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N° 379

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2014-2015

Enregistré à la Présidence du Sénat le 31 mars 2015

PROPOSITION DE LOI

visant à abroger le délit de blasphème toujours en vigueur en Alsace - Moselle ,

PRÉSENTÉE

Par MM. Jean-Claude BOULARD, Didier GUILLAUME, Alain ANZIANI, Dominique BAILLY, Mme Delphine BATAILLE, MM. Michel BERSON, Serge LARCHER, Jacques BIGOT, Yannick BOTREL, Mmes Claire-Lise CAMPION, Françoise CARTRON, Karine CLAIREAUX, M. Roland COURTEAU, Mme Dominique GILLOT, MM. Philippe KALTENBACH, Jeanny LORGEOUX, Roger MADEC, François MARC, Jean-Pierre MASSERET, Rachel MAZUIR, Mmes Michelle MEUNIER, Danielle MICHEL, MM. Thani MOHAMED SOILIHI, Hervé POHER, Daniel RAOUL, Mme Patricia SCHILLINGER, MM. Jean-Pierre SUEUR, Simon SUTOUR, Mmes Catherine TASCA, Nelly TOCQUEVILLE, MM. Jean-Louis TOURENNE, Yannick VAUGRENARD, Mme Evelyne YONNET, M. Maurice VINCENT, Mme Marie-Noëlle LIENEMANN et les membres du groupe socialiste et apparentés,

Sénateurs

(Envoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L'article 166 du code pénal local d'Alsace-Moselle punit tout individu coupable de délit de blasphème d'une peine de prison de 3 ans ou plus.

Cet article dispose que « Celui qui aura causé un scandale en blasphémant publiquement contre Dieu par des propos outrageants, ou aura publiquement outragé un des cultes chrétiens ou une communauté religieuse établie sur le territoire de la Confédération et reconnue comme corporation, ou les institutions ou cérémonies de ces cultes, ou qui, dans une église ou un autre lieu consacré à des assemblées religieuses, aura commis des actes injurieux et scandaleux, sera puni d'un emprisonnement de trois ans au plus ».

Cet article 166 est une « scorie » de l'histoire. Certains tribunaux donnent une portée à cette disposition, d'autres non. Pour certains cette loi reste applicable, et pour d'autres elle ne l'est plus. Le meilleur moyen de clore ces débats est de supprimer cet article 166 du code pénal local d'Alsace-Moselle.

Les représentants des religions d'Alsace-Moselle ont proposé, le 6 janvier 2015 lors d'une audition devant l'Observatoire de la laïcité, d'abroger la législation locale relative au blasphème.

Cette suppression serait l'occasion d'un débat utile sur l'évolution des opinions au regard du concept de blasphème qui fait toujours l'objet de poursuites pénales dans de nombreux pays du monde, et qui continue à choquer certaines composantes de l'opinion.

L'acceptation de la disparition du délit de blasphème en termes d'opinion ne peut être que progressive. Pour traiter de cette progressivité il est utile de se référer à la circulaire du 9 avril 1903 sur la neutralité scolaire qui soulignait qu'il n'y a qu'une manière « de bien appliquer la loi, c'est de la faire entrer dans les moeurs ».

L'exposé des motifs pourrait être utilement complété par le texte de Jean-Paul CARMINATI, avocat et écrivain, s'exprimant ainsi, le 16 janvier 2015, dans l'émission Secret d'Info sur France Inter :

« Il avait 20 ans et n'avait tué personne. C'était en 1666 en France. Le Chevalier de la Barre est massacré en public au « nom de la Loi », pour blasphème. Il est torturé, décapité puis brûlé, le dictionnaire philosophique de Voltaire cloué sur son torse. Il avait 20 ans et n'avait tué personne.

Un siècle plus tard, la Révolution abolit le délit de blasphème.

« Nul ne peut être inquiété pour ses opinions même religieuses, pourvu que leurs manifestations ne troublent pas l'ordre public établi par la Loi » , nous dit la Déclaration des Droits de l'Homme. Les grandes lois républicaines sur la liberté de la presse réaffirment ce principe en 1881.

La parole est libre en République Française, y compris la plaisanterie sur Dieu, lui qui ne s'en prive pas avec nous.

Mais parce que notre liberté d'expression n'est pas absolue, sont réprimés :

- l'apologie d'actes terroristes,

- la contestation de crimes contre l'humanité, parce que nous n'oublions pas ce que les nazis ont fait,

- la provocation à la haine en raison des origines ou des croyances religieuses,

- l'injure et la diffamation.

Libre à ceux qui se sentent offenser de porter plainte, des juges indépendants leurs donneront raison ou tort, et condamneront à des dommages et intérêts ou des amendes. En France on ne donne pas la mort pour injure, même à Dieu. Au Pakistan, en Iran, on est lapidé ou pendu pour cela ; Pas en République Française. La République a fait accomplir un chemin à notre ancienne religion d'État. À 800 mètres de la porte de Vincennes, il y a 800 ans, dans son château, Saint-Louis le roi croisé très chrétien persécutait déjà des hérétiques, des mécréants, des juifs en des musulmans en invoquant Dieu.

Le pape François déclare : « on ne tue pas au nom de la religion, on attend avec impatience le haut dignitaire musulman qui interdira le meurtre pour blasphème » . La république a choisi de protéger les hommes plutôt que Dieu.

Dieu et tous ses prophètes sont assez grands pour se protéger aux mêmes. »

Tels sont les motifs, Mesdames, Messieurs, qui justifient l'abrogation de l'article 166 du code pénal local d'Alsace-Moselle.

PROPOSITION DE LOI

Article unique

L'article 166 du code pénal local d'Alsace-Moselle est abrogé.

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