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N° 278

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2011-2012

Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 janvier 2012

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

PRÉSENTÉE AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES (1) EN APPLICATION DE L'ARTICLE 73 QUATER DU RÈGLEMENT, sur la régulation des marchés financiers (E 5645, E 6748 et E 6759),

Par M. Richard YUNG,

Sénateur

(Envoyée à la commission des finances.)

(1) Cette commission est composée de : M. Simon Sutour, président ; MM. Alain Bertrand, Michel Billou, Jean Bizet, Bernadette Bourzai, Jean-Paul Emorine, Fabienne Keller, Philippe Leroy, Catherine Morin-Desailly, Georges Patient, Roland Ries, vice-présidents ; MM. Christophe Béchu, André Gattolin, Richard Yung, secrétaires ; Nicolas Alfonsi, Dominique Bailly, Pierre Bernard-Reymond, Éric Bocquet, Gérard César, Karine Claireaux, Robert del Picchia, Michel Delebarre, Yann Gaillard, Joëlle Garriaud-Maylam, Joël Guerriau, Jean-François Humbert, Sophie Joissains, Jean-René Lecerf, Jean-Louis Lorrain, Jean-Jacques Lozach, François Marc, Colette Mélot, Aymeri de Montesquiou, Bernard Piras, Alain Richard, Catherine Tasca.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Les crises successives récentes ont mis à l'épreuve les marchés financiers et ont révélé les faiblesses de leur réglementation. Le sommet du G20 de Pittsburgh en 2009 en a tiré les premières conclusions et a tracé les grandes lignes d'une réforme en profondeur de la régulation financière. Les produits dérivés ont fait l'objet d'une attention toute particulière. En effet, si ces derniers ne sont pas directement en cause dans le déclenchement de la crise financière, ils ont joué un rôle important dans sa propagation.

L'Union Européenne a pris de nombreuses initiatives dans le domaine de la régulation des marchés. La proposition de résolution que je vous présente aujourd'hui porte sur deux propositions majeures en ce qui concerne le fonctionnement des marchés.

Le règlement dit EMIR (European Market Infrastructure Regulation) , traite des produits dérivés négociés de gré à gré, des contreparties centrales et des référentiels centraux. Présenté en septembre 2010, il fait encore à ce jour l'objet d'intenses négociations.

La révision de la directive sur les marchés d'instruments financiers (MIF), sous la forme d'une directive et d'un règlement ( MIFID et MIFIR ) présentés en octobre 2011, conditionnera le fonctionnement des marchés européens et de leur régulation.

La réglementation MIF a favorisé la libéralisation des marchés européens

La directive MIF, entrée en vigueur en 2007, régit les produits que négocient les sociétés d'investissement, le fonctionnement des bourses traditionnelles et les autres plateformes de négociation dits systèmes multilatéraux de négociation.

Elle a conduit directement et indirectement à des modifications substantielles de l'organisation des marchés.

En particulier, la directive MIF a supprimé la règle de concentration des ordres qui permettait d'exiger que la confrontation entre l'offre et la demande sur les actions soit réalisée en un lieu unique. Le monopole des bourses traditionnelles a ainsi disparu au profit de la multiplication de plateformes d'échange sur lesquelles il est devenu possible d'acheter et de vendre des actions de l'ensemble des pays de l'Union avec, en contrepartie des obligations de transparence accrues.

Afin d'attirer dans le domaine régulé le plus grand nombre de transactions, la directive actuelle reconnaît :

- deux catégories de marchés dits organisés : les marchés réglementés (MR) qui sont les seuls à pouvoir admettre des titres à la négociation et les systèmes multilatéraux de négociation (SMN) qui sont des plateformes multilatérales spécialisées dans la négociation des titres admis à la négociation sur un MR. Ces deux catégories, qui se concurrencent librement, ont en commun d'offrir un accès non discriminatoire à leurs membres, de faire l'objet d'un agrément.

- un statut spécifique d'internalisateur systématique (IS) en dehors des marchés organisés qui agit en contrepartie des ordres de clients sur une base discrétionnaire.

Les exigences de transparence, conditions de l'efficience et de l'intégrité des marchés, ont été inefficaces

En parallèle à cette libéralisation des marchés, des obligations de transparence ont été instaurées en vue d'assurer l'efficience des marchés par la correcte formation des prix et la confiance des acteurs de marchés. Elles sont de deux natures :

- la transparence pré-négociation permet de disposer des informations concernant les prix et les quantités d'offre à l'achat et à la vente ;

- la transparence post-négociation permet de connaitre, après la transaction, l'ensemble des conditions réelles d'exécution.

