N°458

SENAT

SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998

Annexe au procès-verbal de la séance du 27 mai 1998.

PROPOSITION DE LOI

modifiant des dispositions du code électoral relatives à l 'élection des sénateurs,

PRÉSENTÉE

Par MM. Guy ALLOUCHE, Claude ESTIER et les membres du groupe socialiste (1) et apparentés (2),

Sénateurs.

(Renvoyée à la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

(1) Ce groupe est composé de : MM. Guy Allouche, Bernard Angels, François Autain, Germain Authié, Robert Badinter, Jacques Bellanger, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Jean Besson, Pierre Biamès, Marcel Bony, Jean-Louis Carrère, Robert Castaing, Francis Cavalier-Bénezet, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Gilbert Chabroux, Michel Charasse, Marcel Charmant, Michel Charzat, William Chervy, Raymond Courrière, Roland Courteau, Marcel Debarge, Bertrand Delanoë, Gérard Delfau, Jean-Pierre Demerliat, Mmes Dinah Derycke, Marie-Madeleine Dieulangard, M. Michel Dreyfus-Schmidt, Mme Josette Durrieu, MM. Bernard Dussaut, Claude Estier, Léon Fatous, Aubert Garcia, Claude Haut, Roger Hesling, Roland Huguet, Philippe Labeyrie, Serge Lagauche, Guy Lèguevaques, Philippe Madrelle, Jacques Mahéas, Michel Manet, Marc Massion, Pierre Mauroy, Georges Mazars, Jean-Luc Mélenchon, Gérard Miquel, Michel Moreigne, Jean-Baptiste Motroni, Jean-Marc Pastor, Guy Penne, Daniel Percheron, Jean Peyrafitte, Jean-Claude Peyronnet, Louis Philibert, Bernard Piras, Mmes Danièle Pourtaud, Gisèle Printz, MM. Roger Quilliot, Paul Raoult, René Régnault, Roger Rinchet, Gérard Roujas, André Rouvière, Claude Saunier, Michel Sergent, Franck Sérusclat, René-Pierre Signé, Fernand Tardy, André Vézinhet, Marcel Vidal, Henri Weber.

(2) Apparentés : MM. Rodolphe Désiré, Dominique Larifla, Claude Lise.

Elections et référendums. - Parlement.

EXPOSÉ DES MOTIFS

MESDAMES, MESSIEURS,

L'article 24 de la Constitution dispose que «Le Parlement comprend l'Assemblée nationale et le Sénat» et que « le Sénat assure la représentation des collectivités territoriales de la République». Membre à part entière du Parlement, le Sénat assure une double représentation : celle des collectivités territoriales de la République et celle du peuple souverain. A ce titre, il ne peut méconnaître les dispositions du troisième alinéa de l'article 3 de la Constitution qui sont les fondements de la légitimité démocratique : « Le suffrage peut être direct ou indirect... il est toujours universel, égal et secret».

Ces deux articles concernent au premier chef le Sénat. Tel qu'il est aujourd'hui, le Sénat respecte-t-il ces deux dispositions? Assurément non.

Dans notre système bicaméraliste, bien que la primauté soit accordée à l'Assemblée nationale, le Sénat s'est vu reconnaître depuis 1958 un rôle législatif et constitutionnel équivalent à celui de l'Assemblée nationale et a conquis, au plan politique, une audience de plus en plus large.

La parfaite conformité des règles régissant le Sénat à la loi fondamentale, l'adéquation de sa représentativité à la réalité démographique et politique du pays doivent être des préoccupations constantes. Sa légitimité démocratique exige que sa représentativité soit fondée sur des bases démographiques plus larges et plus équitables afin qu'il exprime fidèlement l'opinion du peuple souverain.

Depuis 1976, aucune réforme de fond tendant à adapter le Sénat à l'image du pays n'a été menée à son terme. Or, depuis cette date, le paysage politique et institutionnel a considérablement évolué. Il faut cependant rappeler qu'en 1976, déjà, le nombre de sièges sénatoriaux a été augmenté pour tenir compte de l'augmentation de la population dans certains départements, mais il n'a pas été touché à la composition du collège électoral sénatorial.

