N°113

SENAT

SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998

Annexe au procès-verbal de la séance du 26 novembre 1997.

PROPOSITION DE LOI

tendant à assurer le droit à réparation pour les résistants déportés, emprisonnés et internés en Afrique du Nord,

PRÉSENTÉE

Par M. Robert PAGES, Mme Marie-Claude BEAUDEAU, M. Jean-Luc BÉCART, Mmes Danielle BIDARD-REYDET, Nicole BORVO, MM. Jean DERIAN, Michel DUFFOUR, Guy FISCHER, Pierre LEFEBVRE, Paul LORIDANT, Mme Hélène LUC, MM. Louis MINETTI, Jack RALITE, Ivan RENAR et Mme Odette TERRADE,

Sénateurs.

(Renvoyée à la commission des Affaires sociales, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

Anciens combattants et victimes de guerre.

EXPOSÉ DES MOTIFS

MESDAMES, MESSIEURS,

Dès les premiers jours de la « Drôle de Guerre », puis immédiatement après la capitulation, Pétain et le pseudo-gouvernement de Vichy, aux ordres des occupants hitlériens, firent procéder à des arrestations massives d'antifascistes ; la très grande majorité étaient des syndicalistes, des militants et élus communistes qui avaient fait leurs preuves en 1934 en se plaçant au premier rang pour la défense de la République et pour empêcher l'instauration du fascisme en France.

En même temps, ces antifascistes n'avaient cessé de dénoncer les hommes de la cinquième colonne et les traîtres à la France qui proclamaient : « Plutôt Hitler que le Front populaire. » Ils avaient dénoncé aussi sans la moindre hésitation la trahison de Munich.

C'est parce que la Gestapo et les hommes de Vichy savaient à quoi s'en tenir sur leurs intentions de lutte et de résistance à l'ennemi qu'ils s'acharnèrent en premier lieu sur ces mêmes combattants anti-fascistes.

Le transfert des prisons et camps de France dans les prisons et les camps d'Afrique du Nord, dès les premiers jours de 1941, a été la première déportation hors du territoire national par le gouvernement de Vichy, sur les ordres des Allemands, qui voulaient les isoler de tout contact avec l'extérieur et faire de ces déportés des otages en réserve dans un pays colonial qui n'était pas la France.

Placés sous la surveillance des commissions italo-allemandes, ils se sont toujours comportés en combattants antifascistes, en résistants conscients, sachant bien que si les événements avaient pris une autre tournure ils n'auraient pas revu le sol de France.

Ce sont là des raisons suffisantes pour justifier leur demande de reconnaissance de la qualité de déportés politiques.

Pour leur retour en France, des « ordres de mission de rapatriement » signés par le général Catroux, membre du gouvernement de la République française présidée par le général de Gaulle, leur furent remis. Ils portaient, avec le nom du rapatrié, la mention « déporté politique ». C'était la reconnaissance d'un fait constaté sur place : la déportation subie.

L'histoire de France a, depuis longtemps, formulé son jugement en appliquant déjà le qualificatif de « déportés politiques » aux républicains qui furent transportés hors du territoire national en Algérie en 1848-1851.

On peut également citer pour mémoire la loi du 8 juin 1850 qui précise que la déportation est effectuée dans une enceinte fortifiée -ce qui était le cas pour eux - désignée par la loi hors du territoire continental de la République. Est donc pleinement justifiée la reconnaissance immédiate de la qualité de résistants déportés politiques pour tous ceux qui, après avoir été emprisonnés ou internés en France, furent transférés dans les prisons et camps d'Afrique du Nord.

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* *

Ces mesures doivent s'appliquer également aux députés communistes qui furent emprisonnés à Maison-Carrée, en Algérie. Pour ces députés, la situation apparaît paradoxale. Les vingt-sept députés emprisonnés au bagne de Maison-Carrée de mars 1941 à février 1943, date de leur libération, ne sont pas admis au bénéfice du statut des déportés et internés. Il en est de même d'ailleurs pour quelques antifascistes arrêtés en France, déportés et condamnés en Afrique du Nord et qui n'avaient pas accompli la totalité de leur peine.

