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N° 312

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2013-2014

Enregistré à la Présidence du Sénat le 27 janvier 2014

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

présentée au nom de la commission des affaires européennes (1), en application de l'article 73 quater du Règlement, sur les voyages à forfait et les prestations de voyage assistées (COM (2013) 512),

Par Mme Colette MÉLOT,

Sénateur

(Envoyée à la commission des affaires économiques)

(1) Cette commission est composée de : M. Simon Sutour, président ; MM.  Alain Bertrand, Michel Billout, Jean Bizet, Mme Bernadette Bourzai, M. Jean-Paul Emorine, Mme Fabienne Keller, M. Philippe Leroy, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Georges Patient, Roland Ries, vice-présidents ; MM. Christophe Béchu, André Gattolin, Richard Yung, secrétaires ; MM. Nicolas Alfonsi, Dominique Bailly, Pierre Bernard-Reymond, Éric Bocquet, Mme Françoise Boog, Yannick Botrel, Gérard César, Mme Karine Claireaux, MM. Robert del Picchia, Michel Delebarre, Yann Gaillard, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, MM. Joël Guerriau, Jean-François Humbert, Mme Sophie Joissains, MM. Jean-René Lecerf, Jean-Jacques Lozach, Mme Colette Mélot, MM. Aymeri de Montesquiou, Bernard Piras, Alain Richard, Mme Catherine Tasca.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le marché du tourisme et des voyages représente environ 10 % du PIB de l'Union européenne, soit 1,8 million d'entreprises et 5,2 % du nombre total de travailleurs.

La directive 90/314/CEE du Conseil du 13 juin 1990 est le premier texte à avoir réglementé la vente de voyages à forfait. Par voyage à forfait, il faut entendre le voyage réservé auprès d'une agence de voyage, comprenant au moins deux prestations, par exemple transport, hébergement ou location de voitures, et une nuit sur place. Communément on parle de forfait touristique ou voyage organisé.

Cette directive a permis l'émergence d'un marché unique pour les voyages à forfait et l'amélioration de la protection des consommateurs notamment en leur permettant de bénéficier de conditions comparables quel que soit l'État membre dans lequel ils achètent leur forfait. Elle a généralisé la protection du voyageur-consommateur et précisé le contenu des brochures et informations à fournir au voyageur.

Les voyages à forfait traditionnels, ceux visés par la directive, ne représentent plus aujourd'hui que 23 % des voyages. L'émergence d'internet a en effet frappé d'obsolescence une large part de la réglementation existante. Dès 2007, partant de ce constat, la Commission a lancé une consultation afin de faire évoluer celle-ci. De consultations en communications successives, le processus d'élaboration aura duré plusieurs années pour aboutir à une refonte ambitieuse.

Celle-ci cependant ne convainc pas totalement. Elle vise à une harmonisation complète là où la spécificité des marchés nationaux indiquerait davantage une harmonisation permettant d'accorder des garanties supplémentaires au niveau national. Elle manque par ailleurs de précisions sur différentes dispositions.

I) Face à la nécessité d'une réforme, la Commission a élaboré une refonte ambitieuse de la directive 90/314/CEE.

Une révision nécessaire

La directive 90/314/CEE a ainsi établi des droits importants pour le consommateur. Elle a permis l'émergence d'un marché unique pour les voyages à forfait et l'amélioration de la protection des consommateurs.

Mais une législation européenne qui date de plus de 20 ans ne peut tenir compte d'éléments aujourd'hui structurants pour le marché du tourisme actuel. Elle ignore ainsi Internet, les compagnies low cost , le développement du paiement en ligne et les nouvelles flexibilités de réservation, comme par exemple les réservations de dernière minute ou les forfaits dynamiques, c'est-à-dire des voyages personnalisés dont l'organisation est assurée par un ou des professionnels.