Si l'article 24 de la Constitution dispose que le Sénat représente les collectivités territoriales de la République/comment ne pas considérer que ces collectivités territoriales sont des communautés humaines et non de simples territoires, qu'elles doivent être également représentées en fonction de leur population. Si chaque commune, département ou région possède un droit propre à être représenté dans le collège électoral sénatorial, si chaque département dispose du droit d'élire au moins un sénateur, cette considération sur le caractère territorial du Sénat ne peut influer sur les droits de chaque citoyen. Le suffrage universel indirect n'exclut pas le droit égal de représentation.

L'application de l'article 24 de la Constitution ne l'emporte pas sur l'article 3 qui dispose que le suffrage est égal. Or, cette condition d'égalité n'est pas respectée. Si le bicaméralisme suppose une différence, cette différence n'interdit pas la juste représentativité. Dans un même département, on constate de fortes disparités de représentation entre grandes et petites communes au sein du collège électoral sénatorial. Selon les départements, les droits civiques de l'habitant d'une commune de cinquante habitants sont de vingt à trente fois plus importants que ceux de l'habitant d'une commune de 1000 habitants.

Une meilleure prise en compte de la démographie s'impose dans la composition du corps électoral sénatorial. Nos propositions visent à accroître le nombre de sièges affectés aux départements les plus peuplés et à élargir pour rééquilibrer le collège électoral sénatorial.

Ces impératifs démographiques sont déjà pris en considération et se trouvent à l'origine de l'évolution du nombre des délégués sénatoriaux, car, sans cela, chaque collectivité ne serait représentée que par un seul siège et un seul délégué. En outre, au niveau du nombre de sénateurs à élire dans chaque département, il convient de rappeler qu'une clé de répartition sur une base exclusivement démographique est utilisée.

La présente proposition de loi que nous vous demandons d'adopter ne tend pas à modifier les règles de composition du Sénat mais plutôt à les adapter à l'évolution sociopolitique du pays en les atténuant dans ce qu'elles ont d'excessif.

Il vous est proposé d'élargir le collège électoral sénatorial en veillant à l'équilibre de la représentation des communes et en abaissant le seuil d'application de la proportionnelle pour lui assurer une meilleure et plus juste représentativité.

Ces dispositions sont des mesures d'équité et de bon sens ; elles devraient permettre d'établir, dans le respect de la Constitution, la double représentation des collectivités territoriales.

Les principales mesures proposées tendent à :

1. Modifier la composition du collège électoral sénatorial.

- En donnant une base plus large et plus représentative au collège électoral constitué par les délégués des communes et fondée sur une meilleure prise en compte de la population dans sa diversité.

La loi du 19 novembre 1982 modifiant le code électoral et le code des communes, si elle avait pour principal objet de réformer le régime des élections municipales en introduisant un mode de scrutin proportionnel dans les communes de plus de 3 500 habitants, a également modifié la composition des conseils municipaux en augmentant les effectifs afin de les rendre plus représentatifs de l'ensemble de la population. Dans les communes de 9000 habitants et plus où les conseillers municipaux sont délégués de droit, les répercussions sur le collège électoral sénatorial sont directes.

Aujourd'hui, il convient de tirer toutes les conséquences de la loi du 19 novembre 1982 et de concrétiser ses effets au niveau du collège électoral sénatorial. Il vous est proposé d'abaisser à 3500 habitante le seuil à partir duquel tous les conseillers municipaux sont délégués de droit.

- En réduisant les inégalités de représentation entre les communes.

Les délégués des conseils municipaux représentent 95,5 % du collège électoral sénatorial, c'est dire si la représentativité du Sénat dépend essentiellement du mode de représentation des communes dans les collèges électoraux départementaux. Il est notoirement établi que les communes de plus de 20 000 habitants sont sous-représentées. Cette inégalité s'apprécie au niveau de chaque département dont la représentation des petites communes est proportionnellement trop élevée, au sein du collège électoral, au regard des autres communes de ce même département.

Sans rechercher une stricte représentation arithmétique, il est nécessaire de corriger les grandes inégalités entre les communes en augmentant le nombre de délégués dans les plus peuplées d'entre elles. Le bicaméralisme ne signifie pas un Sénat élu au suffrage inégalitaire. Le nombre des délégués sénatoriaux doit être correctement ajusté à la population. C'est pourquoi il vous est proposé d'abaisser à 20 000 habitants le seuil à partir duquel les communes élisent des délégués supplémentaires, et ce à raison de 1 pour 500 habitants en sus des 20 000 habitants.