D'une façon générale, seuls les marchés réglementés et les systèmes multilatéraux de négociation sont soumis à la transparence pré et post négociation. Les  nombreuses dérogations aux obligations de transparence, prévues dans la directive d'origine, ont conduit à une fragmentation et à une détérioration de l'information disponible.

La réglementation a rendu possible le développement de pratiques de marchés en marge de ses contraintes essentielles

La directive, entrée en vigueur au moment ou éclatait la crise financière, a entrainé une fragmentation des marchés dans des contextes réglementaires hétérogènes. Le statut d'IS a rencontré un faible succès et, contrairement à l'objectif recherché, un nombre important de transactions ont alors migré vers des plateformes de transaction alternatives et opaques.

Les dark pools se sont développés dans le cadre même de la directive et bénéficient d'une dérogation totale aux obligations de transparence pré négociation. Les crossing networks apparient en interne des ordres d'achat et de vente de clients sans aucune transparence post négociation.

Parallèlement l'ingénierie financière et technologique a permis le développement des négociations sur la base de programmes informatiques, notamment la passation automatique des ordres (qui représenterait 1/3 des transactions en Europe) et le trading haute fréquence. Certaines de ces techniques sont considérées comme pouvant engendrer des risques opérationnels susceptibles de menacer la stabilité des marchés, sans réponse appropriée de la part des textes actuels.

Une place prédominante est occupée désormais par le marché des produits dérivés

Les produits dérivés tiennent une place particulière au sein des marchés financiers. Ils sont des instruments de transfert de risque et jouent, à ce titre, un rôle central pour l'économie. Ils facilitent de plus l'accès au marché, car ils nécessitent des investissements bien inférieurs à ceux d'un investissement direct dans l'actif sous-jacent. Ils sont aussi utilisés à des fins spéculatives et sont échangés à plus de 80%, sur une base privée -transaction de gré à gré ou « Over The Counter » ( OTC ).

Le marché des produits dérivés OTC, constitue le marché financier mondial le plus important et représente un volume mondial de transactions estimé à plus de 600 000 milliards de dollars (soit près de 12 fois le PIB mondial). Il est négocié majoritairement par 14 banques de financement et d'investissement ce qui crée un risque majeur de dysfonctionnement en cas, notamment, de défaut de l'une d'elles.

Face à ces développements, il est indispensable d'adapter la régulation des marchés

La révision de la directive MIF vise à la fois à remédier à la situation décrite ci dessus et à compléter la réglementation afin de tenir compte de l'évolution des marchés et notamment du développement des produits dérivés.

Les enjeux de cette nouvelle régulation sont multiples. Il s'agit tout à la fois :

- d'assurer le fonctionnement efficient et intègre des marchés et la protection des investisseurs ;

- de réduire les risques attachés en renforçant la transparence ;

- d'étendre le champ de la régulation au-delà des seules actions pour y intégrer notamment les obligations, les produits dérivés et les matières premières ;

- de réorienter les flux des transactions réalisées de gré à gré vers des marchés organisés soumis à des obligations de transparence ;

- de définir et d'encadrer plus strictement les activités mettant en péril l'intégrité des marchés.

Les principes de la future réglementation sont aussi guidés par le souhait d'un contrôle accru sur les produits dérivés, accélérateurs des crises récentes par leur effet de levier intrinsèque. Dans le but de réduire le risque de défaillance de l'une des parties sur le marché de gré à gré, susceptible de provoquer la déstabilisation des marchés il est prévu de promouvoir le développement de systèmes de compensation centrale. Les priorités portent aussi sur des exigences de transparence accrue à travers l'obligation de déclaration à des référentiels  centraux.

Quelles sont les principales dispositions de ces propositions ?

La révision de la directive MIF prévoit notamment :

=> Une redéfinition des frontières entre le gré à gré et le marché organisé afin de couvrir réglementairement un plus grand nombre de transactions au travers de :

- une nouvelle catégorie de système organisé de négociation  ( Organised Trading Facility - OTF ) qui aurait notamment pour vocation de faire migrer dans le cadre réglementé les crossing networks ;

- l'encadrement plus strict des plateformes alternatives actuelles ;

- l'obligation de négocier sur des marchés organisés soumis à des obligations de transparence les produits dérivés désignés par l'Autorité européenne des marchés financiers (AEMF).

