Intervention de M. Gérard Larcher, Président
15e Congrès des Régions de France
1er octobre 2019 - Bordeaux – Parc des Expositions

Madame la Préfète,
Monsieur le Président de Régions de France, cher Hervé Morin,
Monsieur le Président des départements de France, cher Dominique Bussereau,
Monsieur le Président de l’Association des Maires de France, cher François Baroin,
Monsieur le Président de la Région Nouvelle-Aquitaine, cher Alain Rousset,
Monsieur le Maire de Bordeaux, cher Nicolas Florian,
Mesdames et Messieurs les Présidents de Région,
Mesdames et Monsieur les Ministres,
Mes chers collègues députés et sénateurs,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames et Messieurs,

Je suis heureux d’être à vos côtés pour ouvrir ce 15e Congrès de Régions de France consacré à une réalité forte et bien présente dans nos territoires : « Ma Région agit pour moi ».

Hier soir, je rappelais combien Jacques Chirac a incarné la France à travers ses territoires, ses communes, ses départements et ses régions.


Dans son discours de Rennes, en 1998, il a souligné le lien particulier qui doit exister entre la région et l’État et appelé à réinventer un nouvel équilibre, « fondé sur la capacité de l’État à développer une véritable démocratie de proximité ».


Insuffler une démocratie de proximité, être à l’écoute des Français, partir du terrain, faire confiance aux élus et leur donner les moyens de libérer les initiatives et les énergies, voilà des propos doivent, me semble-t-il, continuer à nous inspirer.

Sans revenir sur les échanges qui ont lieu, je voudrais simplement relever que le titre de ce Congrès pose, cher Hervé Morin, une évidence – mais les évidences méritent parfois d’être rappelées.

Oui, la Région agit quotidiennement au service des citoyens et des entreprises installés sur son territoire, que ce soit en matière de mobilités, d’emploi, d’orientation et de formation professionnelles, d’accès au sport ou à la culture, ou de développement économique.

La Région Nouvelle-Aquitaine, cher Alain Rousset, a par exemple mis en place une bourse de l’apprentissage et de l’alternance pour aider les entreprises dans leur recherche de salariés en alternance et les candidats à la recherche de tels contrats. Pour assurer la couverture du territoire en Très haut débit, la Région a engagé 229 M€ sur cinq ans pour financer 1,5 million de prises en fibre optique à l’abonné. Voilà des exemples d’actions concrètes, opérationnelles, utiles, où la Région agit pour tous.

Oui, sur ces sujets du quotidien, les Régions sont à la manœuvre. Elles constituent un échelon essentiel dans l’organisation de notre pays et devraient être appelées, ce dont je ne doute pas, à jouer un rôle renforcé dans le cadre du nouvel acte de décentralisation annoncé par le Président de la République.

Dans son dernier rapport, la Cour des Comptes a regretté que la création des nouvelles Régions avec des périmètres élargis et l’extension de leurs compétences en matière de développement économique et de transport n’aient pas apporté, jusqu’à présent, tous les bénéfices attendus. Cette appréciation est bien sûr provisoire dans la mesure où nous sommes encore dans une phase de transition.

Il faut rappeler les conditions acrobatiques dans lesquelles ont été créées ces nouvelles Régions !...

Les lois NOTRe et MAPTAM ont provoqué un bouleversement majeur dans notre organisation territoriale, que les Régions devaient absorber et gérer dans des délais très contraints.

Je m’en étais ouvert à l’époque au Président François Hollande en regrettant que cette fusion des régions ait été réalisée dans une forme d’improvisation, sans concertation ni étude d’impact….

Pourtant les Régions ont relevé le défi ! Qui d’ailleurs aurait pu en douter ? Les magistrats de la Cour et des Chambres régionales des Comptes attestent eux-mêmes que les Régions ont réussi cette transformation d’une ampleur colossale dans le délai prévu tout en assurant la continuité des missions de service public qui sont les leurs. Et c’est bien là l’essentiel, s’agissant par exemple des transports !

La Cour des Comptes confirme ce que le Sénat avait dit à l’époque, à savoir que ces réformes auraient dû être mieux préparées et précédées d’une analyse précise de leurs conditions opérationnelles de mise en œuvre. Ce dernier point doit naturellement nous alerter pour certaines des réformes à venir…

Jean-Jacques Hyest, qui avait présidé la commission spéciale sur la délimitation des régions, l’avait dit à l’époque : « Pour justifier les fusions, on nous a annoncé 10 milliards d’économies mais il n’y a eu aucune vraie évaluation à court et moyen terme ».

