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N° 735

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2011-2012

Enregistré à la Présidence du Sénat le 31 juillet 2012

PROPOSITION DE LOI

relative à l' assistance médicalisée pour mourir ,

PRÉSENTÉE

Par MM. Jacques MÉZARD, Jean-Michel BAYLET, Yvon COLLIN, Alain BERTRAND, Christian BOURQUIN, Pierre-Yves COLLOMBAT, François FORTASSIN, Mme Françoise LABORDE, MM. Jean-Pierre PLANCADE, Jean-Claude REQUIER, Robert TROPEANO, Raymond VALL et François VENDASI,

Sénateurs

(Envoyée à la commission des affaires sociales, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Sénèque a écrit : « Y a-t-il plus cruel supplice que la mort ? Oui, la vie quand on veut mourir . »

En avril 1978, le sénateur Henri CAILLAVET (Gauche démocratique, Lot-et-Garonne) déposait la première proposition de loi relative au droit de vivre sa mort. Plus de trente ans après, plusieurs drames, particulièrement médiatisés, ont relancé le débat et soulevé la question de l'expression de la volonté du malade en fin de vie.

L'adoption de la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des patients en fin de vie a marqué une avancée réelle. Elle a consacré le droit au « laisser mourir » et permis aux patients d'exprimer leur volonté de ne pas recevoir les soins nécessaires à leur survie.

Mais cette loi, appelée « loi LEONETTI », est encore trop méconnue tant par les patients que par le milieu médical : deux français sur trois ignorent qu'il existe une loi qui interdit l'acharnement thérapeutique et seuls 2,6 % des médecins généralistes et 15 % des paramédicaux ont pu bénéficier de formation à l'accompagnement de la fin de la vie en cinq ans 1 ( * ) . Le manque de soins palliatifs est également à déplorer dans les établissements médicaux.

Par ailleurs, la « loi LEONETTI » génère parfois des situations complexes et insoutenables pour la personne malade et son entourage. Quand les soins palliatifs s'avèrent insuffisants sur la douleur, la loi autorise le droit au « laisser mourir » par l'arrêt des soins. Il peut notamment s'agir de l'arrêt de l'alimentation artificielle. Or, beaucoup de médecins estiment que c'est éthiquement inacceptable et s'y refusent.

Enfin, malgré la législation actuelle, des médecins pratiquent clandestinement l'euthanasie en administrant des antalgiques à forte dose dont on sait qu'ils peuvent provoquer le décès. Or, ces médecins agissent sans contrôle ni concertation et parfois sans la demande express du malade.

Cette situation n'est pas satisfaisante.

Lorsqu'une personne se trouve dans un état de dépendance tel qu'il lui semble qu'elle ne vit que pour « en finir », qu'elle prend la décision de céder face à une vie de souffrance et sans aucun espoir, il est important de lui permettre de ne pas se suicider dans la clandestinité, de lui reconnaître ce droit de pouvoir mourir dans la dignité. Le respect de la liberté individuelle doit nous conduire à accepter que des patients décident de bénéficier d'une aide à mourir.

Cette proposition de loi a pour objectif de permettre à des malades très graves, dont le cas est dramatique et sans autre issue qu'une mort particulièrement pénible, d'opter pour le droit de mourir dans la dignité, médicalement assistés, dans les meilleures conditions possibles. Il ne s'agit, en aucun cas, de banaliser cette pratique, mais de reconnaître, au nom de la solidarité, de la compassion et de l'humanisme, l'exception d'euthanasie, notion introduite par le Comité consultatif national d'éthique, dans un avis du 27 janvier 2000 2 ( * ) .

L' article 1 er reconnait le droit d'obtenir une assistance médicalisée pour mourir à toute personne capable majeure, en phase avancée ou terminale d'une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable. Cette affection doit infliger une souffrance physique ou psychique jugée insupportable ou qui ne peut être apaisée.

L' article 2 détermine la procédure de mise en oeuvre d'une assistance médicalisée pour mourir pour les personnes capables d'exprimer leur volonté. La situation médicale du patient doit être examinée par deux médecins qui doivent le rencontrer personnellement afin de vérifier le caractère libre, éclairé et réfléchi de cette demande et lui faire part des possibilités offertes par les soins palliatifs. À l'issue d'une période de huit jours, les deux médecins remettent au patient et à sa personne de confiance un rapport dans lequel ils exposent leurs conclusions. Si celles-ci constatent que le patient est incurable et que celui-ci confirme qu'il souhaite toujours bénéficier de l'assistance médicalisée pour mourir, l'acte a lieu après l'expiration d'un délai de huit jours. Le patient peut à tout moment renoncer à la procédure entamée. Les conclusions médicales et les confirmations sont versées au dossier médical. Dans un délai de quatre jours, le médecin qui a apporté l'assistance adresse un rapport à la commission régionale de contrôle.

