Hommage à Jacques Chirac,
Ancien Président de la République
(mercredi 2 octobre 2019 à 15 heures, Séance publique)
Intervention de M. Gérard Larcher, Président du Sénat



Monsieur le Premier ministre,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mes chers collègues,

Jacques Chirac nous a quittés jeudi dernier 26 septembre 2019, dans sa quatre-vingt-septième année… La nouvelle de sa disparition nous a plongés dans une grande émotion.

La séance, le matin, a été suspendue dès l’annonce de cette triste nouvelle, rassemblant l’hémicycle dans un moment de recueillement.

Philippe Dallier, qui présidait notre séance l’après-midi, a tenu à rendre un premier hommage du Sénat à cet homme d’État au parcours exceptionnel, qui aura profondément marqué la France et les Français.
Nous étions nombreux, les sénateurs et les anciens sénateurs, ce lundi, à la cérémonie d’adieu en l’église Saint-Sulpice.

Au nom du Sénat tout entier et en présence du Premier ministre et de nombreux membres du Gouvernement, je souhaite cet après-midi rendre un nouvel hommage solennel à Jacques Chirac, qui tout au long de plus de 50 années de vie politique a occupé d’éminentes fonctions.

Il avait de la France une connaissance intime, celle d’un homme qui a gravi tous les échelons des mandats d’un élu de terrain avant de présider au destin de la Nation.

Né de parents corréziens, Jacques Chirac fit ses études primaires et secondaires d’abord à Sainte-Feréole en Corrèze, puis à Versailles et à Paris. Après son bac, rêvant de faire carrière dans la marine marchande, il s’engagea quelques mois comme pilotin sur un cargo charbonnier. Mais son père ne le laissa pas persévérer dans cette voie. Il reprit ensuite ses études, à Sciences Po, puis à l’Université d’Harvard, enfin à l’École Nationale d’Administration.

Au cours de son service militaire, il se porta volontaire pour partir vers l’Algérie en guerre. Cette période le marquera profondément et il ira jusqu’à dire qu’elle fut la plus passionnante de son existence.

Si Jacques Chirac débuta sa carrière à la Cour des Comptes, très vite, il s’engagea dans la vie politique.

Dès 1962, à 30 ans, il devint chargé de mission au Secrétariat général du Gouvernement, puis au cabinet du Premier ministre Georges Pompidou, son mentor en politique envers qui il témoigna d’une fidélité indéfectible.

Parallèlement, avec l’énergie et la ténacité qui le caractérisaient, il se lança à la conquête de la Corrèze et se confronta avec succès au suffrage universel : il fut ainsi élu conseiller municipal de Sainte-Féréole en 1965, puis député de la circonscription d’Ussel en 1967 et conseiller général du canton de Meymac en 1968.

En 1970 il est élu président du conseil général de Corrèze.

C’est comme ministre de l’agriculture en 1972 qu’il marqua profondément son empreinte. C’est à cette époque que se noua sa relation si étroite et si particulière avec le monde rural ;  nous sommes nombreux à garder un souvenir marquant de cette étape déterminante de son itinéraire. Après un bref passage au ministère de l’intérieur en 1974, il fut Premier Ministre pendant deux ans, de 1974 à 1976, à la suite du décès de Georges Pompidou.

Peu après son départ de Matignon, il créa le Rassemblement pour la République, dont il prit la tête. En 1977, il devint le premier maire de Paris élu au suffrage universel depuis 1871. Une ville pour laquelle il s’engagea sans compter, transformant la ville, les parisiens lui témoignent en retour une confiance totale, lui offrant les 20 arrondissements.

De 1986 à 1988, Jacques Chirac fut pour la deuxième fois Premier ministre, nommé cette fois par le Président François Mitterrand, dans le contexte alors tout nouveau de la première cohabitation de la Vème République !

