Discours de Gérard LARCHER
1er octobre 2020

Monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais en premier lieu saluer M. Jean-Marie Vanlerenberghe, sénateur du Pas-de-Calais et doyen de notre assemblée. Je veux le remercier d’avoir présidé cette première séance ; je veux aussi le remercier de ses propos.

Cher doyen, je connais vos convictions, que vous venez de rappeler, votre engagement social et territorial et votre suivi très attentif du projet de loi de financement de la sécurité sociale en tant que rapporteur général.

Je souhaite remercier nos secrétaires d’âge. Être parmi les benjamins de notre assemblée est à la fois un honneur et un bonheur ! Je peux attester, pour l’avoir été, que c’est un bonheur qui passe trop vite !

Comme notre doyen, je souhaite saluer la mémoire de Christian Poncelet, qui nous a quittés le 11 septembre dernier. Il fut un président du Sénat qui ne cessa de défendre le bicamérisme comme condition de la démocratie. C’est sous son impulsion que la révision constitutionnelle de 2003 permit que les projets de loi "ayant pour principal objet l’organisation des collectivités territoriales" soient soumis en premier lieu au Sénat. Je prononcerai le 13 octobre prochain un hommage en sa mémoire. J’ai également une pensée émue pour notre collègue Colette Giudicelli, qui nous a quittés la semaine dernière.

Bienvenue aux nouvelles sénatrices et nouveaux sénateurs. Nous sommes heureux de les accueillir dans cet hémicycle du Sénat de la République.

J’ai une pensée amicale pour les visages familiers de nos collègues que je ne retrouve pas cet après-midi dans les travées de notre assemblée ; à ceux que je vois en tribune, je veux dire mon amitié. Cette maison est la leur !

Je voudrais saluer les candidats qui se sont présentés à la présidence du Sénat – Mme la présidente Éliane Assassi, M. le président Patrick Kanner et M. le président du nouveau groupe de notre assemblée, M. Guillaume Gontard – et remercier tout particulièrement l’ensemble de celles et de ceux qui m’ont accordé leur confiance. Je constate – pardonnez cette immodestie ! – que, à la différence de la situation financière, leur nombre ne cesse d’augmenter !

La démocratie s’est exprimée et je veux dire à tous mes collègues que, dès cet instant, je suis le porte-parole de toutes les sénatrices et tous les sénateurs de métropole, d’outre-mer et des collègues qui représentent les Français établis hors de France. Nous sommes une assemblée de liberté, où chaque voix est respectée. Croyez-moi, j’en serai le garant.
Vitalité de la démocratie, force des territoires, le Sénat au service de la République : tel est le projet que je vous ai proposé pour les trois prochaines années.

Oui, je le crois, et c’est le sens de mon engagement : être sénateur, c’est faire vivre la démocratie, incarner le territoire, être au service de la République et des citoyens. Et nous pouvons tous, avec nos sensibilités et nos différences, nous retrouver autour de ces principes.

Que serait notre démocratie sans le bicamérisme, sans une deuxième chambre ne procédant pas de l’élection présidentielle, sans ce contre-pouvoir institutionnel ? Dans le cadre de la Constitution de la Ve République, ce contre-pouvoir puise son origine dans le discours de Bayeux du général de Gaulle. Permettez-moi de le citer : "Il faut donc attribuer à une deuxième Assemblée, élue et composée d’une autre manière, la fonction d’examiner publiquement ce que la première a pris en considération, de formuler des amendements, de proposer des projets […]
"Tout nous conduit donc à instituer une deuxième Chambre dont, pour l’essentiel, nos Conseils généraux et municipaux éliront les membres."

Nous sommes autonomes, libres et indépendants. Nous sommes héritiers, mais aussi acteurs, d’une "façon sénatoriale" de faire de la politique : avec sérieux et calme, mais avec vigueur ; sans précipitation, mais avec détermination.

Nous plaçons au-dessus de toute autre considération l’intérêt du pays. Nous sommes cet "espace de respiration" dans la République, cet espace de débat, cet espace où chacun se respecte, un espace où la solidarité nationale s’exprime quand il s’agit de l’essentiel.

Le Sénat a dit majoritairement "oui" chaque fois qu’il s’est agi de voter, par exemple, les projets de loi d’urgence sanitaire ou les projets de loi de finances rectificative. Mais il a dit "non" chaque fois que les droits du Parlement étaient menacés, chaque fois qu’il s’est agi de fragiliser le lien de proximité entre le parlementaire et le citoyen, que la loi sur le non-cumul des mandats a déjà entamé.

Mes chers collègues, on ne renforce pas la démocratie en abaissant le Parlement par la réduction de ses pouvoirs ou du nombre de ses membres.

