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N° 142

SÉNAT

PREMIÈRE SESSION ORDINAIRE DE 1972-1973

Annexe au procès-verbal de la séance du 14 décembre 1972.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à compléter l 'article 42, alinéa 7, du Règlement.

PRÉSENTÉE

Par M. André DILIGENT,

Sénateur.

(Renvoyée à la Commission des Lois constitutionnelles, de Législation, du Suffrage universel, du Règlement et d'Administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

Mesdames, Messieurs,

La présente proposition a pour objet de résoudre certaines difficultés auxquelles donne lieu l'application des dispositions constitutionnelles et réglementaires relatives à ce que nous appelons communément le « vote bloqué ». Les dispositions en question sont les suivantes :

1° L'article 44, troisième alinéa, de la Constitution qui dispose : « Si le Gouvernement le demande, l'Assemblée saisie se prononce par un seul vote sur tout ou partie du texte en discussion, en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par le Gouvernement » ;

Sénat. -- Règlement - Vote bloqué .

2° L'article 42, alinéa 7, du Règlement du Sénat qui précise notamment que « si le Gouvernement le demande, le Sénat se prononce par un seul vote sur tout ou partie du texte en discussion, en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par le Gouvernement ».

La difficulté vient de la notion de « texte en discussion ». On aurait pu penser qu'il s'agissait du texte sur lequel le Sénat délibère, en application de l'article 42, alinéa 6, du règlement, c'est-à-dire :

-- le texte présenté par le Gouvernement en ce qui concerne les projets de loi déposés en première lecture sur le Bureau du Sénat ;

-- le texte transmis par l'Assemblée Nationale lorsque celle-ci a délibéré la première ;

-- le texte proposé par la commission compétente en ce qui concerne les propositions d'initiative sénatoriale.

Telle n'a pas été l'interprétation du Gouvernement, notamment lors de la discussion du projet de loi de finances pour 1973. Le Gouvernement a en effet jugé possible de demander un vote unique, non pas sur un ou plusieurs articles du projet de loi à l'exclusion de tout amendement ou article additionnel qu'il n'aurait pas accepté, mais sur des amendements déposés par dés sénateurs assortis de sous-amendements du Gouvernement les privant de leur substance, voire de toute signification.

A cette occasion, traduisant le sentiment général de notre Assemblée, le Président du Sénat faisait remarquer ( Journal officiel , Débats, séance du 10 décembre 1972, p. 2997) « que la procédure des sous-amendements, telle qu'elle a été employée..., aboutit fâcheusement, dans un cas semblable, à la suppression du droit d'initiative des parlementaires » .

Le droit d'initiative auquel se réfère notre Président est inscrit dans la Constitution (art. 39, 1 er alinéa). Nous nous trouvons donc en face d'une difficulté que le Conseil constitutionnel pourrait opportunément être appelé à trancher si le présent projet de résolution était adopté par le Sénat.

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Afin de démontrer l'opportunité de la modification proposée, nous donnerons quelques exemples de recours selon nous abusifs à la procédure du vote unique.

L'un des premiers cas d'utilisation contestable de l'article 42, alinéa 7, du Règlement date de la discussion du projet de loi de finances pour 1972. Lors de l'examen des crédits de l'information, votre Commission des finances avait présenté un amendement tendant à insérer un article additionnel autorisant le Gouvernement à assujettir la presse à la T. V. A. au taux de 0,1 %. Au lieu de demander la réserve de cet amendement en vue de faire procéder à un vote unique, soit sur les crédits des Services généraux du Premier Ministre, soit sur l'ensemble du projet de loi, à l'exclusion de tout amendement ou article additionnel, le Gouvernement a déposé un sous-amendement tendant à supprimer les mots « au taux de 0,1 % » et a demandé un vote unique sur l'amendement ainsi sous-amendé. C'était faire dire au texte proposé l'inverse de ce qu'il voulait dire (voir Journal officiel , Débats, séance du 29 novembre 1971, pp. 2478 à 2481).