Une telle injustice doit être réparée. Il ne s'agit pas d'un problème d'ordre matériel. Il s'agit de la reconnaissance d'une attitude patriotique conséquente, d'une question de moralité politique et du respect de la Résistance, sous toutes ses formes.

Le statut des déportés et internés prévoit, en son article 3, que le titre d'interné politique est attribué aux ressortissants français condamnés (pour une infraction autre que le droit commun) avant le 16 juin 1940 à condition que l'intéressé ait été maintenu interné ou emprisonné par l'ennemi ou le gouvernement de Vichy au-delà de la durée de la peine infligée.

Condamnés à cinq ans, ils ne bénéficient pas du statut pour la simple raison que les représentants de l'ennemi et du gouvernement de Vichy, suite au débarquement allié en Afrique du Nord, n'ont pas eu la possibilité de les maintenir en prison au-delà de la durée de la peine appliquée.

Les députés déportés en Afrique du Nord ont été placés dans une situation particulière, unique du fait de leur qualité de représentants du peuple. Ces députés ont été jugés et condamnés comme élus restés fidèles à leur mandat. Ils furent déchus de leur mandat parlementaire et condamnés - en violation de la Constitution - pour une lettre adressée au président de la Chambre des députés le 1 er octobre 1939, et pour avoir constitué légalement un groupe parlementaire (dont la création figure au Journal officiel après la dissolution arbitraire de leur parti) ; cette décision illégale frappait des parlementaires qui avaient voté les crédits nécessaires à la défense nationale et dont les mobilisables - comme Etienne Fajon - se trouvaient aux armées.

Mais, pour comprendre cela, il ne faut pas oublier que ceux qui présidèrent à ces mesures étaient ces gouvernants et ces parlementaires, qui ne firent pas la guerre à Hitler mais la « Drôle de Guerre », qui se révélèrent comme des fossoyeurs de la Patrie ; certains même préparant la défaite et l'instauration du pouvoir de Pétain auquel ils devaient participer.

Cette politique de capitulation et de trahison exigeait l'élimination de tous ceux qui, par patriotisme et antifascisme, s'étaient dressés contre la trahison de Munich en 1938.

C'est dire qu'il est inacceptable que quelques personnes condamnées en 1940, alors qu'elles étaient à l'armée, et les députés tous déportés en Afrique du Nord, soient exclus du bénéfice du statut parce qu'ils ont été libérés avant d'avoir terminé leur peine et de ce fait n'ont pas été maintenus les quatre-vingt-dix jours prévus par ledit statut des déportés et internés.

Cela est si vrai que le gouvernement de Vichy et ses maîtres, les occupants allemands, se sont bien gardés de libérer les députés emprisonnés.

Les autorités vichyssoises ne se sont pas contentées de maintenir leur condamnation ; elles l'ont aggravée par une mesure supplémentaire : la déportation, c'est-à-dire l'éloignement, montrant ainsi les craintes qu'éprouvaient les occupants et leurs serviteurs vichyssois.

A cet égard, la date de cette première déportation (février-mars 1941) est aussi significative : c'est au moment où on peut constater le premier échec, dans la population, de la politique de collaboration où communistes et gaullistes prennent les premiers contacts d'action, où l'ennemi découvre une préparation à la lutte armée. C'est le moment où la Résistance commence à prendre corps, devient un danger.

En déportant en Afrique du Nord un millier de patriotes et résistants, députés, on veut se prémunir contre la Résistance et s'assurer des otages, comme cela a d'ailleurs été déclaré. C'est une mesure répressive prise par les collaborateurs de l'occupant.

En prison, les députés s'affirment comme des résistants. Malgré des mesures particulièrement sévères à leur égard, malgré leur isolement, ils prennent une part constante aux luttes quotidiennes pour la défense de leurs droits, de leur qualité de « politiques », pour que soit respectée leur qualité de Français résistants.