2018 fut une annus horribilis pour la relation exécutif/collectivités territoriales.

Souvenez-vous, il y a un an, pratiquement jour pour jour - c’était le 26 septembre -, les présidents de l’Association des maires de France, de l’Assemblée des départements, des Régions de France se retrouvaient à Marseille au Congrès des Régions de France pour défendre les libertés locales, et nous faire les porte-voix d’un mécontentement fort et général face au fossé grandissant entre l’Exécutif et l’ensemble des collectivités territoriales. J’étais présent à vos côtés, cher Hervé.

C’était l’initiative des territoires, les « Territoires unis », pour dire OUI à une certaine idée de la décentralisation, une certaine idée des rapports entre l’État et les territoires, une certaine idée de la République.

Vous étiez rassemblés pour dire NON à la recentralisation à l’œuvre, symbole de la verticalité, et pour refuser des décisions imposées « d’en haut » sans dialogue, sans concertation et, je dirais même, sans respect ni considération.

Vous avez naturellement en mémoire les décisions unilatérales et parfois brutales qui ont conduit les élus locaux, tous les élus locaux, à dire « stop, cela suffit ! » :
- la réduction brutale et sans concertation des contrats aidés ;
- l’abandon des départements sur l’accueil des mineurs non accompagnés et le financement des allocations individuelles de solidarité ;
- l’improvisation de la décision de supprimer la taxe d’habitation ;
- la mise en œuvre de la contractualisation financière de façon autoritaire ;

Cette démarche avait quelque chose de prémonitoire puisque, quelques semaines plus tard, une crise sociétale a éclaté et secoué notre pays en profondeur en contestant des principes de gouvernance qui semblaient pourtant à certains naturels et bien établis.

Cette crise, une forme de « révolte des ronds-points », a révélé l’éloignement du pouvoir vis-à-vis des réalités du terrain et des citoyens.

Elle a souligné en contrepoint un désir, une attente de proximité et de solidarité tant dans le rapport aux décideurs publics que pour la présence des services de l’État et des services publics dans les territoires.

Et voici maintenant les territoires, la décentralisation, revenus sur l’avant-scène, je m’en réjouis, c’est la « saison 2 ». Mais alors écrivons le scénario ensemble !

Les mois qui viennent vont être porteurs d’une actualité législative particulièrement dense pour les territoires.

Le Sénat va examiner d’ici quelques jours le projet de loi  « Engagement et proximité » qui traite notamment – sur un scénario original, je le rappelle, du Sénat de juin 2018 – de la place et des compétences de la commune au sein de l’intercommunalité ainsi que des conditions d’exercice des mandats municipaux. Je ne doute pas que notre Assemblée fera des propositions, notamment pour approfondir les assouplissements en matière de compétences et de périmètres intercommunaux avec un souci de simplification et de clarté et pour renforcer l’autorité et la protection des maires.

Le Projet de loi de finances pour 2020, qui a été présenté vendredi en Conseil des ministres, comportera une réforme de la fiscalité locale qui ne sera pas sans conséquences sur l’autonomie financière et fiscale des collectivités locales concernées, les communes et leurs groupements ainsi que les départements.

Notre responsabilité de parlementaires sera d’analyser dans le détail ces dispositions du projet de loi de finances ainsi que toutes leurs conséquences, en particulier pour les départements.

Dans cet examen, nous garderons évidemment à l’esprit que, sans maitrise des ressources financières, les libertés locales ne peuvent s’exercer pleinement. 

Enfin, si l’engagement présidentiel est tenu, le Parlement sera amené à discuter, le printemps prochain, d’un texte portant une nouvelle étape de décentralisation.

Et nous comptons au Sénat faire des communes, des départements, des régions et des élus, les acteurs de ce projet !

Mesdames et Messieurs les Présidents, vous avez pris collectivement la plume la semaine passée pour demander la clarification des responsabilités, sans enchevêtrement inutile, et le renforcement des compétences des régions dans le domaine de l’économie, de l’emploi, de la transition écologique, de la cohésion des territoires, de la culture, de la jeunesse ou du sport. Vous avez également appelé à un certain degré de différenciation tant dans la répartition des compétences que dans les modalités d’exercice de ces compétences.

Je l’ai déjà dit, Cher Hervé Morin, c’est à partir des territoires que les fractures qui traversent notre pays, pourront se réduire.

