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N° 348

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2012-2013

Enregistré à la Présidence du Sénat le 12 février 2013

PROPOSITION DE LOI

relative à l' attractivité universitaire de la France ,

PRÉSENTÉE

Par Mmes Dominique GILLOT, Bariza KHIARI, MM. Jean-Pierre SUEUR, Daniel RAOUL, Yves DAUDIGNY, Mmes Claudine LEPAGE, Françoise LAURENT-PERRIGOT, MM. René TEULADE, Richard YUNG, Mme Michelle MEUNIER, MM. Jean-Yves LECONTE, Robert NAVARRO, Mme Bernadette BOURZAI, MM. Yves CHASTAN, Jean-Jacques LOZACH, Ronan KERDRAON, Alain NÉRI, Mme Josette DURRIEU, MM. Roger MADEC, Marcel RAINAUD, Jean BESSON, Edmond HERVÉ, René VANDIERENDONCK, Mme Odette DURIEZ, M. Jacques-Bernard MAGNER, Mme Jacqueline ALQUIER, M. Pierre CAMANI, Mmes Delphine BATAILLE, Danielle MICHEL, Françoise CARTRON, MM. Georges LABAZÉE, Philippe MADRELLE, Mme Maryvonne BLONDIN, MM. Roland RIES, Michel BOUTANT et Yannick VAUGRENARD,

Sénateurs

(Envoyée à la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L'enseignement supérieur et la recherche n'ont pas échappé à la mondialisation. Longtemps circonscrites à quelques rares pays, les meilleures universités de la planète sont désormais présentes sur tous les continents : l'Amérique du Nord et l'Europe doivent maintenant rivaliser avec les pays émergents (Brésil, Chine, Inde, Mexique, Corée du Sud...) où se sont développés des établissements réputés pour l'excellence de leur formation et de leur recherche. Acteurs majeurs de l'économie de la connaissance où l'innovation, le savoir et le capital humain sont des éléments centraux de cette compétition globalisée, les universités doivent attirer les meilleurs étudiants et les meilleurs chercheurs. En plus de l'enjeu qu'il représente pour la compétitivité, le sujet est stratégique pour les États : l'enseignement supérieur contribue à leur soft power , c'est-à-dire à leur politique d'influence et à la diffusion de leurs idées, de leur langue, de leur culture et de leurs valeurs à travers le monde.

Parallèlement à cette lente révolution du paysage universitaire mondial, la France a perpétué une longue tradition d'accueil des étudiants étrangers, portée notamment par des dispositifs généreux de bourses d'excellence. Suite au travail engagé par le gouvernement de Lionel Jospin à la fin des années 1990, notre pays a mené une politique constante, au gré des différentes majorités gouvernementales, pour favoriser la venue d'étudiants étrangers : assouplissement des critères de délivrance des titres de séjour ; amélioration et simplification des procédures administratives liées à l'entrée et au séjour en France ; création d'un opérateur unique, Campus France, destiné à promouvoir les formations françaises à l'étranger, à faciliter la sélection des étudiants internationaux et à gérer l'ensemble de la chaîne de leur accueil.

Il faut néanmoins observer que notre politique d'accueil des étudiants étrangers a été entachée d'incohérences, nuisibles à sa lisibilité par l'extérieur et par suite à l'attractivité de notre système universitaire, déterminée autant par la qualité des enseignements et de la recherche que par les conditions de vie (logement, procédures administratives, bourses, système de santé...). Malgré des évolutions plutôt favorables au développement des échanges intellectuels et à l'augmentation du nombre d'étudiants étrangers accueillis (environ 230 000 en 2010-2011, soit une augmentation de près de 40 % en dix ans), notre pays reste encore en retard par rapport à ses concurrents directs. La France a été reléguée au quatrième rang mondial des pays d'accueil des étudiants étrangers, désormais devancée par l'Australie qui a mené une politique conquérante, en assouplissant les critères d'octroi des visas au bénéfice des étudiants étrangers.

Ce retard s'explique par une forte hésitation entre la volonté d'accueillir les meilleurs éléments et l'obsession du « risque migratoire ». Á cela s'ajoute une autre ambiguïté : la volonté de tirer parti immédiat des compétences des meilleurs au service de l'influence française et l'affirmation que l'étudiant étranger a vocation à rentrer dans son pays d'origine sitôt sa formation terminée. Cette politique brouillonne s'est traduite par la circulaire du 31 mai 2011 (dite circulaire « Guéant-Bertrand ») qui a largement abîmé l'image de la France à l'étranger, détournant de nombreux étudiants brillants, notamment francophones, vers d'autres destinations.

