N° 341

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2004-2005

Annexe au procès-verbal de la séance du 12 mai 2005

PROPOSITION DE

RÉSOLUTION

PRÉSENTÉE AU NOM DE LA DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE (1), EN APPLICATION DE L'ARTICLE 73 BIS DU RÈGLEMENT,

sur le projet de décision-cadre relative à certains droits procéduraux accordés aux suspects dans le cadre des procédures pénales dans l'Union européenne (E 2589),

Par M. Hubert HAENEL,

Sénateur.

(Renvoyée à la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'admiministration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

(1) Cette délégation est composée de : M. Hubert Haenel, président ; MM. Denis Badré, Jean Bizet, Jacques Blanc, Jean François-Poncet, Bernard Frimat, Simon Sutour, vice-présidents ; MM. Robert Bret, Aymeri de Montesquiou, secrétaires ; MM. Robert Badinter, Jean-Michel Baylet, Yannick Bodin, Didier Boulaud, Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. Louis de Broissia, Gérard César, Christian Cointat, Robert Del Picchia, Marcel Deneux, André Dulait, Pierre Fauchon, André Ferrand, Yann Gaillard, Paul Girod, Mmes Marie-Thérèse Hermange, Fabienne Keller, MM. Serge Lagauche, Gérard Le Cam, Louis Le Pensec, Mmes Colette Melot, Monique Papon, MM. Yves Pozzo di Borgo, Roland Ries, Mme Catherine Tasca, MM. Alex Türk, Serge Vinçon.

Union européenne.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Ce projet de décision-cadre vise à définir un socle minimal de droits procéduraux accordés aux personnes suspectées d'avoir commis des infractions pénales au sein de l'Union européenne. Il fait suite à un Livre vert de la Commission européenne, qui avait fait l'objet d'une communication de notre collègue Pierre Fauchon devant la délégation pour l'Union européenne. Avant d'examiner les difficultés soulevées par ce texte, il convient au préalable de décrire brièvement son contenu.

I - LE CONTENU DU PROJET

Son champ d'application porte sur les procédures pénales, définies comme les procédures « visant à établir la culpabilité ou l'innocence d'une personne soupçonnée d'avoir commis une infraction ou à statuer à la suite d'un plaider-coupable à l'égard d'une accusation pénale » , ainsi que « les recours formés à l'issue de ces procédures » (article 1 er ).

Le texte reconnaît cinq droits aux suspects.

1. Le droit à l'assistance d'un avocat (articles 2 à 5)

Tout suspect se voit reconnaître le droit à l'assistance d'un avocat « dans les meilleurs délais » et tout au long de la procédure pénale, et notamment avant de répondre aux questions relatives aux accusations dirigées contre lui.

Le texte prévoit également l'obligation pour les États membres de fournir l'assistance d'un avocat dans certains cas (comme le placement en détention provisoire ou si la personne fait l'objet d'un mandat d'arrêt européen), y compris sous forme d'assistance gratuite.

2. Le droit à un interprète et à la traduction de documents utiles (articles 6 à 9)

Les suspects qui ne comprennent pas la langue de la procédure ont droit à l'assistance gratuite d'un interprète, y compris dans le cadre de l'assistance fournie par leur avocat. Le texte leur reconnaît également le droit à bénéficier d'une traduction de l'ensemble des pièces « utiles » de la procédure.

Les États doivent assurer la fidélité de la traduction et de l'interprétariat, par une qualification suffisante des personnes auxquelles elles sont confiées et leur remplacement en cas de nécessité. Le texte prévoit même l'enregistrement audio ou vidéo de la procédure en cas de recours à un interprète afin de permettre un contrôle de la qualité de la traduction.

3. Le droit à une « attention particulière » (articles 10 et 11)

Le texte prévoit un droit à une « attention particulière » au profit de certaines personnes présumées vulnérables en raison de leur âge ou de leur « état mental, physique ou émotionnel » . Il implique l'enregistrement audio ou vidéo des interrogatoires, la fourniture d'une assistance médicale et, de manière facultative, la présence d'un tiers au cours des interrogatoires.

4. Le droit de communiquer (articles 12 et 13)

Le texte reconnaît à tout suspect placé en détention provisoire le droit d'obtenir que sa famille ou son employeur soient informés dès que possible de son placement en détention.

