Eloge funèbre de Philippe MADRELLE,
Sénateur de la Gironde
(Mardi 8 octobre 2019 à 14 heures 30, Séance publique)



Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mes chers collègues,
Mesdames et Messieurs,

C’est avec beaucoup d’émotion et de tristesse que nous avons appris, le 27 août dernier, la disparition du doyen de notre assemblée.  

Philippe Madrelle nous a quittés au terme d’un combat contre la maladie qu’il menait courageusement en poursuivant autant que possible ses activités. Encore tout récemment, au cours de la session extraordinaire de cet été, il avait tenu à intervenir au cours d’une séance de questions d’actualité au Gouvernement.

J’étais présent à ses obsèques, le 2 septembre en l’église Notre-Dame de Bordeaux, et lui ai rendu un premier hommage lors de cette cérémonie d’adieu à laquelle assistaient un millier d’habitants de la Gironde et beaucoup de personnalités politiques dont le Président du Groupe socialiste et Républicain, Patrick Kanner.

Figure emblématique du département de la Gironde, Philippe Madrelle voua sa vie entière à un engagement inlassable au service de ses compatriotes et de l’intérêt général. Ses grandes facultés d’écoute et d’empathie, son profond humanisme, son indéfectible esprit de justice, de solidarité et de fraternité étaient unanimement salués et suscitaient le respect de tous.

Profondément ancré dans son territoire, il exerça avec une longévité exceptionnelle et sans doute inégalée ses mandats locaux et nationaux. Il fut maire de Carbon-Blanc pendant un quart de siècle, de 1976 à 2001. La confiance des électeurs du canton de Carbon-Blanc, jamais démentie, renouvelée à sept reprises, lui permit de siéger sans discontinuité 47 années durant au sein de l’assemblée départementale. Il présida aux destinées du département de la Gironde pendant 36 ans, de 1976 à 2015, avec une brève interruption de 1985 à 1988. Élu pour la première fois au Sénat en 1980 après 12 ans de mandat de député et ensuite réélu sénateur à quatre reprises, il siégea près de 39 ans dans notre hémicycle.

Comme il en convenait lui-même en prenant la parole devant le Sénat comme doyen d’âge en 2017, « sans doute ne sera-t-il plus possible, à l’avenir, de s’exprimer avec le recul de cinquante années de vie parlementaire ». Et pourtant, ce recul n’est pas inutile à notre vie démocratique…

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Philippe Madrelle était né le 21 avril 1937 à Saint-Seurin de Cursac, petite commune du Blayais dans le nord de la Gironde, là même où il repose aujourd’hui.

Il fut immergé dans la vie politique dès son plus jeune âge, car son père, contrôleur des contributions, était aussi un militant SFIO et un élu local, conseiller municipal, puis maire de la commune.

Le sport occupa une place très importante dans sa jeunesse. Coureur de fond, il fut plusieurs fois champion universitaire du 400 mètres. Ainsi qu’il le déclara plus tard, cette dure école du sport lui donna des leçons de courage, d’endurance, d’humilité et de loyauté.

Titulaire d’un baccalauréat de philosophie et d’un certificat d’études littéraires générales de la Faculté de Bordeaux, il débuta dans la vie professionnelle comme instituteur de campagne, puis comme professeur d’anglais.

Mais Philippe Madrelle fut très tôt attiré par la vie politique où l’entraînèrent tant ses inclinations personnelles qu’une « solide tradition de militantisme familial », selon ses propres mots.

Son père déclarait pourtant qu’il l’avait plutôt poussé vers l’enseignement, car « la politique, c’est instable. Mieux vaut avoir un métier (…) ». De même, son frère Bernard, également enseignant à l’origine, s’orienta ensuite vers la politique et fut longtemps député de la Gironde, de 1978 à 2007.

Dès 1965, à l’âge de 28 ans, Philippe Madrelle fut élu conseiller municipal d’Ambarès. Deux ans plus tard, il devint le suppléant du député René Cassagne. Cet ami de son père, autre grande figure du socialisme girondin, fut, selon ses propres dires, « l’inspirateur de toute [sa] carrière ».

Philippe Madrelle lui succéda à l’Assemblée nationale en 1968. A l’âge de 31 ans, il fut alors le plus jeune député de France, et le benjamin du groupe socialiste. Il ne savait pas encore que le destin le conduirait, quelque 50 années plus tard, à devenir le doyen du Sénat.

Il fut successivement élu conseiller général en 1969, adjoint au maire de Carbon-Blanc en 1971, puis maire de cette commune en 1976.

Quelques mois après son élection comme maire, il devint, à 39 ans, le plus jeune président de conseil général de France.

Il s’investit avec passion dans cette fonction. Il s’attacha sans relâche à favoriser le développement de son département et, j’ajouterai, un développement équilibré entre l’espace urbain et le monde rural, entre la métropole bordelaise et les autres composantes du plus vaste département de France.

Pour ce faire, il dota l’assemblée départementale d’instruments d’action novateurs et efficaces comme le Fonds départemental d’aide à l’équipement des communes. Il mit également en place des contrats de développement social urbain ou rural, pour soutenir tant les quartiers sensibles que les zones rurales fragilisées.