La crise sociétale qui a secoué notre pays l’hiver dernier a souligné avec force le besoin de revenir aux réalités du terrain et du quotidien des citoyens. Certains territoires et leurs habitants n’en peuvent plus de se sentir mis à l’écart et de se voir imposer des décisions arrêtées de façon lointaine par d’autres et souvent conçues pour d’autres.

Dans une société devenue plus complexe, le pouvoir ne peut plus s’organiser ni s’exercer de manière centralisée et indifférenciée.

Ma conviction est que la « méthode verticale » qui, reconnaissons-le, n’a pas commencé au printemps 2017, ne fonctionne plus. Le quotidien des Français ne se réglera pas dans les seuls ministères à Paris et depuis Paris !

Il faut donc inverser cette verticalité et entrer dans une nouvelle logique pour redonner à notre pays la force et la cohésion qui lui manquent aujourd’hui. Nous devons puiser dans la force des territoires en redonnant au local la liberté de concevoir, d’adapter et d’entreprendre. En un mot, faire vivre pleinement la République décentralisée dont le principe est inscrit à l’article 1er de notre Constitution.  

Ainsi, 36 ans après la mise en œuvre de la décentralisation, une nouvelle génération de décentralisation s’impose.  C’est, à mes yeux, la seule perspective permettant de recoudre les fractures très profondes qui traversent le pays, des fractures qui ne datent pas d’il y a 2 ans !

Les problèmes sont là. Il faut y répondre sous peine de voir deux France continuer de s’écarter l’une de l’autre et que l’une d’elle se sentent irrémédiablement « à côté » de la République.

Je précise d’emblée que cette nouvelle étape de décentralisation devra s’accompagner d’une nouvelle étape de déconcentration de l’État.

L’État central doit là aussi faire confiance à l’État local ! En particulier, les Préfets et les services déconcentrés doivent retrouver la plénitude de leurs moyens, et plus précisément des marges de manœuvre et d’appréciation. Je dirais même, pour reprendre une expression désormais consacrée, que les Préfets doivent retrouver de la liberté par rapport à « l’État profond » !

L’État doit, plus que jamais, appuyer les collectivités locales à agir dans une organisation décentralisée de la République, car la liberté ne peut s’exercer qu’à la condition d’en avoir les moyens.

La déconcentration de l’État doit aussi se matérialiser par une plus grande proximité et un meilleur accès aux services publics.

La réorganisation du réseau du Trésor public, telle qu’envisagée par le Ministère de l’action et des comptes publics, constitue un point d’attention dans la mesure où la fermeture planifiée des trésoreries interroge sur l’égal accès aux services fiscaux et la continuité des services proposés aux usagers. 

Une nouvelle génération de la décentralisation, c'est d’abord une approche renouvelée des relations entre l’Exécutif et nos collectivités : confiance, respect et reconnaissance des élus sont essentiels.

Jusqu’à il y a peu, l’Exécutif semblait s’inspirer de la vision de la décentralisation que dénonçait, à la fin du XIXe siècle, le Doyen Maurice Hauriou formé à la faculté de droit de Bordeaux : une décentralisation conçue comme « une manière d’être de l’État » et faisant peu de cas des « libertés locales » auxquelles nous sommes tant attachés. Les collectivités n’ont jamais eu vocation à être les opérateurs de l’État !

Le Gouvernement dit maintenant avoir compris et s’être décidé à changer de méthode en étant davantage à « l’écoute » et dans la « co-construction ».
Alors il faut des actes !

Comme vous l’avez souligné collectivement et de manière unanime dans une tribune mercredi dernier : « la confiance ne se décrète pas, elle ne s’achète pas dans les discours. Elle se gagne par des actions concrètes et des gestes forts ».

Une nouvelle génération de la décentralisation, c’est plus de libertés et de responsabilités locales.

Plus j’avance, plus je mesure l’importance de tenir compte de la spécificité et de la particularité de chaque territoire. Misons donc sur la proximité !

La force de la France est dans la diversité de ses territoires. Comme le disait le Général de Gaulle, « la France, c’est tout à la fois, c’est tous les Français ».

L’uniformité généralisée, c’est la négation des réalités de notre pays ! Et cette uniformité se nourrit de l’absence de confiance de l’État envers les collectivités territoriales. D’où son goût immodéré pour la norme et le contrôle pointilleux, voire tatillon. Les élus, nos concitoyens n’en peuvent plus de ce carcan qui agit comme un étouffoir.  

Il est par conséquent grand temps

- de faire confiance aux élus, c’est-à-dire reconnaitre qu’ils peuvent contribuer à résoudre les difficultés auxquelles notre pays est confronté ; 
- et de leur confier plus de libertés pour mieux tenir compte de la diversité de nos territoires.