Il organise également la possibilité, pour les ressortissants d'un autre État qui sont placés en détention, d'informer leurs autorités consulaires ou une organisation internationale humanitaire reconnue.

5. L'information des suspects sur leurs droits (article 14)

Le texte prévoit l'obligation pour les États membres de veiller à ce que tout suspect soit informé de ses droits par écrit et se voie remettre une « déclaration des droits » , dont un modèle figure en annexe du projet.

Cette déclaration des droits, qui devrait être traduite dans toutes les langues officielles de l'Union et mise à la disposition effective des services de police, serait remise à tout suspect sous la forme d'un récépissé, le plus tôt possible et en tout état de cause avant un interrogatoire.

Le texte propose, enfin, la création d'un mécanisme d'évaluation et de suivi de la mise en oeuvre de la décision-cadre , placé sous le contrôle de la Commission européenne (articles 15 et 16). À cette fin, les États membres seraient astreints à une obligation de collecte et de conservation d'informations, qui devraient être communiquées à intervalles réguliers à la Commission.

II - LES DIFFICULTÉS SOULEVÉES PAR CETTE INITIATIVE

Elles sont de trois ordres différents. Deux d'entre elles sont des problèmes de principe, qui ont justifié le dépôt de la présente proposition de résolution. Les autres difficultés portent sur le fond et elles ne seront mentionnées ici qu'à titre d'illustrations, afin d'attirer l'attention de la Haute Assemblée sur les difficultés qu'il nous faudrait résoudre pour l'introduction dans notre droit de dispositions de cette décision-cadre si elles étaient adoptées en l'état.

1. Deux difficultés de principe

a) La question de la base juridique

Ce texte constitue le premier instrument qui vise à harmoniser la procédure pénale au niveau européen. Il ne devrait d'ailleurs constituer qu'une première étape, selon la Commission européenne, qui annonce d'ores et déjà d'autres initiatives, portant notamment sur la détention provisoire, le régime des preuves ou encore le jugement par contumace.

Or, les traités actuels ne reconnaissent pas formellement une compétence à l'Union européenne dans ce domaine. L'harmonisation en matière pénale est, en effet, uniquement prévue dans les traités pour le droit matériel, c'est-à-dire pour la définition des incriminations et des sanctions, et cela uniquement dans des domaines limitativement énumérés, comme la criminalité organisée, le terrorisme ou le trafic de drogue. Mais elle n'est pas prévue, ni pour la procédure pénale en général, ni pour les droits des suspects.

La Constitution européenne comble d'ailleurs cette lacune en prévoyant l'introduction d'une nouvelle base juridique spécifique visant expressément l'harmonisation des droits des personnes dans la procédure pénale (article III-270).

Dès le début des négociations au sein du Conseil, plusieurs États membres (comme l'Irlande, le Danemark, l'Autriche, la République Tchèque, la Slovaquie et Malte) ont donc contesté l'existence d'une compétence de l'Union européenne, en vertu des traités en vigueur, pour harmoniser les droits des personnes dans la procédure pénale.

D'autres États, comme la France, ont soutenu au contraire la proposition de la Commission, qui est fondée sur l'article 31, paragraphe 1, lettre c) du traité sur l'Union européenne.

Celui-ci dispose que l'action en commun dans le domaine de la coopération judiciaire en matière pénale vise entre autres à « assurer, dans la mesure nécessaire à l'amélioration de cette coopération, la compatibilité des règles applicables dans les États membres » .

Saisi de la question, le service juridique du Conseil a rendu un avis, le 30 septembre dernier, dans lequel il a estimé, en faisant curieusement allusion à la disposition du traité constitutionnel, que le Conseil pouvait adopter les mesures proposées si, dans le respect du principe de subsidiarité, il estimait qu'elles ne dépassent pas ce qui est nécessaire pour l'amélioration de la coopération judiciaire pénale.

Or, l'argumentation du service juridique du Conseil est très contestable. En effet, la très grande majorité des procédures pénales présente un caractère purement national, car les personnes mises en causes sont généralement des nationaux et que les affaires concernées sont le plus souvent des affaires d'ordre interne. Il est donc contestable de vouloir harmoniser la procédure pénale pour faciliter la coopération judiciaire entre les États, qui par définition ne porte que sur des affaires transnationales.

En réalité, comme l'illustre l'exposé des motifs de la décision-cadre, la justification apportée par la Commission européenne à son initiative se fonde essentiellement sur les limites du principe de la reconnaissance mutuelle.