Or, si 23 % des consommateurs réservent des voyages à forfait traditionnels, tels que décrits par la directive 90/314/CEE, 23 % réservent des forfaits dynamiques. C'est ainsi près de 120 millions de citoyens européens qui organisent chaque année leurs vacances via l'internet et personnalisent leur séjour. Les consommateurs se pensent souvent protégés, à tort, lors de ces achats de voyages en ligne dits forfaits dynamiques : d'après un sondage récent, c'est le cas de 67 % des citoyens de l'Union européenne qui croient ainsi être protégés en achetant ces prestations de voyage, alors qu'en réalité, ils ne le sont pas.

À l'inverse, la directive 90/314/CEE génère pour le vendeur des coûts élevés non essentiels à une protection efficace du consommateur et qui peuvent varier selon les pays : impression papier obligatoire de brochures, par exemple, ou encore obligation parfois illimitée du vendeur pour assurer hébergement et restauration du voyageur lorsqu'il est impossible d'assurer son retour en temps voulu en cas de force majeure.

Il devenait donc nécessaire de réactualiser cette réglementation afin de tenir compte des évolutions actuelles du secteur et de de clarifier le rôle et les responsabilités de chacun afin de faciliter les recours des consommateurs et la bonne application de leurs droits, tout en améliorant le fonctionnement du marché unique.

Une révision ambitieuse

Le dispositif proposé étend largement le champ d'application de la réglementation et tente de corriger les lacunes et dispositions dépassées de la précédente directive.

La proposition de directive répond ainsi dans ses grandes lignes aux nouveaux défis posés par le passage à l'ère numérique. Elle clarifie la réglementation en définissant les différents types de contrats de voyage et l'adapte aux nouveaux produits. Elle apporte ainsi une sécurité juridique accrue tout en réduisant le risque financier pour les différents intervenants : variations de prix encadrées, obligation d'information actualisée, introduction de plafonds en cas de prolongement du séjour du fait de circonstances exceptionnelles et inévitables.

Elle crée des droits nouveaux pour le consommateur : droit de résiliation sans dédommagement en cas de circonstances exceptionnelles et inévitables, dédommagement du préjudice moral, minoration du prix en cas de diminution des coûts du voyage.

Elle modifie par ailleurs le régime de la responsabilité et impose sur ce point une harmonisation a maxima . Le détaillant ou agence de voyage est désormais le point de contact auquel le voyageur adresse plaintes et réclamations en cas de mauvaise exécution ou inexécution des services. Mais c'est l'organisateur qui devient seul responsable de l'exécution des services de voyage compris dans le contrat. Il doit remédier à la non-conformité des services fournis et également apporter une aide aux voyageurs en difficulté.

Cependant, en voulant dans un même texte définir l'ensemble des possibilités, tout en améliorant la protection du consommateur et en faisant progresser l'évolution du marché unique, la directive en devient complexe, 29 articles étant désormais nécessaires là où 10 suffisaient. Malgré cet ajout d'articles, des interrogations demeurent. Surtout, le nouveau régime de responsabilité proposé fait peser un risque systémique pour les professionnels du voyage sans pour autant améliorer le niveau de protection du consommateur.

II) Cette révision cependant ne convainc pas

Elle vise à une harmonisation a maxima là où la spécificité des marchés nationaux inviterait davantage à une harmonisation ménageant la possibilité d'améliorations nationales.

La principale difficulté que pose cette proposition est la désignation de l'organisateur du voyage comme unique responsable de la bonne exécution des prestations souscrites. Pour pallier les divergences constatées entre les États dans l'application de la précédente réglementation, le texte proposé par la Commission pose le principe d'une harmonisation a maxima qui introduit, effectivement, pour quelques États, une amélioration de la protection du consommateur mais qui, dans d'autres États dont la France, aboutiraient à affaiblir la protection de celui-ci.

