Allocution du Président du Sénat, M. Gérard Larcher,
à l’occasion de sa visite du Foyer du Combattant
(N’Djaména, le 26 févier 2018)



Mon Général,
Monsieur l’Ambassadeur,
Monsieur le représentant du Ministre de la Défense,
Madame le Maire,
Mes chers collègues parlementaires,
Messieurs les Officiers,
Monsieur le Président de l’Office national conventionné des anciens Combattants,
Messieurs les responsables et membres des associations des anciens Combattants,
Mes chers amis,

C’est un immense honneur pour la délégation qui m’accompagne et le Sénat de la République française que d’être reçus ici, dans ce Foyer du Combattant, concentré de bravoure, de force et d’abnégation jusqu’au sacrifice suprême, aux couleurs mêlées du Tchad bien sûr, mais aussi de la France.

Il est des lieux où l’histoire vous appelle et vous oblige. En ce lieu, l’histoire commune de nos deux pays nous appelle et nous oblige.

Le Foyer est tout à la fois un toit qui accueille, un lieu où brûle la flamme qui porte l’espérance, un point de convergence qui attire la lumière. Belles métaphores - la flamme, la lumière, le toit protecteur - de la fraternité qui, au fil du temps, s’est nouée entre nos soldats et nos deux pays.

Je me suis rendu ce matin sur la tombe du Commandant Lamy et au monument consacré à Félix Éboué, où j’ai tenu à déposer une gerbe. Rien ne semble plus différent que le parcours de ces deux hommes, jusqu’à la couleur de leur peau, et pourtant tout les rassemble : le sens de l’État, la préservation de l’intérêt général, la curiosité, le goût de la France, mais surtout un humanisme chevillé au corps qui est le signe de la générosité et de l’ouverture vers l’autre.

Gaston Monnerville, Président du Sénat de 1958 à 1968, originaire comme Félix Éboué de Cayenne, déclarait à son égard : « C’est (un) message d'humanité qui a guidé Félix Éboué, et nous tous, Résistants d'outre-mer, à l'heure où le fanatisme bestial menaçait d'éteindre les lumières de l'esprit et où, avec la France, risquait de sombrer la liberté ». Aujourd’hui Félix Éboué repose au sein du foyer qui accueille le corps et les âmes de ceux qui ne sont plus : le Panthéon national français.

« À l’heure où le fanatisme bestial menaçait d’éteindre les lumières de l’esprit ... ». On ne saurait mieux qualifier la situation, à l’orée des années 1940, qui était celle de mon pays, la France, et d’une grande partie de l’Europe.

Et c’est de Londres et d’ici, au Tchad, qu’est venu l’espoir.

Le cours des événements, qui se précipite, est bien connu : dès le 18 juin 1940, depuis N’Djaména, alors dénommée Fort-Lamy, Félix Éboué se déclare en faveur du Général de Gaulle, dont il a, par hasard, entendu l’appel depuis Londres. Le Commandant Dio parti du Tchad est fin août au Cameroun, qui rejoint la France Libre. Le Général de Gaulle est acclamé ici même au mois d’octobre. Dès le 2 décembre 1940, le Colonel Leclerc prend au Tchad son commandement militaire et, avec des moyens en matériel dérisoires, se lance depuis Faya Largeau à l’attaque de la base de Koufra, détenue par les Italiens, à 1700 km au Nord de N’Djaména.

À ce moment donné, comme les fresques de votre Foyer en témoignent, l’histoire confine à l’épopée. Comment imaginer que le Serment prononcé par quelques hommes audacieux, au fin fond de l’oasis de Koufra, rallumerait l’espoir qui semblait perdu depuis la défaite de juin 1940, ferait d’abord vaciller puis emporterait le nazisme, et sauverait, et l’Europe et le monde ?

« Nous sommes en marche, nous ne nous arrêterons que lorsque le drapeau français flottera sur la Cathédrale de Strasbourg », dit le Serment de Koufra. Et ces mots ont été prononcés par quelques Européens mais surtout par une majorité d’Africains, parmi lesquels de nombreux Tchadiens, piliers de ce qui allait devenir la « Force L », la Force Leclerc. À l’annonce de la prise de Koufra, le Général de Gaulle déclarait, en des termes inhabituels chez lui, qui marquaient son émotion : « Les glorieuses troupes du Tchad et leur chef sont sur la route de la victoire. Je vous embrasse ».

Mes chers amis, c’est à l’Afrique, à la vision de quelques-uns, au courage de ses combattants et de ses hommes, que nous devons aussi l’enchaînement des événements qui ont conduit à la France Libre. Je tiens à rendre un hommage solennel ici, depuis le Foyer du Combattant de N’Djaména, à la mémoire et à la fermeté de conviction de tous ceux qui ont pris part à ce combat, et que le temps qui passe éloigne peu à peu de nous.

À vous Tchadiens, qui avez fait partie de cette armée ayant soif de liberté, notre reconnaissance vous est acquise pour l’éternité.

« A l’heure où le fanatisme bestial menaçait d’éteindre les lumières de l’esprit ... », disait Gaston Monnerville.

Le monde d’aujourd’hui résonne comme un écho tragique aux circonstances d’alors. Certes, les ennemis ont changé de face. Ils ont revêtu les traits du terrorisme islamiste. Il faut sans cesse le répéter. Ce n’est pas l’Islam qui est en cause : les Musulmans subissent de plein fouet la violence aveugle de ceux qui, les terroristes, agissent en vertu d’une religion dont ils piétinent le nom.

Face aux menaces qui pèsent sur l’Afrique, les combattants tchadiens ont fait preuve de la même fraternité d’armes et de sang que par le passé, pour aller au secours de leurs frères et sœurs qui risquaient de tomber dans l’oppression. Au Mali, sur les rives du Lac Tchad, au sein des Nations unies, dans les forces multinationales avec les pays limitrophes, partout le combattant tchadien est présent. Et partout, sa bravoure, sa détermination, son endurance au combat, forcent l’admiration.

La lutte commune pour préserver l’Afrique du terrorisme a eu le mérite paradoxal d’écrire une nouvelle page glorieuse de la fraternité entre les combattants tchadiens et français. Dans l’Adrar des Ifoghas au Nord du Mali, soldats tchadiens et français ont combattu ensemble un même ennemi. Ils ont, ensemble, payé cher leur engagement pour la liberté.

En ce lieu, et avec vous, je veux rendre un hommage particulier à tous les combattants de nos deux pays qui ont, côte à côte, perdu la vie, parce que c’était leur devoir, parce que c’était juste.

Je tiens, à cet instant, à associer la mémoire des deux soldats tchadiens qui ont péri en combattant Boko Haram près du lac Tchad, et de nos deux compatriotes qui sont morts, le même jour, ce 21 février, alors qu’ils étaient en opération au Nord du Mali. Ils sont morts pour nous.

Hier comme aujourd’hui, les lumières qui menaçaient de s’éteindre, dont parlait Gaston Monnerville, résisteront. Et hier comme aujourd’hui, la flamme vibrante qui brûle dans ce Foyer du Combattant triomphera de l’obscurantisme qui semblait, un temps, devoir tout emporter. Parce que c’est le devoir des Nations qui refusent la contrainte. Parce que notre combat est juste.

Aux soldats tchadiens qui combattent le terrorisme islamiste, je veux m’adresser comme je le ferai à l’égard des soldats français de la base Kosseï mercredi, en employant les mêmes mots : respect et gratitude. Oui, le respect et la gratitude de la Nation française.

Vive la fraternité entre le Tchad et la France ! Vive le Tchad ! Vive la France !

Seul le prononcé fait foi