En 1980, il fit son entrée au Sénat. Expliquant son choix de quitter l’Assemblée nationale pour rejoindre notre assemblée, il déclarait alors que sa fonction de président de conseil général l’orientait tout naturellement vers la chambre représentant les collectivités territoriales.

En 1981, il succéda à André Labarrère comme président du conseil régional d’Aquitaine. Pendant quelques années, de 1981 à 1985, il fut concomitamment sénateur, président de conseil général et président  de conseil régional. A un journaliste du Monde qui l’avait interpellé sur le cumul de ces responsabilités très lourdes, il avait rétorqué qu’il serait prêt à donner l’exemple en cas de vote d’une loi limitant le cumul des mandats, tout en faisant observer que « la carte de visite est imprimée par le suffrage universel »…

Au Sénat, Philippe Madrelle choisit de siéger à la commission des affaires étrangères et de la défense, dont il fut membre pendant plus de vingt ans avant de rejoindre la commission de la culture en 2011, puis la commission de l’aménagement du territoire en 2014. C’est donc tout naturellement qu’il prenait régulièrement part aux débats sur les questions de politique étrangère ou de défense.

Il avait gardé de sa jeunesse un intérêt particulier pour le milieu sportif et avait à cœur d’intervenir presque tous les ans sur le budget de la Jeunesse et des Sports.

Il profitait également, le plus souvent possible, des séances de questions orales pour défendre les intérêts de son cher département de la Gironde sur des questions qui lui tenaient à cœur.

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Philippe Madrelle fut un acteur majeur de la décentralisation en Gironde. Décentralisateur acharné, il était, dans tous les sens du terme, un « Girondin ». Dès 1980, il déclarait croire profondément en l’avenir de la décentralisation, « cette réforme essentielle pour l’avenir démocratique de notre pays ». Aussi s’engagea-t-il avec conviction en faveur des lois de décentralisation.

Il fut en même temps, tout au long de sa carrière politique, un ardent défenseur du monde rural et des collectivités territoriales, tout particulièrement du binôme département-communes.

En 1998, il écrivait dans une tribune publiée dans Le Figaro : « comment imaginer de renoncer à l’inestimable atout de proximité que constitue le couple département-communes ? ». Il considérait ces collectivités comme des « socles de notre démocratie ».
En 2002, il défendait à nouveau, cette fois dans Sud-Ouest, l’avenir du département comme « territoire de référence et d’appartenance » et « collectivité de solidarité ».

En 2014, au cours de la campagne pour les élections sénatoriales, il dénonçait la réforme territoriale en cours comme portant atteinte au binôme commune-département, qui avait permis – je reprends ses mots – de « mettre fin à des siècles de féodalité ».

Philippe Madrelle avait pressenti, avant tout autre, le péril mortel que ferait courir à notre pays une fracture territoriale qui ne cesse depuis des années de s’élargir. Dans son allocution de président d’âge de 2017, il tint des propos qui apparaissent aujourd’hui prémonitoires : « nous avons tous conscience qu’il y a urgence à prendre en compte la lassitude et les attentes des élus locaux, qui animent dans la proximité les cellules de base de la République et de notre démocratie représentative ».

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Sa carrière de parlementaire et d’élu local l’avait également convaincu, depuis longtemps, de la nécessité d’une seconde chambre, assurant la représentation de la Nation selon une approche fondée sur les territoires. Et ce même s’il pensait, à juste titre, que le Sénat devait se moderniser.

Dans son allocution de président d’âge de 2017, Philippe Madrelle avait tenu à se référer, en tant que Girondin,  à Montesquieu, pour qui le bicamérisme était une condition essentielle de l’équilibre des pouvoirs. Il avait également rappelé que le bicamérisme était « la marque des régimes démocratiques ».

Selon ses propres dires, le Sénat, loin d’être l’assemblée assoupie ou conservatrice décrite par ses détracteurs, est l’assemblée de l’approfondissement du travail législatif, « un lieu de travail serein et sincère, dont la valeur essentielle est le respect : respect des principes de la République, respect du Gouvernement, respect du pluralisme et de la diversité idéologique, et surtout respect des collègues et de leurs expressions ou opinions, en toutes circonstances ». Pourrait-on imaginer meilleure défense du Sénat ?
Soucieux de la préservation et de la transmission de la mémoire de l’action des sénateurs, Philippe Madrelle avait tenu à déposer au Sénat, au début de cette année, son fonds d’archives privées liées à l’exercice de son mandat sénatorial.

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Au nom du Sénat tout entier, je souhaite rendre aujourd’hui, dans notre hémicycle, un hommage solennel à un parlementaire estimé de tous, un humaniste, un parfait serviteur de la République, un défenseur inlassable de la ruralité et des collectivités territoriales, un acteur majeur de la décentralisation et de l’aménagement du territoire, un fervent partisan du bicamérisme.

À ses anciens collègues des commissions des affaires étrangères, de la culture et de l’aménagement du territoire, à ses amis du groupe socialiste et républicain, j’exprime notre sympathie attristée.

À son épouse, à ses enfants, à toute sa famille et à tous ceux qui ont partagé ses engagements, je souhaite redire, en ce moment de recueillement, la part que le Sénat prend à leur chagrin.

Philippe Madrelle restera présent dans nos mémoires.

Seul le prononcé fait foi