Le principe de la reconnaissance mutuelle repose, en effet, sur la confiance réciproque des États membres dans leurs systèmes judiciaires. Or, cette confiance mutuelle, qui était déjà difficile à quinze, est d'autant plus délicate à vingt-cinq, en particulier avec les pays d'Europe Centrale et Orientale, dont les systèmes judiciaires portent encore les traces du passé.

La Commission européenne considère donc que la définition d'un socle minimal de garanties procédurales accordées aux personnes mises en cause dans les procédures pénales serait de nature à faciliter l'application du principe de la reconnaissance mutuelle au sein de l'Union européenne. Elle se réfère ici en particulier à l'application du mandat d'arrêt européen.

Mais, cette argumentation ne suffit pas à assurer un fondement juridique pour l'intervention de l'Union européenne en matière d'harmonisation des droits de la personne dans la procédure pénale.

Si le traité constitutionnel introduit une nouvelle base juridique spécifique visant expressément l'harmonisation des droits des personnes dans la procédure pénale, c'est bien parce que les traités actuellement en vigueur ne confèrent pas de compétence à l'Union européenne à cet effet.

Faut-il dès lors anticiper de la sorte l'entrée en vigueur du traité constitutionnel, qui nécessite d'être ratifié au préalable par tous les États membres, souvent par référendum ? Et cela au risque de nourrir les arguments des opposants au traité constitutionnel, notamment dans des pays traditionnellement réservés à l'égard de toute harmonisation en matière pénale comme le Royaume-Uni ?

Il paraît préférable d'attendre l'entrée en vigueur du traité constitutionnel pour se lancer dans un processus d'harmonisation de la procédure pénale au niveau européen sur une base réellement établie.

D'autant plus que la Constitution européenne prévoit d'appliquer, dans ce domaine, la procédure législative ordinaire, où le Conseil statue à la majorité qualifiée en codécision avec le Parlement européen, sous réserve d'un droit d'appel au Conseil européen dans le cas où un État estimerait que le texte en cause porterait atteinte à un aspect fondamental de son système de justice pénale.

Elle impliquerait donc la suppression du droit de veto dont dispose actuellement chaque État membre et un véritable droit de regard du Parlement européen, qui est aujourd'hui simplement consulté dans le cadre du « troisième pilier ». Elle permettrait ainsi de remédier au « déficit démocratique » et de conjurer le risque d'une harmonisation a minima et d'un nivellement par le bas.

b) Le mécanisme d'évaluation et de suivi de la mise en oeuvre de la décision-cadre, tel qu'il est proposé par la Commission européenne, ne permet pas de garantir une évaluation véritablement objective et impartiale

D'après le projet, la procédure d'évaluation et de suivi de l'application de la décision-cadre serait placée sous le contrôle exclusif de la Commission européenne. De plus, les États membres auraient l'obligation de lui transmettre à intervalles réguliers, des données sensibles, comme le nombre de personnes interrogées au cours d'une procédure, et notamment le nombre de ressortissants étrangers ou de personnes vulnérables. Et il est précisé, dans l'exposé des motifs, que « le cas échéant, la Commission chargera un organisme extérieur, comme un groupe d'experts indépendants, d'analyser ces informations » .

Cette procédure d'évaluation irait donc bien au delà de la procédure de suivi réalisée actuellement par la Commission européenne, avec l'élaboration de rapports sur la transposition des instruments normatifs adoptés au niveau européen. Il s'agirait, en effet, d'après les termes employés par la Commission européenne, de « mettre en place un système garantissant le respect des normes et d'avertir les autres États membres ainsi que les institutions européennes des améliorations et/ou des dégradations éventuelles » .

Or, ces propositions paraissent inacceptables. Dans toute société démocratique, il n'est pas normal que l'activité judiciaire soit placée sous le contrôle de l'exécutif.

La mise en place d'un mécanisme d'évaluation mutuelle dans le domaine de la justice serait de nature à favoriser la confiance réciproque entre les États membres dans leurs systèmes judiciaires. Mais, cela suppose une évaluation objective et impartiale réalisée par un organisme indépendant, qui ne soit pas placé sous le contrôle de la Commission européenne.

L'évaluation mutuelle de la qualité de la justice, nécessaire pour renforcer la confiance réciproque des États membres dans leurs systèmes judiciaires, ne peut être placée sous le contrôle de la Commission européenne, mais doit être confiée à un organisme indépendant, composé de parlementaires nationaux et européens.