=> Une obligation accrue de transparence par le biais de :

- l'extension des obligations de transparence aux marchés des obligations et des dérivés ;

- l'accord préalable de l'AEMF pour les exemptions aux obligations de transparence ;

- regroupement en un seul lieu de l'ensemble des données de marché « consolidated tape »afin de donner aux investisseurs et aux superviseurs une vue d'ensemble de toutes les activités de négociation en Europe.

=> Un contrôle renforcé des nouvelles pratiques de marchés au travers de :

- l'encadrement du trading algorithmique (le trading haute fréquence se présentant dans la directive comme une catégorie de trading algorithmique) avec notamment l'obligation faite aux intervenants d'informer les régulateurs nationaux de leurs programmations et des méthodes de contrôle des risques et d'assurer en permanence la liquidité ;

- le pouvoir donné aux autorités de surveillance nationales, d'interdire certains produits, services ou pratiques dès lors que ceux-ci portent atteinte à la protection des investisseurs, à la stabilité financière ou au bon fonctionnement des marchés.

Dans le même esprit le règlement EMIR prévoit notamment :

=> Une maîtrise accrue du risque opérationnel et de contrepartie au moyen de :

- l'obligation d'utiliser une chambre de compensation centrale - Central Counterparty (CCP) - pour ceux des dérivés OTC qui y seront déclarés éligibles par l'AEMF.

Cette obligation qui constitue un élément central de la proposition de règlement, consiste à interposer une CCP entre les parties au contrat de gré à gré. Les parties ne sont plus liées l'une à l'autre mais à la CCP qui garantit aux parties l'exécution des obligations contractuelles et reçoit à ce titre un dépôt initial et des marges supplémentaires ;

- l'introduction de règles alternatives à l'obligation de compensation sous la forme notamment de la confirmation électronique des contrats. Il faut noter que la proposition dit CRD IV concernant l'accès à l'activité des établissements de crédit et la surveillance prudentielle des établissements de crédit et des entreprises d'investissement complète ces dispositions par des contraintes en fonds propres supplémentaires pour les transactions sur produits dérivés ne faisant pas l'objet de compensation ;

- la définition de règles communes concernant l'agrément, la solidité financière, le fonctionnement et l'interopérabilité des chambres de compensation centrales.

=> Un renforcement des obligations de transparence au travers de :

- l'obligation de déclaration des informations concernant les transactions sur les produits dérivés à des référentiels centraux - Trade Repository ( TR ). Cette obligation s'impose pour l'ensemble des transactions sur produits dérivés qu'ils soient négociés sur des marchés réglementés ou bien de gré à gré ;

- règles communes concernant l'agrément, le fonctionnement et la surveillance des référentiels centraux par l'AEMF.

Quelles appréciations porter sur ces textes ?

Nous devons tout d'abord approuver la démarche entreprise et souligner la qualité de ces propositions qui présentent indéniablement un renforcement très significatif de la régulation des marchés dans la lignée des préconisations du G20. Je souhaite toutefois attirer votre attention sur certains aspects du dispositif réglementaire proposé.

L'exigence de transparence et la réduction des exceptions

La transparence des marchés et la qualité de l'information disponible sont des éléments critiques tant pour les superviseurs que pour les acteurs du marché.

S'il convient très certainement de mesurer soigneusement les contraintes liées aux conditions de liquidité et aux tentations de contournement réglementaire, de trop nombreuses dérogations aux obligations de transparence pré négociation risquent de conduire à la perpétuation voire aux développements de plateformes alternatives type dark pools .

L'insuffisance du niveau de transparence post négociation des marchés fait peser des risques tant sur le respect du principe de meilleure exécution que sur l'efficacité de toute surveillance réglementaire.

La solidité financière et le contrôle des chambres de compensation centrales

La compensation centralisée prônée par le règlement européen tend à réduire le risque mais, ce faisant, elle le concentre sur les CCP. En effet, ces dernières auront vocation à concentrer les risques auparavant portés par les acheteurs et vendeurs en gré à gré et représenteront, à leur tour, un risque systémique . D'où l'importance qui doit être portée en pratique à la surveillance, aux normes réglementaires de fonctionnement, aux conditions de concurrence, à la solidité financière et, particulièrement, à l'accès à la liquidité en situation de risque.

Le renforcement du régime spécifique accordé aux PME pour construire une alternative pertinente en termes de financement de l'activité économique

La Commission introduit un statut spécifique pour les systèmes multilatéraux de négociation (SMN) en tant que marché de croissance afin de promouvoir le marché des PME vis-à-vis des investisseurs. C'est l'occasion de réaffirmer le rôle que doivent tenir les marchés dans le financement de l'économie et tout particulièrement des entreprises. Il est particulièrement nécessaire et urgent d'offrir aux PME européennes, à l'occasion d'une réglementation spécifique, une alternative pertinente au financement bancaire traditionnel qui sera contraint par les nouvelles règles prudentielles de CRD IV .