L'abrogation de cette circulaire et son remplacement le 31 mai 2012 par de nouvelles dispositions ont permis de rétablir l'image de notre pays auprès des étudiants et chercheurs du monde entier, mais il reste encore beaucoup à faire pour assumer la considération que l'on doit à ces étrangers qui deviennent, après leur séjour en France, nos meilleurs ambassadeurs.

Il n'est, en effet, ni dans l'intérêt des pays d'origine, ni dans le nôtre, de renvoyer chez eux les étrangers dès la fin de leurs études. Au contraire, c'est après au moins une première expérience professionnelle que ces diplômés pourront, à leur retour chez eux ou à l'international, mettre à profit les compétences acquises en France et en faire la promotion.

L' article 1 er favorise les conditions d'exercice des premières années d'expérience professionnelle, en modifiant l'article L. 311-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA). Il porte de six à douze mois la durée de l'autorisation provisoire de séjour (APS), période pendant laquelle un étranger, immédiatement après l'obtention d'un diplôme d'un établissement d'enseignement supérieur français, peut chercher un emploi pour une première expérience professionnelle. Le bénéfice de cette disposition est étendu aux titulaires d'un diplôme équivalent à la licence. La carte de séjour « salarié », délivrée à ces jeunes diplômés étrangers, est désormais d'une durée de trois ans. La mention du « retour au pays d'origine » est supprimée, compte tenu de son caractère trop contraignant et surtout, de son décalage avec la réalité des mobilités des jeunes diplômés. Enfin, il est donné une acception large à la « première expérience professionnelle » qui peut dorénavant être exercée auprès d'un ou plusieurs employeurs.

Pour sécuriser leur situation en France et limiter les démarches administratives, souvent vexatoires, qui épuisent et précarisent les étudiants étrangers tout en encombrant inutilement les services préfectoraux, l' article 2 modifie l'article L. 313-4 du CESEDA. L'étudiant étranger qui aura accompli une année d'études en France obtient un titre de séjour pluriannuel : d'une durée de trois ans s'il prépare un diplôme équivalent à la licence ; de deux ans pour le master ; d'une durée de quatre ans pour un diplôme de doctorat. Cette disposition était jusqu'ici à la discrétion des services préfectoraux ; elle devient désormais de plein droit.

L' article 3 permet à l'étudiant n'ayant pas besoin de recourir à l'APS, car déjà pourvu d'une promesse d'embauche, de bénéficier des mêmes conditions prévues à l'article 1 er s'il opte pour le changement de statut, d'« étudiant » à « salarié » : non-opposabilité de la situation de l'emploi et titre de séjour de trois ans.

Pour éviter le choix souvent cornélien, à la fois pour les personnes intéressées et pour la France, entre le retour dans le pays d'origine ou une installation quasi-définitive dans notre pays, l' article 4 crée un droit illimité au séjour en France pour tout diplômé d'un doctorat obtenu en France, à qui la carte « compétences et talents » est délivrée sur sa demande. Cette disposition a vocation à favoriser les échanges entre les pays d'origine et la France, permettant de développer une coopération économique continue, enrichissante, sans pillage des cerveaux des pays émergents.

Afin de dynamiser la politique de développement international des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel (EPSCP), l' article 5 institue la détermination de leur politique de coopération internationale comme un des principes de l'autonomie. Les dispositions de l'article D. 123-19 du code de l'éducation, qui régissent la conclusion des accords avec les institutions étrangères ou internationales, universitaires ou non, sont difficilement compatibles avec l'autonomie des EPSCP.

Enfin, l' article 6 déroge à l'article L. 121-3 du code de l'éducation qui oblige les établissements d'enseignement supérieur à dispenser des enseignements en français, ce qui, de l'aveu de nombreux acteurs du monde universitaire, peut représenter un obstacle au recrutement d'étudiants étrangers de qualité. Cette disposition, contournée par de nombreux établissements, mais tolérée, les place dans une situation de forte insécurité juridique. Cet article permet d'y remédier en conditionnant l'assouplissement des contraintes de l'article L. 121-3 au suivi obligatoire de cours d'initiation à la langue et à la culture françaises. Pour rester en conformité avec une jurisprudence constante du Conseil constitutionnel protégeant la langue française, en vertu de l'article 2 de la Constitution, les textes règlementaires devront veiller à ce que les étudiants de ces établissements puissent suivre les mêmes cursus en français et en langue étrangère. Cette solution permet de développer et de préserver la promotion de la francophonie tout en attirant les élites étrangères non francophones souhaitant étudier en France et enrichir leur culture.