Les articles 3 et 4 définissent les conditions de mise en oeuvre de l'assistance médicalisée à mourir pour les personnes ayant établi des directives anticipées tendant à ce qu'elle soit demandée en leur nom en cas d'incapacité à pouvoir exprimer elles-mêmes leur volonté. Dans ce cas, la personne ne peut bénéficier de l'assistance médicalisée à mourir que si elle l'a expressément mentionné dans ses directives anticipées.

L' article 5 met en place un système de contrôle des actes d'assistance médicalisée pour mourir. Il est créé une commission nationale de contrôle des pratiques relatives aux demandes d'assistance médicalisée pour mourir. Il est également créé dans chaque région une commission régionale présidée par le représentant de l'État qui contrôle le respect des exigences légales de chaque dossier.

L' article 6 reconnait aux professionnels de santé une clause de conscience s'ils ne souhaitent pas participer à une procédure d'assistance médicalisée pour mourir. Le médecin qui refuse d'apporter son concours doit le notifier au demandeur et l'orienter immédiatement vers un autre praticien.

L' article 7 prévoit la mise en place d'une formation des professionnels de santé sur l'assistance médicalisée pour mourir.

PROPOSITION DE LOI

Article 1 er

L'article L. 1110-9 du code de la santé publique est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Toute personne capable majeure, en phase avancée ou terminale d'une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable, lui infligeant une souffrance physique ou psychique qui ne peut être apaisée ou qu'elle juge insupportable, peut demander à bénéficier, dans les conditions prévues au présent titre, d'une assistance médicalisée permettant, par un acte délibéré, une mort rapide et sans douleur. »

Article 2

Après l'article L. 1111-10 du même code, il est inséré un article L. 1111-10-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 1111-10-1 . - Lorsqu'en application du dernier alinéa de l'article L. 1110-9, une personne demande à son médecin traitant une assistance médicalisée pour mourir, celui-ci saisit sans délai deux confrères praticiens sans lien avec elle pour s'assurer de la réalité de la situation médicale dans laquelle elle se trouve. Il peut également faire appel à tout autre membre du corps médical susceptible d'apporter des informations complémentaires.

« Le médecin traitant et les médecins qu'il a saisis vérifient, lors de l'entretien avec la personne malade, le caractère libre, éclairé et réfléchi de sa demande. Ils l'informent aussi des possibilités qui lui sont offertes par les dispositifs de soins palliatifs adaptés à sa situation et prennent, si la personne le désire, les mesures nécessaires pour qu'elle puisse effectivement en bénéficier.

« Dans un délai maximum de huit jours suivant cette rencontre, les médecins lui remettent, en présence de sa personne de confiance, un rapport faisant état de leurs conclusions sur son état de santé. Si les conclusions des médecins attestent, au regard des données acquises de la science, que l'état de santé de la personne malade est incurable, que sa souffrance physique ou psychique ne peut être apaisée ou qu'elle la juge insupportable, que sa demande est libre, éclairée et réfléchie et s'ils constatent alors qu'elle persiste, en présence de sa personne de confiance, dans sa demande, l'assistance médicalisée pour mourir doit lui être apportée.

« La personne malade peut à tout moment révoquer sa demande.

« L'acte d'assistance médicalisée pour mourir est réalisé sous le contrôle et en présence du médecin traitant qui a reçu la demande et a accepté d'accompagner la personne malade dans sa démarche ou du médecin vers lequel elle a été orientée. Il a lieu après l'expiration d'un délai de huit jours à compter de la date de confirmation de sa demande.

« Toutefois, si la personne malade l'exige, et avec l'accord du médecin qui apportera l'assistance, ce délai peut être raccourci. La personne peut à tout moment révoquer sa demande.

« Les conclusions médicales et la confirmation des demandes sont versées au dossier médical de la personne. Dans un délai de quatre jours ouvrables à compter du décès, le médecin qui a apporté l'assistance adresse à la commission régionale de contrôle mentionnée à l'article L. 1111-13-2 un rapport exposant les conditions dans lesquelles celui-ci s'est déroulé. À ce rapport sont annexés les documents qui ont été versés au dossier médical en application du présent article. »

Article 3

L'article L. 1111-11 du même code est ainsi rédigé :

« Art. L. 1111-11 . - Toute personne capable majeure peut rédiger des directives anticipées relatives à la fin de sa vie pour le cas où elle serait un jour hors d'état d'exprimer sa volonté. Ces directives anticipées sont modifiables ou révocables à tout moment.

« À condition qu'elles aient été établies moins de trois ans avant l'état d'inconscience de la personne, le médecin doit en tenir compte pour toute décision la concernant.