En effet, comme plusieurs autres États membres, la France a fait le choix d'une responsabilité conjointe du détaillant et de l'organisateur. Le consommateur peut se retourner selon son choix contre le détaillant ou l'organisateur, ceux-ci pouvant ensuite initier une action récursoire entre professionnels. La France a été encore plus loin dans la protection du consommateur, puisqu'elle a mis en place un système très protecteur de responsabilité de plein droit. La suppression de l'article 8 qui permet actuellement d'élaborer des dispositions plus strictes pour protéger le consommateur rend incertaine la possibilité du maintien du régime de responsabilité français.

En France, les voyages à forfait font par ailleurs l'objet de ventes successives jusqu'au consommateur. Cocontractant du voyageur, le détaillant est naturellement l'interlocuteur privilégié du voyageur. Faire de l'organisateur l'unique responsable dérogerait ainsi au droit commun de la responsabilité contractuelle, en excluant toute action en responsabilité à l'encontre du détaillant.

Le choix d'une responsabilité unique de l'organisateur affaiblirait aussi les détaillants, puisque ceux-ci perdraient en légitimité face au consommateur. Les agences de voyage ne seraient plus l'interlocuteur de référence du consommateur. Or, contrairement à la Grande-Bretagne ou à l'Allemagne où le secteur du voyage est très concentré, le marché du voyage français se caractérise par son atomicité. Il y a aujourd'hui 31 000 salariés répartis dans 3 700 agences de voyage en France. Leur situation, déjà, est fortement fragilisée par l'essor d'internet. Les tours opérateurs eux-mêmes se sont d'ailleurs inquiétés du risque que fait peser ce projet de révision sur le modèle français de la distribution, l'équilibre trouvé aujourd'hui étant jugé satisfaisant.

Enfin, cette proposition de directive bouleverserait les fondements du système de garantie financière de la profession. En effet, les agences de voyage ont pour la plupart mutualisé les risques via des fonds de garantie comme l'Association professionnelle de Solidarité du Tourisme (APST) qui compte plus de 3 000 adhérents. Or la proposition de directive ne soumettrait que les organisateurs à une obligation de protection contre l'insolvabilité.

Pour les consommateurs, le nombre de détaillants permet aussi d'égrener les risques, tandis que les fonds de garantie apportent l'assurance d'une indemnisation effective. Les organisateurs de voyage, en particulier ceux de transport, présentent une structure de marché plus concentrée. Une responsabilité unique faisant peser un risque financier supplémentaire pourrait par ailleurs conduire à une concentration accrue de ceux-ci, augmentant le risque de défaut pour le consommateur en cas de faillite d'un opérateur.

Plusieurs points mériteraient d'être clarifiés.

La définition de la prestation de voyage assistée reste ambigüe. Selon le projet de révision, seul le moment de la facturation distinguerait concrètement la prestation de voyage assistée de la prestation de voyage combinée. Or toutes deux ne soumettent pas les professionnels aux mêmes obligations ni ne fournissent la même protection aux consommateurs.

Par ailleurs, le texte introduit une nouvelle notion de circonstances exceptionnelles et inévitables. Il existait déjà les notions de force majeure ou de circonstances extraordinaires mentionnées dans les textes relatifs aux droits des passagers aériens. La Cour de justice de l'Union européenne a éclairci ces deux notions au fur et à mesure de sa jurisprudence. N'aurait-on pu faire l'économie d'une nouvelle notion ?

Si certains termes pourraient être précisés, d'autres pourraient être changés. Le terme de voyageur pourrait ainsi être remplacé par celui de consommateur, c'est-à-dire le contractant principal. En effet, celui qui achète n'est pas forcément celui qui voyage. L'utilisation du terme voyageur pourrait dès lors porter à confusion.

La notion de professionnel est à maintes reprises utilisée. Elle remplace tout à la fois les termes d'organisateur, de détaillant et tout autre prestataire de services mais cela pourrait avoir pour conséquence d'exclure les associations du champ de la directive.

