Question de M. SIMONIN Jean (Essonne - RPR) publiée le 02/05/1991

M. Jean Simonin expose à M. le garde des sceaux, ministre de la justice, que le principe de non-rétroactivité des lois et des règlements est une garantie essentielle de la démocratie et une protection évidente pour les citoyens et les justiciables dans un Etat de droit. Partant de ce principe, l'article 8 du 26 août 1789 établit que " nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit ". La portée de ce principe a cependant été limitée par la jurisprudence. En effet, le Conseil constitutionnel a réservé l'application du principe de non-rétroactivité résultant de l'article 8 de la déclaration des droits aux seules lois pénales (décision n° 79-109 D.C. du 9 janvier 1980). Ceci a pour conséquence, notamment, d'autoriser la rétroactivité des lois fiscales et financières. C'est ainsi que de nombreuses dispositions rétroactives figurent désormais dans les lois de finances depuis plusieurs années. La protection accordée aux citoyens par les textes existants est donc imparfaite. C'est pourquoi il lui demande s'il n'estime pas opportun de reconsacrer de façon constitutionnelle le principe de non-rétroactivité des lois et des règlements.

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Réponse du ministère : Justice publiée le 22/08/1991

Réponse. - Le principe de non-rétroactivité de la loi pénale affirmé, sur un plan général, par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 et, dans le cas des infractions passibles de la Haute Cour de justice, par l'article 68 de la Constitution, a une portée un peu plus étendue que celle qu'a bien voulu rappeler l'honorable parlementaire : s'il est exact qu'il ne s'applique pas à des mesures non pénales (décision du Conseil constitutionnel n° 79-109 D.C. du 9 janvier 1980), il ne concerne toutefois " pas seulement les peines appliquées par les juridictions répressives, mais s'étend nécessairement à toute sanction ayant le caractère d'une punition, même si le législateur a cru devoir laisser le soin de la prononcer à une autorité de nature non judiciaire " (décision n° 82-155 D.C. du 30 décembre 1982 et n° 87-237 D.C. du 30 décembre 1987). Il s'étend également " à la période de sûreté qui, bien que relative à l'exécution de la peine, n'en relève pas moins de la décision de la juridiction de jugement qui, dans les conditions déterminées par la loi, peut en faire varier la durée en même temps qu'elle se prononce sur la culpabilité du prévenu ou de l'accusé " (décision n° 86-215 D.C. du 3 septembre 1986). En matière de loi non répressive, le principe de non-rétroactivité a une valeur simplement législative ainsi que cela résulte d'une jurisprudence constante du Conseil constitutionnel (décisions n° 69-57 L du 24 octobre 1969, n° 80-119 D.C. du 22 juillet 1980, n° 89-254 D.C. du 4 juillet 1989, n° 89-268 D.C. du 29 décembre 1989, n° 91-298 D.C. du 24 juillet 1991). L'application rétroactive de la législation fiscale se heurte toutefois à une double limite, l'une tirée du principe ci-dessus rappelé de non-rétroactivité des sanctions fiscales, l'autre fondée sur la circonstance qu'une telle application " ne saurait préjudicier aux contribuables dont les droits on été reconnus par une décision de justice passée en force de chose jugée ou qui bénéficient d'une prescription légalement acquise à la date d'entrée en vigueur de la loi " (décision n° 91-298 D.C., précitée). Sans parler des cas où la loi rétroactive lui est favorable, le contribuable n'est donc pas privé de toute garantie, la moindre n'étant pas le consentement du Parlement à ces exceptions au principe posé par l'article 2 du code civil. En matière de règlements, le principe de non-rétroactivité est un principe général du droit (Conseil d'Etat, 25 juin 1948, " Société du journal) l'Aurore ") auquel la loi peut soit explicitement, soit implicitement faire échec. Mais même en dehors des cas prévus par la loi, un acte administratif peut comporter un effet rétroactif dans trois séries de cas : en cas de régularisation de mesures antérieures, qu'il s'agisse de tirer les conséquences d'une annulation pour excès de pouvoir ou de procéder au retrait d'une décision illégale ; en cas d'actes venant s'ajouter à des mesures antérieures dont ils conditionnent l'application (par exemple, décisions d'approbation des autorités de tutelle) ou en cas d'actes réglant des situations pour lesquelles ces actes sont nécessaires (par exemple, fixation d'un prix de campagne en cours de campagne pour toute la durée de celle-ci). Toutes ces exceptions sont justifiées par les nécessités de la vie administrative. La constitutionnalisation du principe de non-rétroactivité des lois et règlements en matière non répressive apparaît donc comme étant susceptible d'engendrer des rigidités considérables : elle empêcherait ainsi que soient prises par le législateur des mesures de validation qui, le plus souvent, sont favorables aux intéressés (par exemple, candidats admis à un concours annulé par la suite par le juge administratif). Elle ne pourrait se faire sans que des exceptions très étendues soient prévues. Dans ces conditions, il ne paraît pas véritablement opportun d'envisager une telle réforme. ; législateur des mesures de validation qui, le plus souvent, sont favorables aux intéressés (par exemple, candidats admis à un concours annulé par la suite par le juge administratif). Elle ne pourrait se faire sans que des exceptions très étendues soient prévues. Dans ces conditions, il ne paraît pas véritablement opportun d'envisager une telle réforme.

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