L'encadrement accru du trading haute fréquence

La Commission propose d'imposer un certain nombre d'obligations aux acteurs du trading haute fréquence. D'autres mesures visant à encadrer plus strictement ces pratiques ont déjà été évoquées et devraient d'ores et déjà pouvoir être envisagées et précisées par l'AEMF au niveau européen ; qu'il s'agisse de la limitation de la décimalisation, de l'imposition d'une latence minimale dans la transmission des ordres, d'une taxation spécifique ou d'une régulation spécifique des tarifs appliqués à ces transactions.

La gouvernance et la dotation appropriée de moyens et de ressources à l'Autorité européenne des marchés financiers (AEMF)

L'efficacité de la surveillance et de la régulation de marchés mondialisés impose, au minimum, une autorité européenne forte. La création de l'AEMF va clairement dans le bon sens et son rôle est crucial tant dans la surveillance effective des marchés et des acteurs des marchés que dans la formalisation des standards concernant les pratiques et leur contrôle. Les prérogatives, pouvoirs et moyens donnés à l'AEMF sont les instruments indispensables d'une régulation pleinement efficace. L'AEMF doit pouvoir accompagner réglementairement voir précéder les rapides évolutions des marchés. Une attention particulière doit donc être portée aux moyens dont elle peut disposer.

C'est dans cet esprit, Mesdames, Messieurs, que je vous propose d'adopter la proposition de résolution européenne suivante :

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur les produits dérivés négociés de gré à gré, les contreparties centrales et les référentiels centraux (E 5645) ;

Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil concernant les marchés d'instruments financiers, abrogeant la directive 2004/39/CE du Parlement européen et du Conseil (E 6759) ;

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant les marchés d'instruments financiers et modifiant le règlement sur les produits dérivés négociés de gré à gré, les contreparties centrales et les référentiels centraux (E 6748) ;

Partage les objectifs retenus en terme d'efficience et d'intégrité des marchés financiers mais souhaite que leur apport au financement de l'économie soit accru ;

Souligne les avancées significatives en terme de régulation des marchés financiers que constituent les propositions E 5645, E 6759, E 6748 tout en considérant qu'elles ne peuvent constituer qu'une étape ;

Rappelle, à cet égard, la nécessité d'une harmonisation internationale des régulations et d'une coopération entre autorités de surveillance ;

Souligne l'importance essentielle de la qualité de l'information et de la transparence des marchés ;

Considère, en conséquence, que les dérogations à la transparence pré et post négociation doivent être limitées ;

Soutient la solution d'un registre électronique exhaustif ( consolidated tape ) confié à un opérateur unique à même d'assurer la consolidation indispensable de l'information pré et post négociation ;

Estime que le succès des systèmes organisés de négociation ( Organised Trade Facilities - OTF ) proposés par le projet de révision de la directive concernant les marchés d'instruments financiers dépendra en partie de la qualité de l'administration de ces marchés et des garanties apportées dans les échanges ;

Souligne le caractère systémique des chambres centrales de compensation ( CCP ) ;

Estime, en conséquence, qu'une attention particulière doit être portée à la gouvernance, aux conditions d'accès pour les utilisateurs, à la supervision et à l'accès à la liquidité des chambres de compensation ;

Rappelle que les membres des chambres de compensation doivent prendre leurs responsabilités en cas de défaut, l'adossement à la BCE traitant le risque de liquidité ;

Estime indispensable et urgent de développer activement les modalités d'accès, dans des conditions sécurisées, des PME européennes à des marchés financiers adaptés à leur situation ;

Considère nécessaire de renforcer l'encadrement des pratiques mettant en péril l'intégrité des marchés financiers et notamment les transactions sur base d'algorithmes ( trading algorithmique ) ;

Souhaite, en conséquence, que soient développés la limitation de la décimalisation, l'imposition d'une latence minimale dans la transmission des ordres, l'application de taxations et de tarifs spécifiques à ces transactions ;

Souligne le rôle central et unique de l'Autorité européenne des marchés financiers dans l'efficacité de la régulation européenne des marchés ;

Considère, en conséquence, que davantage de pouvoir d'intervention et de sanction, en coordination avec les régulateurs nationaux, ainsi que des moyens adéquats doivent lui être alloués.

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