PROPOSITION DE LOI

Article 1 er

Le premier alinéa de l'article L. 311-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est ainsi modifié :

1° La première phrase est ainsi modifiée :

a) Le mot : « six » est remplacé par le mot : « douze » ;

b) Les mots : « au master » sont remplacés par les mots : « à la licence » ;

c) Les mots : « , dans la perspective de son retour dans son pays d'origine, » sont supprimés ;

d) Les mots : « participant directement ou indirectement au développement économique de la France et du pays dont il a la nationalité » sont remplacés par les mots : « , sans limitation à un seul emploi ou à un seul employeur » ;

2° La troisième phrase est ainsi modifiée :

a) Au début de la phrase, sont insérés les mots : « Par dérogation à l'article L. 313-1, » ;

b) Le mot : « six » est remplacé par le mot : « douze » ;

c) Les mots « est autorisé à séjourner en France » sont remplacés par les mots : « se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention «salarié», d'une durée de validité de trois ans, ».

Article 2

Le deuxième alinéa de l'article L. 313-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est ainsi rédigé :

« Cette dérogation donne droit au renouvellement de la carte de séjour temporaire portant la mention «étudiant» :

« - Pour une durée de validité de trois ans à l'étudiant étranger admis à suivre, dans un établissement d'enseignement supérieur habilité au plan national, une formation en vue de l'obtention d'un diplôme équivalent à la licence ;

« - Pour une durée de validité de deux ans à l'étudiant étranger admis à suivre, dans un établissement d'enseignement supérieur habilité au plan national, une formation en vue de l'obtention d'un diplôme équivalent au master ;

« - pour une durée de validité de quatre ans à l'étudiant étranger admis à suivre, dans un établissement d'enseignement supérieur habilité au plan national, une formation en vue de l'obtention d'un diplôme de doctorat. »

Article 3

L'article L. 313-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est complété par un III ainsi rédigé :

« III. - Par dérogation à l'article L. 313-1, l'étranger titulaire de la carte de séjour portant la mention «étudiant», ayant achevé avec succès, dans un établissement d'enseignement supérieur habilité au plan national, un cycle de formation conduisant à un diplôme au moins équivalent à la licence, peut bénéficier d'une carte de séjour «salarié», s'il atteste, avant l'expiration de son titre de séjour, d'une promesse d'embauche pour exercer un emploi en relation avec sa formation et assorti d'une rémunération supérieure à un seuil déterminé par décret dans les mêmes conditions qu'à l'article L. 311-11.

« Ce titre, d'une durée de validité de trois ans à compter de la date de début de son contrat de travail, est délivré pour l'exercice de l'activité professionnelle correspondant à l'emploi considéré au titre des dispositions du 1° de l'article L. 313-10 du présent code, sans que lui soit opposable la situation de l'emploi sur le fondement de l'article L. 341-2 du code du travail. »

Article 4

Après l'article L. 315-3 du code de l'éducation, il est rétabli un article L. 315-4 ainsi rédigé :

« Art. L. 315-4. - Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte mentionnée à l'article L. 315-1 est accordée de plein droit à l'étranger titulaire d'un diplôme de doctorat, délivré en France par un établissement d'enseignement supérieur habilité au plan national.

« Par dérogation à l'article L. 315-3, l'étranger souhaitant bénéficier d'une carte «compétences et talents» est dispensé de présenter le projet mentionné à cet article.

« Par dérogation aux articles L. 315-1 et L. 315-2, son renouvellement n'est pas limité lorsque son titulaire a la nationalité d'un pays membre de la zone de solidarité prioritaire.

« Un décret en Conseil d'État fixe les conditions d'application du présent article.»

Article 5

Après l'article L. 711-9 du code de l'éducation, il est inséré un article L. 711-10 ainsi rédigé :

« Art. L. 711-10 - Les établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel contractent librement, et sans autorisation préalable, avec les institutions étrangères ou internationales, universitaires ou non.

« Le ministre chargé de l'enseignement supérieur et le ministre des affaires étrangères sont informés de la conclusion de l'accord.

« À son expiration, l'accord fait l'objet d'une évaluation communiquée au ministre chargé de l'enseignement supérieur et au ministre des affaires étrangères.

« Un décret précise les modalités d'application du présent article. »

Article 6

Après l'article L. 761-1 du code de l'éducation, il est inséré un article L. 761-2 ainsi rédigé :

« Art. L. 761-2 - Par dérogation à l'article L. 121-3, la langue de l'enseignement, des examens et concours, ainsi que des thèses et mémoires, dans les établissements d'enseignement supérieur, peut être une autre langue que le français.

« Pour les étudiants ne justifiant pas d'une connaissance suffisante du français, lorsqu'ils suivent une formation dispensée dans une langue étrangère, cette dérogation est soumise à l'obligation de suivre un cursus d'apprentissage de la langue et de la culture françaises.

« Un décret précise les modalités d'application du présent article. »

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