« Dans ces directives, la personne indique ses souhaits en matière de limitation ou d'arrêt des traitements et, le cas échéant, les circonstances dans lesquelles elle désire bénéficier d'une assistance médicalisée pour mourir telle que régie par l'article L. 1111-10-1. Elle désigne dans ce document la ou les personnes de confiance chargées de la représenter le moment venu. Les directives anticipées sont inscrites sur un registre national automatisé tenu par la commission nationale de contrôle des pratiques relatives à l'assistance médicalisée pour mourir mentionnée à l'article L. 1111-13-2. Toutefois, cet enregistrement ne constitue pas une condition de validité du document.

« Les modalités de gestion du registre et la procédure de communication des directives anticipées au médecin traitant qui en fait la demande sont définies par décret en Conseil d'État. »

Article 4

La section 2 du chapitre I er du titre I er du livre I er de la première partie du code de la santé publique est complétée par un article L. 1111-13-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 1111-13-1 . - Lorsqu'une personne, en phase avancée ou terminale d'une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable, se trouve de manière définitive dans l'incapacité d'exprimer une demande libre et éclairée, elle peut bénéficier d'une assistance médicalisée pour mourir à la condition que celle-ci figure expressément dans ses directives anticipées établies dans les conditions mentionnées à l'article L. 1111-11.

« Sa ou ses personnes de confiance en font alors la demande à son médecin traitant qui la transmet à deux autres praticiens au moins. Après avoir consulté l'équipe médicale, les personnes qui assistent au quotidien la personne malade et tout autre membre du corps médical susceptible de les éclairer, les médecins établissent, dans un délai de quinze jours au plus, un rapport déterminant si elle remplit les conditions pour bénéficier d'une assistance médicalisée pour mourir.

« Lorsque le rapport conclut à la possibilité d'une assistance médicalisée pour mourir, la ou les personnes de confiance doivent confirmer le caractère libre, éclairé et réfléchi de la demande anticipée de la personne malade en présence de deux témoins n'ayant aucun intérêt matériel ou moral à son décès. L'assistance médicalisée pour mourir est alors apportée après l'expiration d'un délai d'au moins deux jours à compter de la date de confirmation de la demande.

« Le rapport des médecins est versé au dossier médical de l'intéressé. Dans un délai de quatre jours ouvrables à compter du décès, le médecin qui a apporté son concours à l'assistance médicalisée pour mourir adresse à la commission régionale de contrôle mentionnée à l'article L. 1111-13-2 un rapport exposant les conditions dans lesquelles celui-ci s'est déroulé. À ce rapport sont annexés les documents qui ont été versés au dossier médical en application du présent article, ainsi que les directives anticipées. »

Article 5

La même section 2 est complétée par deux articles L. 1111-13-2 et L. 1111-13-3 ainsi rédigés :

« Art. L. 1111-13-2 . - Il est institué auprès du garde des sceaux, ministre de la justice, et du ministre en charge de la santé, une commission nationale de contrôle des pratiques relatives aux demandes d'assistance médicalisée pour mourir. Il est également institué dans chaque région une commission régionale présidée par le représentant de l'État. Celle-ci est chargée de contrôler, chaque fois qu'elle est rendue destinataire d'un rapport d'assistance médicalisée pour mourir, si les exigences légales ont été respectées.

« Lorsqu'elle estime que ces exigences n'ont pas été respectées ou en cas de doute, elle transmet le dossier à la commission nationale qui, après examen, peut en saisir le Procureur de la République. Les règles relatives à la composition ainsi qu'à l'organisation et au fonctionnement des commissions susvisées sont définies par décret en Conseil d'État.

« Art. L. 1111-13-3 . - Est réputée décédée de mort naturelle en ce qui concerne les contrats où elle était partie la personne dont la mort résulte d'une assistance médicalisée pour mourir mise en oeuvre selon les conditions et procédures prescrites aux articles L. 1111-10 et L. 1111-11. Toute clause contraire est réputée non écrite. »

Article 6

Le dernier alinéa de l'article L. 1110-5 du même code est complété par trois phrases ainsi rédigées :

« Les professionnels de santé ne sont pas tenus d'apporter leur concours à la mise en oeuvre d'une assistance médicalisée pour mourir ni de suivre la formation dispensée par l'établissement en application de l'article L. 1112-4. Le refus du médecin ou de tout membre de l'équipe soignante de participer à une procédure d'assistance médicalisée pour mourir est notifié au demandeur. Dans ce cas, le médecin est tenu de l'orienter immédiatement vers un autre praticien susceptible de déférer à sa demande. »

Article 7

Le deuxième alinéa de l'article L. 1112-4 du même code est complété par une phrase ainsi rédigée :

« Ils assurent également, dans le cadre de la formation initiale et continue des professionnels de santé, une formation sur les conditions de réalisation d'une assistance médicalisée pour mourir. »


* 1 « Fin de vie : un premier état des lieux », rapport 2011 de l'Observatoire national de la fin de vie.

* 2 Avis n° 63 « Fin de vie, arrêt de vie et euthanasie ».

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