Dans les lettres courageuses et d'une grande dignité qu'ils réussissent partiellement à faire sortir de leur bagne, ils dénoncent les trahisons, ne cessent de proclamer leur droit à la vérité, leur qualité de Français patriotes. Au moment du débarquement à Alger, les Vichissois, qui connaissaient leur attitude courageuse et ferme, tentent de les faire fusiller.

Ils sont libérés le 5 février 1943. Leur libération se fait sans condition. Leur qualité de député est reconnue, sans interruption, et ils assument aussitôt des responsabilités dans l'action contre l'ennemi et pour la libération de la Patrie.

C'était là, par la France libre, un désaveu de la déchéance et de la condamnation des députés, une reconnaissance sans équivoque de leur attitude patriotique.

Un peu plus tard, le général de Gaulle, président du gouvernement provisoire de la République française, nomme l'un d'eux, François Billoux, ministre d'Etat.

On mesure ainsi le caractère inadmissible de la discrimination qui frappe les vingt-sept députés dont on a dit qu'ils avaient suivi « le chemin de l'honneur ».

Le simple exposé des faits montre que les députés emprisonnés à Maison-Carrée ainsi que quelques antifascistes arrêtés à l'armée et déportés en Afrique du Nord où ils ont été condamnés ont été arbitrairement exclus du bénéfice du statut des déportés et internés. Leur arrestation et leur condamnation, comme leur déportation en Afrique du Nord parce que antifascistes et résistants, justifient la reconnaissance sans aucune restriction de leur qualité de déportés politiques.

II y a un certain nombre de républicains espagnols qui, après avoir défendu, les armes à la main, face à Franco, Mussolini et Hitler, la république qu'ils venaient d'élire, durent se réfugier en France, avec leur famille, pour éviter leur anéantissement.

Parqués d'abord dans des conditions abjectes à Argelès, Saint-Cyprien, Gurs, Le Vernet, Septfonds, etc., ces premiers résistants au fascisme subirent ensuite la dure répression de Vichy et des nazis. Dès leur arrivée sur le sol français, ils participèrent, sous différentes formes, aux actions de la Résistance française. Un certain nombre d'entre eux furent déportés en Allemagne, d'autres en Afrique du Nord où ils furent arrêtés, condamnés par les tribunaux militaires d'exception et emprisonnés à Alger, Oran, Lambèse, Berroughia, Port-Lyautey, etc., ou internés dans le grand camp de concentration de Djelfa ; enfin, très nombreux furent ceux qui ont été groupés dans les camps de travail forcé - sans aucune rémunération - Colomb-Béchar et Bou Arfa pour la construction du Transaharien ou l'extraction du charbon aux mines de Khenadza et Djerada.

Ils ont tous enduré des souffrances inhumaines, qui se sont terminées dans un certain nombre de cas - notamment dans les camps de représailles d'Hadjerat M'Guil et Aïn et Arruc - par la mort, sous les tortures de gardes-chiourmes qui furent d'ailleurs condamnés à la Libération par les tribunaux d'Alger.

Par tout ce qui précède, on peut se rendre compte de ce qu'ont souffert les républicains espagnols, dès leur entrée en France, et particulièrement à partir du jour où Pétain et le gouvernement de Vichy, aux ordres des nazis, prirent le pouvoir en France.

Pourtant, dès le premier jour, ils considérèrent la France comme leur deuxième patrie et se placèrent aux côtés des Français dans la métropole et en Afrique du Nord pour libérer notre pays de l'occupant nazi, pour battre le fascisme et aider à la restauration de la République française.

Bon nombre d'entre eux ont fondé leur famille en France, ont eu des enfants qui se sont mariés à leur tour avec des Français et des Françaises ; il en est qui ont opté pour la nationalité française.

C'est pour toutes ces raisons que la situation de ces antifascistes espagnols qui ont tant souffert pendant de longues années doit faire l'objet d'un examen commun (Gouvernement, association des ACVG et intéressés) afin que justice leur soit rendue.

