Question de M. LORRAIN Jean-Louis (Haut-Rhin - UC) publiée le 07/03/1997

Question posée en séance publique le 06/03/1997

M. le président. La parole est à M. Lorrain.
M. Jean-Louis Lorrain. Ma question s'adresse à M. le garde des sceaux, ministre de la justice. (Ah ! sur les travées
socialistes.) Des événements récents, voire quotidiens, viennent tristement de nous rappeler l'urgente nécessité de
légiférer en vue du « renforcement de la prévention et de la répression des atteintes sexuelles contre les mineurs et des
infractions portant atteinte à la dignité de la personne ».
Le projet de loi a le grand mérite de tenter de remédier à un mal qui semble s'amplifier dans notre société, ou que, du
moins, on ose davantage évoquer, et contre lequel il nous faut lutter le plus efficacement possible.
Monsieur le ministre, nos interrogations peuvent porter sur les plans médical, juridique et déontologique. Etant médecin de
formation, je crois devoir relever la juxtaposition des termes « peine » et « suivi médico-social. » En effet, il paraît difficile
d'allier sanction et soins, et l'auteur des faits doit être conduit à reconnaître la gravité de ses actes et de sa faute.
Quant à la responsabilité du médecin traitant, se trouverait-elle modifiée s'il lui incombait de dénoncer tout manquement à
l'exécution de ses prescriptions ? En quoi différerait-elle de celle du « médecin coordinateur », et ne serait-il pas plus
logique, sinon plus facile, de nommer un « médecin médiateur » en cas de désaccord entre le médecin traitant et le juge de
l'application des peines ?
Par ailleurs, les effets d'un traitement anti-androgène se limitent à la durée de celui-ci. Outre l'atténuation des pulsions, des
fantasmes et des obsessions sexuelles, il est notoire que ces médicaments provoquent une altération temporaire des
facultés sexuelles et procréatrices. Mais comment dans ce cas prévenir les récidives à long terme ?
Les psychothérapies, qu'elles soient individuelles ou de groupe, n'ont d'impact que si elles font suite à une volonté
clairement exprimée par la personne concernée. Or l'Institut Pinel de Montréal a reconnu que l'efficacité de tels
traitements n'était que temporaire, notamment chez les pédophiles. Un suivi à vie est-il envisageable ?
Enfin, il existe, à l'usage de nos psychiatres, des formations spécifiques et des consultations expérimentales. Ne
pourraient-elles pas être développées ?
Telles sont, monsieur le garde des sceaux, les préoccupations qui sont non seulement les miennes mais aussi, pour partie,
celles du Comité consultatif national d'éthique, qui a donné son avis en amont du débat parlementaire sur ce texte d'une
brûlante actualité et qui doit répondre aux attentes des victimes et de leur famille. (Applaudissements sur les travées de
l'Union centriste, du RPR, des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

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Réponse du ministère : Justice publiée le 07/03/1997

Réponse apportée en séance publique le 06/03/1997

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jacques Toubon, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur Lorrain, les questions que vous posez sont
fort pertinentes.
Le projet de loi adopté par le conseil des ministres le 29 janvier dernier comporte, d'une part, une série de renforcements
des dispositions du code pénal et de la procédure pénale à l'égard de ceux qui commettent ou qui envisagent de
commettre des atteintes sexuelles, et, d'autre part, la grande innovation du suivi médico-social des délinquants ou des
criminels sexuels après leur libération.
Ce projet, comme vous l'avez dit, est d'une brûlante et terrifiante actualité, mais il est le fruit d'une très longue étude menée
depuis des années du fait, monsieur Lorrain, précisément, de la complexité et de la difficulté de ces questions.
Permettez-moi d'apporter quelques éléments de réponse qui, bien que modestes, me paraissent pour autant certains.
Premièrement, l'obligation de soins n'est pas, en elle-même, une innovation dans la mesure où l'injonction thérapeutique
est prévue par la loi sur la toxicomanie de 1970. De même, le sursis avec mise à l'épreuve qui s'applique à l'ensemble des
délits comporte aussi d'une certaine façon une telle obligation.
Deuxièmement, l'innovation réside dans le fait que l'obligation de soins sera, si la cour d'assises en décide ainsi, une peine
criminelle qui s'appliquera après l'accomplissement de la peine privative de liberté.
Troisièmement, monsieur le sénateur, cette obligation de soins ne doit pas seulement être considérée à travers les relations
qui vont s'instaurer entre un médecin et son patient ; elle fait partie de la politique de santé publique, de la politique de
réinsertion des criminels et des délinquants qui est menée à l'intérieur de la prison et à l'extérieur en milieu ouvert.
En réalité, la peine de suivi médical, telle que nous voulons l'instaurer - et c'est le point important - ressortit à la politique
de la santé et de la prévention sanitaire que nous conduisons depuis la loi de 1994, qui a transféré la santé des détenus au
ministère de la santé et à l'assurance maladie, c'est-à-dire au droit commun.
Quatrièmement, j'en viens à la procédure elle-même. Je vous le répète, monsieur le sénateur, cette procédure distingue
bien la responsabilité du juge d'application des peines et celle du médecin traitant, le lien étant assuré par un autre
médecin, le médecin coordonnateur.
Nous aurons l'occasion, au cours du débat parlementaire qui s'engagera d'abord à l'Assemblée nationale puis au Sénat,
de débattre longuement de cette question, mais vous vous rendrez compte que la déontologie et le secret médicaux ne
sauraient être mis en défaut par la procédure qui est proposée.
Enfin, monsieur le sénateur, il ne s'agit bien évidemment pas de prétendre que nous allons résoudre définitivement le
problème pour le passé ou pour l'avenir. Il s'agit de dire que, dans l'état actuel de la science, la loi permettra de mettre en
oeuvre les traitements psychologiques, organiques ou physiologiques les plus appropriés pour protéger la société, et en
particulier les enfants, contre le plus grand nombre de récidives possible. Voilà ce que nous voulons faire.
M. Jacques Mahéas. Où sont les crédits ?
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Aujourd'hui, nous ne pouvons pas le faire, mais, demain, lorsque vous aurez
voté cette loi, nous le pourrons.
Comme je l'ai indiqué récemment - et en tant qu'ancien médecin vous pouvez le comprendre mieux que quiconque - il
s'agit, d'une certaine façon, de faire accéder le traitement pénal à la dignité et à la noblesse de la thérapeutique médicale.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur
certaines travées du RDSE.)

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