N°20

SENAT

SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999

Annexe au procès-verbal de la séance du 14 octobre 1998.

PROPOSITION DE LOI

tendant à perpétuer le souvenir du drame de l'esclavage ,

PRÉSENTÉE

Par MM. Michel DUFFOUR, Robert BRET, Mme Marie-Claude BEAUDEAU, M. Jean-Luc BÉCART, Mmes Danielle BIDARD-REYDET, Nicole BORVO, MM. Guy FISCHER, Thierry FOUCAUD, Gérard LE CAM, Pierre LEFEBVRE, Paul LORIDANT, Mme Hélène LUC, MM. Jack RALITE, Ivan RENAR, Mme Odette TERRADE et M. Paul VERGÉS,

Sénateurs.

(Renvoyée à la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

Droits de l'homme et libertés publiques. - Esclavage.

EXPOSE DES MOTIFS

MESDAMES, MESSIEURS,

Le succès et le grand retentissement des manifestations célébrant le cent cinquantième anniversaire du décret Schoelcher abolissant l'esclavage montre que cette tragédie, qui marque profondément l'histoire de l'humanité, interpelle encore fortement les hommes et les femmes d'aujourd'hui.

Le traitement de millions d'êtres humains comme simple marchandise - corvéable à merci - qui fut codifié sous Colbert apparaît à nos contemporains comme un véritable « crime contre l'humanité » qui nécessite plus qu'une simple évocation livresque, un « devoir de mémoire ». C'est-à-dire un travail en profondeur sur les causes, les bénéficiaires, les organisateurs, sur les conséquences qui rongent encore les possibilités de développement et sur les formes de servilité qui perdurent aujourd'hui.

Il y a en effet besoin de donner une vision claire de ce que fut la traite, du commerce triangulaire, de son fonctionnement en système, de son indicible cruauté et surtout de l'ampleur inestimable de la prédation avec les effets à très long terme qu'a représentée pour tout un continent cette ponction de ressources humaines à grande échelle quatre siècles durant.

La fragilisation structurelle de l'Afrique résultant de ce phénomène unique au monde qui a servi hier de justification au colonialisme continue malheureusement de nourrir jusqu'à nos jours le racisme.

Le décret Schoelcher, qui a officialisé et rendu possible la libération des esclaves par le pays qui en possédait le plus, fut l'aboutissement des luttes de ces nommes et de ces femmes enchaînés, traités comme des bêtes, arrachés à leur terre et violés dans leur dignité, et des abolitionnistes à la suite d'écrits de Voltaire, Montesquieu, Rousseau et de l'action des républicains lors de la Révolution française, ainsi que de Victor Hugo... Le 27 avril 1848, après une première tentative sous la Révolution française, le pays qui avait vu naître les droits de l'homme franchissait un pas décisif dans cette direction. Certes, cet acte, aussi honorable soit-il, ne mettait pas fin à l'oppression qui aurait pu résulter d'une réelle égalité qu'auraient permise les avancées sociales souhaitées par les plus progressistes des abolitionnistes. D'autres formes d'asservissement dans les colonies se substituant à l'esclavage ne seront abolies qu'au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

Il convient aujourd'hui pour les pays qui ont tiré profit de l'esclavage et du colonialisme - dont le nôtre - de contribuer à surmonter les handicaps et les dégâts occasionnés par trois siècles de domination sous forme d'apport à l'infrastructure et au transfert de technologies adaptées et à la formation pour assurer l'indépendance alimentaire ainsi qu'à la mise en valeur des richesses et des potentialités de chaque pays.

De plus, notre pays, qui porte une lourde responsabilité dans l'organisation de l'abominable « commerce triangulaire » qu'a représenté la traite négrière, qui entache à jamais la conscience humaine, s'honorerait en édifiant, dans un lieu du souvenir, un monument rappelant ce qu'a été cette page d'histoire à l'égal d'autres tragédies qui possèdent leur mémorial. Celui-ci pourrait mettre en évidence le rôle de tous ceux qui ont oeuvré et lutté bien souvent les armes à la main comme Toussaint Louverture pour faire franchir à l'humanité une étape dans la voie de la libération des plus opprimés, niés comme individus ravalés au rang de simple marchandise. Cet endroit pourrait également accueillir un musée où serait rassemblé tout ce qui, en France, est attaché à cet épisode.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Un mémorial perpétuant la mémoire de la tragédie de l'esclavage est édifié dans un haut lieu où il a sévi.

Ce monument sera l'oeuvre d'artistes d'outre-mer, d'Afrique et de France métropolitaine, rassemblant ainsi symboliquement des hommes originaires de pays concernés par cette histoire.

Article 2

Un musée évoquant l'esclavage en France, dans toutes ses dimensions, sera créé à proximité de ce monument.

Article 3

Les pertes de recettes résultant des dispositions ci-dessus sont compensées par la réduction à due concurrence de l'avantage résultant de l'article 209 quinquies du code général des impôts.

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