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N° 250

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2018-2019

Enregistré à la Présidence du Sénat le 17 janvier 2019

PROPOSITION DE LOI

tendant à attribuer le titre de reconnaissance de la Nation aux vétérans des essais nucléaires ,

PRÉSENTÉE

Par Mme Nathalie DELATTRE, MM. Jean-Claude REQUIER, Stéphane ARTANO, Mme Maryse CARRÈRE, MM. Joseph CASTELLI, Yvon COLLIN, Jean-Pierre CORBISEZ, Éric GOLD, Mmes Mireille JOUVE, Françoise LABORDE, MM. Olivier LÉONHARDT, Franck MENONVILLE, Jacques MÉZARD et Jean-Yves ROUX,

Sénateurs

(Envoyée à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Dans le contexte de la guerre froide, les recherches et travaux menés par la France lui ont permis de rejoindre en 1960 le collège restreint des puissances atomiques. Depuis lors, et aujourd'hui encore, la dissuasion nucléaire demeure la clé de voute de notre stratégie de souveraineté et de défense. Ce choix politique fondamental a bien sûr permis de garantir notre indépendance, mais il n'a pas non plus été sans conséquence sur la santé et l'environnement.

Le maintien opérationnel de notre arsenal stratégique a impliqué un long travail d'expérimentation, se caractérisant par des essais nucléaires atmosphériques puis souterrains qui ont pris fin le 23 février 1996 sur décision du Président de la République Jacques CHIRAC. Au total, entre 1959 et 1996, il a été procédé à 210 essais dont 193 en Polynésie française.

Quatre premiers essais aériens ont eu lieu au Centre saharien d'expérimentations militaires (CSEM) au sud de Reggane en Algérie. Treize essais ont suivi, en galerie, à In Ecker, dans le massif du Hoggar, au Centre d'expérimentations militaires des oasis (CEMO). L'indépendance de l'Algérie en 1962 a conduit au déplacement des essais en Polynésie française, sur les sites de Mururoa et de Fangataufa.

Dans cette région, 41 essais aériens et 5 essais de sécurité ont été réalisés entre 1966 et 1974. Puis 137 essais souterrains et 10 essais de sécurité ont été effectués entre 1975 et 1996.

Les retombées radioactives tout comme la manipulation de matières fissiles ont exposé de nombreux militaires, des personnels civils ainsi que les populations locales à des risques sanitaires.

S'agissant des tirs effectués en galerie à In Ecker, on estime que quatre d'entre eux n'ont pas été totalement confinés : les essais Béryl (1 er mai 1962), Améthyste (30 mars 1963), Rubis (20 octobre 1963) et Jade (30 mai 1965) ont libéré des gaz, aérosols ou laves dans l'environnement.

En Polynésie, dix essais ont provoqué des retombées radioactives au-delà des zones sécurisées. En particulier, à la suite de difficultés météorologiques, le nuage radioactif provoqué par l'essai Centaure du 17 juillet 1974 s'est dirigé vers des zones habitées, dont la presqu'île de Tahiti.

Durant toute la période des essais, le travail sur les sites militaires a mobilisé 147 500 personnes, parmi lesquelles 70 000 ont fait l'objet d'un suivi médical et radiologique. Les mesures de surveillance dosimétrique ont révélé que 12 000 personnes avaient été exposées à des doses supérieures à la limite de détection (0,2 mSv) et 2 500 personnes à des doses supérieures à 1 mSv. Des soldats, engagés volontaires ou soumis à conscription, sont décédés du fait de leur participation aux essais.

Dans les zones périphériques aux sites de tirs, on estime à plusieurs dizaines de milliers les personnes locales qui auraient pu être touchées par des rayonnements ionisants de deux façons : soit par exposition interne provenant de l'inhalation pendant la retombée ou de l'ingestion d'aliments contenant des radioéléments, soit par une exposition externe due au passage du nuage et à des particules déposées sur le sol. Selon des recherches indépendantes, entre 10 et 20 % des cancers de la thyroïde affectant des polynésiens aujourd'hui résulteraient d'une exposition reçue lorsqu'ils étaient enfants.

