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N° 591

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2013-2014

Enregistré à la Présidence du Sénat le 6 juin 2014

PROPOSITION DE LOI

visant à rendre obligatoire l' exercice du droit de vote ,

PRÉSENTÉE

Par M. Roland POVINELLI, Mme Bernadette BOURZAI, M. Joël GUERRIAU, Mlle Sophie JOISSAINS, MM. Christian PONCELET, Marcel RAINAUD, Daniel RAOUL, Mmes Patricia SCHILLINGER, Esther SITTLER et M. Richard YUNG,

Sénateurs

(Envoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L'instauration du suffrage universel en France est l'un des acquis les plus importants de la Révolution française et de l'avènement de la République. La France fut d'ailleurs le premier État au Monde à choisir le suffrage universel masculin.

Des 1792, la Constitution portée par les Révolutionnaires de 1789 prévoit son instauration pour rompre avec le suffrage censitaire, symbole de l'Ancien Régime. Malheureusement, cette réforme ne prendra jamais effet, puisque dès 1795, le Directoire rétablit le suffrage censitaire jusqu'en 1848.

En 1848, les révolutionnaires mettent fin à la Monarchie de Juillet et proclament la République. Le 5 mars de la même année, la République adopte le suffrage universel masculin qui ne sera plus remis en cause par la suite. Tous les Français âgés de 21 ans et jouissant de leurs droits civils et politiques pouvaient dès lors voter. Le vote devient alors secret.

Il faut attendre l'ordonnance du 21 avril 1944, qui régit le fonctionnement du Gouvernement Provisoire de la République Française présidé par Charles DE GAULLE, pour que le droit de suffrage devienne réellement universel avec le droit de vote pour les femmes.

En 1992, le traité de Maastricht instaure la citoyenneté européenne : dans tous les pays de l'Union européenne, les citoyens originaires de l'Union ont le droit de participer aux élections municipales.

Le suffrage direct et universel est le fondement de notre démocratie et l'une des conquêtes majeures de la République et des générations de femmes et d'hommes qui, au cours des siècles, se sont battues pour l'obtenir, parfois au péril de leur vie.

Le pouvoir de voter a longtemps été considéré comme le seul moyen de dégager une volonté nationale et d'esquisser les contours d'un projet républicain d'envergure.

En ces temps de crise, il devrait être perçu comme le meilleur outil pour imposer une orientation forte et résolue des forces vives de notre pays vers l'avenir.

La question de l'abstention se pose à chaque nouvelle élection car elle ne cesse d'augmenter en France, y compris pour des scrutins de proximité. Nous venons encore de le vérifier à l'occasion des élections municipales et européennes de mars et mai 2014.

L'hostilité à l'encontre d'une classe politique tenue comme éloignée des citoyens, le sentiment que le vote ne change rien et que les élus ne sont pas représentatifs, l'indifférence à l'égard de la politique, les arguments portés par les abstentionnistes sont nombreux et l'actualité récente ne permet pas de les contredire.

En France, il faut le reconnaître, la classe politique n'est plus du tout représentative : 52 % des Français sont employés ou ouvriers, contre 3 % des députés. Quelques 82 % des sénateurs et députés sont des cadres ou exercent des professions intellectuelles alors que cette catégorie ne représente que 13 % de la population active.

Conséquence : les catégories défavorisées ne se reconnaissent pas dans la classe politique, et leurs intérêts ne sont pas pris en compte puisqu'elles ne votent plus.

Une avancée importante pour bon nombre de français a pourtant permis, pour la première fois, de prendre en compte le vote blanc. En effet, la loi n° 2014-172 du 21 février 2014 visant à reconnaître le vote blanc aux élections a été appliquée lors des dernières élections européennes et dispose, à travers l'article L. 65 du code électoral que :

« Les bulletins blancs sont décomptés séparément et annexés au procès-verbal. Ils n'entrent pas en compte pour la détermination des suffrages exprimés, mais il en est fait spécialement mention dans les résultats des scrutins. Une enveloppe ne contenant aucun bulletin est assimilée à un bulletin blanc. »

Sans effet lors de ce dernier scrutin, le vote blanc se doit d'être accompagné du vote obligatoire pour évaluer l'insatisfaction par rapport à l'offre politique.

Si l'inscription sur les listes électorales est obligatoire en France, le vote ne l'est pas. L'obligation de voter ne s'applique que pour les élections sénatoriales, les grands électeurs s'abstenant sans raison valable étant condamnés au paiement d'une infime amende.

En Europe, si les Pays-Bas ont supprimé le vote obligatoire en 1970, l'obligation de voter subsiste en Belgique, en Grèce, au Liechtenstein, au Luxembourg, dans le canton suisse de Schaffhouse et dans le Land autrichien du Vorarlberg.

Hors d'Europe, le principal pays où le vote est obligatoire est l'Australie, l'obligation de voter ne valant que pour les élections nationales, car les différents États et territoires n'ont pas tous adopté la même règle pour les élections qui relèvent de leur compétence.

Les législations de ces pays reconnaissent toutes des motifs d'abstention. Dans certains cas (Land du Vorarlberg, Liechtenstein, Luxembourg, canton de Schaffhouse), ces motifs sont énumérés limitativement.

Dans les autres, la loi prévoit la possibilité de présenter une excuse, dont la recevabilité est appréciée par le juge (Belgique) ou par l'administration (Australie).

Par ailleurs, en contrepartie de l'obligation de voter, la plupart des lois ouvrent la possibilité de voter par procuration, par correspondance, voire par anticipation ou à domicile, sauf dans le canton de Schaffhouse, où la loi électorale ne pose aucune condition au recours au vote par correspondance.

Ces diverses facilités sont néanmoins réservées aux seuls électeurs qui, ne pouvant se rendre au bureau de vote où ils sont inscrits, présentent une demande motivée.

Toutes les lois électorales étudiées prévoient que le non-respect de l'obligation de voter est sanctionné d'une amende.

Cette amende n'est pas partout symbolique : si elle s'élève à trois francs suisses (soit environ deux euros) dans le canton de Schaffhouse et à vingt francs suisses (soit environ treize euros) au Liechtenstein, elle est comprise entre 100 et 250 € pour une première abstention au Luxembourg et se monte à 400 ou 700 € selon la nature de l'élection dans le Land du Vorarlberg.

Devant ces exemples, il est proposé de rendre le vote obligatoire en France et d'assortir cette obligation d'une sanction pécuniaire. Ce nouveau mécanisme permettrait de responsabiliser davantage à la fois l'électeur et l'élu.

Lutter efficacement contre ce fléau, c'est avant tout moderniser et refondre notre système démocratique.

PROPOSITION DE LOI

Article 1 er

L'article L. 1 du code électoral est complété par une phrase ainsi rédigée :

« Le vote est obligatoire. »

Article 2

Après l'article L. 117-1 du code électoral, il est inséré un article L. 117-2 ainsi rédigé :

« Art. L. 117-2. - Tout électeur qui, sans motif valable, n'aura pas pris part aux opérations électorales et qui n'aura pas justifié cette absence et prouvé sa bonne foi sera puni de l'amende prévue pour les contraventions de la deuxième classe. »

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