2. Adapter le mode de scrutin pour l'élection des sénateurs.

La logique de notre régime parlementaire a incité le législateur à retenir le scrutin majoritaire pour l'élection des députés afin de dégager une majorité. C'est un fait acquis.

La logique de la seconde Chambre conduit à opter pour le système de la représentation proportionnelle lorsqu'il s'agit d'élire les sénateurs et plus encore les délégués qui les désignent. Pour une assemblée qui n'a pas à former de majorité de gouvernement parce qu'elle n'a pas « le dernier mot», qui ne peut être dissoute, et qui ne peut censurer un gouvernement, le scrutin majoritaire ne s'impose pas.

Le Sénat doit refléter les tendances politiques des assemblées locales. Le mécanisme majoritaire est, pour des élections au suffrage indirect, particulièrement injuste dans la mesure où il est léonin puisqu'il redouble l'effet du scrutin direct et transforme de facto une majorité même faible en unanimité. Alors que la représentation proportionnelle permet la représentation des minorités dans les agglomérations de forte densité démographique, le scrutin majoritaire consacre l'hégémonie, voire le monopole, des majorités qui régissent les petites communes par son effet amplificateur. L'image politique que renvoie le Sénat est altérée dans son ensemble.

Le mode de scrutin majoritaire en vigueur dans soixante-quinze départements, lié à la durée anormalement longue du mandat, au renouvellement triennal, au suffrage indirect et à l'absence de synchronisation avec les autres scrutins politiques contribue grandement à couper le Sénat des forces vives de la société actuelle et à accroître l'inadaptation de sa représentativité et son déficit de légitimité.

En fait, la représentation proportionnelle devrait être la règle pour l'élection de tous les membres d'une assemblée élue au suffrage indirect.

C'est pourquoi il vous est proposé d'abaisser à deux sièges le seuil à partir duquel s'applique le scrutin proportionnel. La représentation proportionnelle est parfaitement adaptée à l'élection du Sénat dont l'efficacité doit être fondée sur l'équilibre et sur le respect des composantes minoritaires de la Nation.

Nos institutions doivent être modernisées. Cette proposition de loi en offre une traduction concrète pour le Sénat. Elle s'inscrit avec les propositions de loi n os 459 et 460, dans le chantier de la modernisation institutionnelle ambitieuse que nous entendons promouvoir.

Attachés au bicaméralisme, nous considérons qu'élargir et rééquilibrer la représentativité du Sénat sont la base de sa légitimité démocratique, les clés du renforcement de son efficacité, de sa place et de son rôle dans nos institutions.

Tels sont, Mesdames, Messieurs, les motifs de la présente proposition de loi que nous vous demandons de bien vouloir adopter.

PROPOSITION DE LOI

Article 1 er

Dans l'article L. 284 du code électoral, sont supprimés les mots : «Quinze délégués pour les conseils municipaux de vingt-sept et vingt-neuf membres ».

Article 2

L'article L. 285 du code électoral est ainsi rédigé :

«Art. L. 285. - Dans les communes de plus de 3 500 habitants, tous les conseillers municipaux sont délégués de droit.

«En outre, dans les communes de 20000 habitants et plus, les conseils municipaux élisent des délégués supplémentaires à raison de un pour 500 habitants en sus de 20 000 habitants. »

Article 3

Dans l'article L. 288 du code électoral, les mots : « quinze délégués ou moins » sont remplacés par les mots : « sept délégués ou moins ».

Article 4

Dans le premier alinéa de l'article L. 289 du code électoral, les mots : « 9000 habitants » sont remplacés par les mots : « 3 500 habitants », et les mots : « 30 000 habitants » sont remplacés par les mots : «20 000 habitants».

Article 5

Le premier alinéa de l'article L. 294 du code électoral est ainsi rédigé :

« Dans les départements qui ont droit à un seul siège de sénateur, l'élection a lieu au scrutin majoritaire à deux tours. »

Article 6

Le premier alinéa de l'article L. 295 du code électoral est ainsi rédigé :

« Dans les départements qui ont droit à deux sièges de sénateurs au moins, l'élection a lieu à la représentation proportionnelle suivant la règle de la plus forte moyenne sans panachage ni vote préférentiel. »

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