N° 128

SENAT

SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998

Annexe au procès-verbal de la séance du 28 novembre 1997.

PROPOSITION DE LOI

garantissant le secret des correspondances émises par la voie des télécommunications,

PRÉSENTÉE

Par MM. Michel DUFFOUR, Robert PAGES, Jean DERIAN, Mme Marie-Claude BEAUDEAU, M. Jean-Luc BÉCART, Mmes Danielle BIDARD-REYDET, Nicole BORVO, MM. Guy FISCHER, Pierre LEFEBVRE, Mme Hélène LUC, MM. Louis MINETTI, Jack RALITE, Ivan RENAR et Mme Odette TERRADE,

Sénateurs.

(Renvoyée à la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

Télécommunications. - Libertés publiques - Code pénal - Code de procédure pénale.

EXPOSÉ DES MOTIFS

MESDAMES, MESSIEURS,

Le dispositif actuel en matière d'écoutes téléphoniques, inscrit dans la loi du 10 juillet 1991, n'a pas empêché les écoutes politiques portant atteinte aux libertés publiques.

La commission de contrôle, sans véritable indépendance et sans moyens, est incapable de prévenir comme de sanctionner les abus.

Avec la loi du 10 juillet 1991, contre laquelle les députés communistes avaient voté, la pratique des écoutes téléphoniques est devenue légale.

Les écoutes gouvernementales ou administratives, appelées « interceptions de sécurité », sont obtenues sur autorisation du Premier ministre pour l'un de ces motifs : sécurité nationale ; protection des intérêts économiques et scientifiques ; prévention du terrorisme ; criminalité et délinquance organisée (trafic de stupéfiants, trafic d'armes, traite des êtres humains, grand banditisme, vol d'oeuvres et d'objets d'art) ; reconstitution de groupes dissous. A la demande des ministres de la défense (pour la gendarmerie, l'ex-sécurité militaire, devenue la DPSD et la DGSE, services secrets) et de l'intérieur (pour la PJ, les RG et la DST) ou encore de la direction des douanes, elles sont opérées par le Groupement interministériel de contrôle (GIC).

Environ 3 000 lignes sont écoutées chaque année en France pour ces motifs.

Demandées par un juge d'instruction et effectuées dans le cadre d'une commission rogatoire qui précise « les éléments de la liaison à intercepter et l'infraction qui motive l'écoute et sa durée », les écoutes judiciaires ne peuvent excéder quatre mois, durée renouvelable une fois. Elles ne sont autorisées que lorsque la peine encourue est égale ou supérieure à deux ans de prison. Quelque 10000 écoutes de ce type sont opérées annuellement.

Les écoutes sauvages sont interdites, ce qui ne signifie nullement qu'elles ne sont pas pratiquées par des officines privées à la demande d'un client ou de particuliers qui veulent pour une raison ou une autre intercepter telle ou telle conversation ; elles sont punissables d'un an d'emprisonnement et de 300 000 F d'amende « même si elles ont été enregistrées dans un lieu public dès lors qu'elles étaient prononcées à titre privé ou confidentiel ».

Une nouvelle législation est indispensable pour garantir l'inviolabilité des correspondances émises par la voie des télécommunications.

La présente proposition de loi interdit totalement les écoutes téléphoniques à caractère politico-administratif.

Elle n'autorise les interceptions que par les présidents des tribunaux de grande instance dans les seuls cas d'atteinte à la défense nationale, de grand banditisme, de trafic de stupéfiants, de reconstitution de groupes dissous.

Ce dispositif, strictement limité à des interceptions sous contrôle judiciaire, met fin aux détournements de procédure qui ont été pratiqués. En même temps, à travers notamment les cas d'atteinte à la défense nationale, elle permet à la justice de faire son travail dans les cas intéressant la sécurité du pays.

Sous le bénéfice de ces observations, nous vous demandons, Mesdames, Messieurs, de bien vouloir adopter cette proposition de loi.

PROPOSITION DE LOI

Article 1 er

Le secret des correspondances émises par la voie des télécommunications est inviolable.

Il est interdit de procéder à des écoutes téléphoniques ou à toute interception de correspondance à rencontre d'une personne en raison de son appartenance ou non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race, une religion, un parti politique, un syndicat ou une association.

Il est interdit de procéder à des interceptions de sécurité par une autorité publique comme à des interceptions par une personne privée.

Article 2

Les articles 100, 100-2, 100-7 du code de procédure pénale sont ainsi rédigés :

« Art. 100. - Des interceptions de correspondance émises par la voie des télécommunications peuvent être ordonnées par le président du tribunal de grande instance sur la demande motivée du juge d'instruction pour les crimes et délits concernant la défense nationale, le grand banditisme, le trafic de stupéfiants, la reconstitution de groupements dissous en application de la loi du 10 janvier 1936 sur les groupes de combat et les milices privées ; il peut prescrire l'interception, l'enregistrement et la transcription des correspondances émises par la voie des télécommunications. Ces opérations sont effectuées sous son autorité et son contrôle. »

« Art. 100-2. - La décision est prise pour une durée maximale de deux mois. Elle ne peut être renouvelée que dans les mêmes conditions de forme et de durée. »

« Art. 100-7. - Aucune interception ne peut avoir lieu sur une ligne dépendant du cabinet d'un avocat ou de son domicile. »

Article 3

L'article 186-1 du code pénal est ainsi rédigé :

« Art. 186-1. - Toute personne qui aura ordonné, commis ou facilité hors les cas prévus par la présente loi l'interception ou Te détournement des correspondances émises, transmises ou reçues par la voie des télécommunications, l'utilisation ou la divulgation de leur contenu sera punie d'un emprisonnement d'un an à cinq ans et d'une amende de 100 000 F à 500 000 F. »

Article 4

Il est institué une commission nationale chargée de veiller au respect des dispositions de la présente loi. Elle est présidée par un magistrat désigné par le président de la Cour de cassation et composée de deux membres désignés par le vice-président du Conseil d'Etat et le président de la Commission informatique et libertés.

Elle a connaissance de l'ensemble des interceptions effectuées par l'autorité judiciaire et de sa propre initiative ou sur réclamation de toute personne y ayant un intérêt direct a accès à toute information relative à son objet dans le respect des articles 75 et 378 du code pénal.

Elle remet chaque année un rapport sur le bureau de l'Assemblée nationale et du Sénat.

Elle peut à tout moment rendre publiques les observations qu'elle juge utiles.

Article 5

Les dispositions de la loi n° 91-646 du 10 juillet 1991 relative au secret des correspondances émises par la voie des télécommunications qui sont contraires à la présente loi sont abrogées.

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