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N° 591

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2009-2010

Enregistré à la Présidence du Sénat le 30 juin 2010

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

PRÉSENTÉE AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES (1)

EN APPLICATION DE L'ARTICLE 73 QUATER DU RÈGLEMENT,

sur la politique commune de la pêche,

PRÉSENTÉE

Par M. Charles GAUTIER,

Sénateur

(Envoyée à la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire)

(1) Cette commission est composée de : M. Jean Bizet président ; MM. Denis Badré, Pierre Bernard-Reymond, Michel Billout, Jacques Blanc, Jean François-Poncet, Aymeri de Montesquiou, Roland Ries, Simon Sutour, vice-présidents ; Mmes Bernadette Bourzai, Marie-Thérèse Hermange, secrétaires ; MM. Robert Badinter, Jean-Michel Baylet, Didier Boulaud, Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. Gérard César, Christian Cointat, Philippe Darniche, Mme Annie David, MM. Robert del Picchia, Pierre Fauchon, Bernard Frimat, Yann Gaillard, Charles Gautier, Jean-François Humbert, Mme Fabienne Keller, MM. Serge Lagauche, Jean-René Lecerf, François Marc, Mmes Colette Mélot, Monique Papon, MM. Hugues Portelli, Yves Pozzo di Borgo, Josselin de Rohan, Mme Catherine Tasca et M. Richard Yung.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L'Union européenne s'apprête à réformer, pour la deuxième fois, la politique commune de la pêche (PCP).

1. Pourquoi une réforme de la PCP moins de dix ans après la précédente ?

Après la politique initiale, mise en oeuvre en 1983, orientée sur l'accroissement des capacités de productions, la réforme de 2002 visait une exploitation durable de la ressource, fondée sur la limitation de l'effort de pêche et sur la restriction des captures via deux dispositions : les totaux admissibles de captures - les TAC - fixés au niveau communautaire par zone de pêche, hors Méditerranée, et par espèce, et les quotas, répartis entre États membres suivant le principe de stabilité relative, hérité d'un partage historique lié aux captures effectuées dans les années 70.

Pourtant, très vite, quatre types de difficultés apparaissent.

Il y a d'abord une difficulté technique : la réglementation n'est pas toujours bien respectée. En 2007, un rapport de la Cour des comptes européenne relève les faiblesses du contrôle. Le régime des quotas, même assoupli par un système d'échanges entre États, génère beaucoup de lourdeurs administratives et de frustrations en raison des références de pêche dépassées.

Il y a également une difficulté économique . Le secteur est très fragile. Pour la Commission européenne, « la réglementation a permis d'éviter l'évolution catastrophique des pêcheries ». On conviendra qu'il y a de meilleurs bilans. La PCP a manqué de cohérence en alternant les aides à la construction de navires et la restructuration des flottes, les limitations de pêche et les progrès de productivité. Deux tiers des poissons consommés en Europe sont importés alors que, à l'étranger, la pêche et l'aquaculture sont parfois pratiquées dans des conditions sociales et environnementales peu satisfaisantes. L'étiquetage sur l'origine du lieu de pêche n'apporte aucune information sur ce sujet.

Il y a ensuite une difficulté scientifique . Les TAC sont décidés par le Conseil, sur proposition de la Commission, mais aussi après avis du comité scientifique, technique et économique de la pêche. Mais les avis scientifiques sont très controversés, entre scientifiques eux-mêmes, entre les pêcheurs et les biologistes... La biologie marine est encore très mystérieuse. Il faut raisonner par espèce, par zone, tenir compte de l'incidence du changement climatique sur les migrations... Les idées simples comme l'interdiction de pêche avant que les poissons aient atteint l'âge de frayer s'avèrent moins pertinentes qu'il n'y paraît car pêcher les gros poissons, c'est aussi pêcher les gros reproducteurs. La controverse scientifique sur la pêche n'est pas prête de cesser.

Ce qui ne peut qu'accroître la quatrième difficulté d'ordre politique . La pêche est un secteur politiquement sensible. La Commission rappelle que « le secteur et les États membres, poussés par des pressions politiques et économiques, ont demandé un nombre incalculable de dérogations et de mesures spécifiques ». Les tensions entre États sont nombreuses, comme ce fut le cas lors de la Convention sur le Commerce international des espèces menacées, consacrée, en avril dernier, au thon rouge, certains États membres, au moment du vote, s'étant affranchis de la position commune adoptée par les Vingt-sept. C'est aussi un secteur très exposé aux médias du fait de la forte mobilisation de certaines organisations non gouvernementales qui ont fait de la pêche au thon rouge, qui est parmi les plus contrôlées au monde, un emblème de leur combat écologique. Le sujet est passionnel.