La procédure pénale est, en effet, une matière sensible, qui touche directement aux droits des individus et sur laquelle les Parlements disposent d'une légitimité particulière et d'une expertise reconnue. Ce n'est pas par hasard que la Constitution européenne prévoit « l'association du Parlement européen et des parlements nationaux à l'évaluation des activités d'Eurojust » . C'est également dans cet esprit qu'elle précise que « les parlements nationaux peuvent participer aux mécanismes d'évaluation » de la mise en oeuvre des mesures relatives à l'espace de liberté, de sécurité et de justice.

Pour ces deux raisons, la délégation pour l'Union européenne a conclu au dépôt de la proposition de résolution qui figure en annexe.

Il paraît, en outre, nécessaire d'attirer l'attention de la Haute Assemblée sur les autres difficultés soulevées par ce projet, qui se rapportent davantage au fond du texte.

2. Au demeurant, le texte proposé par la Commission serait susceptible de soulever d'importantes difficultés s'il était adopté en l'état lors de sa transposition dans notre droit

Certes, ce texte ne fait que reprendre pour l'essentiel des droits qui sont d'ores et déjà reconnus par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales du Conseil de l'Europe, à laquelle sont parties tous les États membres de l'Union européenne, et tels qu'ils sont interprétés par la jurisprudence de la Cour européenne de Strasbourg.

Ainsi, le droit à l'assistance d'un avocat, le droit à l'interprétation et à la traduction ou le droit à l'assistance consulaire sont d'ores et déjà reconnus dans notre législation nationale. La seule véritable innovation porterait sur l'obligation de remettre par écrit à tout suspect une « déclaration des droits » .

Toutefois, les modalités prévues pour l'exercice de certains droits pourraient soulever d'importantes difficultés si le texte était adopté en l'état lors de la transposition de cet instrument dans notre droit.

Il en va ainsi de l'information des proches du suspect en cas de placement en détention provisoire, qui peut être différée pour la nécessité de l'enquête d'après notre législation, ou encore de la présence de tiers lors de la garde à vue.

Mais cela concerne surtout les mesures spécifiques en vigueur dans notre pays en matière de lutte contre certaines formes graves de criminalité, comme le terrorisme, et en particulier le droit à l'assistance d'un avocat.

Notre Code de procédure pénale prévoit, en effet, que toute personne peut demander à s'entretenir avec un avocat dès le début de la garde à vue. Mais ce principe connaît des exceptions, notamment en matière de terrorisme, car, dans ce cas, l'entretien avec un avocat ne peut intervenir qu'après un délai de soixante-douze heures de garde à vue. Pour les infractions relevant de la criminalité et de la délinquance organisée, ce délai est de quarante-huit heures. Or, le texte proposé par la Commission pourrait nous contraindre à revoir notre législation sur ce point.

À l'inverse, on peut regretter que le droit à l'assistance médicale soit prévu uniquement pour les personnes vulnérables. Le droit à l'assistance d'un médecin devrait figurer en tant que tel au nombre des droits généraux accordés à tout suspect, au même titre que le droit à un avocat ou à un interprète.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu le projet de décision-cadre relative à certains droits procéduraux accordés aux suspects dans le cadre des procédures pénales dans l'Union européenne (texte E 2589),

1. Constate que si le traité constitutionnel introduit, en son article III-270, une nouvelle base juridique spécifique visant expressément l'harmonisation des droits des personnes dans la procédure pénale, c'est parce que les traités actuellement en vigueur ne confèrent pas de compétence à l'Union européenne à cet effet ;

Estime en conséquence qu'il convient d'attendre l'entrée en vigueur du traité constitutionnel pour harmoniser ces droits et, en tout état de cause, de disposer d'une base juridique incontestable.

2. Considère que l'évaluation mutuelle de la qualité de la justice, nécessaire pour renforcer la confiance réciproque des États membres dans leurs systèmes judiciaires, ne peut être placée sous le contrôle de la Commission européenne, mais doit être confiée à un organisme indépendant composé de parlementaires nationaux et européens, dans l'esprit de ce qui est prévu à l'article I-42 du traité constitutionnel, qui prévoit l'association du Parlement européen et des parlements nationaux à l'évaluation des activités d'Eurojust.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page