Je conserve de cette époque le souvenir un peu particulier de sa présence au Sénat. C’était le 15 avril 1987, où il revint « en smoking » pour répondre aux différents orateurs, après un dîner d’État donné à l’Élysée en l’honneur du roi Fahd d’Arabie saoudite.
Candidat aux élections présidentielles de 1981 et 1988, il fut élu Président de la République en 1995, puis réélu en 2002 ; nous avons tous en mémoire ces moments particulièrement forts de notre vie politique.

Vous me permettrez d’apporter une touche un peu plus personnelle à cet hommage. J’ai eu l’honneur d’être nommé deux fois ministre par le Président Jacques Chirac, d’abord en mars 2004, comme ministre délégué aux relations du travail du troisième gouvernement Raffarin, puis en mai 2005, comme ministre délégué au travail, à l’emploi et à l’insertion professionnelle des jeunes.

Les souvenirs de chaque semaine pendant trois ans au Conseil des ministres, les souvenirs de réunions… notamment le dimanche, avec Jean-Louis Borloo pour parler cohésion sociale, quartiers, emploi. Ces moments sont des souvenirs vivaces.

Jacques Chirac a incarné les valeurs de notre République.

La liberté en refusant toute compromission avec les extrêmes, en assumant le passé de notre pays, ses lumières mais aussi ses ombres. Son discours du Vél d’Hiv de 1995 en est le symbole le plus éclatant.

L’égalité en tentant de résorber la « fracture sociale », après avoir créé le Samu social lorsqu’il était maire de Paris.

La fraternité dans sa proximité avec les Français, dans sa sensibilité à la souffrance de ceux qui sont empêchés par le handicap ou la maladie. Il attachait beaucoup de prix à être parvenu à faire adopter trois lois en faveur de l’intégration des personnes handicapées. Le « plan cancer » constituait, de même que la sécurité routière, un autre « grand chantier » de son second mandat présidentiel ; il permit des améliorations très substantielles dans la lutte contre cette terrible maladie.

Sur la scène internationale, le Président Chirac sut conforter la place de la France et développer son rayonnement dans le monde. Pour assurer l’adaptation des moyens de notre défense aux exigences du progrès technique et de la modernité, il décida la professionnalisation des armées. Il chercha à promouvoir le multilatéralisme dans les relations internationales. Portant haut la voix de la France, il n’hésita pas à s’opposer aux Américains ; le « non à la guerre en Irak » restera dans l’Histoire…

Et chacun se souvient de son cri d’alarme sur l’urgence climatique au sommet de Johannesburg en 2003.

Jacques Chirac s’attacha en effet à la préservation de l’environnement, domaine dans lequel il fut à bien des égards un précurseur. De grandes lois environnementales furent adoptées lorsqu’il était Premier ministre en 1975 et 1976. La Charte de l’environnement fut intégrée au bloc de constitutionnalité en 2004, pendant son second mandat présidentiel.

Jacques Chirac était un homme de culture, passionné par l’histoire des civilisations africaines et asiatiques, domaine dans lequel il faisait preuve d’une véritable érudition. Il nous laisse un grand musée, le Musée des Arts premiers, quai Branly à Paris.

Jacques Chirac était un homme chaleureux, attentif aux autres, simple aussi. Il prenait le temps d’écouter et d’avoir un mot pour chacun, puissant ou humble. Il compatissait aux souffrances d’autrui, mais, pudique et secret, il n’évoquait jamais les siennes, alors même que la vie ne l’avait pas épargné et qu’il avait connu des drames intimes…

Sa profonde humanité, sa proximité avec ses concitoyens, son contact charnel avec les Français ont suscité une sympathie qui dépasse toutes les sensibilités, comme en ont encore témoigné, dimanche dernier, les interminables files d’attente pour se recueillir devant son cercueil lors de l’hommage populaire organisé en la cathédrale Saint-Louis des Invalides.

À son épouse Bernadette Chirac, qui a tant œuvré pour nos hôpitaux, à sa fille Claude, à son petit-fils Martin, à toute sa famille et ses proches, ainsi qu’à tous ceux qui ont partagé ses engagements, je souhaite redire, en ce moment de recueillement, la part que le Sénat prend à leur chagrin.

Seul le prononcé fait foi