2. C'est dans ce contexte qu'intervient le projet de réforme de la PCP. Le processus a débuté en avril 2009 par un livre vert de la Commission qui devait susciter un débat public. La synthèse des contributions a été publiée en avril 2010. La deuxième phase a commencé avec le positionnement du Parlement européen et du Conseil, dans l'attente de propositions législatives de la Commission prévues à l'automne. La réforme est prévue pour le début 2012 avec une mise en oeuvre en 2013. L'objectif est d'organiser une pêche durable en « ramenant l'exploitation des stocks halieutiques à un niveau compatible avec la production maximale équilibrée » selon l'expression de la Commission. Néanmoins, plusieurs sujets restent controversés.

3. Les préoccupations portent sur quatre thèmes :

Le premier thème est celui de l'organisation . Les mesures décidées à Bruxelles génèrent beaucoup d'incompréhension locale. Le projet serait de remplacer la démarche hiérarchique par une démarche de bas en haut dite « bottom up » et de donner plus de responsabilités aux acteurs locaux, presque tous regroupés en organisation de producteurs. Il y a un large accord sur ce sujet même s'il y a une inquiétude de fond : la régionalisation de la PCP ne doit pas conduire au détricotage d'une politique commune.

De même, la Commission envisage de réserver les aides du fonds européen pour la pêche à la seule pêche artisanale. Chacun sent confusément que cette dernière se distingue de la pêche industrielle, mais les difficultés surviennent lorsqu'il s'agit d'en déterminer les critères respectifs. La Commission propose de retenir un critère de taille de navire (plus ou moins 12 mètres) et de mode de pêche (la pêche au chalut caractériserait la pêche industrielle). Mais ces critères peuvent être inopérants (certains bateaux pratiquent la pêche au chalut à certaines périodes de l'année et la pêche à la drague ou à la palangre à d'autres périodes), ou discriminatoires à l'excès (quid des navires de 12,40 mètres ?). Une distinction qui reposerait sur des critères inadaptés aurait des effets d'éviction pour de nombreuses pêcheries.

Deuxième thème : le volet social . La PCP est emblématique des politiques de développement durable : la durabilité de l'exploitation des ressources doit être appréciée sur le plan économique, environnemental et social. Ce troisième volet est plutôt le parent pauvre du projet de réforme. La pêche reste un métier dangereux, parmi les plus exposés au monde. En France, le taux d'accident du travail est de 10 %. On recense en moyenne un décès pour 1000 pêcheurs, soit 10 fois plus que dans le BTP ! Encore ne s'agit-il que de statistiques françaises avec une population attentive aux risques. Il y a certainement des améliorations à attendre dans ce domaine notamment dans la formation et la sécurité et la réforme de la PCP est une occasion de les proposer, en amorce d'une harmonisation du droit social des travailleurs embarqués.

Le troisième thème est celui des rejets de pêche . Le pêcheur remonte presque toujours des prises accessoires indésirables. Il peut s'agir soit de poissons non autorisés à la pêche, parce qu'ils sont hors quota ou parce que le quota a été épuisé, soit de poissons autorisés mais trop petits, soit, enfin, de poissons sans valeur marchande. Tous sont rejetés à la mer, morts par étouffement ou condamnés. En Europe, on estime le taux de rejet entre 10 et 60 % des prises selon les pêcheries soit une moyenne générale de 40 à 50 %. Ce sujet sera au coeur de la prochaine PCP.

Certains pays en ont fait leur cheval de bataille, car cette pratique est un gâchis économique, écologique et alimentaire, d'autant plus inadmissible que les stocks halieutiques s'épuisent.

Les rejets, inhérents à la pêche, sont aussi un exemple des effets pervers de la PCP elle-même. Actuellement, les quotas de pêche sont mesurés au débarquement. Tout ce qui n'est pas prévu dans le quota est donc rejeté, ne serait-ce que par faute de place dans les cales réservées pour les « bons poissons » du quota. De même que la PAC administrée des années 70 a entraîné les surproductions, la PCP régulée a entraîné les rejets.

Hélas, les remèdes ne sont pas aussi simples. Il est, par exemple, plus facile d'éviter les prises accessoires quand on pêche des poissons du stock pélagique rassemblés en colonne d'eau, comme c'est le cas des harengs et du maquereau en Mer du Nord, que quand on pêche des poissons au fond des mers. Plus on pêche près du sol, comme c'est le cas de beaucoup de pêches françaises, et plus il est difficile de cibler les espèces et les prises accessoires sont alors inévitables.

Une solution préconisée par certains États membres est de remplacer le quota de débarquement par un quota de prise, plus élevé bien entendu, associé à une sorte de système de primes en fonction des résultats des prises. Il est aussi possible de travailler sur les engins de pêche, les mailles des filets, les bords de fuite, mais certaines espèces s'échappent des filets en remontant, d'autres en descendant.... Il faut par conséquent se méfier des solutions simplistes mais plutôt travailler espèce par espèce en s'appuyant sur les organisations locales. La solution est moins dans une interdiction inapplicable que dans une obligation de résultat, à charge pour les organisations de pêcheurs de trouver les meilleurs moyens d'y parvenir.