La situation des républicains espagnols enrôlés arbitrairement dans les compagnies de travail forcé, notamment pour la construction du Transaharien, doit être assimilée à celle de l'ensemble des internés dans les camps.

Le camp de représailles d'Hadjerat M'Guil doit être reconnu officiellement, et la carte d'interné remise aux quelques survivants.

*

* *

La résistance en Afrique du Nord

Des hommes et des femmes qui habitaient l'Afrique du Nord avant 1939, en raison de leur attitude d'antifascistes et de leurs actions de résistance - particulièrement en Algérie - furent arrêtés en 1941, 1942 ; traduits devant des tribunaux militaires d'exception, ils furent condamnés à de fortes peines, plusieurs à la peine de mort, d'autres aux travaux forcés à perpétuité et à temps.

Leur qualité de résistants ne leur a jamais été reconnue, alors que sous diverses formes ils combattirent les hommes de Vichy en place et qu'ils aidèrent également au débarquement des Américains en Afrique du Nord. Ils ont été injustement exclus du bénéfice des indemnités allemandes.

Après l'indépendance de l'Algérie et leur rentrée en France, ces antifascistes auraient souhaité que leurs mérites soient reconnus et honorés sans réticences.

Nous demandons donc que le cas de ces antifascistes qui furent condamnés par les tribunaux d'Alger et d'Oran fasse l'objet d'un examen rapide en vue de la reconnaissance de leur qualité de résistants.

La loi votée le 26 décembre 1974 par l'Assemblée nationale, qui devait permettre l'amélioration des pensions des PRO et des internés, a été appliquée d'une manière extrêmement restrictive.

L'argument avancé par la Commission de contrôle médical étant que la date des certificats ou autres documents officiels devrait correspondre aux périodes limitatives inclues dans le décret et la circulaire d'application. Comment, plus de trente ans après, retrouver et présenter ces certificats ou documents d'époque ?

C'est pourquoi toutes les restrictions ou interprétations abusives apportées à la loi du 26 décembre 1974 doivent être supprimées afin que l'intention d'améliorer les pensions des internés qui avait guidé tes parlementaires en la votant soit respectée.

Cinquante ans après la libération de ces résistants déportés, emprisonnés et internés en Afrique du Nord, il n'est que justice de prendre des mesures pour reconnaître cette qualité et leur permettre, ainsi qu'à leurs familles, de bénéficier des dispositions découlant du droit à réparation.

Les charges financières entraînées par de telles mesures ne seraient pas très lourdes, mais ce serait là un geste symbolique important.

C'est pourquoi nous vous demandons, Mesdames, Messieurs, de bien vouloir adopter la présente loi.

PROPOSITION DE LOI

Article 1 er

La qualité de résistants, déportés politiques, est reconnue pour tous ceux qui, après avoir été emprisonnés ou internés en France de 1940 à 1944, furent transférés dans les prisons et camps d'Afrique du Nord. Ces dispositions s'appliquent également aux députés qui furent emprisonnés à Maison-Carrée en Algérie et aux antifascistes arrêtés à l'année et déportés en Afrique du Nord.

Article 2

La situation des antifascistes espagnols déportés et internés en Afrique du Nord sera examinée par une commission qui réunira les représentants du Gouvernement, des associations d'anciens combattants et victimes de guerre, et les intéressés.

Le bénéfice du statut des déportés et internés est attribué à ces antifascistes sans aucune discrimination.

Article 3

La commission visée à l'article 2 examinera également le cas des antifascistes qui habitaient en Afrique du Nord avant 1939 et qui furent condamnés par les tribunaux d'Alger et d'Oran pour leurs actes de résistance afin que la qualité de résistants leur soit reconnue.

Article 4

Les personnes visées aux articles 1 er à 3 ci-dessus bénéficient de la reconnaissance de la présomption d'origine, sans condition de délais, pour toutes les maladies spécifiques.

Article 5

Les dépenses entraînées par l'adoption de la présente loi seront compensées par une taxe fiscale assise sur les entreprises privées travaillant pour la défense nationale.

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