Ne rien imposer, ouvrir des possibilités simplement à ceux qui souhaitent s’en saisir, permettre de répondre de manière différente à des situations différentes, consentir à des modes d’organisations divers, plus adaptés donc plus efficaces, voilà les clés d’une décentralisation réussie.

==> Plus de libertés, par exemple, en matière de normes :
Il est grand temps d’enrayer la profusion de normes et de laisser à ceux qui le souhaitent un pouvoir d’adaptation aux réalités locales.
Sauf à tout complexifier à l’excès et à décourager les élus locaux les plus aguerris, une norme uniforme ne peut encadrer, contrôler ni régenter toute la diversité du réel.

==> Plus de libertés en matière de répartition des compétences afin d’appliquer pleinement le principe de subsidiarité qui doit être revu.

En remplaçant la subsidiarité descendante par la subsidiarité ascendante : examiner d’abord quelles sont les missions qui doivent être exercées au niveau local et par quelle collectivité, puis définir les missions qui ne peuvent être exercées que par l’État.
Ce sera l’occasion de mieux clarifier les rôles respectifs des collectivités territoriales et d’éviter les doublons, inutiles, couteux et inefficaces.

Je pense que, par exemple en matière d’emploi et de santé, le  moment est venu de lancer des expérimentations concrètes avec les Régions qui le souhaitent.

L’expérimentation en matière d’emploi, cela pourrait signifier donner pleine compétence à la Région pour l’accompagnement des demandeurs d’emplois, et donc avoir l’autorité sur l’opérateur public, Pôle emploi, et piloter le service public de l’emploi.
L’expérimentation en matière de santé, cela pourrait vouloir dire contractualiser une stratégie au niveau régional entre la Région et l’Agence régionale de santé, stratégie qui porterait une vision globale sur des politiques publiques de santé : prévention, médecine scolaire, régulation de l’offre santé, parcours de soins, accompagnement médico-social. Cette contractualisation pourrait être étendue au pilotage en commun entre l’ARS et la Région d’un fonds d’intervention régional élargi et peut-être aller plus loin.

==> Plus de libertés aussi s’agissant de l’exercice des compétences.
La décentralisation peut s’enrichir de la différenciation, à laquelle je suis très favorable, notamment dans l’exercice des compétences.

Ces facultés d’adaptation, dès lors qu’elles sont correctement encadrées, n’entravent pas le principe d’unité de la République, qui doit rester naturellement intangible et auquel nous sommes tous attachés. L’État en est naturellement le garant.
La différenciation, dès lors qu’elle est définie et organisée, ne remet pas non plus en cause le principe d’égalité. Au contraire, elle pourrait même constituer un moyen de garantir l’égalité, notamment l’égalité des chances, qui aujourd’hui n’est pas parfaitement assurée. Admettre qu’il y a difficultés dans certains territoires, y répondre de manière adaptée et différenciée, c’est précisément reconnaitre le principe d’égalité.

Mesdames et Messieurs,

C’est la diversité des territoires qui donne du sens à l’unité nationale et à l’égalité républicaine. Une égalité qui n’est pas synonyme d’uniformité !

C’est en défendant ensemble cette vision d’avenir de la République décentralisée que nous redonnerons espoir à ceux de nos compatriotes qui se sentent aujourd’hui laissés pour compte. C’est en s’appuyant sur les territoires et leurs élus, sur les énergies et les intelligences locales que nous pourrons aider notre pays à sortir de l’impasse dans laquelle il se trouve.

C’était tout le sens de l’appel de Marseille, que j’ai évoqué au début de mon propos. Le message des Territoires Unis parait avoir été entendu par le Gouvernement, mais vous devez continuer à le porter haut et fort dans les mois qui viennent. Votre force, c’est votre union et votre solidarité. Les tentatives de division existeront, mais vous devrez y résister.

Le Sénat, dont c’est la mission, sera à vos côtés parce que les Territoires sont pour lui la substance même de la République. 

Ce nouvel acte de décentralisation de la République ne saurait se résumer à quelques articles techniques.

C’est d’une approche nouvelle, d’un concept métamorphosé dont nous avons besoin, basé sur : la confiance ; la responsabilité ; et l’autonomie financière et fiscale.

La décentralisation, c’est bien sûr des textes, mais c’est autant un état d’esprit. La réussite du pays passera par les territoires et l’approfondissement des libertés locales.

Je vous remercie.

Seul le prononcé fait foi