Le quatrième thème est celui des quotas . Aujourd'hui, les droits à produire sont fixés par espèce et par État membre, puis sont partagés par les pêcheries. Les échanges entre États donnent un peu de souplesse à ce système, mais les quotas restent gérés au niveau national dans la mesure où, jusqu'à présent, les ressources halieutiques sont considérées comme un patrimoine collectif. La Commission propose de fixer des quotas individuels transmissibles - QIT -, calculés par exemple par jours de pêche ou en volume de capture. Ce projet appelle de sérieuses réserves.

Sur le plan des principes, le quota individuel vise à introduire la propriété privée sur la ressource marine dans un espace considéré aujourd'hui comme une propriété commune. Il s'agit d'une étape de plus dans la marchandisation du monde sur laquelle on peut s'interroger. Sur le plan économique, les quotas individuels seraient transférables, capitalisables. En vérité, c'est moins le caractère individuel du quota que sa transmissibilité qui est en cause. La pêche serait-elle un produit financier comme un autre, un marché comme un autre ? Même si le Danemark paraît satisfait de ce système, l'expérience dans d'autres pays est beaucoup plus embarrassante. C'est le cas, par exemple, de l'Islande. À quoi ont conduit les QIT ? À des concentrations, à des achats spéculatifs, à la prise de contrôle par les banques. Peut-on accepter que la pêche soit entre les mains des banques, des assurances, et bientôt, peut-être, des fonds de pension ?

Il y a en France une forte inquiétude sur ce sujet et la crainte de dommages irréversibles, sans apporter de bénéfice pour l'amélioration des stocks. Si l'individualisation des droits n'est pas inenvisageable, leur gestion doit rester collective par les organisations de producteurs.

La réforme de la pêche va anticiper la réforme de la PAC. Elle peut être un laboratoire pour de nouvelles idées. La future PCP valorisera beaucoup le rôle des organisations de producteurs. La Commission explique par exemple qu' « une OCM qui délaisserait le soutien direct des prix pour mettre davantage l'accent sur l'amélioration de la manière dont les producteurs s'organisent garde toute son utilité ». C'est là une orientation qui peut aussi être utile pour la PAC.

C'est la raison pour laquelle la commission a conclu au dépôt de la proposition de résolution qui suit :

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu le Livre vert sur la réforme de la politique commune de la pêche (PCP) présenté par la Commission le 22 avril 2009,

Vu le document de travail des services de la Commission sur la synthèse de la consultation sur la réforme de la politique commune de la pêche du 16 avril 2010,

Vu la communication de Mme Maria DAMANAKI, commissaire européen chargé des affaires maritimes et de la pêche, portant sur les priorités pour les affaires maritimes et la pêche du 17 mai 2010,

Considérant que la pêche n'est pas seulement un secteur économique mais aussi un mode de vie qui structure les régions côtières et leur donne une identité forte ;

Considérant que la réforme de la politique commune de la pêche doit se faire avec la participation des pêcheurs eux-mêmes et qu'il convient, à cet effet, de conforter et de favoriser les organisations de producteurs ;

Estime que la réforme de la politique commune de la pêche doit comporter un volet relatif à la sécurité et la formation professionnelle, préfigurant une nécessaire harmonisation européenne des droits sociaux des travailleurs en mer ;

Constate que l'étiquetage actuel sur l'origine des lieux de pêche n'apporte qu'une information médiocre au consommateur et souhaite que l'Union européenne élabore une réforme de l'étiquetage des poissons frais qui valoriserait les modes de pêche durable ;

Comprend que l'on distingue, pour l'attribution des aides du fonds européen pour la pêche, pêche industrielle et pêche artisanale, mais considère que les critères actuellement prévus par la Commission pour caractériser la pêche artisanale ne sont pas pertinents ;

Demande que la limitation des rejets de pêche fasse l'objet d'une approche concertée, pêcherie par pêcherie, en privilégiant un objectif de résultat, et estime qu'il convient de donner à cet effet plus de responsabilités aux acteurs locaux et aux organisations de producteurs notamment en leur donnant la mission d'identifier des engins de pêche plus sélectifs ;

Demande qu'un cadre stabilisé soit défini pour l'outre-mer, notamment par le biais de délimitation de zones économiques au niveau régional ;

Considère que le projet d'un marché de quotas individuels transférables conduirait à des concentrations et à des achats spéculatifs et demande que d'éventuels quotas individuels restent gérés collectivement par les organisations de producteurs.

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