La proposition de directive introduit le droit pour le voyageur de résilier le forfait souscrit sans aucun dédommagement en cas de circonstances exceptionnelles et inévitables. Cette nouvelle règle apparaît très délicate à mettre en oeuvre car cette notion demeure très floue. Cela risquerait d'entraîner une réaction excessive des voyageurs, en cas d'événement politique par exemple, conduisant les professionnels à compenser ce risque accru par une augmentation des prix.

En cas de majoration du prix lié au coût des carburants, aux taxes ou aux fluctuations des taux de change supérieures à 10 %, la directive ne prévoit rien. En cas de modifications significatives des clauses du contrat, la directive ne prévoit qu'un accord tacite. Il serait nécessaire que, dans ces deux cas, un accord express du consommateur soit exigé et une résiliation sans frais proposée.

La responsabilité en cas de retour est limitée à 3 nuits et 100 euros par nuit. Un tel montant d'indemnisation pose la question de l'articulation de ce texte avec le règlement relatif aux droits des passagers aériens actuellement en cours d'élaboration, avec le règlement (UE) n° 1177/2010 concernant les droits des passagers voyageant par mer ou par voie de navigation intérieure qui limite à 80 euros par nuit et à 3 nuitées l'indemnisation des voyageurs ou encore avec le règlement (CE) n° 1371/2007 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2007 sur les droits et obligations des voyageurs ferroviaires. Il paraît indispensable d'harmoniser ces différentes règles.

Pour ces raisons, votre commission des affaires européennes a conclu au dépôt de la proposition de résolution qui suit :

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de directive COM (2013) 512 du Parlement européen et du Conseil relative aux voyages à forfait et aux prestations de voyage assistées, modifiant le règlement (CE) n° 2006/2004 et la directive 2011/83/UE, et abrogeant la directive 90/314/CEE du Conseil,

Vu la proposition de règlement COM (2013) 130 du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 261/2004 établissant des règles communes en matière d'indemnisation et d'assistance des passagers en cas de refus d'embarquement et d'annulation ou de retard important d'un vol, ainsi que le règlement (CE) n° 2027/97 relatif à la responsabilité des transporteurs aériens en ce qui concerne le transport aérien de passagers et de leurs bagages,

Accueille favorablement l'élaboration d'une nouvelle législation européenne en matière de voyages à forfait ;

Approuve l'extension de cette législation européenne aux nouvelles pratiques de réservation en ligne, ce qui permettrait de doubler le nombre de voyageurs protégés ;

Juge néanmoins indispensable, compte tenu des caractéristiques fortement nationales du marché du voyage, de maintenir la règle actuelle d'une responsabilité du détaillant et/ou de l'organisateur ainsi que le principe d'une harmonisation compatible avec les mesures nationales les plus favorables à la protection des consommateurs ;

Souligne la nécessité de préciser davantage les notions nouvelles de « prestation de voyage assistée » et de « circonstances exceptionnelles et inévitables », ainsi que l'articulation de ces dernières avec les « circonstances extraordinaires » du futur règlement sur les passagers aériens ; émet aussi des réserves sur l'utilisation des termes « voyageur » et « professionnel » en lieu et place des termes « consommateur » et « personne » ;

Estime indispensable d'assurer la coordination des indemnisations proposées aux consommateurs avec celle des législations en vigueur ou en cours d'élaboration ;

Invite le Gouvernement à soutenir ces orientations et à les faire valoir dans les négociations auprès des institutions européennes.

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

- M. Pierre BRUNHES, chef du service tourisme, commerce, artisanat et services du Ministère de l'artisanat, du commerce et du tourisme, accompagné de Mmes Sandrine JAUMIER, responsable du dossier, et Aurélie PLOUJOUX, chargée de mission juridique et communautaire.

- Mme Valérie BONED, Directrice des affaires juridiques et Formation SNAV- Les Professionnels du Voyage.

- Karine de CRESCENZO, chargée de mission Europe, et Nicolas GODFROY, responsable juridique, UFC-Que choisir.

ÉVOLUTION DU CHAMP D'APPLICATION DE LA LÉGISLATION.

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