Oui, le Sénat est un élément structurant de la vitalité démocratique de notre pays et je souhaite poursuivre et amplifier, avec vous, le travail réalisé depuis plusieurs années.

Il nous faut continuer l’amélioration de la "fabrique de la loi". Trop de lois votées et jamais appliquées ! Il nous faudra réfléchir à une procédure – nous avons abordé ce sujet dans le cadre de notre groupe de travail constitutionnel – qui permette au Parlement de saisir le juge administratif lorsqu’un décret d’application des lois manque à l’appel.

Le recours aux ordonnances est devenu massif. Ainsi, depuis mai 2017, 183 ordonnances ont-elles été publiées. C’est un recours abusif, qui est loin d’être toujours justifié par l’urgence. De surcroît, le Gouvernement met plus de temps à publier ces textes que nous n’en mettons pour voter les lois.

Nous devons donc mieux contrôler le recours aux ordonnances, et la décision du Conseil constitutionnel du 28 mai dernier nous oblige à exiger systématiquement que ces dernières soient ratifiées par le Parlement !

Nous allons poursuivre l’amélioration de nos procédures, et le Gouvernement devra naturellement y prendre toute sa part.

Il nous faut renforcer encore notre mission de contrôle. Je vous proposerai notamment d’examiner de manière approfondie les nominations de l’article 13 de la Constitution. Je souhaite engager une réflexion pour étendre les pouvoirs d’investigation des commissions permanentes et territorialiser leur action.

Je souhaite poursuivre les efforts de modernisation et de gestion engagés au Sénat depuis 2008. En dix ans, nous avons refondu l’organigramme des services. Depuis douze ans, nous avons gelé, en euros courants, la dotation qui nous est versée par l’État. Avec les questeurs et le bureau, nous avons décidé la mise en place d’un commissariat à l’audit, placé sous l’autorité du secrétaire général du Sénat.

Ce mouvement d’ampleur de modernisation de l’administration sénatoriale doit se poursuivre, notamment en favorisant une plus grande ouverture vers l’extérieur.

Je veux redire à l’administration sénatoriale notre confiance. Pour ses agents comme pour nous, sénateurs, c’est avant tout le service de l’institution, du pays et de la République qui compte.

Par ailleurs, mes chers collègues, je tiendrai à votre disposition les conclusions du tout récent rapport du groupe d’États contre la corruption du Conseil de l’Europe, le Gréco, adopté le 25 septembre dernier, qui souligne, en matière de déontologie et de pratique de contrôle, le travail accompli dans notre institution au cours des trois dernières années.

La dernière mandature a été marquée par un renforcement de la responsabilité environnementale au Sénat. L’institution s’est engagée en matière de développement durable : effort de dématérialisation en séance publique et en commission, lancement d’un audit environnemental, biodiversité au jardin, que nous entretenons et qui accueille plus de deux millions de visiteurs chaque année. C’est un espace de respiration pour les Parisiens et pour tous les touristes venant visiter Paris. Je souhaite que cette démarche du Sénat en faveur du développement durable soit poursuivie avec détermination.

Mes chers collègues, en 2017, je fondais le projet que je vous proposais alors sur l’équilibre des territoires. Qu’y a-t-il de plus dévastateur pour une nation que son "archipelisation" ?

Ces trois années nous ont permis de replacer le territoire au cœur du débat public. Nous sommes les artisans de cette évolution, car la Conférence nationale des territoires du 17 juillet 2017, au cours de laquelle l’on nous promettait un pacte de confiance entre l’État et les territoires, n’a pas produit les effets attendus. En vérité, l’action publique est demeurée verticale et centralisée.

On nous annonce un changement de cap. J’en accepte l’augure, je l’ai dit au Premier ministre au début du mois de septembre.

Le Sénat sera un acteur majeur du rééquilibrage des pouvoirs au profit des collectivités territoriales. Passons désormais aux travaux pratiques ! Que l’exécutif saisisse l’occasion qui lui est proposée par le Sénat avec les "cinquante propositions pour le plein exercice des libertés locales", pour une nouvelle génération de la décentralisation. C’est l’une de nos deux contributions au Président de la République pour la relance, que nous avons faites à sa demande.

Il est temps de garantir l’autonomie financière des collectivités territoriales, qui n’a cessé d’être réduite. Il est temps de réaffirmer que la commune est la cellule de base de notre organisation administrative. La coopération intercommunale doit permettre aux maires et aux élus municipaux de mieux exercer leurs compétences en les mutualisant. Il est temps de leur reconnaître le droit à la différenciation, sans pour autant porter atteinte à l’unité de la République, à laquelle je tiens par-dessus tout. Il est temps d’interrompre la spirale "étouffante" de la surréglementation et de l’empilement des normes, qui embolisent les décisions.