Dans ces conditions, grâce au travail des associations et des scientifiques, relayé par des parlementaires, il a été reconnu une quasi-présomption de causalité entre l'exposition à des rayonnements issus des essais nucléaires et certaines pathologies radio-induites. Cette reconnaissance a ouvert un droit à réparation, matérialisé par la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français .

Ainsi, depuis 2010, les personnes bénéficiant d'une présomption de causalité entre leur maladie et les essais nucléaires effectués entre 1960 et 1998 peuvent prétendre à une indemnisation. Il revient au Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) d'examiner si les conditions de l'indemnisation sont réunies. Cependant, la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 précitée n'a pas tenu ses promesses. De 2010 à 2016, sur 1108 dossiers déposés, seuls 58 ont donné lieu à des offres d'indemnisation car la notion de « risque négligeable » l'a emporté sur celle de la « présomption de causalité ». Cette interprétation a entraîné le rejet de nombreux dossiers et généré un contentieux administratif très important.

En réponse à cette difficulté, l'article 113 de la loi n° 2017-256 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique du 28 février 2017 a supprimé la notion de « risque négligeable » tout en créant une commission de suivi, composée notamment de parlementaires, pour proposer les mesures destinées à bien réserver l'indemnisation aux personnes dont la maladie est causée par les essais nucléaires.

On peut se réjouir de cette avancée qui permettra d'accélérer les procédures d'indemnisation, ce qu'attestent les derniers chiffres du CIVEN, puisque 54 décisions dont 33 positives ont été rendues depuis janvier 2018.

Cependant, si le chantier de l'indemnisation a progressé, la question de la reconnaissance du service rendu pour la France reste entière pour les militaires et le personnel civil ayant pris part aux campagnes de tirs du Centre d'expérimentation du Pacifique (CEP).

En effet, alors que les personnes ayant participé au moins 90 jours aux essais menés entre 1960 et 1964 au Sahara peuvent prétendre au titre de reconnaissance de la Nation (TRN) conformément aux dispositions de l'article D. 331-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre (CPMIVG), celles exposées aux essais suivants sont exclues de cette possibilité.

Aussi, il serait souhaitable de rétablir l'équité en permettant l'attribution du TRN à l'ensemble des personnes présentes sur les sites d'expérimentation, entre le 13 février 1960, date du premier essai nucléaire, et le 31 décembre 1998 qui marque la fin du démantèlement des sites. À cet égard, il faut rappeler que les atolls de Mururoa et Fangataufa ont la qualité de terrain militaire depuis le 4 août 1964, un statut renforcé par les arrêtés du 1 er août 1980 portant classement de « zones protégées de défense nationale ».

Sans participer directement à une action de combat, les militaires et personnels civils ont cependant clairement contribué, dans ces zones, à l'organisation de la puissance militaire française. Ils ont permis à la France de jouer un rôle de premier plan dans les relations internationales et de légitimer son statut de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies. En prenant part à l'édification de la force de dissuasion nucléaire, des milliers d'hommes et de femmes ont couru un risque sanitaire indéniable pour servir leur pays et méritent, à ce titre, une pleine reconnaissance de la Nation.

Tel est l'objet de la présente proposition de loi.

Proposition de loi tendant à attribuer le titre de reconnaissance de la Nation aux vétérans des essais nucléaires

Article 1 er

Au premier alinéa de l'article L. 331-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, après les mots : « du présent livre », sont insérés les mots : « ou aux campagnes d'essais nucléaires menées par la France entre le 13 février 1960 et le 31 décembre 1998, ».

Article 2

Les éventuelles conséquences financières résultant pour l'État de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par la majoration des droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

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