Les exemples fournis par la dernière discussion budgétaire sont nombreux :

a) Dépôt par le Gouvernement, avec demande de vote unique, d'un sous-amendement n° 86 à l'amendement n° 60 de MM. Pierre Brousse et Diligent lors de la discussion des crédits de l'information et de l'article 50 du projet de loi de finances ( Journal officiel des débats ; séance du 8 décembre 1972, pp. 2871 à 2873). En la circonstance, le Sénat a adopté un texte dénué de signification afin d'ouvrir la navette avec l'Assemblée Nationale ;

b) Lors de la séance du 10 décembre, le Gouvernement a utilisé la même procédure pour écarter les amendements n° s 92 et 93 présentés par M. Dailly ( Journal officiel , p. 2988 à 2990) puis les amendements n° s 50 de M. Alliès, 94 de M. Dulin, 91 de M. Dulin et 90 de M. Lemaire ( Journal officiel p. 2995 et 2996) ; dans ces cas, les sous-amendements du Gouvernement donnaient aux amendements une portée tout autre que celle des amendements présentés ; les auteurs de ces derniers ont donc été contraints de les retirer.

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Le projet de résolution ci-joint tend à empêcher de détourner de ce qui paraît être son objet réel la procédure du vote unique. Il s'agit en effet de préciser que la demande de vote unique doit être « rattachée » à une partie du texte en discussion, c'est-à-dire du projet de loi transmis par le Gouvernement ou de la proposition de loi transmise par l'Assemblée Nationale ou du rapport de la commission compétente sur une proposition de loi d'origine sénatoriale. Il convient en effet, conformément à ce qui paraît être l'esprit et la lettre de la Constitution, de préserver, en cas de vote « bloqué », l'existence des deux branches de l'alternative suivante :

-- adopter le projet tel qu'il est présenté par le Gouvernement ;

-- repousser le projet et ouvrir la navette avec l'Assemblée Nationale ;

Dans les exemples donnés ci-dessus, l'alternative n'existait pas.

Si la modification proposée était adoptée par le Sénat et jugée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel, le Gouvernement pourrait demander un vote unique.

-- soit sur un article, une partie d'article ou un groupe d'articles ayant des objets connexes, à l'exclusion de tout amendement ou article additionnel non accepté par le Gouvernement ;

-- soit sur une ligne de crédits budgétaires (Etats législatifs annexés aux projets de loi de finances) à l'exclusion de tout amendement ou article additionnel non accepté par le Gouvernement ;

-- soit sur l'ensemble du texte en discussion à l'exclusion de tout amendement ou article additionnel non accepté par le Gouvernement ;

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Dans l'énumération qui précède, le terme d'amendement doit naturellement s'entendre dans son sens large : il s'agit aussi bien d'amendements que de sous-amendements.

Cette remarque est importante car il ne saurait être question d'ôter au Gouvernement le droit de sous-amender un amendement sénatorial. Il s'agit simplement de préciser que, dans l'hypothèse où le Gouvernement recourt à la procédure du vote unique, il faut qu'au moins un des éléments sur lesquels le Sénat est appelé à statuer globalement soit contenu dans le texte en discussion proprement dit. Le Gouvernement pourra par exemple demander un vote unique sur un article d'un projet de loi assorti d'un amendement sénatorial sous-amendé par le Gouvernement. De même pourra-t-il demander un vote unique sur l'ensemble d'un projet ou d'une proposition assorti d'un article additionnel proposé par le Sénat et sous-amendé par le Gouvernement.

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En résumé, l'interprétation proposée de la notion de « texte en discussion » paraît conforme à l'esprit et à la lettre de la Constitution. En entraînant la saisine du Conseil constitutionnel, le vote de la proposition ci-jointe permettrait de s'assurer qu'il en est bien ainsi et d'éviter à l'avenir tout nouveau litige.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

L'alinéa 7 de l'article 42 du Règlement du Sénat est complété in fine par la phrase suivante :

« Le texte en discussion est celui sur lequel le Sénat délibère en application de l'alinéa précédent. »

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