce sens.

Cette initiative, nous tenons à le souligner, ne vise pas à affaiblir la langue française : celle-ci reste la langue et le ciment de la République. Notons que si son rayonnement est menacé, ce serait davantage au niveau mondial : supplantée par la langue anglaise (et bientôt, pourquoi pas, par la langue chinoise !) dans les instances internationales et même européennes, au cours de rencontres entre chercheurs, d'échanges intellectuels et artistiques, de partenariats et de négociations dans les domaines de l'industrie, du commerce et des finances.

Le changement constitutionnel que proposent les auteurs de cette proposition de loi permettrait à la France d'enfin ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, et d'avancer l'examen de plusieurs propositions de loi relative au développement des langues et cultures régionales.

L'article 2 de notre Constitution

Pour des raisons constitutionnelles tenant à la rédaction actuelle de l'article 2 de notre Constitution, la Charte européenne en faveur des langues régionales ou minoritaires n'a toujours pas pu être ratifiée en France.

Cet article, initialement destiné à préserver la langue française face à la langue anglaise, a en effet fait obstacle à l'usage et au développement des langues régionales.

La nouvelle rédaction de l'article 2 de la Constitution que proposent les auteurs de cette proposition de loi constitutionnelle permettra de lever bien des obstacles administratifs et réglementaires à l'utilisation, l'enseignement et à la diffusion des langues régionales. Il sera un signe fort en faveur de la diversité et de la richesse culturelle de notre pays. C'est, enfin, un préalable juridique nécessaire à la ratification par la France de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires.

PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

Article 1 er

Le premier alinéa de l'article 2 de la Constitution est complété par les mots : « dans le respect des langues et cultures régionales qui appartiennent au patrimoine de la France, conformément à l'article 75-1 de la Constitution. »

Article 2

L'article 75-1 de la Constitution est ainsi complété : « La République en est responsable et a le devoir, dans le respect de ses engagements internationaux, de préserver, promouvoir et transmettre ce patrimoine via un droit d'accès et d'usage ouvert à l'ensemble des citoyens. La République s'oppose à la discrimination, à l'exclusion ou aux restrictions portant sur la pratique d'une langue régionale et ayant pour but de décourager ou de mettre en danger la préservation, le développement et la transmission de celle-ci. »

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