Enfin, c’est l’essence même de notre mandat, mes chers collègues, nous sommes au service de la République et des citoyens. Nous sommes élus au suffrage universel indirect par les 550 000 élus locaux – conseillers régionaux, départementaux et municipaux – évoqués dans le discours de Bayeux et qui, vous l’avez vu lors des crises récentes, cimentent l’unité de notre pays et notre démocratie. Ils puisent leur légitimité dans la proximité, qui constitue sans doute aujourd’hui le besoin le plus essentiel de nos concitoyens.

J’ai la conviction que la confiance ne se retrouvera que dans l’action de proximité dans chaque territoire de la République. Nous, sénateurs, devons être les architectes de cette reconstruction de la confiance.

Ce sont les crises qui éprouvent nos institutions. Dans les crises naissent les pulsions populistes qui sapent les fondements de nos démocraties. Au Sénat, nous avons la responsabilité de ne jamais fléchir quand l’essentiel est en jeu ! Il s’agit de défendre les libertés, de préserver nos institutions et de résister aux pressions d’une médiatisation anarchique, où la "justice" des réseaux sociaux tente de se substituer à la justice rendue par des juges au nom du peuple français.

En ce début d’octobre, nous n’en avons pas terminé avec la crise sanitaire. La crise économique et sociale est devant nous. On nous parle de crise de la représentation, de perte de confiance du citoyen envers les institutions. Certes, c’est une réalité. En vérité, ne sommes-nous pas face à une crise plus fondamentale puisant ses racines dans l’impuissance de l’État et la toute-puissance de la technostructure ? Dans une crise de l’autorité, de la verticalité de la gouvernance, de l’ignorance des corps intermédiaires et des élus locaux ? En fait, n’avons-nous pas d’abord, collectivement, une crise de l’absence de résultats ?

Nous avons donc le devoir de recoudre un pays miné dans sa cohésion.

Au cours des trois années écoulées, j’ai sillonné la France : plus de cent déplacements à la rencontre des élus locaux, de nos concitoyens, dans des exploitations agricoles, dans des entreprises, dans des associations, dans des maisons de santé et ailleurs. C’est chaque fois la réalité de leur quotidien qu’ils m’ont exprimée, et aussi, parfois, peut-être aujourd’hui encore plus qu’hier, leurs souffrances et leurs inquiétudes – cela, vraiment, je le ressens dans le pays.

Cessons donc d’opposer les jeunes aux plus âgés, le Nord au Sud, l’Est à l’Ouest, et maintenant, hélas, les origines entre elles… Il ne peut y avoir qu’une seule communauté nationale. Et le singulier est pour moi essentiel, car c’est ainsi que se conjuguent la République et les valeurs qui sont les nôtres !

Cela exige solidarité entre les générations et solidarité entre les territoires.

La France doit, par ailleurs, retrouver sa souveraineté dans les domaines stratégiques – la crise sanitaire nous l’a douloureusement rappelé. Cessons néanmoins de craindre l’Europe et de craindre le monde ; car enfin, que pourrait la France seule face au reste du monde ?
L’Europe est une chance ; la mondialisation est une réalité et un défi.

Mes chers collègues, cette élection à la présidence du Sénat est un honneur, et c’est pour moi aujourd’hui comme au premier jour. Vous me connaissez : vous savez que j’ai la République chevillée au corps. Tranquillement, sereinement, et avec détermination, je resterai fidèle à ce que je suis : attaché aux institutions, au rôle du Parlement, à la séparation des pouvoirs, à l’indispensable bicamérisme – sur chacun de ces points, je ne serai pas simplement intransigeant : je serai extrêmement exigeant ; attaché, aussi, aux valeurs qui ont motivé mon engagement politique et mon engagement social.

Le Sénat demeurera ouvert, respectueux des droits et des libertés ; je souhaite rester le garant de cette "singularité" sénatoriale.

Mes chers collègues, vous connaissez mon projet. Je serai à l’écoute de vos propositions. Je souhaite que vous me fassiez remonter ce que, notamment pour 171 d’entre vous, vous avez partagé avec le pays tout au long de ces dernières semaines. C’est sur cette voie que je vous propose de nous engager pour un Sénat plus fort, dans une France que je voudrais plus apaisée, rassemblée, une France qui compte en Europe et dans le concert des nations, pour que vive le Sénat, que vive la République et que vive la France !

Il faut goûter ces moments, mais ne pas trop s’y habituer…

Merci, mes chers collègues ; merci à vous aussi, monsieur le ministre délégué.

Seul le prononcé fait foi